Nécessités et limites des indignations

Des réseaux sociaux à l’occupation sur le terrain

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Éthnographie (très) participante de l’occupation de La Défense avec le collectif des Indignés (« Démocratie Réelle »)

Je propose ici le résultat d’une ethnographie participante de l’occupation de La Défense par le collectif « Démocratie Réelle ». J’avais effectué une première observation participante lors d’une des premières manifestations des Indignés et été informé de l’opération par les collectifs qui luttent contre l’exploitation du gaz de schiste. D’autre part comme l’avait suggéré un économiste engagé et « hétérodoxe » (Frédéric Lordon au congrès de l’Association Française d’Économie Politique en 2010) l’occupation de lieux emblématiques de la finance comme La Défense faisait partie de la dénonciation de la finance à laquelle doivent participer militants et économistes. Cette participation était aussi un bel exemple d’auto-organisation et d’articulation entre action « en ligne » et « action directe ». Mon propos ici consiste à se demander pourquoi une telle opération d’occupation a été viable pendant une durée significative (novembre et décembre 2011).
Il a fallu d’abord se faire accepter. Le « rite de passage » était de passer la nuit sur place dans le froid, même si c’est très éprouvant, et d’aider à résister. J’ai dû faire comprendre que je n’étais pas un « indic », désarmer la méfiance lorsque je prenais des photos, ou calmer quelques craintes quand je me présentais comme « faisant une enquête ». Mais cela a été rapide : « le monsieur est là depuis le début ! », un « salut mon frère » après une charge, « bien sûr qu’on t’accepte », « tu es trop sympa, j’aimerais avoir un prof comme toi », telles sont quelques marques d’acceptation que je peux évoquer. Le fait d’avoir travaillé auparavant sur un sujet identifiable comme le logiciel libre a également aidé.
J’ai été présent régulièrement, vingt jours en tout pendant un mois, en général le soir lorsqu’il se passait quelque chose, ai passé la nuit sur place deux fois. J’ai été faire les courses pour apporter de la nourriture et des toiles de protection en plastique, participé à la transmission d’information sur la vie de la collectivité, parlé aussi avec les policiers et avec les passants. J’ai été autant que possible présent à des AG, et groupes de travail, ai suivi les évènements sur les réseaux sociaux. J’ai participé aux activités d’organisation : porter de la nourriture, faire la vaisselle, ramasser les déchets, prendre part aux formes d’oppositions à des charges des forces de l’ordre. Je devais parler avec le plus de monde possible.

Quelques éléments chronologiques et sociologiques sont utiles pour prendre du recul. J’ai dégagé trois périodes :

Du 04/11/2011 au 16/11/2011 : suite à la première soirée où les forces de l’ordre ont arraché les tentes et où les Indignés ont fini la nuit sous la pluie puis à une entrée de métro, on peut parler d’une phase d’installation, d’organisation et de résistance. Il s’agit pour les Indignés de faire face aux interventions des forces de l’ordre tout en organisant une occupation qui n’est pas des plus évidentes. J’ai identifié six charges des forces de l’ordre au moins. Le commissaire ou préfet responsable de la répression a été remplacé suite à l’échec de la suppression de l’occupation. En particulier, le 16/11, le camp a été totalement rasé en fin de soirée.

Du 16/11/2011 au 27/11/2011 : suite à une plainte déposée contre les forces de l’ordre et à une médiatisation significative de leur dernière action, une phase plus calme suit, permettant la mise en place de projets.

