Ce texte vise à reconsidérer le rôle toujours plus déterminant des territoires dans l’ensemble des mutations de la globalisation en se fondant précisément sur l’analyse des pratiques sociales dans de petites communes, une caractéristique sociopolitique essentielle de la France.

Beaucoup ont sans doute pu croire à la disparition même du concept de territoire tant il fut longtemps lié au seul espace transcendant de l’État-nation. Mac Luhan parlait depuis longtemps déjà d’un village global avant que la numérisation n’accroisse encore chez certains le sentiment d‘une dissolution de toutes réalités territoriales en face de la multiplications des réseaux. Dans la même optique, les pouvoirs d’État dénigrent aussi toujours plus les nimby censés défendre de minables arrières cours face à « l’intérêt général ». Mais si le territoire national est effectivement relativisé par toutes les nouvelles échelles de la mondialisation, les territoires au pluriel se multiplient tout au contraire, non seulement au-delà du souverainisme par la contextualisation de marchés transnationaux que, surtout, en deçà à travers les nombreuses affirmations subjectives d’appropriations de territoires par des communautés longtemps niées par l’État. Pour être fameuses, les luttes à dimension nationale des Catalans, Zapatistes, Kurdes ou autres Tibétains ne doivent pas masquer les bien plus nombreuses affirmations de territoires locaux, petits, inconnus qui luttent tout aussi activement contre l’uniformisation étatique. Nous avons déjà abordé ici depuis bien longtemps le rôle essentiel des villes dans cette affirmation subjective des territoires, à travers aujourd’hui non seulement le procès global de circulation [1] mais aussi les rapports capital –travail directs [2]. Plus avant, c’est aujourd’hui l’ensemble des pratiques sociales de résistances et d’innovations territoriales des citoyens qu’il faut aborder plus précisément, à la fois face et à côté des formidables mutations des espaces productifs.

De nature sociologique, notre analyse se situe ici en France, là justement où le centralisme d’État continue d’entraver le plus les potentialités nouvelles de la société, en même temps qu’il est maintenant aussi de plus en plus contourné concrètement par de multiples pratiques citoyennes, notamment en tentant d’instituer d’autres territoires communs. Au travers de la restructuration actuelle des Halles, nous avons déjà observé ces résistances dans la capitale où les exclus de toute la métropole s’affirment « Parisiens » envers et contre toutes les institutions publiques, et notamment la mairie de Paris[3]. Mais à présent, l’analyse des très grandes agglomérations ne suffit pas : l’État le plus centralisé de l’Europe développé est aussi celui qui a le plus empilé de « collectivités locales », notamment depuis les « décentralisations » socialistes successives qui éparpillent plus encore d’innombrables notables locaux attachés à des prébendes garanties par l’État[4]. Or les citoyens s’approprient aujourd’hui ces découpages administratifs multiples, notamment les récentes « communautés de communes » au moyen de deux principales pratiques innovantes, de nature métropolitaines et coopératives.

Ces communautés de communes ont pour caractéristique de dominer particulièrement tout ce que le pouvoir dénomme comme « rurbain ». À lire comme à prononcer, le caractère désagréable de ce qualificatif exprime très explicitement le mépris affiché par le centre vis-à-vis des périphéries, souvent traitées aussi selon l’autre dénomination désobligeante de « zones ». Espace Ni-ni, étranger à la fois à la ville et à la campagne, il est aussi politiquement incorrect puisque les pires extrémismes communautaristes de droite, de gauche sont censés y agir, et s’y manifester aussi électoralement. Après la ringardise presque aujourd’hui reconnue du terme de « province », la supériorité du centre sur ses périphéries se déplace donc sur un « rurbain » doté du pire défaut actuel, le cosmopolitisme.

