La vie s’organise dans le quotidien par des relations sociales ordinaires et des liens faibles – liens d’échange, d’intérêt, de coopération et de voisinage dans l’espace public. Cela donne leur tonalité aux pratiques instituées de la politique. Car c’est dans ces territoires de vie qu’émergent les désirs et les revendications de droit, de liberté, de dignité et de sécurité des citoyen(ne)s. Ce travail politique invisible qu’une société accomplit sur elle-même ne peut être confisqué par des partis en lutte pour l’alternance. La démocratie ne prend pas uniquement consistance dans un système politique dont l’élection est la pierre d’angle, mais dans l’actualisation des principes d’égalité, de liberté et de pluralisme par les citoyen(ne)s ordinaires, qui font entendre leur voix dans la détermination du présent et du futur de la collectivité. La politique-comme-forme-de-vie est à inventer collectivement.
Les mouvements d’occupation du XXIe siècle ont créé des formes d’organisation visant à illustrer, ici et maintenant, l’exigence de démocratie. La force de ces actions, Occupy, la Puerta del Sol, puis Notre-Dame-des-Landes, Sivens et Nuit debout, c’est d’avoir demandé la « démocratie réelle maintenant » en la mettant en œuvre, en donnant l’exemple des nouveaux rapports sociaux qu’elles réclament et dont elles prouvent pragmatiquement la possibilité.
Refuser toute règle qui fixe a priori le périmètre de ceux qui ont le droit ou non de prendre part de façon légitime à la vie civique et politique, c’est considérer que la citoyenneté ne se mérite pas, mais se définit par la participation à une vie et à un avenir communs. Il faut effacer la ligne de démarcation entre des paroles portées dans l’espace public et d’autres qui n’y sont pas bienvenues (« je ne suis pas Charlie »). La démocratie est toujours de rupture : traversée par ceux et celles qui souhaitent élargir l’espace public et l’ouvrir à des voix différentes (les luttes féministes, les actions des minorités et des migrants).
Toutes les personnes qui ont été élevées et vivent dans une société, même de façon récente, ont un droit égal à participer à la conversation démocratique. La démocratie est une forme de vie et une méthode : l’exploration de la politique par les citoyen(ne)s qui acquièrent une maîtrise – plus ou moins élaborée et réfléchie – de la forme d’organisation sociale qu’elles ou ils vivent, ainsi qu’une idée de celle où elles ou ils voudraient vivre.
Cessons de nous focaliser sur la critique du populisme, qui se fonde sur une vision dégradée du peuple et une conception pessimiste de la nature humaine, comme repliée sur elle-même. Comptons sur la capacité propre des citoyen(ne)s à décider de ce qui est bon pour elles et eux. La liberté n’est rien si l’on ne peut l’exercer faute de moyens ou de droits spécifiques, l’égalité n’est rien, ou pire, si on ne combat pas, et constamment, pour des voix et droits égaux pour tou(te)s.
Pour des territoires à géométries variables
La maladie française de la réforme territoriale permanente bute sur une aporie : elle reste enfermée dans une logique de quadrillage du territoire, de délimitation de frontières et de limites institutionnelles, alors que les stratégies résidentielles des habitants et des entreprises se caractérisent par le butinage territorial, la flexibilité, la plasticité des réseaux de collaboration, locaux ou globaux, bref reposent sur l’interterritorialité. On invoque le « territoire vécu » pour redessiner des contours intercommunaux dilatés, dans une course au gigantisme (les métropoles) qui donne le pouvoir aux experts, reproduit les rentes de situation de la démocratie représentative et annihile toute velléité de démocratie délibérative. De fait, on valorise une démocratie du sommeil et de la fixité, largement décalée des pratiques de mobilité, donc illégitime. Comment dès lors injecter de la géométrie variable dans un système d’organisation territorial figé ? Une part du budget serait réservée à des projets dépassant les frontières des territoires institués. Le choix de ces projets reviendrait à une nouvelle assemblée d’usagers experts et pas seulement d’habitants. Puis, pour chaque projet, l’assemblée délibérative s’élargirait aux différents collaborateurs. Un contrat avec l’intercommunalité fixerait les financements du projet et l’apport respectif de chacun. Il s’agirait là d’un nouvel agir politique basé sur la flexibilité du territoire de projet et la légitimité de ceux qui le portent.
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