Du 28/11/2011 au 04/12/2011 : une phase de désengagement. Elle fait suite à une fête en plein air et surtout à la destruction par les forces de l’ordre d’un dôme en carton conçu en cachette et assemblé par les Indignés dans la nuit du samedi 27/11 au dimanche 28/11. Ce désengagement progressif fit suite à l’accumulation de la fatigue, à quelques dérives (violences, perte de sens de l’occupation) et à l’arrivée prévisible de l’hiver ; le collectif perdit des membres et de sa consistance. Deux charges policières au minimum ont été observées. Après le 04/12/2012, le camp est « réduit » : il n’y eut plus de présence officielle, mais résiduelle, ce qui fut décidé en AG et permit de s’en sortir incontestablement la tête haute.
On observait plus de monde le week-end et le soir ; on est passé de près de 800 personnes au début à une vingtaine à la fin. En moyenne une centaine de personnes y passait chaque jour jusqu’au 27/11, et une cinquantaine la dernière semaine.
Il ne faut pas se fier aux clichés (« hippies », « clochards »). J’ai pu constater une grande diversité sociologique. On y trouvait des enfants et des familles, des mineurs, des étudiants, des couples préexistants et d’autres qui se formèrent, des étrangers (Espagnols, un couple de Hollandais, un Portugais, un Slovaque, une Belge…), des SDF et des marginaux que les Indignés se devaient d’aider (l’esplanade est en effet un territoire habituel des SDF), des spécialistes des NTIC. La perception des Indignés était qu’il y avait cependant « trop de jeunes » ; certains se considéraient comme une « famille », ce qui était contesté par d’autres qui estimaient que ce sont les causes qui rassemblent, et non la chaleur humaine. Concernant les frontières du collectif, certains participants suggérèrent qu’« Occupy », i.e. l’occupation de La Défense et « Démocratie Réelle », ce n’était pas la même chose.
Il faut avoir conscience que, malgré l’ennui qu’occasionne l’occupation, il s’agissait d’un lieu où l’on est « bien », avec un fort degré d’entraide interpersonnelle, de partages d’expériences, d’actions communes artistiques et politiques. Des liens se créèrent. Certains avaient le sentiment de vivre quelque chose d’unique, d’historique, au point de prendre conscience que ceux qui n’en n’étaient pas les enviaient. Des Indignés proposaient des free hugs. J’ai pu en donner moi-même à des personnes avec lesquelles j’avais juste eu plaisir à discuter. Des Indignés chantaient « travaille, consomme et ferme ta bouche ! » aux passants. C’était l’un des moyens les plus courants, associé à l’écriture de slogans sur des cartons, de solliciter la conscience des passants. Pour donner une idée de cette ambiance, on a raconté à l’intérieur du camp l’histoire d’une cadre d’entreprise qui fut contrainte de dormir sur place. Elle était tellement bien qu’elle eut du mal à repartir le matin.
Cependant, il fallait subir les regards des passants, certains n’approuvant pas l’opération ou semblant faire preuve de mépris. On comprit vite que régnait une peur des « indics », des policiers en civil… Il fallait gérer les ivrognes, SDF, les personnes excitées, comme celles animées du désir d’abandon du pacifisme pour faire la révolution. Certains avaient des comportements répréhensibles (trop boire, fumer du haschich) et fortement déconseillés ; mais les Indignés faisaient preuve de beaucoup de compréhension. On pouvait observer des violences verbales (accusation de « fascisme » injustifiées), physiques (jets de bouteilles de bière), des attitudes déplacées (main aux fesses suivie d’un poing dans la figure « bien mérité »). J’ai remarqué une régulation interne des comportements, les Indignés ne voulant pas laisser à la police la résolution des violences physiques et verbales. La politique consensuelle était d’accepter tout le monde. Mais si l’un d’eux posait problème, on lui conseillait de quitter le camp provisoirement et d’« aller quelques jours au bord de la mer ». Il existait une équipe de sécurité, potentiellement efficace, par exemple contre un fou qui était venu attaquer des gens la nuit du 27/11, armé d’une serpe, les forces de l’ordre ayant refusé d’intervenir.
Occuper, c’est défendre le camp et les biens accumulés (cuisine, pharmacie, cartons couverts de slogans, couvertures…). C’est occuper l’espace en plaçant les dits cartons le plus loin possible. Au fur et à mesure de l’avancement de l’affaire, la police faisait en sorte que cet espace se rétrécisse… C’est se protéger du froid et du vent, même lorsqu’on ne dort pas. Certains assistaient aux AG avec des couvertures.

