Mineure 38. Micropolitique de l'habitat non-ordinaire

Micropolitique de l’habitat non-ordinaire

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Dans la ville post-fordiste, l’habitat non-ordinaire est une dimension ordinaire. Des modes d’habitat « hors conventions » resurgissent aujourd’hui qui ne concernent plus seulement des « étrangers » ou des marginaux. Les luttes présentées ici déconstruirent ces exceptions qui ne sont pas naturelles, ni « anormales », ni même illégitimes. Cette micro-politique de l’agir urbain prolonge ainsi l’analyse des interstices du numéro 31 et des luttes et subjectivités de la ville productive du numéro 33 de Multitudes.

2 Aux nouveaux formatages des différents équipements du pouvoir répondent plusieurs types de luttes et de productions de subjectivités nouvelles, pas toujours victorieuses. Deux des textes recourent à la forme du récit portant sur la mémoire des luttes ou sur des luttes en cours. La contribution de Marc Bernardot adopte la forme de la fiction, du discours subjectif. Le recours à cette écriture, inhabituelle parmi les sciences humaines, présente l’avantage de faire sentir cet arrière-monde de la ville, inconnu de la plupart de ses habitants. L’habitat non-ordinaire, ce peut-être une crypte, celle de la guerre d’Algérie en l’occurrence, où il est pourtant possible de voir émerger de nouvelles identités. Florence Bouillon présente, elle, le récit et l’analyse des événements de la rue Cavaignac. Le titre en référence au film de Valérie Bruni-Tedeschi, Les Gens Normaux n’ont rien d’Exceptionnel relie aussi ironiquement ces personnes traitées à part aux pensionnaires des institutions psychiatriques. L’hôtel où on les relègue apparaît comme un élément d’une institution réticulée, mais laissant très peu de marges de manœuvre aux acteurs, comme les institutions totales de Goffmann. Leurs luttes n’y sont donc pas si locales que cela, elles affrontent une institution cachée.

3 La contribution d’Anne Labit sur les tentatives de vivre dans un habitat social autogéré par des femmes en France et en Allemagne révèle comment les normes de genre sont toujours présentes dans les politiques urbaines. Quand des femmes cherchent à vivre autrement que selon les canons de la conjugalité ordinaire, les normes cachées dans le discours de l’État- Providence universaliste resurgissent là aussi très rapidement. Face à ces projets, les réticences des administrations font que la contestation est ici une phase nécessaire de la construction. Là encore, il s’agit de la micro-politique de la ville, car plusieurs niveaux s’enchevêtrent, du soin aux corps, du care, à la politique des genres et aux normes générales des interventions publiques.

4 Il est toujours périlleux de sauter du travail à la forme de la ville. Néanmoins, le texte d’Arnaud le Marchand esquisse les relations entre les mutations du travail « post-fordistes », (intermittence, travail cognitif, nouvelles mobilités) et les changements de la ville contemporaine. De ce point de vue, l’habitat « non-ordinaire » n’est pas une scorie, mais au contraire une production actuelle, entre adaptations et luttes contre les ségrégations. Le laboratoire idéal pour étudier la complexité et la politique doit inclure les interstices de la ville productive.