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Majeure 101. Trahir la blanchité

Comprendre et trahir
Huit raisons de mettre en cause les blanchités, par
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Comprendre et trahir
Huit raisons de mettre en causes les blanchités
Cet article présente huit raisons d’interroger de manière critique les « blanchités » (au pluriel) dans le cadre d’un projet collectif mené par des auteurices blanc·hes et non-blanc·hes. Les auteurices soutiennent que le racisme est fondamentalement un « problème blanc » exigeant que les personnes blanches démantèlent activement les structures coloniales et privilèges plutôt que de laisser la lutte antiraciste aux seules personnes racisées. Mettant en garde contre le risque que les études sur la blanchité deviennent contre-performatives – permettant simplement aux Blanc·hes de laver leur conscience sans engager de transformation – les auteurices positionnent leur travail comme un appel à la « traîtrise », s’appuyant sur la devise du magazine Race Traitor : « la trahison de la blanchité est la loyauté à l’humanité ».

Understand & Betray
Eight Reasons to Unsettle Whiteness
This article presents eight reasons for critically examining “whitenesses” (in the plural) as a collective project undertaken by both white and non-white authors. The authors argue that racism is fundamentally a “white problem” requiring white people to actively dismantle colonial structures and privileges rather than leaving anti-racist struggle to racialized populations alone. Warning against the risk that whiteness studies might become counter-performative—merely allowing whites to declare awareness without enacting change—the authors position their work as a call to “betrayal,” drawing on Race Traitor’s motto that “treason to whiteness is loyalty to humanity.”

Homo Icarus Mettre la blanchité hors service, ouvrir un espace de guérison, par

Homo Icarus
Mettre la blanchité hors service, ouvrir un espace de guérison
Écrivant en réponse au rassemblement suprématiste blanc de Charlottesville en 2017, Bayo Akomolafe propose de dépasser la condamnation morale pour examiner la blanchité comme projet colonial-capitaliste de désincarnation. S’appuyant sur les cosmologies yoruba de l’intersectionnalité (asé, croisées des chemins) et retraçant des trahisons historiques comme le Code esclavagiste de Virginie (1705), il analyse comment la blanchité a créé « Homo Icarus » : l’humain déraciné, coupé de la Terre et de la communauté. Akomolafe appelle à « mettre la blanchité hors service » par des pratiques de ré-autochtonie et en entrant dans des « trous blancs » – espaces liminaux où l’identité blanche peut être récupérée séparément du projet de la blanchité, permettant à toustes de renouer avec le lieu et la réciprocité relationnelle.

Homo Icarus
The Depreciating Value of Whiteness and the Place of Healing
Writing in response to the 2017 Charlottesville white supremacist rally, Bayo Akomolafe proposes moving beyond moral condemnation to examine whiteness as a colonial-capitalist project of disembodiment. Drawing on Yoruba cosmologies of intersectionality (asé, crossroads) and tracing historical betrayals like the 1705 Virginia Slave Codes, he analyzes how whiteness created “Homo Icarus”: the rootless human severed from Earth and community. Akomolafe calls for “decommissioning whiteness” through re-indigenization practices and entering “white holes”—liminal spaces where white identity can be recovered separately from the whiteness project, allowing all peoples to reconnect with place and reciprocal relationality.

Briser le silence sur le génocide à Gaza
Décoloniser la blanchité universitaire, par
et

Briser le silence sur le génocide à Gaza
Décoloniser la blanchité universitaire
Depuis le 7 octobre nous assistons à un phénomène qui a concerné les universités partout dans le monde : l’injonction au silence. Les institutions académiques occidentales ont donc participé à la normalisation de la brutalité coloniale à Gaza par leur silence complice. La peur du débat, de la prise de position et de la perturbation de l’ordre ont transformé la grande majorité des amphithéâtres et salles de cours des universités françaises, de hauts lieux du savoir en hauts lieux du non-dit – appuyés, comme le communiqué de France Université du 11 octobre 2023, sur l’amalgame entre antisémitisme et critique de l’État d’Israël, notamment face aux appels au génocide par des politiciens, des journalistes et des responsables de haut niveau israéliens. Comment expliquer le décalage flagrant entre la mobilisation et le courage des étudiant·es dans les campus français et dans les espaces publics et le silence des corps enseignant ? De quoi ce silence est-il le nom ?

