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Politisations du temps à l’ère de l’instabilité, par

Politisation du temps à l’ère de l’instabilité
L’accélération de l’instabilité du monde est patente. Elle concerne aussi bien la désorganisation croissante des échelles du vivant, la raréfaction des ressources, la numérisation de nos moyens et conditions d’existences, un nouvel âge géologique communément dit « Anthropocène » – quelque critique soit l’emploi de ce terme qui convertit l’approche chronotopique en stade paradigmatique, millénariste, alors que la manière dont nous voyons le monde, nous mêlons à lui, est déjà le signe d’une hybridation entre technosphère et biosphère. Cet essai porte sur les manières de répondre aux instabilités dans un monde qui semble s’être accéléré, mais qui s’est avant tout pluralisé. Cependant, cette pluralité ne doit pas faire oublier la destruction accélérée des mondes sociaux-environnementaux, et la grande difficulté de la construction de résistances.

The Politization of Time in the Age of Instability
The acceleration of the instability of the world is obvious. It concerns the increasing disorganization of life-scales, the scarcity of resources, the digitization of our means and conditions of existence, a new geological age commonly known as the “Anthropocene”, a problematic term which converts the chronotopic approach in a paradigmatic, millenarian stage, whereas the way we see the world and mingle with it is already the sign of a hybridization between technosphere and biosphere. This essay focuses on various ways to respond to instabilities in a world that seems to have accelerated, but which has become more pluralistic. However, this plurality must not blind us to the accelerated destruction of the social-environmental worlds, nor to the great difficulty of the construction of resistances.

La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant, par

La grandeur de l’infinitésimal
Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant
Comment considérer l’unité de l’espace, du temps, et de la matière ? Comme « espacetempsmatérialisant ». Ce terme étrange a été fondu par l’éclair d’Hiroshima. Comme l’anthropologue Joe Masco nous y exhorte, « nous avons besoin d’examiner les effets de la bombe, non seulement au niveau de l’État-nation, mais aussi au niveau de l’écosystème local, de l’organisme, et, finalement, de la cellule ». Dès lors, quels outils d’analyse peut-on utiliser pour comprendre non seulement les enchevêtrements de phénomènes qui traversent les échelles, mais aussi la très itérative (re)constitution et sédimentation des configurations spécifiques de l’espace, du temps, et de la matière ? Comment finir pas comprendre qu’il n’y a pas de séparation entre le niveau micro et le niveau macro, qu’il n’y a pas de petite matière, que l’infinitésimal est grand, que le néant nous presse ?

No Small Matter
Mushroom Clouds, Ecologies of Nothingness, and Strange Topologies of Spacetimemattering
How can we consider the unity of space, time, and matter ? As “spacetimemattering”. This weird word melted when Hiroshima bomb detonated. As anthropologist Joseph Masco urges, “we need to examine the effects of the bomb not only at the level of the nation-state but also at the level of the local ecosystem, the organism, and ultimately, the cell”. Then, what analytical tools might we use to understand not merely the entanglements of phenomena across scales but the very iterative (re)constituting and sedimenting of specific configurations of space, time, and matter ? When and how will we understand that there is no separation between the micro level and the macro level, that there is not any small matter, that an infinitesimal is big, and that nothingness presses us ?

Camp et campements, par , , et

Camps et campements
Des économies aux principes opposés

Les camps fournissent du travail forcé aux pouvoirs qui les constituent alors que les campements autogèrent des opportunités et des hasards productifs. L’article recense plusieurs cas actuels de camps de travail forcé dans le monde et plusieurs cas historiques d’enfermement de main-d’œuvre qualifiée, utilisée dans l’économie locale. Le recours actuel à l’internement de masse pour contrôler les migrations implique des grandes entreprises et des associations qui en emportent les marchés. Dans les campements au contraire les ressources matérielles mobilisées et monétaires sont limitées mais l’installation est dépendante de ressources sociales et relationnelles suffisantes. Les frontières entre les formes camp et campement, économie formelle et économie informelle sont poreuses, comme l’illustrent quelques exemples en région Île de France.

Camps and Encampments
Two Economies with Contrary Principles

Camps provide forced labor to the powers that institute them, while encampments self-manage productive opportunities and chance meetings. This article surveys several current cases of forced labor camps around the world, as well as several historical examples of locking up qualified workforce, exploited within a local economy. The current management of migrations by mass incarceration involves large firms and associations struggling to win new markets. In encampments, on the other hand, the material and monetary resources mobilized are limited, but the installation depends on available social and relational resources. The distinction between camps and encampments, formal and informal economies, are porous, as illustrated, with a few examples from the Paris region.

