86. Multitudes 86. Printemps 2022
Majeure 86. Votons revenu universel !

L’initiative de la convention constituante chilienne qui établit le droit fondamental à un minimum vital par le biais d’un revenu de base universel

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Portée par 16 membres
de l’assemblée constituante

Extraits

Un cadre juridique est nécessaire pour permettre l’expansion harmonieuse de l’État de droit social et démocratique et à cette fin, il est impératif que la nouvelle constitution reconnaisse le « droit à un minimum vital » par le biais d’un revenu de base universel pour le garantir.…

Au Chili, 50 % des travailleurs du pays enregistrent des revenus insuffisants pour sortir une famille moyenne de la pauvreté.

Les niveaux élevés de chômage et de travail informel augmentent l’insécurité économique et permettent à la dette privée de s’accroître : plus de 70 % des familles chiliennes reconnaissent une forme de dette. En outre, la prévalence d’emplois précaires et peu valorisés, avec des salaires bas, empêche de s’attaquer aux situations de pauvreté et d’exclusion sociale sur une base solide.

Suite aux crises du Covid, les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté ont augmenté et atteignent maintenant près de 3 millions de personnes. L’un des principaux facteurs de cette pauvreté est le manque de revenus.

La pandémie de Covid a eu un impact spécifique sur les femmes, creusant les inégalités existantes entre les sexes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des ménages, en raison de leur part plus importante et disproportionnée du travail de soins non rémunéré.

L’inclusion du « droit à un minimum vital » par le biais d’un revenu de base universel (UBI : Universal Basic Income) est l’une des manières les plus efficaces de construire l’État-providence tant attendu, capable de régler la dette de cohésion sociale que la société chilienne entretient. Elle part du principe que l’égalité est un principe moral qui suppose que toutes les personnes ont des droits fondamentaux qui ne peuvent dépendre de la loterie sociale ou naturelle, c’est-à-dire du lieu où elles sont nées ou des diverses contingences auxquelles elles doivent faire face dans la vie. En ce sens, l’UBI est un revenu monétaire modeste, suffisant pour satisfaire aux besoins fondamentaux de la vie, que les pouvoirs publics accordent périodiquement sur une base individuelle, universelle et inconditionnelle. Afin d’atteindre une perspective de genre, l’UBI doit être perçu du début de la vie jusqu’à la fin de la vie, et dans le cas des mineurs, le revenu doit être remis à l’aidant responsable pour l’administration. De cette manière, le travail de soins serait indirectement rémunéré.

Cette proposition est un élément important d’un système de protection sociale que nous entendons rendre plus solide, indexé sur une structure de services de base et de droits sociaux garantis par un État social de droit. En aucun cas, un revenu d’existence ne peut être utilisé comme un mécanisme pour démanteler des services et des droits sociaux qui ont déjà été gagnés. Par conséquent, outre les droits les plus reconnus d’un État-providence, tels que l’éducation, la santé, la Sécurité sociale, etc., notre système juridique doit consacrer et soutenir les politiques de garantie du revenu minimum. Ces politiques visant à satisfaire les droits fondamentaux peuvent être des mécanismes qui articulent la politique sociale visant à mettre fin à l’exclusion sociale et à la pauvreté dans ses multiples dimensions.

L’UBI est une garantie de liberté réelle, dans la mesure où elle permettra de satisfaire le principe d’égalité et de maximisation des chances pour les membres les plus défavorisés de la société, en permettant le libre développement des projets de vie individuels de chacun. La liberté républicaine, comprise comme non-domination, est atteinte lorsque les individus possèdent une existence matérielle politiquement garantie, ce qui signifie que la liberté est consolidée avec l’indépendance matérielle. En outre, les programmes de protection sociale traditionnels sont insuffisants : un UBI suffisant permettrait techniquement d’éradiquer la pauvreté monétaire, de surmonter les problèmes de couverture des programmes sociaux, d’éviter la stigmatisation sociale liée à la perception de prestations et d’éliminer efficacement les fameux « pièges à pauvreté ».

[…]

Du point de vue de la gestion, l’UBI permet l’efficacité et la non-ingérence de l’État dans la vie des gens. Les coûts administratifs d’un programme UBI seraient nettement inférieurs à ceux des programmes de prestations conditionnelles, de sorte que les inconvénients du contrôle et de la vérification seraient évités[…] L’individualisation du droit à la protection sociale impliquée par le revenu universel offre une meilleure réponse à la flexibilité présentée par les diverses trajectoires de vie qui sont de plus en plus hétérogènes et discontinues, et prendrait en compte l’évolution des diverses formes de familles et de styles de vie présents dans nos sociétés contemporaines, en éliminant les hypothèses familialistes rigides qui structurent de nombreuses politiques sociales actuelles. Enfin, en ce qui concerne l’automatisation et la robotisation croissantes de certains secteurs du monde du travail, l’UBI pourrait servir de tampon contre les changements du marché du travail qui se traduisent souvent par une non-protection sociale et une insécurité économique.

Parmi les instruments de droit international qui soutiennent cette initiative, on trouve :

– Déclaration de l’OIT de Philadelphie (1944).