Précisons d’entrée que cet article n’entend pas là défendre la politique urbaine pavillonnaire qui caractérise cet espace avec ses catastrophiques effets sociaux de marginalisation ainsi que de développement non durable. Principalement entamée durant le fordisme, le rurbain est la politique urbaine de l’État jacobin qui englobe aussi aujourd’hui un formidable cortège de rentes à la fois dans l’immobilier pavillonnaire et le tout – voiture fondant la plupart des corruptions de l’aménagement urbain. Le consensus politique qui l’entoure est donc pratiquement incontournable autour de ces filières économiques florissantes et que l’on prétend nourries d’une demande prétendument insatiable de maisons individuelles. Comme si les gens avaient le choix face à la dégradation constante et systématique de l’habitat social collectif !

Ce caractère catastrophique du rurbain est parachevé par l’analyse urbaine qui désigne le logement pavillonnaire comme participant d’un repli sur soi et la famille, d’une montée de l’individualisation et de « l’entre soi urbain » (Donzelot). Véritable dissolution de l’urbanité, il produit « une ville émiettée » conduisant jusqu’à la « clubbisation » résidentielle de la vie urbaine, francisation des gatted communities favorable à la ségrégation sociale (Charmes) dans une logique liée aux impératifs de la rente foncière et totalement déterritorialisante. Cette massification d’une analyse urbaine décrivant un archétype désespérant de l’habitant périphérique global (Harvey, Davis) n’existe tout d’abord nullement puisque, face à cette terrible doxa politico financière urbanistique à la fois consensuelle et catastrophiste, les citoyens habitant autour de Paris, de Rio, ou d’une agglomération en région défendent et imaginent différemment leurs vies dans leurs territoires.

On observera ici une communauté de communes participant de la métropole caennaise qui englobe quinze villages entre l’agglomération et la mer. Espace caractéristique de l’aménagement fordien du territoire, il est à présent défini par l’aménageur comme « zone résidentielle » de lotissements destinés à la petite classe moyenne exclue de la ville [5].

UN NOUVEAU COMMUN FESTIF

L’affect communautaire voulu dans les villages des espaces dits rurbains vise à freiner un égoïsme attribué à l’anonymat urbain et ressenti comme fortement accentué par la vie dans les lotissements. D’où le surgissement constant dans ces villages de micro innovations sociales qui se trouvent souvent en avance sur les tendances urbaines actuelles en terme de réseaux. Même si les habitants des villages participent comme tout un chacun aux divers réseaux sociaux numériques, c’est en effet d’abord sur l’appartenance à des institutions ou activités précisément localisées – de l’école à l’équipe de foot en passant par le yoga – que se  fonde leur socialisation.

D’une part, des pratiques de troc et d’échanges de services instituées depuis fort longtemps dans ces petites communautés peu fortunées – partage de biens, d’outillages ou de savoir faire…- n’ont pas attendu la mode actuelle du Collaborative Consumption pour faire société et affronter les contraintes économiques. Les mutations des modes de vie et les nouveaux arrivants renouvellent ces pratiques communes, à l’exemple de la mutualisation des trajets en voiture pour l’école, le boulot ou le sport. Mais elles sont considérées comme un enrichissement des relations  interpersonnelles dans les villages plutôt qu’une nouveauté.  Bien avant le succès des sites de covoiturage, on a partagé les véhicules pour des trajets relativement longs et privés de transport en commun, de sorte que ce n’est qu’à partir de l’échelle des petites villes que les sites internet sont vraiment usités. Dans cet habitat peu dense, 70 % des actifs travaillent en effet dans une autre commune. Plus du tiers des ménages doivent donc posséder au moins deux voitures dans une logique toujours pleinement fordienne faisant peser très précisément la vogue de la « mobilité » individuelle sur ces dites zones rurbaines où les transports collectifs sont toujours à la fois faibles et circonscrits à l’ancienne logique centre/périphéries. Aujourd’hui le covoiturage à partir de sites est développé à l’échelle des entreprises  par la Région, dans le cadre de son Agenda 21.

