Tous les articles par Mathieu Corteel

Intelligences artificielles et créativité au sens extra-moral, par

Intelligences artificielles et créativité au sens extra-moral
Alors que Le Sony World Photography Award 2023 a été attribué à une œuvre générée par IA, que les scénaristes d’Hollywood manifestent dans les rues de Los Angeles, et que les Large Language Models sont appelées à prendre de plus en plus de place dans nos activités cognitives, il est urgent de se demander si la force de création humaine, celle des auteurs, des scénaristes, des artistes et même des scientifiques ne s’est pas aliénée dans la combinatoire. Les IA LLM ont-elles concrétisé « l’exploitation de niveau 2 » du capitalisme cognitif, c’est-à-dire l’exploitation totale de la force-invention (créativité, intelligence, innovation) ? Pour répondre à cette question, l’article propose d’entrer dans la combinatoire comme on rentre dans la Bibliothèque de Babel, c’est-à-dire de s’y perdre pour mieux s’y retrouver.

Artificial Intelligence and Creativity in the extra-moral Sense
At a time when the Sony World Photography Award 2023 has been awarded to an AI-generated work of art, when Hollywood screenwriters are protesting in the streets of Los Angeles, and when Large Language Models are set to take up more and more of our cognitive activities, it’s urgent to ask whether the human creative force—that of authors, screenwriters, artists and even scientists—has not become alienated in combinatorics. Have LLM AIs embodied the “level 2 exploitation” of cognitive capitalism, i.e. the total exploitation of the force of invention (creativity, intelligence, innovation)? To answer this question, the article proposes to enter into combinatorics as one enters into the Library of Babel, i.e. to lose oneself in order to better find oneself.

Les boîtes noires de la pandémie, par

Les boîtes noires de la pandémie
Avec la pandémie de Covid-19, les modèles épidémiologiques sont sortis de l’ombre des laboratoires de recherche pour venir guider les gouvernements du monde entier dans l’organisation de leur réponse sanitaire face à la crise. Les modèles jouent un rôle de prescripteur dans la mise en place des mesures sanitaires. Face à l’inconnu, ils se proposent de géométriser ce qui n’a en apparence ni forme, ni structure, ni corps, ni comportement, ni frontière : l’événement pandémique. Leur enjeu est, pour ainsi dire, de plier les aléas de la contagion sous toutes ces dimensions, afin de les détacher de l’ignorance des causes qui les déterminent. Donner au phénomène pandémique les traits d’une loi de la nature et d’un déterminisme social, voilà ce à quoi la modélisation aspire. La dynamique heuristique qu’elle engage, participe ainsi de la construction d’une représentation sociale et politique de la pandémie. Cet article analyse les obstacles qui se nouent autour de la modélisation et des effets boîte noire qu’elle engendre.

The black boxes of the pandemic
With the Covid-19 pandemic, epidemiological models have emerged from the shadows of research laboratories to guide governments around the world in organising their health response to the crisis. The models play a prescriptive role in the implementation of health measures. Faced with the unknown, they propose to geometrise what apparently has no form, no structure, no body, no behaviour and no boundaries: the pandemic event. Their challenge is, so to speak, to bend the hazards of contagion in all these dimensions, in order to detach them from the ignorance of the causes that determine them. Modelling aims to give the pandemic phenomenon the features of a law of nature and a social determinism. The heuristic dynamic that it engages in thus contributes to the construction of a social and political representation of the pandemic. This article analyses the obstacles that arise around modelling and the black box effects it generates.

Pour une culture critique de l’IA, par , et

De la loi des grands nombres aux grands nombres qui font la loi
IA, Jeu de l’imitation et vote démocratique, par

De la loi des  grands nombres aux grands nombres qui  font  la  loi
IA, jeu de l’imitation et  vote  démocratique
Les affaires de Facebook et de Cambridge Analytica ont révélé aux démocraties la toute-puissance de la manipulation algorithmique. Les IA influencent dorénavant de manière drastique jusqu’au sacro-saint scrutin majoritaire. En ciblant nos affects et les failles de notre jugement, les IA attisent la tyrannie de la majorité. Sommes-nous pour autant condamnés à voir un choix individuel peu assuré dissout dans un choix collectif douteux ? Pour initier une réponse réjouissante qui redonnerait tout son sens au vote, l’article propose de revoir non sans dérision les règles du jeu : Et si les capacités de simulation des IA, au lieu de nous berner, nous aidaient au contraire dans notre jugement de citoyen ? Et si, en dégourdissant la pensée humaine plutôt qu’en la numérisant au moyen de l’IA, la simulation d’un candidat artificiel éveillait une intelligence collective permettant de prémunir les citoyens contre la tyrannie des moyennes ?


From the law of  large numbers to  the  large numbers that  make  the law
AI, imitation game and  democratic voting
Facebook and Cambridge Analytica affairs have exposed democracies to the power of algorithmic manipulation. AI now drastically influences the sacrosanct majority vote. By targeting our affects and the flaws in our judgment, AI fuels the tyranny of the majority. Are we therefore condemned to see an individual choice with little assurance dissolved in a questionable collective choice? To initiate a pleasing response that would restore all meaning to the vote, the article proposes to review not without derision the rules of the game: and if the AI simulation capabilities, instead of fooling us, instead helped us in our judgment of citizen? What if, by stretching human thought rather than digitizing it by means of AI, the simulation of an artificial candidate awakened a collective intelligence making it possible to protect citizens against the tyranny of the average?