Dormir dans le froid, c’est de l’« héroïsme » disaient des passants. En effet, la police avait pris les couvertures, les bâches, voire les couvertures de survie lors de la première phase. Dormir, c’est sentir le vent glacial, fort et humide, la pluie, l’inconfort de dormir tout habillé. En fait, il était impossible de dormir plus d’une demi-heure de suite, on était réveillé par le vent dès qu’on sortait le nez du sac de couchage. On se réveillait au moindre son, celui du tam-tam, du rap, le bruit du métro lointain sous les dalles dont le dessous laisse passer le vent glacial. On percevait dans la brume les formes fantomatiques et errantes de ceux qui restaient éveillés. Il fallait deux jours pour s’en remettre. Occuper, c’est ressentir la peur, la peur des charges policières, de se faire repérer par les caméras qui repéraient les plus endurcis, de certains jeunes du coin, des risques d’hypothermie. Certains étaient moins bien protégés que moi, sans couverture de survie, et étaient plus fatigués. Ils arrivaient à tenir plusieurs jours de suite, voire une semaine entière lorsqu’il fallait permettre au camp de ne pas disparaître. Ils partaient avec plusieurs kilos en moins, des cernes sous les yeux ; la « relève » les remplaçait. « Un boulot à plein temps », avait-t-on plaisanté.
L’occupation de La Défense supposait de s’organiser, des moyens pour tenir, et donc des apports bénévoles de nourriture, médicaments, matériaux divers, en particulier pour se protéger et pouvoir s’exprimer. Beaucoup d’Indignés contribuaient et la coordination des besoins se fit sur place et via Internet.

Dans le cas de l’occupation de La Défense, il n’y avait ni hiérarchie ni leaders, mais des formes d’auto-organisation très élaborées et plurielles, entre autres des pôles, groupes de travail et commissions. Les décisions finales se prenaient au consensus en AG qui est l’organe central mais dont le périmètre n’est pas clair : « occupy » et « démocratie réelle » ne recouvraient pas forcément les mêmes populations et les mêmes souhaits. On tentait d’empêcher l’émergence de « leaders », mais des « monopoles d’intervention » en AG ou dans l’organisation du camp furent observés.
Sur le plan matériel, le camp était un système adaptatif dynamique avec pour but de s’adapter aux forces de l’ordre. La cuisine au centre était séparée de la zone de stockage, ce qui était plus pratique d’un point de vue opérationnel et permit de sauver une partie des approvisionnements en cas de destruction partielle par les forces de l’ordre. Des installations de protection contre le vent, conçues à partir de supports de palettes tirés des rebuts des supermarchés du coin furent montées. Cette technique avait été enseignée par les Indignés Espagnols sur place. Ces éléments étaient trop voyants pour la police qui les a détruits. Par la suite, les Indignés se sont adaptés en aplatissant autant que faire se peut le camp.
Pour manger, le camp vivait de ce que chacun apportait. Il y avait une cantine improvisée mais on tentait de donner des repas réguliers. Vers 22h on servait souvent la chorba et on débattait de la priorité à donner aux plus pauvres et à ceux qui faisaient l’effort de dormir. Malgré tout, le camp se caractérisait par une dépendance vis-à-vis de l’environnement capitaliste, pour l’eau chaude de la vaisselle, pour les besoins naturels dans les toilettes de la galerie marchande au sud. J’ai observé une organisation locale des volontaires, par division informelle des tâches et spécialisation. La cuisine était un élément central du camp, une zone de pouvoir et de contrôle du bien collectif plus qu’un goulet d’étranglement du processus d’organisation. En revanche la vaisselle et l’approvisionnement en eau était difficile. Le collectif se caractérisait par un refus réaffirmé d’accepter de l’argent, ce sujet étant longtemps revenu sur la table des discussions des AG. Cependant, les Indignés n’ont eu que rarement des problèmes de ravitaillement.
On ne peut pas comprendre le collectif sans les NTIC. L’information était une nécessité, et pas seulement à l’extérieur du camp. Il y avait des rumeurs dans le camp et sur Internet. L’information sur place et la gestion de « l’accueil » furent la cause de certains mécontentements. Le manque de papier pour tracter et s’informer était un problème, ainsi que l’absence de lecture des sites Internet par les occupants. Le pôle web fut confronté à une profusion d’outils (Facebook, wiki, duplication de site web…) et un manque de sécurité. On observait la mise en place d’administrateurs de pages Facebook et de sites, mais aussi la création de réseaux autonomes et potentiellement sécurisés (N-1.cc). Il y avait là une spécificité des volontaires en matière de numérique qui formaient un vrai pôle de compétences, inhabituel ici. Des numéros de portables de coordinateurs circulaient ainsi que des listes de diffusion ou de discussions.
On peut noter les rapports ambigus avec les médias. Certains Indignés reprochaient la censure, l’ignorance ou l’indifférence. C’était partiellement vrai. L’existence d’une censure fut corroborée par des techniciens de M6 de passage début décembre: « on ne doit pas en parler ». J’ai noté un incident début novembre avec une journaliste de Canal + injuriée publiquement, qui rétorquait: « sans nous, vous ne seriez rien ». Les Indignés ont donné lieu à des papiers dans la presse de gauche, et la médiatisation eut une efficacité significative pour dénoncer les excès des forces de l’ordre.
Parler de l’action politique et des idées politiques des Indignés est difficile. Concrètement, elle se faisait dans des réunions de plus de trois heures dans le froid. Les Indignés parlaient de tout, de finance, d’écologie, du fonctionnement des entreprises. Certains allaient jusqu’à prôner la suppression de la monnaie, certains évoquaient leurs malheurs dans leur travail, d’autres reprenaient les propos d’économistes « raisonnables » et médiatisés comme Stiglitz. J’ai observé de façon récurrente une opposition appuyée au régime de N. Sarkozy. Leurs desiderata étaient diversifiés et bouillonnants, mais un consensus existait sur l’insuffisance de la démocratie par les urnes. Une synthèse a d’ailleurs été demandée par « Les Inrocks » sous la forme de 15 propositions. Politiquement, ils étaient plutôt orientés à gauche (des Anarchistes, des membres du Front de Gauche, du NPA…), même si les Indignés se défendaient de parler de politique « institutionnalisée » et de s’y référer. Cette façon de faire était une faiblesse reconnue par beaucoup de membres du collectif malgré une créativité évidente. Le rapport à la politique est complexe, entre un « ils ne nous représentent pas » et un intérêt pour des questions sociétales et les évènements en cours. J’ai observé peu de création de liens avec d’autres formes institutionnelles ou d’action collective, à part les Altermondialistes du G20, Avaaz, et les Anonymous.