Breaking the Silence over the Genocide in Gaza
Decolonizing Academic Whiteness
Since October 7, we have witnessed a phenomenon concerning universities around the world: the injunction to silence. Western academic institutions have thus participated in the normalization of colonial brutality in Gaza through their complicit silence. The fear of debate, of “taking a stand,” and of “disrupting order” has transformed the vast majority of French university classrooms from sites of knowledge into hubs of silence—reinforced, as in the France Université press release of October 11, 2023, by the conflation of anti-Semitism with criticism of the State of Israel, particularly amid calls for genocide by Israeli politicians, journalists, and high-level officials. How can we explain the glaring gap between the mobilization and courage of students on French campuses and in public spaces and the silence of their teachers? What is this silence?

Regarde, un blanc !
Renverser le script, par

Regarde, un blanc ! Renverser le script
Dans cette introduction à son livre classique des études critiques de la race, Look, A White! (2012), George Yancy propose de renverser l’interpellation raciste fanonienne « Tiens, un nègre ! » en « Regarde, un blanc ! » : une stratégie pour rendre visible l’invisibilité normative de la blanchité. Ce « renversement du script » fonctionne comme un cadeau fait aux personnes blanches – une opportunité de voir leur blanchité à travers les yeux des personnes racisées et de développer ce qu’il nomme une « double conscience ». S’appuyant sur Baldwin, hooks, Ahmed et Du Bois, Yancy soutient que le contre-regard noir est nécessaire car la blanchité reste invisible pour celleux qui l’habitent, qui voient blanchité et humanité comme isomorphes. Il encourage ses étudiantxs blancxs à pratiquer quotidiennement cette nomination de la blanchité dans tous les espaces sociaux, non pour essentialiser ou figer les corps blancs, mais pour compliquer l’identité blanche et révéler la complicité blanche dans le racisme systémique.

Look, A White!
Flipping the Script
In this introduction to his 2012 critical race theory classic, Look, A White!, George Yancy proposes reversing Fanon’s racist interpellation “Look, a Negro!” into “Look, a white person!” as a strategy to render visible the normative invisibility of whiteness. This “script-flipping” functions as a gift to white people—an opportunity to see their whiteness through the eyes of racialized people and develop what he calls a “double consciousness.” Drawing on Baldwin, hooks, Ahmed and Du Bois, Yancy argues that the Black counter-gaze is necessary because whiteness remains invisible to those who inhabit it, who see whiteness and humanity as isomorphic. He encourages his white students to practice this daily naming of whiteness across all social spaces, not to essentialize or freeze white bodies, but to complicate white identity and reveal white complicity in systemic racism.

L’animosité réactive face au racisme
Repenser le « racisme anti-blanc », par

L’animosité réactive face au racisme
Repenser le « racisme anti‑blanc »
Cet article livre une analyse critique de la notion de « racisme anti-blancs » pour sortir d’une aporie à la fois politique et scientifique. Cette catégorie de la pratique et les idées qu’elle véhicule prennent racine dans le suprématisme blanc qui remonte à la période (post)esclavagiste. Cette rhétorique vise à dénoncer l’expression du ressentiment envers les classes blanches privilégiées tout en minimisant, voire en niant, la domination raciale qu’a durablement instauré l’expansion coloniale européenne. Dans une logique d’inversion, le ressentiment des non-blancs envers les blancs et les rares fois où il se manifeste par une violence plus ou moins politisée sont présentés comme étant le véritable racisme qu’il faut combattre à tout prix. Historiciser l’animosité raciale réactive de certains noirs envers les blancs permet de tenir compte de cette forme singulière de racialisation et de la documenter en évitant toute récupération raciste de cet examen académique.

