Archives par mot-clé : colonial

Précarité africaine, par

Précarité africaine
Pour une généalogie et une critique
La norme du travail salarié à plein temps n’a jamais réussi à s’imposer en Afrique, pas plus que l’éthique du consumérisme fondée sur l’épargne à long terme. Elle sert pourtant de référence aux projections économiques des leaders nationalistes et aux gouvernements postcoloniaux, ainsi qu’aux politiques d’ajustement structurel de la Banque Mondiale. Il en résulte un maintien des modalités d’exploitation coloniale et une incapacité à proposer une vision de l’économie originale, fondée sur les réalités du continent. La précarité représente de ce point de vue une modalité de résistance, une fuite potentiellement émancipatrice. Cependant, la récente théorisation de la précarité en Europe échoue à proposer un modèle alternatif parce qu’elle s’ancre dans l’impératif du travail. Seuls les discours religieux autorisent d’autres représentations et ils sont dès lors largement mobilisés en Afrique.

African Precariousness
For a Genealogy and a Critique
The norm of full-time wage labor never imposed itself on Africa, nor did a consumer esthics based on long-term savings. It remains nevertheless as the main reference within economic projections of African political leaders, postcolonial governments and structural adjustment policies promoted by the World Bank. The result is a continuation of colonial modes of exploitation and an incapacity to envisage a vision of economics truthful to African realities. Precariousness can thus be seen as a mode of resistance, a potentially emancipatory line of flight. However, the European theorizations of precariousness fail to propose a truly alternative model, since they hang on to the imperative of wage labor. Only religious discourses foster alternative representations, and they are massively mobilized in Africa.

La logique de Nuremberg ne s’applique pas à l’Afrique, par

La logique de Nuremberg ne s’applique pas en Afrique
Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, les vainqueurs ont voulu punir les responsables de l’Holocauste et s’assurer par là du non-retour des violences de masse. Les procès se tenaient au nom des victimes mais celles-ci s’étaient vu donner un territoire propre, Israël, où elles pouvaient se tenir à l’écart de leurs bourreaux. En Afrique, les puissances occidentales ont prétendu tenir le même discours avec la Cour pénale internationale, mais elles attaquaient en même temps militairement ce qui restait des milices armées. Surtout, victimes et bourreaux furent condamnés à continuer de vivre ensemble, à reconnaître leurs fautes et à aménager leurs droits et devoirs respectifs, ce à quoi s’est consacré la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (CODESA) avant même la libération de Mandela, la fin officielle de l’Apartheid et la mise en place de la Commission de Vérité et de Réconciliation. Elle eut donc un rôle politique pionnier.
The Logic of Nuremberg Does Not Apply in Africa
The nations who won World War II made sure the perpetrators of the Holocaust would be punished and their victims protected, and given a voice during a trial. A safe and distant territory, Israel, was provided so that they could escape their oppressors. In Africa, the West pretended to do the same with the International Court of Justice, while they were attacking what was left of the armed militias. But victims and perpetrators were bound to live together, to acknowledge their crimes, to devise duties and rights, as hammered out by the Convention for a Democratic South Africa (CODESA) even before the freeing of Nelson Mandela, before the end of apartheid and before the Truth and Reconciliation Commission. It played a truly pioneering political rôle.

Afrocomputation, par et

Afrocomputation
L’explosion des usages des techniques de communication en Afrique puise ses racines dans l’imaginaire pré-colonial, qui portait sur l’extension du monde au-delà du perceptible, du corporel, du conscient. Dans cette cosmogonie, les objets techniques et artefacts étaient doués d’une vitalité qui en faisaient des interfaces, des seuils à transgresser pour accéder aux horizons infinis de l’univers, dans une sorte de transmutation. Le téléphone portable et Internet parlent à l’inconscient archaïque et aux mémoires techniques des sociétés africaines, leur permettant de passer sans transition de l’âge de pierre à l’âge numérique. L’Afrique était déjà numérique à une époque pré-numérique, car les sociétés africaines se sont constituées par la circulation et le mouvement, inscrits dans les mythes africains de l’origine. Qui dit migration dit expérience de la nouveauté, plasticité permanente, extension du possible. Cette souplesse et cette aptitude à l’innovation constante, c’est aussi l’esprit d’Internet et du numérique.