Subjectivations computationnelles à l’erre numérique, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable

La cognition algorithmique joue un rôle central dans le capitalisme contemporain. Depuis la rationalisation du travail industriel et des relations sociales jusqu’à la finance, les algorithmes fondent un nouveau mode de pensée et de contrôle. Dans cette phase du tout-machinique dans l’évolution du capitalisme numérique, il ne suffit plus de se mettre du côté de la théorie critique pour accuser la computation de réduire la pensée humaine à des opérations mécaniques. Comme le théoricien de l’information Gregory Chaitin l’a démontré ; l’incomputabilité et l’aléatoire doivent être conçus comme les conditions de bases de la computation. Si le technocapitalisme est contaminé par l’aléatoire computationnel et le chaos, la critique traditionnelle de la rationalité instrumentale doit elle aussi être remise en question : l’incomputable ne pleut plus être réduit au statut de contraire de la raison.

Instrumental Reason, Algorithmic Capitalism, and the Incomputable

Algorithmic cognition is central to today’s capitalism. From the rationalization of labor and social relations to the financial sector, algorithms are grounding a new mode of thought and control. Within the context of this all-machine phase transition of digital capitalism, it is no longer sufficient to side with the critical theory that accuses computation to be reducing human thought to mere mechanical operations. As information theorist Gregory Chaitin has demonstrated, incomputability and randomness are to be conceived as very condition of computation. If technocapitalism is infected by computational randomness and chaos, the traditional critique of instrumental rationality therefore also has to be put into question: the incomputable cannot be simply understood as being opposed to reason.

L’automation intellectuelle, la mort de l’emploi et le revenu de pollinisation, par

L’automation intellectuelle,
 la mort de l’emploi et le revenu 
de pollinisation

Les discours lénifiants promettant de résoudre tous les problèmes sociaux et écologiques par une « reprise de la croissance », synonyme de « retour au plein emploi », sonnent de plus en plus creux. Nous vivons une deuxième vague de déploiement du capitalisme cognitif, caractérisée par l’automatisation de tâches intellectuelles bien plus complexes, dont les études les plus sérieuses montrent qu’elle annonce une explosion spectaculaire des chiffres du chômage (jusqu’au sein des classes les mieux éduquées). Les leçons de la première vague d’industrialisation du début du XIXe siècle enseignent que seuls des combats idéologiques et politiques peuvent conduire les logiques économiques à s’adapter à ces nouvelles dynamiques. Les mesures préconisées depuis 15 ans par Multitudes (revenu universel garanti, taxe pollen, réforme de l’éducation) sont plus urgentes que jamais.

Intellectual Automation, Death of Employment and Pollination Income


« Back to growth » and « Back to full employment » mantras have lost all traction on our economic realities. We are in the middle of a second wave of cognitive capitalism, which automatizes much higher forms of intellectual work. Analysts forecast massive increases in unemployment, especially among highly educated segments of the population. Lessons drawn from the first industrialization, at the beginning of the 19th century, show that only ideological and political struggles can push the economy to adapt to such new dynamics. The measures promoted by Multitudes over the last 15 years (universal guaranteed income, pollen tax, reformation of the educational systems) appear more urgent than ever.

L’intangible et l’inestimable Les biens immatériels, le marché et le sans prix, par

L’intangible et l’inestimable
Les biens immatériels,
le marché et le sans prix
Tandis que les biens matériels sont relativement aisés à évaluer parce qu’ils sont tangibles et quantifiables, les biens immatériels (ou « intangibles ») demandent une méthode plus complexe d’évaluation. Ainsi en va-t-il des savoirs, des services, des productions de l’esprit et de la culture en général. Il existe en effet un marché de tels biens et cela depuis qu’il existe des échanges marchands. Trois opérations le permettent : l’évaluation par unités mesure, le formatage des activités, l’échange ou le partage de ces biens. Mais au-delà de ces biens immatériels évaluables sur un marché, il y a des biens ou plutôt des valeurs qui ne le sont pas et ne le seront jamais ; ils ont rapport au talent, au don, à la confiance, à la dignité – bref à l’inestimable.

The Intangible and the Priceless
Immaterial Goods, Market and the Beyond-Pricing
Whereas the value of physical goods is relatively easy to assess, because they are tangible and quantifiable, intangible goods require a more complex mode of assessment. This is the case of forms of knowledge, services, intellectual products, and culture in general. There is a market for such goods, one as old as are commercial exchanges. Three operations make this possible: assessment through the use of units of measurement, the formatting of activities, and the exchange or sharing of the goods involved. Yet, beyond those intangible goods whose valued can be assessed in a marketplace, there are other goods−or rather values−that can never be assessed. They have to do with talent, giving, trust, dignity−that which is priceless.