Ces solidarités s’accroissent aussi avec l’endettement des nouveaux ménages pour une maison individuelle dont l’usage s’avère beaucoup plus lourd que celui de l’ancien appartement. De plus en plus sont même contraints de faire appel au Centre communal d’action sociale du village dans lequel ils viennent de s’installer. C’est ainsi la communauté par le biais de « la mairie » qui aide aux règlements des factures impayées de chauffage ou de voiture supplémentaire, sans compter celles des tondeuses…..

D’autres formes d’innovations coopératives se renouvellent aussi autour des techniques de l’habitat. Initiée dans un village qui organisait des ateliers de formation à une restauration socialisée de ses murs en pierres, la mobilisation s’élargit aujourd’hui autour de Forums d’éco-contruction organisés par la communauté de communes, qui  intègrent même dans un programme européen des Anglais du Sussex, de l’autre côté de la Manche, autour de l’idée d’éco-citoyenneté. Une nouvelle génération sensible aux basses consommations énergétiques de l’éco – construction utilise aussi les nouveaux matériaux bio. Des maisons de bois apparaissent même dans un paysage construit depuis le Moyen-âge par la pierre de Caen.

Il faut d’autre part souligner que toutes ces initiatives sont moins explicitement sociales dans son sens actuel – même si on a déjà vu que ce moteur est tout particulièrement indispensable aujourd’hui – que conviviales et festives. La volonté de ne pas se considérer comme habitant d’un « village dortoir » passe d’abord par des coopérations communautaires qui se mesurent essentiellement en fiestas faites ensemble. La réappropriation du village par la mise en valeur de ses spécificités marque des initiatives diverses de festivals ou réunions qui visent ainsi explicitement une forte dimension ludique pour organiser des gens de milieux différents autour d’un nouveau commun.

PRATIQUES METROPOLITAINES POST INDUSTRIELLES

Avec ses caractéristiques de mobilité et de précarité, le travail essentiellement postindustriel d’aujourd’hui ne peut être productif qu’au sein d’un territoire de dimension métropolitaine. Ce territoire productif est conceptuellement celui de la ville en tant que place majeure des potentialités de coopérations contextualisées de compétences. Mais l’urbanisme de la France des villes moyennes a réduit ce dernier concept aàla taille d’une municipalité de sorte qu’il faut y appréhender nécessairement ces coopérations productives à l’échelle de plusieurs agglomérations proches. La métropole caennaise comprend ainsi également la ville proche de Bayeux et surtout la multitude de lotissements implantés dans les villages d’une agriculture toujours riche, bien avant son actuelle industrialisation.

Il faut admettre d’abord que c’est par les luttes ouvrières jusqu’à la fin du fordisme que cet habitat pavillonnaire disséminé partout a été principalement érigé. Au lendemain de la guerre, c’est l’État qui a mené une première politique de « décentralisation industrielle » dans l’Ouest pour y implanter les nouvelles usines de production massifiée nécessairement coupées des bastions communistes de la banlieue rouge. Les enfants sans formation des paysans conservateurs de l’Ouest devaient être la main d’œuvre idéale d’un travail à la chaîne produisant téléviseurs Philips, appareils ménagers Moulinex ou autres camions Saviem. Or des formes aussi nouvelles qu’incessantes de luttes de ces « non qualifiés », volontairement très mobiles au sein de leurs « pays » qui les soutenaient de surcroit, ont au contraire obtenu tout au long des années 70[6] les salaires nécessaires pour acheter non seulement tous les biens qu’il assemblaient, mais aussi le pavillons qui allait avec. Au point de contraindre ensuite ces firmes fordiennes à se délocaliser de nouveau, mais cette fois jusqu’en Asie !