Afrocomputation
The explosion of uses of communication techniques throughout Africa has roots that go deep into the pre-colonial imaginary, which extended its world beyond the perceptible, the corporeal, the conscious. In this cosmogony, technical objects and artefacts were endowed with a vitality generating interfaces, thresholds to transgress in order to reach the universe’s infinite horizons. Smartphones and the Internet speak to this archaic unconscious as well as to the technical memories of African societies, allowing them to move without transition from the stone age to the digital age.Africa was digital before the digital age, as African societies were constituted by circulation and movement, written in the myths of origins. Migration means a readiness to experience novelty, permanent plasticity, extension of the possible. This subtle aptitude constantly to innovate also animates the spirit of the Internet and of the digital.

Les involontaires de la patrie, par

Les involontaires de la patrie
À rebours des politiques indigénistes, ce manifeste appelle à la résistance/rexistence de tous les indigènes du Brésil, qu’ils soient indiens ou non, de tous les pauvres et opprimés natifs de cette terre qui en ont été lentement et sûrement dépossédés par l’État pour en faire des « citoyens » assujetis, exploités, surveillés, assistés. Car pour l’auteur, appartenir à la terre au lieu d’en être propriétaire est ce qui définit l’indigène. Alors, le processus de brésilianisation, qui a commencé par la « désindinisation » des Indiens, n’a eu de cesse de séparer tous les indigènes de leur relation organique à la terre, le sol d’un baraquement de favela ou le jardin d’une arrière-cour, pour en faire des travailleurs ou des soldats. C’est pourquoi la lutte des Indiens est celle de tous les indigènes brésiliens, qu’ils soient pauvres, blancs, noirs, métis, LGBT ou femmes.

The Un-Volunteers of the Fatherland
To the opposite of indigenist politics, this manifesto calls for the resistance/rexistence of all indigenous people living in Brazil, Indian or not, of all the poor and oppressed natives who have been dispossessed of this land by the State, so that they would become submissive « citizens », exploited, watched-over, assisted. According to the author, being indigenous means belonging to a place, rather than owning it. The process of Brazilianization, which started with the dis-indianization of Indians, has persistently separated the indigenous from their relation to their territory, from the floor of their favela shack or from the garden of their backyard, in order to tranform them into workers and soldiers. That is why the Indians’ struggle is the struggle of all of Brazil’s indigenous people, whether they are white, black, mixed-blood, LGBT or women.

La Nouvelle-Calédonie fantôme, par

La Nouvelle-Calédonie fantôme
La Nouvelle-Calédonie se présente comme un territoire hétérogène marqué par le déploiement de contre-emplacements disciplinaires tels que le bagne, la réserve et la mine. Le présent article entend retrouver, à travers la formation de ces hétérotopies, ce qui module les identités, corrélativement au rapport à la terre, par le jeu insidieux des normes disciplinaires et régulatrices. Par-delà l’ethnologie qui s’attache à rendre compte de la primitivité du peuple kanak, on propose ici une mise à plat des préjugés, en revenant à la formation des identités colonisées. Le kanak n’est pas le contemporain de l’européen. C’est là une asymétrie temporelle qui s’apparie à une asymétrie spatiale pour dominer un peuple d’insoumis et lui prêter les traits du sauvage et du délinquant. Ce peuple et son territoire n’ont pas à être émancipés par la voie de la « modernisation » : ils appartiennent au présent et à l’avenir, n’en déplaise à ses détracteurs.

Ghostly New Caledonia
New Caledonia is a heterogeneous territory haunted by disciplinary counter-spaces like the penal colony, the reservation and the mine. This article attempts to retrieve, through such heterotopias, that which modulates identities, in correlation with the land, through the insidious play of disciplinary and regulating norms. An ethnological approach of the “primitiveness” of the Kanak people fights prejudices by revisiting colonized identities. The Kanak is not contemporaneous of the European. This temporary asymmetry parallels a spatial asymmetry staged to dominate this unsubjugated people in order to portray it as savage and delinquent. This people and its territory do not need to be emancipated by modernization; they belong to the present and the past, like it or not.