Reactive Animosity in Response to Racism
Rethinking “Reverse Racism”
This article offers a critical analysis of the notion of “reverse racism” to move beyond both a political and scientific aporia. This practical category and the ideas it conveys are rooted in white supremacy dating back to the (post)slavery period. This rhetoric seeks to denounce expressions of resentment toward privileged white classes while minimizing or even denying the racial domination durably established through European colonial expansion. Through an inversive logic, non-white resentment toward white people and the rare instances when it manifests as more or less politicized violence are presented as the true racism that must be combated at all costs. Historicizing the reactive racial animosity of some Black people toward white people allows us to account for this singular form of racialization and document it while avoiding any racist recuperation of this academic inquiry.

Le privilège de la transgression, par

Le privilège de la transgression
Jean-Christophe Goddard, mêlant contre-anthropologie populaire congolaise, analyse littéraire, psychanalyse et théorie décoloniale, esquisse un dévoilement de la blanchité comme disposition extrinsèque à absolutiser la violence au-delà de toute mesure, à l’optimiser perversement dans la perspective d’une sorte de « perfection négative ». Il reconstruit une figure du Blanc comme celui qui, s’instituant seul maître de la loi, s’institue ce faisant comme maître de sa violation, maître d’une transgression illimitée, qui ne se mesure plus à l’aune de la loi, mais s’alimente indéfiniment d’elle-même. Le privilège de la blanchité, qu’est la blanchité, étant le privilège positif de détruire infiniment autrui.

The Privilege of Transgression
Jean-Christophe Goddard, combining Congolese popular reverse-anthropology, literary analysis, psychoanalysis and decolonial theory, sketches an unveiling of whiteness as an extrinsic disposition to absolutise violence beyond all measure, to perversely optimise it in the perspective of a kind of “negative perfection”. He reconstructs the figure of the White as one who, setting himself up as the sole master of the law, thereby establishes himself as the master of its violation, the master of unlimited transgression, which is no longer measured by the yardstick of the law, but feeds indefinitely on itself. The privilege of whiteness, which is whiteness itself, is the positive privilege of infinitely destroying others.

Désinstaller, déstabiliser, désétablir, par

Désinstaller, déstabiliser, désétablir
Dans cet extrait tiré de Unsettled (minor compositions, 2025), Erin Manning examine la manière dont les bases de données généalogiques au Québec ont ouvert la possibilité pour un nouveau genre d’occupation blanche : la pratique des « Prétendien·nes », des colons qui revendiquent une identité « métisse » basée sur des ancêtres autochtones remontant à la dixième génération (à des fins d’évasion fiscale et de droits de chasse) tout en conservant leurs privilèges coloniaux. Suivant les études autochtones de la généalogie de Kim TallBear et Darryl Leroux, Manning soutient ainsi que les revendications identitaires basées sur le quantum sanguin constituent une recolonisation plutôt qu’une décolonisation. À partir de ce débat qui agite les politiques canadiennes contemporaines, Manning analyse la blanchité comme une pratique systémique d’« établissement » qui stabilise la propriété coloniale. Elle critique comment les pratiques d’Équité, Diversité et Inclusion renforcent l’individualisme, et propose un « désétablissement » par ce qu’elle nomme la fabulation – des pratiques relationnelles qui refusent les logiques de propriété.

Unsettling
In this extract from her recently published book, Unsettled (minor compositions, 2025), Erin Manning examines how genealogical databases in Quebec have opened the possibility for a new genre of white occupation: the practice of “Pretendians”, settlers who claim Métis identity based on tenth-generation ancestors (for purpose of tax evasion & hunting rights) while retaining colonial privileges. Following indigenous critical genealogy studies of Kim TallBear and Darryl Leroux, she argues that identity claims based on blood quantum constitute recolonization rather than decolonization. From this debate that agitates Canadian contemporary politics, Manning analyzes whiteness as a systemic practice of “settling” that stabilizes colonial ownership. She critiques how Equity, Diversity and Inclusion practices reinforce individualism, and proposes “unsettling” through what she calls fabulation—relational practices that refuse property logics.