La clinique est morte, vive la clinique !, par

La clinique est morte, vive la clinique !
La médecine clinique fut longtemps considérée comme morte. On la croyait disparue dans l’émergence technologique des I.A. et des big data. Mais ses meurtriers ont oublié que la clinique est une pratique théorique qui se différencie dans le regard et la décision de chaque médecin comme de chaque patient. La clinique ne s’est-elle pas dès lors transformée au gré du temps et des technologies ? C’est ce que l’article interroge. Mais dès lors qu’elle renaît, quelles pourraient être ses perspectives d’avenir ? Produisant des observations, des décisions thérapeutiques et des résultats de traitement, la clinique fournit une masse de données au système de santé. Elle représente une source inestimable de big data pour la médecine. Elle ouvre la voie pour intégrer les I.A. à la décision. Mais c’est l’autogestion de ces données par la relation clinique qui doit pouvoir dessiner les perspectives éthiques et politiques d’une médecine garantissant les biens communs dans l’avancée technologique actuelle.

Clinical medicine
is dead, long live
the clinical !
Clinical medicine was long considered dead. It was thought to have disappeared in the technological emergence of A.I. and big data. But its murderers have forgotten that the clinical is a theoretical practice that differs in the look and decision of each doctor and each patient. Has the clinical not changed with time and technology? This is what the article questions. Now it is born again, what could be its future prospects? Producing observations, therapeutic decisions and treatment results, the clinical provides a mass of data to the health system. It represents an invaluable source of big data for medicine. It paves the way for the integration of A.I. into the decision. But it is the self-management of these data by the clinical relation which must be in a position to draw the ethical and political perspectives for a medicine guaranteeing the common good in the current technological advance.

Le hasard clinique ou la crise de la rationalité médicale, par

Le hasard clinique ou la crise de la rationalité médicale
L’application médicale de la loi des grands nombres a longtemps effrayé les cliniciens pour sa potentialité à réduire le médecin à n’être « qu’une machine arithmétique » et le patient à n’être « qu’un individu pathologique moyen ». Les enjeux de la prise de décision clinique, qui répondent depuis le xixe siècle à une double exigence de soin et de connaissance ont ainsi engendré une crise de la rationalité médicale. La médecine clinique, en s’efforçant de rendre le hasard positif, a ainsi opposé l’art à la science. En considérant ce conflit dans l’histoire longue de la médecine, cet article en vient à questionner la numérisation de la décision médicale effectuée au moyen de l’I.A. et des big data, d’un point de vue épistémologique comme éthique.

Clinical probabilities or the crisis of medical rationality
The medical application of the law of large numbers has long frightened clinicians for its potential to reduce the physician to be “just an arithmetic machine” and the patient to be “only an average pathological individual”. The issues of clinical decision-making that have responded since the 19th century to a dual requirement of care and knowledge have thus generated a crisis of medical rationality. Clinical medicine, by striving to render chance positive, has thus opposed art to science. By considering this conflict in the long history of medicine, the article comes to question the digitization of the medical decision made by means of A.I. and big data, from an epistemological as well as ethical point of view.

La Nouvelle-Calédonie fantôme, par

La Nouvelle-Calédonie fantôme
La Nouvelle-Calédonie se présente comme un territoire hétérogène marqué par le déploiement de contre-emplacements disciplinaires tels que le bagne, la réserve et la mine. Le présent article entend retrouver, à travers la formation de ces hétérotopies, ce qui module les identités, corrélativement au rapport à la terre, par le jeu insidieux des normes disciplinaires et régulatrices. Par-delà l’ethnologie qui s’attache à rendre compte de la primitivité du peuple kanak, on propose ici une mise à plat des préjugés, en revenant à la formation des identités colonisées. Le kanak n’est pas le contemporain de l’européen. C’est là une asymétrie temporelle qui s’apparie à une asymétrie spatiale pour dominer un peuple d’insoumis et lui prêter les traits du sauvage et du délinquant. Ce peuple et son territoire n’ont pas à être émancipés par la voie de la « modernisation » : ils appartiennent au présent et à l’avenir, n’en déplaise à ses détracteurs.

Ghostly New Caledonia
New Caledonia is a heterogeneous territory haunted by disciplinary counter-spaces like the penal colony, the reservation and the mine. This article attempts to retrieve, through such heterotopias, that which modulates identities, in correlation with the land, through the insidious play of disciplinary and regulating norms. An ethnological approach of the “primitiveness” of the Kanak people fights prejudices by revisiting colonized identities. The Kanak is not contemporaneous of the European. This temporary asymmetry parallels a spatial asymmetry staged to dominate this unsubjugated people in order to portray it as savage and delinquent. This people and its territory do not need to be emancipated by modernization; they belong to the present and the past, like it or not.

multitudes