Politiser la jeunesse kanak, par

Existe-t-il des territoires kanak ?, par

Existe-t-il des territoires kanak ?
Depuis plusieurs décennies, la relation fusionnelle des Kanaks avec leur terre ancestrale a été mise en lumière par les sciences humaines. Mais s’agit-il pour autant de territoires, définis d’un point de vue occidental comme des espaces agis, appropriés et délimités par des frontières ? Dans la culture et les langues kanak, le terme de territoire n’existe pas selon cette acception. De la période pré-coloniale, où ils étaient apparentés à un réseau de lieux, de chemins et de géosymboles, jusqu’à la période coloniale, où l’administration a voulu les transformer en réserves, les territoires kanak ont subi de profondes recompositions, qui rendent nécessaires de nouveaux outils conceptuels : ceux de territorialité et de territorialisation.

Are There Such Things as Kanak Territories ?
Social sciences have studied for many decades the fusional relation Kanak people maintain with their ancestral land. But is it really accurate to talk about “territories”, in the Western definition of spaces structured, appropriated and limited by borders ? In the Kanak culture and languages, there is no word to designate territories according to this definition. From the pre-colonial period, when they were perceived as networks of places, paths and geosymbols, to the colonial times, where the Western administration attempted to transform them into reservations, Kanak territories have gone through major recompositions, which call for new concepts, like territoriality and territorialization.

Quand la mine transforme la territorialité kanak & réciproquement, par

Quand la mine transforme la territorialité kanak & réciproquement
La mine (le nickel) est devenue, en Nouvelle-Calédonie, un « fait social total ». Elle représente la première source de revenus du Caillou après les transferts sociaux de l’État. Si la mobilisation du lien à la terre reste le ressort privilégié des revendications qui émergent à l’interface du développement des activités minières, elle met en avant de plus en plus nettement la nature comme enjeu identitaire. Les contestations qui ont entouré la mise en œuvre du projet minier de Goro-Nickel se sont appuyées sur le droit international des peuples autochtones dans la protection de l’environnement pour contraindre l’industriel à mieux tenir compte des populations vivant à proximité des projets miniers. Ainsi, le fort développement économique lié à l’activité minière ces vingt dernières années n’a pas seulement contribué à transformer les pratiques de la territorialité kanak mais aussi à donner plus de visibilité à des revendications sur la place du monde kanak dans la pratique de la démocratie en Nouvelle-Calédonie.

When Mining Transforms Kanak Territoriality
& Reciprocally
Nickel mining in New Caledonia constitutes a total social fact. It is the first source of revenue after social redistribution by the State. If the mobilization of the relation to the land continues to play a fundamental role in the political claims raised around the development of the mining industries, nature increasingly appears as a crucial reference in terms of identity. The polemics raised by the Goro-Nickel project found support in the rights of indigenous people promulgated by International Law, and manage to force the company to pay attention to the needs of the populations living in the proximity of mining projects. The strong development of industrial mining during the last 20 years not only contributed to transform the practices of Kanak territoriality : they also increased the visibility of the claims concerning the place to be granted to Kanak people in the practice of democracy in New Caledonia.

Debout avec la terre. Cosmopolitiques aborigènes et solidarités autochtones., par

Debout avec la terre
Cosmopolitiques aborigènes et solidarités autochtones
De plus en plus de mouvements activistes luttant contre la destruction des milieux de vie, notamment par les industries extractives qui précipitent les transformations climatiques et empoisonnent les eaux et l’air, cherchent des alliances et des sources d’inspiration auprès de peuples autochtones, tels les Aborigènes d’Australie, qui n’ont pas la même vision de la Terre que celle consistant à nier la nature sous prétexte qu’elle aurait succombé aux technologies humaines. Il est proposé ici de répondre à la réduction des ontologies en anthropologie par une « slow anthropology » qui soit « Debout avec la terre », fondée sur une expérience de terrain écosophiquement inspirée des visions et de la créativité des peuples autochtones et de leurs alliés en passant par la SF selon Haraway, Stengers et Meillassoux.

Standing with the Earth
Aboriginal Cosmopolitics and Autochthon Solidarities
More and more activist movements struggling against the destruction of their living environments – especially because of the extractive industries that accelerate the climate change and poison the water and the air, – look for alliance and inspiration in the autochthon people, such as the Aborigines of Australia, whose vision of the Earth is not to deny nature on the pretext that it would have succumbed to human technologies. This article proposes to respond to the reduction of ontologies in anthropology with a “slow anthropology” that would be “standing with the Earth”, a slow anthropology based on a field experience, ecosophically inspired by visions and creativity of the autochthon people and of their allies, and by the Science Fiction according to Haraway, Stengers and Meillassoux.