J’en arrive à présent à l’un des aspects les plus délicats de ce sujet, la gestion des forces de l’ordre. La police, en effet, est intervenue plusieurs fois de façon musclée pour enlever les premières tentes ou ce qui dépassait en hauteur (au dessus d’un mètre), détruire totalement le campement et enlever ses restes, ou emporter toute bâche, toute tente ou toute protection. Les Indignés devaient dormir avec pour seule protection une couverture de survie, et parfois des baches en plastic. Les Indignés étaient surveillés avec une intensité extrême. J’ai su indirectement par une fuite qu’il y avait 400 caméras surveillant les Indignés sur le site de La Défense. Un membre des forces de l’ordre se disait capable devant un Indigné de savoir le nombre de cigarettes restant dans son paquet de cigarettes.
Outre les nombreuses interventions de petits groupes, j’ai répertorié huit interventions significatives des forces de l’ordre, dont deux au moins de très grande ampleur (une centaine de CRS et autres)… J’ai vécu trois charges, participé à deux tentatives d’obstruction. Des dérives épouvantables eurent lieu: blessures, vols, vandalisme, par exemple destruction des « bibliothèques » improvisées. Des membres des forces de l’ordre ont piétiné ou détruit (d’après des témoignages) les médicaments de la grosse « pharmacie » des Indignés. Des plaintes furent déposées contre les forces de l’ordre. Des étrangers sur place disaient que cela n’était pas ainsi qu’on faisait dans leur pays. Les Indignés hollandais disaient : « est-on encore en Europe ? ».