Aujourd’hui, le travail post fordien même largement tertiarisé reste toujours faiblement qualifié dans l’agglomération caennaise et s’est surtout précarisé en même temps que sa mobilité est désormais étroitement régulée par un pôle emploi local. Il en résulte que, sans cesse en déplacement dans un bassin de travail élargi aux villes proches, les précaires en connaissent mieux que quiconque toutes les articulations économiques. Comme avec l’augmentation du temps libre, même sans cesse conditionné par l’appel du portable d’un employeur, leur appropriation des ressources culturelles du bassin d’emplois est également accrue, on peut parler d’un usage métropolitain de ce territoire urbain par les précaires. Réduite généralement à une stratégie néomercantiliste d’insertions urbaines dans la globalisation, la métropole est donc en même temps un territoire productif agie par des pratiques citoyennes et tout particulièrement celles des précaires[7].

On doit alors considérer que ce territoire métropolitain de travail et de vie déborde directement le rapport centre/périphéries institué traditionnel. Cela concerne d’abord la vieille dichotomie politico administrative entre le rural et l’urbain qui est maintenue envers et contre toute logique métropolitaine par la doxa jacobine et son système électoral fondé sur le poids de la ruralité. Dans la métropole caennaise, les deux principales villes centres ne regroupent ainsi pas même le quart des habitants. De même la vieille opposition entre les temporalités du travail et du loisir se lézarde aussi dans une appropriation permanente des mêmes quartiers du territoire au gré des boulots ou des fêtes. Les dichotomies administratives entre les communes rurales et celles du rivage de la Manche deviennent elles aussi incompréhensibles aux habitants à qui il arrive de se baigner là où ils travaillent ou résident, et inversement ! Toutes ces frontières sont donc perpétuellement transgressées par les citoyens, quand bien même élus et fonctionnaires territoriaux continuent souvent de s’en servir pour cloisonner leurs fiefs.

On va alors voir que les communautés de communes permettent particulièrement à l’ensemble de ces acteurs d’agir les mutations sociétales en transgressant l’espace administratif pour une appropriation de leur territoire.

Initiatives pour un développement  local durable

Imaginer le devenir de notre territoire commun est le titre de l’exposition que la Communauté de communes d’Orival nous a demandé de construire pour présenter ses actions, innovations et projets en cours et des années à venir. Sa stratégie territoriale de mise en place de débats participatifs citoyens autour d’un Agenda 21 local déborde en effet la plupart des dichotomies de l’ère industrielle entre économique, culturel, paysager…

Son objectif de diversification de l’agriculture tente ainsi de mettre en jeu une multiplicité de domaines et d’acteurs jusqu’ici sans aucune relation. Sortir de l’agriculture intensive dans la Plaine de Caen paraît une gageure tant elle est riche et puissante, mais diversifier les activités devient par contre un réel objectif. Une large politique de replantation de haies bocagères, menée en coopération avec le Conseil Général depuis une dizaine d’années, s’élargit ainsi à présent vers la création d’une filière bois pour le chauffage aussi bien des collectivités publiques que des particuliers. Les gros agriculteurs y voient un intérêt financier, les institutions sont à la fois clientes et organisatrices principales des partenariats d’une filière fortement productrice d’emplois, du ramassage à la combustion en passant par le stockage, le séchage, la transformation ; et les particuliers sont demandeurs d’alternatives au fuel dont ils sont pour la plupart totalement dépendants.

Cette politique s’articule ave celle d’une remise en état du réseau des chemins ruraux, bordés ou non de haies, qui est demandée par les habitants. L’époque industrielle avait quasiment abandonné ces chemins, privatisés ou fractionnés par les agriculteurs surtout avec le remembrement. Ils jouent désormais au contraire un rôle croissant dans la relation subjective des habitants d’aujourd’hui avec la campagne et son paysage, aussi bien pour la promenade que le sport. Devient alors indispensable la mise en place de dispositifs publics locaux de coopération pour résoudre des innombrables conflits non seulement entre les différents acteurs, mais aussi entre les villages. Car ces chemins datant parfois de l’époque romaine font potentiellement réseau non seulement entre les villages mais aussi vers les villes et jusqu’à la mer. Les vieux découpages administratifs de l’État entre la campagne et le littoral, approfondis encore aujourd’hui par les classements en ZNIEFF ou par le Conservatoire du littoral, apparaissent inopérants et exigent une gestion locale.

