Archives par mot-clé : émergence

Politisations du temps à l’ère de l’instabilité, par

Politisation du temps à l’ère de l’instabilité
L’accélération de l’instabilité du monde est patente. Elle concerne aussi bien la désorganisation croissante des échelles du vivant, la raréfaction des ressources, la numérisation de nos moyens et conditions d’existences, un nouvel âge géologique communément dit « Anthropocène » – quelque critique soit l’emploi de ce terme qui convertit l’approche chronotopique en stade paradigmatique, millénariste, alors que la manière dont nous voyons le monde, nous mêlons à lui, est déjà le signe d’une hybridation entre technosphère et biosphère. Cet essai porte sur les manières de répondre aux instabilités dans un monde qui semble s’être accéléré, mais qui s’est avant tout pluralisé. Cependant, cette pluralité ne doit pas faire oublier la destruction accélérée des mondes sociaux-environnementaux, et la grande difficulté de la construction de résistances.

The Politization of Time in the Age of Instability
The acceleration of the instability of the world is obvious. It concerns the increasing disorganization of life-scales, the scarcity of resources, the digitization of our means and conditions of existence, a new geological age commonly known as the “Anthropocene”, a problematic term which converts the chronotopic approach in a paradigmatic, millenarian stage, whereas the way we see the world and mingle with it is already the sign of a hybridization between technosphere and biosphere. This essay focuses on various ways to respond to instabilities in a world that seems to have accelerated, but which has become more pluralistic. However, this plurality must not blind us to the accelerated destruction of the social-environmental worlds, nor to the great difficulty of the construction of resistances.

Vers une politique du dividualisme, par

Vers une politique du dividualisme
L’individu de la gouvernance néolibérale mérite d’être envisagé comme un « dividuel » secoué par les rassemblements turbulents de tendances hétérogènes, divisé entre elles dans sa relation à soi. Du fait des urgences et des surcharges attentionnelles auxquelles il est soumis, l’intuition se substitue souvent chez lui au choix réfléchi et délibéré. C’est à des dividuels que s’adressent les techniques de priming (amorçage) par lesquelles les logiques néolibérales restructurent nos comportements. Comment parvenir à y identifier un contre-ontopouvoir immanent ? Comment en faire émerger une politique du dividualisme ? C’est dans une catalyse activiste qu’il faut reconnaître aujourd’hui un art affectif de la politique.

Towards a Politics of Dividualism
The individual produced by neoliberal governance ought to be identified as a “dividual”, set in tensions by a turbulence of heterogeneous tendencies, divided between them in his relation to himself. Because of the emergency and attentional overload to which he is exposed, intuition often substitutes for deliberate choice. Techniques of priming are addressed to such dividuals, in their attempt to restructure our behaviors along neoliberal injunctions. How can one identify immanent forms of counter-ontopower in such a situation? How can one help the emergence of a politics of dividualism? An activist catalysis may pave the way for an affective art of politics.

Les media du XXIe siècle. Sensibilité mondaine & bouclages projectifs, par

Les media du XXIe siècle
Sensibilité mondaine & bouclages projectifs
Un nouveau type de media, propres au XXIe siècle, ne s’adresse plus à nos consciences, ni même à nos perceptions, mais vise à connecter automatiquement différents points de sensibilité du monde (y compris au sein de notre propre corps), sans plus s’adresser à des « sujets » humains. L’internet des objets a pour vocation de fonctionner tout seul, sans se laisser entraver par l’erratisme des volontés subjectives, ni ralentir par les aléas de délibérations collectives – comme une vaste architecture de choix agencés pour notre bien, mais par des programmes. C’est bien un nouveau type de médialité qu’il faut reconnaître ici, appelant de nouveaux types d’interventions.

21st-Century Media
Worldly Sensibility and Feed-Forward Agency
A new type of media, specific to the 21st Century, no longer address themselves to our awareness, nor to our perceptions, but aim at automatically connecting various points of sensitivity in the world (as well as in our bodies), short-circuiting the will and attention we have come to identify with our subjective self. The internet of things is designed to work by itself, without being disturbed by our erratic subjective wills and without being delayed by the unpredictable outcomes of collective deliberation. 21st-century media set in place a vast architecture of choices, reputed to be run by algorithms for our own good. This new type of mediality calls for new modes of understanding and political action.

