En tête

Multitudes et politiques

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Depuis Seattle, la grand messe du G8 avait tourné au loft obscène. Avec Gênes, nous sommes en plein snuff movie sur un scénario de guerre avec de vrais manifestants, de vrais policiers tirant de vraies balles sur un vrai manifestant qui meurt vraiment. Pour les leçons immédiates de ce rassemblement qui mettra fin sans doute à cette arrogante liturgie, nous ne pouvons qu’écouter Luca Casarini, porte-parole des Tute Bianche a donné au Manifesto et dont nous avons traduit quelques extraits.Ajoutons-y simplement quelques remarques.

Puissance des multitudes : les éditorialistes qui ne peuvent plus nier se trouver devant un véritable mouvement (même notre French Doctor ministre parle d’un Mai 68 mondial), se plaisent à souligner les aspects contradictoires de ce « non » au G8, à la mondialisation. Ils oublient deux ou trois choses qu’il nous plait de leur rappeler. Les multitudes ne sont pas d’accord sur les façons d’arriver à un projet de développement à opposer au marché (longue marche pacifique du développement soutenable, secousse révolutionnaire redistribuant les positions de force). Mais elles sont d’accord sur le caractère intenable, arrogant, stupide de la gouvernementalité globale néo-libérale avec quelques oasis sociales subalternes. Le néo-libéralisme est mort comme projet. Il n’est plus que la force. Dire que sa légitimité s’érode est un euphémisme.
Mais ce mouvement a surtout une continuité impressionnante. Il n’est pas fait seulement de ces empêcheurs de sommets en rond. Pas si loin de Gênes de vrais Kabyles impossibles à enfermer dans un nationalisme sécessionniste ont marché pour de bon sur Alger, tandis que de vrais enfants palestiniens ont ébranlé l’apartheidisation des accords d’Oslo.
De vraies sociétés s’approprient les médicaments génériques de lutte contre le sida. Le refus du secret, de la délégation aux experts appointés par les gouvernements et les laboratoires privés devient contagieux. Des centaines de millions d’internautes dé-tamisent, démontent l’information, abattent les murs du privé. Un seul monde mondialise la lutte contre une mondialisation confisquée. Où sont passées les divisions d’antan entre le premier, le second et le troisième (sans oublier le quatrième) ?
La puissance des multitudes est là.

Le cliquetis des chenillettes anti-émeutes de l’Etat Italien, les discussions rances sur les “provocations” et la question de la violence, la criminalisation cousue de fil blanc ne nous intéressent qu’à titre de symptômes.
L’image de Carlo Giuliani restera aussi emblématique que celle de l’étudiant chinois s’avançant tout seul dans les rues de Pékin en face de l’énorme char : un extincteur brandi par un jeune homme furieux contre une jeep de safari anti-manifestant égaré et l’arme du policier imbécile et peureux pointé sur sa tête. Voilà pour l’image et la peur que veulent inculquer les grands de ce monde (même si ces débordements ont été jugés un peu choquant par certains). Une autre image de Gênes s’est pourtant imposée : celle d’un manifestant totalement nu, radieux, défiant dans un nuage de lacrymogènes le dispositif retranché de la ville portuaire. Que valent face à cette image les visages constipés ou contrits de nos modernes Doges, leurs graves préoccupations ?

À Pékin, les chars avançaient, les étudiants étaient retranchés dans leurs universités et sur la place Tien An Men. À Gênes, les 7 flanqués de leur homme malade du XXIeme siècle, la Russie, étaient enfermés, acculés à la mer, tandis les manifestants venaient des terres d’Europe et du reste du monde. Ce n’est qu’une image, mais chassons les images de mort par des images de vie.
Les subalternes, les colonisés d’hier et ceux des grands laboratoires de demain, les précarisés de la mondialisation n’ont pas naturellement peur. On leur inculque à coup de morts, quand la raison raisonnable du maître n’y suffit pas, mais ce petit jeu n’est pas gagnant à tous les coups. Explorons une autre raison de ce monde. Nous reviendrons sur Gênes et sur les multitudes et la politique dans notre prochain numéro.

En attendant, « homme libre » dit en langue kabyle l’icône de couverture de ce numéro, dûe à Rachid Khimoune. “Aucun homme n’est une île” et nous marchons vers les ports.