Article III, lettre f. (fait référence au « revenu de base »).

– Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).

Articles 23.3 (concernant le droit au travail, il fait référence à « une rémunération lui assurant, ainsi qu’à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine ») et 25.1 (« un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et son bien-être ainsi que ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux et les services sociaux nécessaires »).

– Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Articles 7 (droit à une rémunération suffisante pour assurer à toute personne et à sa famille un niveau de vie décent) et 11.1 (droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, et à une amélioration constante de ses conditions d’existence).

– Charte de l’OEA.

Article 45 (« le droit au bien-être matériel et au développement spirituel dans des conditions de liberté, de dignité, d’égalité des chances et de sécurité économique »).

– Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme (1948).

Articles XIV.2 (Toute personne qui travaille a droit à une rémunération proportionnée à sa capacité et à son aptitude à assurer un niveau de vie convenable à elle-même et à sa famille) et XXXV (Toute personne a le devoir de coopérer avec l’État et la collectivité pour assurer l’assistance et la sécurité sociales selon ses moyens et les circonstances).

En droit comparé, le droit à l’assistance sociale a été reconnu dans de nombreuses constitutions actuellement en vigueur. Il est généralement formulé comme un devoir de l’État ou comme une question de droit spécifique dans des cas comme l’Allemagne ou l’Espagne. En Italie (article 38) et au Brésil (article 194), il est formulé comme un droit subjectif. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, quant à elle, reconnaît dans son article 34 numéro 3 le droit à l’assistance sociale afin de garantir une existence digne à tous ceux qui en ont besoin…

La Cour constitutionnelle de Colombie a insisté à plusieurs reprises sur l’existence d’un droit à un revenu minimum d’existence dans son système national. Dans le cas du Brésil, la Cour suprême fédérale a rendu des arrêts en 2020 et 2021 pour favoriser l’extension du revenu de base universel. Enfin, il faut rappeler que le droit à un minimum vital est ancré dans notre tradition constitutionnelle. La Constitution de 1925 garantissait déjà à chaque habitant de la République « un minimum de bien-être, suffisant pour la satisfaction de ses besoins personnels et de ceux de sa famille » (art. 10 no 14)…

La Generalitat de Catalogne lancera une UBI pilote à la fin de cette année, en guise d’étape vers la mise en œuvre de cette politique à un niveau général.

Il a déjà été prouvé que la garantie du droit de l’homme à un revenu minimum permet :

–> Une amélioration significative de la santé mentale et nutritionnelle des bénéficiaires : de nombreuses preuves déterminent que le fait d’avoir une UBI réduit la pression, le stress et diminue significativement la perception de l’insécurité économique. Il existe également des preuves d’une amélioration du bien-être général des bénéficiaires directs et de leur entourage familial. Cela peut inclure une amélioration substantielle des indicateurs nutritionnels et éducatifs des enfants et des adolescents, notamment dans les communautés les plus démunies.

–> L’économie est revigorée, ce qui permet aux gens de se lancer dans des entreprises individuelles et collectives. Il y a une augmentation du travail productif, des investissements et de l’épargne.

–> Les inégalités entre les sexes sont traitées efficacement. La situation financière des femmes s’améliore, ce qui leur donne une indépendance économique. Elle permet également de démarrer leur propre vie et d’éviter le problème de dépendance et de chantage économique que connaissent de nombreuses femmes, réduisant ainsi les situations de violence sexiste. En outre, l’UBI est une incitation pour les hommes à prendre en charge les soins et le travail domestique qui leur permet de subvertir les rôles classiques de genre, et donc d’améliorer la répartition du travail reproductif et domestique.

–> La transformation sociale et écologique, dans le sens de la promotion d’une transition juste qui apporte la sécurité économique permettant à certaines zones sacrifiées de ne plus dépendre des entreprises polluantes, sans tomber dans l’abandon. De cette façon, un pouvoir collectif est créé qui ouvre des possibilités pour les communautés affectées par l’environnement de créer leurs propres projets collectifs et alternatifs qui sont écologiquement pertinents et réduisent ainsi les impacts environnementaux négatifs.

–> Il y a réduction des inégalités et amélioration de la valorisation des activités et des formes de travail non rémunéré qui sont de la plus haute importance pour la société, comme les arts, la culture et le sport.

V. Proposition constitutionnelle

Article XXX : Le droit au minimum vital et au revenu de base universel

L’État reconnaît le droit de l’homme à un revenu minimum de subsistance.

L’État assure à chaque habitant de la République un transfert monétaire, périodique, individuel, inconditionnel et insaisissable.

Afin d’assurer ce minimum, un montant suffisant de ressources sera affecté dans la loi budgétaire à la préservation des services et des prestations sociales.

La loi réglementant l’organisation et la mise en œuvre du revenu de base garantit que, dans le cas des personnes en situation de dépendance, la gestion de leur revenu est à la charge totale ou partielle de leurs aidants.

Article transitoire XXX : Le gouvernement soumet un projet de loi pour la mise en œuvre du droit au niveau de vie minimum et au revenu de base universel dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente constitution.