Contre toute sorte de suprématisme
L’arc-en-ciel de la résistance, par

Contre toute sorte de suprématisme
L’arc-en-ciel de la résistance
Rejetant les fondements des études critiques de la race et de la blanchité, et considérant qu’elles font le jeu du racisme, cet article soutient que le concept de blanchité transforme toutes les personnes blanches en suprématistes qui s’ignorent et renforce paradoxalement les narratifs suprématistes en posant les Blancs comme groupe homogène. S’appuyant sur la critique du concept de race par Lévi-Strauss et soulignant le caractère multiracial des mouvements abolitionnistes de l’esclavage, Giuseppe Cocco affirme que les études de la blanchité promeuvent la culpabilité et l’expiation plutôt que la lutte, échouent à rendre compte des conflits au-delà du binaire Noir/blanc (Ukraine, Syrie, Gaza), et ignorent la complexité des rapports de pouvoir décrits par Foucault comme un « archipel de pouvoirs différents ».

Against all Supremacies
The rainbow of resistance
Rejecting the foundations of critical race and whiteness studies and considering that they support rather than fight against racism, this article argues that the concept of whiteness transforms all white people into unwitting supremacists and paradoxically reinforces supremacist narratives by positing whites as a homogeneous group. Drawing on Lévi-Strauss’s critique of the concept of race and emphasizing the multiracial character of movements for the abolition of slavery, Giuseppe Cocco claims that whiteness studies promote guilt and expiation rather than struggle, fail to account for conflicts beyond the Black/white binary (Ukraine, Syria, Gaza), and ignore the complexity of power relations described by Foucault as an “archipelago of different powers.”

Persistances blanches, par et

Persistances blanches
Cet article enquête sur la blanchité comme engagement du blanc envers sa propre perpétuation, y compris dans les contextes antiracistes. Les autrices examinent comment la blanchité persiste à travers ce que Sara Ahmed nomme la « non-performativité de l’antiracisme » – des déclarations antiracistes qui protègent plutôt qu’elles ne défient l’hégémonie blanche. L’article s’efforce ensuite de répondre à trois objections courantes aux études critiques de la blanchité, selon lesquelles elles : 1/ induisent la culpabilité, 2/ minimisent les autres racismes, ou 3/ sont elles-mêmes racistes. Rappelant que la culpabilité blanche ne bénéficient qu’à celleux qui se sentent coupables (Audre Lorde, Eula Biss), les autrices considèrent la manière dont les études critiques de la blanchité permettent de construire des coalitions reconnaissant la spécificité du suprématisme blanc au sein du capitalisme racial. Pour elles, comprendre et étudier la blanchité de façon critique signifie ainsi la faire bégayer et trébucher, et, pour finir, l’abolir.

White Persistency
This article investigates whiteness as white’s commitment to its own perpetuation through purification, eradication, occupation and propagation. The authors examine how whiteness persists even in antiracist contexts through what Sara Ahmed calls the “non-performativity of antiracism”—antiracist declarations that protect rather than challenge white hegemony. Addressing three common objections to critical whiteness studies (that they supposedly: 1/ induce guilt, 2/ minimize other racisms, or 3/ are themselves racist), they propose transforming white guilt into white debt (Audre Lorde, Eula Biss), building coalitions that recognize the specificity of white supremacism within racial capitalism, and understanding that studying whiteness critically means making it matter differently—making it stutter and stumble, and finally, to abolish it.

Multitudes en images

Clarisse HahnPost storyboard, d’après le film Touki Bouki de Djibril Mambety DiopPenser l’art brut aujourd’huiIcônes 43.Poésie parleGerd Arntz, graphiste, 1900-1988Ruti Sela & Maayan AmirPour l’exposition « Travessias »
multitudes