Prévention, dissuasion, préemption. Changements de logiques de la menace, par

Prévention, dissuasion, préemption
Changements de logiques de la menace
Après avoir distingué trois types de stratégies visant à neutraliser une menace – la prévention, la dissuasion, la préemption – Brian Massumi analyse le fonctionnement et les implications de cette dernière, dans la façon dont l’administration de G.W. Bush l’a théorisée et implémentée dans sa « guerre contre le terrorisme ». À la fois épistémologie et ontologie à tendance auto-propulsive, la préemption est une logique opératoire du pouvoir qui définit notre époque politique de manière aussi insidieusement infiltrante et infiniment extensive que la logique de la « dissuasion » qui a défini l’époque de la Guerre froide. Cette analyse est de la plus grande actualité pour comprendre à quoi nous engagent les politiques menées désormais en France et en Europe au nom de la même « guerre contre le terrorisme ».

Prevention, Deterrence, Preemption
Transformations
in the Logics of Threat
After distinguishing three different strategies aiming at neutralizing threats—prevention, deterrence, preemption—Brian Massumi analyses the latter in its theorization and implementation during the G.W. Bush era. Both an epistemology and an ontology endowed with a self-propelling tendency, preemption is an operative logic of power defining a political epoch in as infinitely space-filling and insidiously infiltrating a way as the logic of deterrence defined the Cold War era. Such an analysis is extremely timely in order to understand the implications of the “War on Terror” currently waged by the French and many other European governments.

Les Britanniques à Calais, par

Les Britanniques à Calais
La solidarité européenne à l’échelle locale dans une ville frontière

Comment fonctionnent ceux qu’on appelle les Anglais dans le camp de Calais ? Les volontaires internationaux ont remplacé peu à peu les touristes dans l’animation de la ville, à partir de 2013 ; à partir de fin 2015, la mobilisation est plus forte mais toujours peu organisée. La préoccupation est de rendre le camp plus habitable, de construire avec les migrants des lieux de vie pour les femmes et les enfants, pour les repas, pour le théâtre, pour la bibliothèque. Ces hauts lieux seront épargnés de la destruction par la justice. Mais cette nouvelle urbanité n’est pas exempte de rapports de pouvoir. L’aide britannique se restructure à partir du Hangar, hors du camp, pour pratiquer l’aide sur un mode quasi-industriel par son efficacité. Les volontaires deviennent plus distants des migrants, et leur vie se déroule plutôt hors du camp. Français et Britanniques se rejoignent cependant dans le traitement des mineurs isolés et le conseil juridique.

Britons in Calais
European Solidarity at the Local Level in a Bordertown

How do those referred to as “les Anglais” operate in Calais? International volunteers have progressively replaced tourists in the animation of the city, starting from 2013. Since the last months of 2015, the mobilization is still strong but little organized. Efforts concentrate on making the camp more hospitable, on constructing with the migrants a better place for women and children, improving meals, establishing a theater, a library — these sites being spared the destruction waged by the authorities. This new urbanity is not free from relations of power, however. British aid was restructured around the “Hangar”, away from the camp, on a quasi-industrial mode of management geared towards efficiency. The volunteers have become more distant towards the migrants, as their life is now located outside of the camp. French and British volunteers, however, are in tune concerning the help brought to isolated children and legal counseling.

Le rêve mondial d’un univers urbain sans « bidonvilles », par

Le rêve mondial d’un univers urbain sans « bidonvilles »
Discours, mobilisations et mythe

Près de la moitié de la croissance urbaine, due à l’exode rural et aux migrations, se fait de façon informelle dans des « bidonvilles ». Alors qu’ils sont détruits dans les pays riches, ils sont réhabilités, « urbanisés », dans les pays du Sud, non sans déplacement des habitants comme le montre l’exemple du Maroc. Les opérations-phares cachent l’insuffisance des investissements dédiés et la poursuite des évictions, malgré les déclarations des sommets Habitat de l’ONU qui se succèdent depuis 1976. L’article souligne les inégalités de traitement entre ces quartiers selon les populations ciblées. La sécurisation foncière demandée par tous les acteurs pourrait être un préalable à la mise sur le marché ou à la mise en place d’un financement plus solidaire de l’urbain.