Développer, à côté de la grande culture céréalière, une agriculture de proximité implique de créer aussi autour d’un maraichage déjà bien présent dans la région une filière courte avec notamment des aides publiques pour l’achat de terres adaptées. En sus des adhérents d’associations distribuant les paniers de leurs potagers biologiques, les cantines scolaires commencent aussi à être alimentées en produits bio ou au moins de l’agriculture dite raisonnée. Des actions culturelles participent d’une mobilisation d’un public plus large autour de la diversité des produits, et s’articulent avec  l’objectif de développement  de ces filières locales.

Les coopérations entrepreneuriales entre les secteurs public et privé sur des projets précisément contextualisés s’avèrent particulièrement indispensables. Avec le soutien du conseil régional, la communauté de communes s’affirme alors comme le territoire particulièrement pertinent pour générer les indispensables coopérations sur des projets locaux entre le secteur privé et les forces d’initiatives de l’économie sociale et solidaire ou du mouvement associatif. Mobiliser en même temps localement les acteurs capables de porter ces projets innovants et les citoyens est en effet indispensable à un développement durable, dans cette région souffrant d’une forte proportion de gens sans formation. Ainsi dans une région grande productrice, la réalisation d’un projet de diversification de la paille de lin pour l’isolation écologique des bâtiments a réussi à mobiliser des acteurs qui se parlent peu a priori : agriculteurs, chambres des métiers, artisans et associations sur les énergies alternatives.

Les Communautés  de communes sont aussi porteuses de développements  qui dépassent aussi souvent leurs propres limites et elles sont donc amenées à coopérer avec d’autres territoires administratifs. Après que l’Etat se soit désengagé de la gestion des  cours d’eau pour ne conserver qu’une action prescriptive au travers des Schéma d’Aménagement de Gestion des Eaux, les communautés de communes locales partageant trois rivières ont ainsi dû créer un syndicat commun dont le financement implique aussi désormais la participation de tous les riverains. Retrait de l’administration centralisée et continuité écologique progressent ensemble.

On voit que le numérique, au-delà de sa désormais banale productivité, n’apparaît jamais ici comme un élément déterminant de toutes ces initiatives. Il apparaît même que les plus grands utilisateurs d’internet parmi les citoyens sont dans le secteur primaire globalisé ; ce sont les gros agriculteurs qui sont branchés en permanence sur les marchés mondiaux pour négocier au mieux leurs céréales !

AU-DELÀ DE LA DÉMOCRATIE DE DÉLÉGATION

Les permanents défaussements régaliens vis-à-vis des finances des collectivités territoriales entraînent concrètement une énorme baisse des qualifications dans les gestions locales. Qui décide à présent des aménagements d’un lotissement ou d’un espace scolaire ou d’investir dans la formation numérique ? On peut se féliciter de l’incapacité des pouvoirs d’en haut d’imposer leurs directives puisqu’il ne peut en résulter inversement qu’une énorme implication citoyenne. Mais le problème est qu’élus et bénévoles remplacent encore très difficilement les compétences d’État éradiquées du devenir des collectivités locales. Et cela dépasse de beaucoup le simple problème transitoire d’une acquisition progressive de métiers et de savoirs qui doit s’accélérer avec la société cognitive en devenir. Le blocage est plus fondamentalement institutionnel de par la très forte inscription historique du système hiérarchique centralisé. Remplacer une logique de gouvernement centralisé par des gouvernances locales remet d’abord en cause de multiples corps constitués, non seulement de fonctionnaires mais aussi de notables élus.

