En 2007 est paru un article de l’activiste japonaise Karin Amamiya dans la revue Courrier International. Sous le titre « Japon : La jeunesse se rebelle », l’article de la jeune femme s’intitule « Les premières bourrasques de la colère ». Elle y évoque un mouvement, La Grande Fronde des Pauvres (Shiroto No Ran), et son « leader », Hajime Matsumoto. Deux ans plus tard, je me suis rendu au Japon. Je me suis souvenu de cet article et j’ai souhaité rencontrer Hajime Matsumoto.
Comme beaucoup, je m’intéresse aux luttes et à ceux qui les mènent. Le mouvement Shiroto No Ran a attiré mon attention parce qu’il propose une forme de lutte tout a fait singulière, qui n’a, à ma connaissance, pas d’équivalent en France actuellement. Il propose des actions créatives, ludiques, amusantes et qui ont su se révéler efficaces (lors de la lutte contre la loi PSE, notamment, sur laquelle revient le documentaire de Yuki Nakamura). Il prouve que des personnes aux sensibilités diverses peuvent s’unir, mener des actions pacifiques et s’attirer la sympathie de l’opinion publique. C’est ainsi qu’elles fédèrent de plus en plus de monde autour des valeurs qu’elles défendent et peuvent concrètement changer le cours des choses.
Shiroto No Ran existe depuis bientôt une dizaine d’années, s’est inscrit dans le paysage politique japonais, et son réseau n‘a cessé de s‘étendre, comme l‘ont prouvé les manifestations anti-nucléaires de cette année. Il a vraiment pris son essor à partir de 2003 et des manifestations contre la guerre en Irak. Ces rassemblements ont permis à nombre de ses membres de se rencontrer et de se rassembler autour de leurs préoccupations communes.
Le but des sympathisants de Shiroto No Ran est de se réapproprier l‘espace public, d’exprimer leur refus de la société inégalitaire et ultra-consumériste qu’on leur propose, et de défendre leur conception d’une société plus humaine et plus juste. Leur mot d’ordre pourrait être « vivons et amusons-nous sans argent », ou, autrement dit : « jouissons de notre pauvreté » !
Le film Shiroto No Ran évoque, au travers d’un portrait de sa figure de proue, Hajime Matsumoto, un mouvement né d’une crise économique et sociale, de l’explosion de la bulle immobilière et de la précarisation galopante d’une part croissante de la population, notamment des plus jeunes.
Il se compose de 3 parties.
La première nous raconte la lutte contre la loi PSE, un projet de loi visant à interdire le commerce des produits électroniques de seconde main, lutte qui s’avérera fructueuse puisque le gouvernement japonais l’abandonnera.
La deuxième partie nous dépeint le fonctionnement de Shiroto No Ran, un mouvement implanté dans le quartier de Koenji à Tokyo, sous la forme d’une quinzaine de boutiques que possèdent un certain nombre de ses sympathisants dans la rue Kitanaka. On découvre alors une sorte de « Commune », un lieu de réunions, d’échanges, une webradio et un point de ralliement au départ de toute manifestation. On s’attarde ensuite sur la nature-même de ces manifestations (une soupe populaire partagée dans la rue, des performances artistiques…), sur la manière dont elles sont préparées, et sur l’inévitable jeu du « chat et de la souris » qui s’opère lors de chacune de celles-ci entre activistes et forces de l’ordre.
Enfin, la troisième partie du documentaire s’attarde sur la campagne électorale conduite par le mouvement autour de la candidature d’Hajime Matsumoto à l’assemblée sous-préfectorale de Suginami, campagne ponctuée d’happenings et de sound démos en tous genres, et couronnée par un succès relatif, mais porteur d’un espoir : le citoyen peut se réapproprier l’espace public s’il le désire vraiment, il y a un avenir pour les « laissés-pour-compte »… un autre monde est possible, en somme.
En novembre 2010, j’ai accueilli Hajime Matsumoto à Rennes, dans le cadre d’une tournée européenne de conférences et débats auxquels il participait en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Il était accompagné de quatre groupes de punk-rock japonais qui le suivaient et jouaient en marge de ces rencontres.
Sa venue à Rennes a été l’occasion de présenter le documentaire de Yuki Nakamura, inédit en France, et d’organiser des rencontres avec les Rennais à l’issue des projections. C’est ainsi qu’un café culturel, un bar SCOP et un squat nous ont permis de proposer 3 soirées autour du mouvement Shiroto No Ran et de donner un aperçu de la lutte contestataire telle qu’elle se pratique au Japon, une facette de la société japonaise très méconnue en France.
Le documentaire permet notamment de mettre en exergue les sound démos et autres performances qu‘organise Shiroto No Ran. Les membres de Shiroto No Ran abordent souvent la manifestation comme une fête populaire, et interrogent par la même les pratiques de lutte contestataire en France.
Les manifestations et les grèves sont monnaie courante en France, mais rares sont celles qui revêtent une forme originale, dépassant le cortège, les banderoles et les chants contestataires. Elles me paraissent bien souvent ennuyeuses et stériles, et initiées par divers groupes d’individus qui peinent à se liguer ensemble et à sensibiliser l’opinion publique à leur combat pour mener une lutte réellement productive.
Par le passé, des initiatives françaises ont également proposé des formes de lutte imaginatives qui se sont avérées fructueuses. Je pense aux LIP, aux paysans du Larzac, ou plus récemment aux étudiants qui ont manifesté contre le CPE. Mais rares sont celles qui ont accouché d’un ample mouvement de lutte populaire s’inscrivant durablement dans le temps. Et, comme Jean-Luc Godard et d‘autres, on peut regretter que les gens ne fassent pas plus souvent preuve d’imagination, ni n’utilisent pas plus souvent leur outil de travail pour défendre leurs droits ou manifester leur mécontentement[[Point sur lequel je pourrai revenir un peu plus en détails lors d’un éventuel entretien….
Cela dit, de nouvelles initiatives invitent à l’optimisme, à Rennes comme ailleurs, et l’on sent un intérêt croissant de la population pour les préoccupations d’ordre écologique, et donc d’ordre économique, que ce soit en matière de recyclage des déchets, de consommation (via les « groupements d’achats »), ou d’énergie (comme on a pu le voir lors des manifestations anti-nucléaire du mois de septembre 2011).