Les captures d’écran du site d’Occupons la défense et des autres mouvements montrent que les interventions policières étaient très médiatisées, par les Indignés eux-mêmes. Je reste persuadé qu’elles renforcèrent la détermination du collectif. Les gens revenaient dormir pour dire qu’ils voulaient résister (« on est vénère »). C’est ce que j’ai fait, dans cet état d’esprit, par exemple le 16/11 au soir.
Les forces de l’ordre obéissaient. Mais on sait clairement qu’un nombre significatif d’entre eux étaient très mal à l’aise lorsqu’on leur demandait d’attaquer un mouvement pacifiste dont ils partageaient certaines des revendications. Les témoignages édifiants sont multiples et concordants: tel membre des forces de l’ordre acheta des croissants auprès d’un tenancier du coin et demanda à ce qu’ils soient apportés de façon discrète. Un autre manifesta son approbation oralement avant d’être entendu de son supérieur qui lui assura qu’il ne pourrait plus faire partie des forces de l’ordre. Un autre émit en pleine action des excuses le premier jour, d’autres des excuses après en civil. Certains « craquèrent », pleurèrent, et durent être remplacés. Les rotations étaient rapides.
D’autres comportements plus amènes sont observés. Un des membres des forces de l’ordre avec qui j’avais « discuté socio-économie du camp » et à qui j’avais appris une autre fois ce qu’il faisait là exactement ( !) revint me saluer la troisième fois, et s’étonna que je ne le fis pas immédiatement la quatrième. D’autres s’intéressaient à la lutte contre l’exploitation des hydrocarbures de schistes. « Excusez-moi, il faut que j’y aille », dit avec détachement un CRS avec lequel je discutais, et je compris qu’il devait rejoindre la « charge », que cela allait chauffer et je courus prévenir les camarades. « Chat signalé ! » lance un autre dans son talkie-walkie après avoir aperçu un matou qui s’enfuyait. Certains n’étaient pas aimables lorsque je posais des questions.
Par ailleurs, les Indignés savaient gérer les faiblesses d’adversaires pluriels (et bien perçus comme tels). Ainsi, ils connaissaient la différence entre CRS, police et gendarmerie, et arrivèrent un jour à obtenir de cette dernière la décision de ne pas charger. Certains tentèrent de désarmer lors des charges par le pacifisme et l’humour, par exemple en disant « c’est sympa d’être venus, mais qu’est-ce que vous voulez ? » ou en proposant des fruits sur « la ligne de front ». J’ai pris note de tactiques de diversion: simuler une émeute, faire entrer des cartons pas intéressants pour attirer la police, et faire entrer les matériaux intéressants par un autre endroit, faire parler les policiers, proposer du café, chanter et marcher « à la queue leu leu » devant un barrage policier. Il existait aussi une commission juridique (parfois décriée) et surtout une aide juridique d’avocats militants et résolus, mais invisibles sur le terrain ou sur le Net.
Pourquoi ce camp a-t-il tenu si longtemps? Des facteurs conjoncturels sont à prendre en compte, en particulier le temps assez clément. Le froid, la pluie et le vent peuvent être terribles comme ce fut le cas de la tempête du 04/12/11 au soir. D’autres éléments sont à prendre en compte. Il s’agit de la taille réduite du groupe, qui a certainement aidé à ce que le ravitaillement ne soit jamais problématique, sauf deux fois, l’une à cause de la police, l’autre suite à la « disparition » de nourriture dans la cuisine. La récurrence des attaques des forces de l’ordre aurait motivé à résister, paradoxalement. La gestion de la relation avec les forces de l’ordre a découragé partiellement ces dernières. La présence d’un petit noyau déterminé (la cinquantaine de personnes déterminées du premier jour, puis les alter du G20, les Espagnols qui avaient de l’expérience) fut essentielle, ainsi que l’ambiance du collectif. La régularité des AG et des groupes de discussions, l’usage d’Internet pour l’organisation, la communication par l’usage massif des réseaux sociaux a largement contribué à souder le collectif sur la durée. La prise de conscience du succès initial inattendu et de l’impact médiatique a créé un effet d’entraînement. Cela n’a pas empêché les conflits, les moments de crise, de remise en cause du pacifisme, de doute et de découragement.
Les résultats de l’occupation sont contrastés, mais il ne saurait être clairement question d’échec. Les Indignés ont tenu un mois entier. Ce fut un succès médiatique conséquent, malgré la censure. Le mouvement a essaimé ailleurs en France (émergence d’autres lieux d’occupation ou « marches ») à cette occasion. C’est aussi une première expérience politique intense pour beaucoup, et la constitution d’un vivier de militants pour d’autres projets, parmi ceux que proposèrent les Indignés par la suite, mais aussi ailleurs. Mais nombre de militants furent très probablement fichés. Il s’agissait d’une expérience collective très forte. Des actions multiples furent entreprises, mais elles montrent certaines limites en matière de vie collective et le temps passé à «tenir» a limité la productivité politique. Par ailleurs, suite au dépôt de deux plaintes (après le camp rasé du mardi 15/11 et suite à la destruction du dôme) et la diffusion numérique de témoignages, une image médiatique désastreuse fut donnée d’une partie des forces de l’ordre. Un des effets du camp a été de montrer de quoi certaines forces de l’ordre sont capables, ce qui a fait réfléchir sur le régime politique de la démocratie.