La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant, par

La grandeur de l’infinitésimal
Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant
Comment considérer l’unité de l’espace, du temps, et de la matière ? Comme « espacetempsmatérialisant ». Ce terme étrange a été fondu par l’éclair d’Hiroshima. Comme l’anthropologue Joe Masco nous y exhorte, « nous avons besoin d’examiner les effets de la bombe, non seulement au niveau de l’État-nation, mais aussi au niveau de l’écosystème local, de l’organisme, et, finalement, de la cellule ». Dès lors, quels outils d’analyse peut-on utiliser pour comprendre non seulement les enchevêtrements de phénomènes qui traversent les échelles, mais aussi la très itérative (re)constitution et sédimentation des configurations spécifiques de l’espace, du temps, et de la matière ? Comment finir pas comprendre qu’il n’y a pas de séparation entre le niveau micro et le niveau macro, qu’il n’y a pas de petite matière, que l’infinitésimal est grand, que le néant nous presse ?

No Small Matter
Mushroom Clouds, Ecologies of Nothingness, and Strange Topologies of Spacetimemattering
How can we consider the unity of space, time, and matter ? As “spacetimemattering”. This weird word melted when Hiroshima bomb detonated. As anthropologist Joseph Masco urges, “we need to examine the effects of the bomb not only at the level of the nation-state but also at the level of the local ecosystem, the organism, and ultimately, the cell”. Then, what analytical tools might we use to understand not merely the entanglements of phenomena across scales but the very iterative (re)constituting and sedimenting of specific configurations of space, time, and matter ? When and how will we understand that there is no separation between the micro level and the macro level, that there is not any small matter, that an infinitesimal is big, and that nothingness presses us ?

Excursus XI (Modelage de vie), par

Reza Negarestani
Excursus XI (Modelage de vie)
Après une brève présentation de l’artiste et philosophe iranien Reza Negarestani et de la réception de son livre Cyclonopedia : Complicity with Anonymous Materials (re.press, 2008) dans la nébuleuse du réalisme spéculatif, S. Labrecque présente la première traduction française de l’un des nombreux « excursus » de cet ouvrage. Le court texte intitulé « Modelage de vie » propose une conception à la fois séduisante et horrifiante de la « créativité lépreuse », qui demeure inassignable au divin comme à l’humain puisqu’elle concerne précisément l’affaissement, voire le pourrissement et le mélange boueux de ces deux plans qu’on tente parfois de distinguer sous les noms de transcendance et d’immanence, ou d’idéalité et de matérialité.

Excursus XI (Life Modeling)
After a short presentation of Iranian artist and philosopher Reza Negarestani and the reception of his book
Cyclonopedia: Complicity with Anonymous Materials (re.press, 2008) linked to the speculative realism nebula, we present the first French translation of one of the many “excursus” of this work. The short text entitled “Life Modeling” proposes a seductive and horrifying conception of “leper creativity”, which remains unassignable to the divine as to the human since it concerns precisely the collapse – even the rotting and the mixture – of these two planes that we sometimes try to differentiate under the names of transcendence and immanence, or of ideality and materiality.

Stratégies amérindiennes en Guyane française, par

Droits fondamentaux et hospitalité, par

Droits fondamentaux et hospitalité
L’accueil des migrants et réfugiés montre que dire la loi n’est plus ouvrir des droits. De nouvelles attitudes sont à développer chez les militants de l’hospitalité : la désobéissance civile, la défense des droits premiers que sont la dignité, la circulation et l’établissement, qui sont hiérarchiquement supérieurs au droit de propriété. Il faut chercher à développer les capabilités des personnes accueillies et se soucier de l’effectivité des droits reconnus. Cela implique de chercher à développer le « bien vivre ensemble ». Il n’y a pas à distinguer de motifs économiques, politiques, climatiques de migration. Les pratiques d’hospitalité qui se font jour un peu partout concernent toutes les victimes de l’exclusion sociale, y compris locales.

Fundamental Rights and Hospitality
Our dealings with migrants and refugees reveal that promulgating laws no longer entails the opening of rights. New attitudes must be developed by militants for hospitality: civil disobedience, defense of basic rights such as dignity, circulation and establishment, which are hierarchically superior to property rights. The capabilities of the incoming people must be developed and established rights must be enforced. This leads towards an effort for “living well together”. It is pointless to make distinctions between economic, political or climatic motives for migrations. The practices of hospitality emerging from all sides address all victims of social exclusion, including among the local populations.

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