On sait que le centralisme n’est bien évidemment pas localisé seulement au centre mais organise pareillement ses « collectivités locales ». Et l’empilage de ces dernières durant les trois dernières décennies de déconcentrations décuple encore le problème, même si participation et concertation huilent autant que faire se peut les grippages d’un centralisme hiérarchisé toujours moins productif. Tous les corps, administratifs et politiques, s’avèrent en fait pareillement réticents à favoriser l’émergence de citoyens volontaires, sans qui pourtant rien ne sera plus possible. L’activité sociale des citoyens apparaît  directement freinée par l’absence de tout nouveau statut leur permettant de déborder l’ancien paradigme de la démocratie de délégation. En dehors de l’élu ou du fonctionnaire, rien n’est prévu pour protéger le « bénévole »,  comme on dit en français, des divers risques inhérents à toute action collective. L’Eglise catholique, tout autant hiérarchique et centralisée, est déjà en grave difficulté par le même refus d’avaliser le rôle de ses diacres, notamment des femmes! Le Parlement européen a beau promouvoir depuis 2008 son plan V qui « Valorise, Valide et rend Visible le Volontariat », les institutions publiques nationales hésitent toujours à aller au-delà  de la seule information powerpoint des citoyens, qui ne permet pas de faire bénéficier la société de leurs compétences. Et sur ce point, c’est bien évidemment à l’échelle (inter) communale que ce partage est envisageable de la façon la plus directement productive.  On rejoint ici directement le grand principe politique européen de la subsidiarité dont la constante mise en avant face aux vieux pouvoirs souverains devrait devenir l’arme principale des luttes d’émancipation vis-à-vis des limites de la démocratie de délégation.

D’où l’importance de l’actuelle éclosion de territoires concrètement appropriés  par les citoyens où le cas de cette communauté de communes n’a rien de mineur (du moins dans l’acception de Guattari et Deleuze) mais est bien essentiel pour le devenir de tous. Il montre toutes ses potentialités et en même temps la difficulté à mobiliser les forces citoyennes innovantes vers un autre développement durable. Le cas de l’agriculture intensive, dans une région accoutumée à la logique rentière d’un riche sous-sol, voit ainsi la plupart des aménageurs, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, encore peu soucieux d’autres valorisations génératrices d’emplois et de qualité de vie. De même, l’insuffisant développement des infrastructures numériques et de la formation des hommes correspondante pèsent lourdement. Pour que ces territoires deviennent majeurs, le principe européen de subsidiarité est essentiel au dépassement de la démocratie de délégation. Le délaissement croissant par l’Etat de compétences publiques à ses collectivités locales est la chance à saisir. L’ancien rurbain contourne ainsi sa relégation instituée par l’urbanisme d’État par des reterritorialisations fondées sur  des coopérations de nature métropolitaine.



[1] Baudouin T, 2001, “La ville, nouveau territoire productif”, Multitudes 6, pp. 119-130.

[2] Baudouin T. (2004) “Les coordinations, des métiers au territoire de la ville”, Multitudes 17:  L’intermittence, , pp. 119-130.

[3] L’enjeu métropolitain des Halles, 2007, in  French Politics, Culture & Society, Vol. 25, No. 2, Summer 2007, New York, pp 94-115.

[4] La meilleure analyse de ces liens notables-pouvoir est dans : Bernard Lepetit,  Les villes dans la France moderne, Albin Michel,  1988

[5] cf orival-et-ses3vallees.org/. Exposition réalisée pour la Communauté de communes par Thierry Baudouin, Michèle Collin et Richard Adamy.ct-ses-3-vallees.org

[6] Auffray D,  Baudouin T.,  Collin  M, 1978, Le travail et après, Paris, JP Delarge

[7] Arnaud Le Marchand, 2011, Enclaves nomades, habitat et travail mobiles, Paris, Terra