The Global Dream of a Slumless Urban Universe
Discourse, Mobilisations and Myths

About half of urban growth, due to movements from the countryside to towns and due to migrations, ends up in informal slums. While those are destroyed in wealthy countries, they are rehabilited and “urbanized” in the South, often by displacing populations, as illustrated by the example of Morocco. High-visibility operations fail to hide the lack of investments and the persistent policies of eviction, in spite of the official declarations periodically reiterated during UN Summits on Habitat since 1976. This article addresses the inequality of treatment between the neighborhoods, depending on the targeted populations. Real-estate securization demanded by all actors could be a first step towards the marketization of housing or towards the establishment of more socially-oriented forms of financing.

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention, par

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention

Un revenu inconditionnel d’existence devrait être envisagé au sein d’une pluralité de formes de revenus, basés sur des logiques hétérogènes. Parmi ces justifications, la prise en compte des dynamiques de l’économie de l’attention (dont Google et Facebook tirent d’ores et déjà des revenus énormes) pourrait jouer un rôle central. Un revenu d’existence apparaîtrait alors comme un investissement social permettant à chacun(e) de diriger son attention vers ce qui lui semble le plus important. Mais cela impliquerait de passer d’une économie restreinte à une économie générale, dans laquelle le moment de l’attention réflexive ne serait pas considéré comme un luxe inutile, mais comme un besoin d’avenir.

Universal Basic Income within a General Attention Economy

A Basic Universal Income (UBI) should be considered among a plurality of heterogeneous logics for rewards and incentives. Taking into consideration the attention economy (which already provides enormous incomes to Google and Facebook) could play a central role in such argu-ments. The UBI would then be seen as a form of investment allowing each recipient to direct his or her attention where
s/he judges would be more needed. This would require us, however, to evolve from a restricted economy to a general economy, where reflexive attention would no longer be considered as a wasteful luxury, but as a growing need for the future.

La réalité du revenu d’existence dans le Brésil post-Lula, par et

La réalité du revenu d’existence dans le Brésil post-Lula

Cet article vise à évaluer la portée des politiques sociales réellement existantes dans le Brésil de la période Lula, du point de vue du débat général sur le revenu d’existence. Soit deux questions : ces politiques sociales – notamment les transferts monétaires – ont-elles été pensées dans la perspective d’un revenu d’existence ? Le revenu d’existence pourrait-il fonctionner comme angle privilégié de réorganisation et d’intégration de ces politiques sociales ? L’histoire de Bolsa Família, instauré dans le Brésil de Lula, montre qu’il est d’origine néolibérale et que le véritable enjeu est d’appréhender les lignes de conflit qui séparent sa précaire existence empirique actuelle de sa constitution comme base d’une nouvelle démocratie.

The Realities of Basic Income Policies in Post-Lula Brazil

This paper evaluates the realities of the social policies set in place during under Lula govern-ments. It raises two questions about the implementation of the basic income scheme entitled Bolsa Familia : was is really devised as a form of basic income ? Could it provide leverage to a reorganization of social policies ? The study tends to show that Bolsa familia originated as a neoliberal reform and that the deeper stakes of its implementation raise the question of a depar-ture from its current form towards another conception of a new form of democracy.

Subjectivations computationnelles à l’erre numérique, par

Décomposition et recombinaison à l’âge de la précarité, par

Décomposition et recombinaison à l’âge de la précarité

Cet article analyse l’« automation cognitive », c’est-à-dire l’uniformisation des procédures de perception, d’imagination et d’énonciation. La transformation digitale de l’info-travail est une condition de la précarisation finale, et l’info-travail est ainsi le point d’arrivée d’un processus d’abstraction de l’activité humaine cognitive dé-singularisée et dé-corporalisée. Le temps dé-singularisé et la cognition dé-personnalisée sont les agents ultimes du processus de valorisation : ils ne tombent pas malades, n’ont pas de revendication syndicale ni de droit politique ; ils sont là, pulsatoires et disponibles, comme une étendue cérébrale jamais hors d’atteinte. Des cellules de temps productif pré-formaté peuvent ainsi être mobilisées et recombinées grâce à la sonnerie du smartphone, qui permet d’agencer le cerveau individuel selon les flux du réseau.

Decomposition and Recombination in the Age of Precariousness

This paper analyzes « cognitive automation », i.e., the uniformization of the processes of perception, imagination and enunciation. The digital transformation of info-labor is a condition of its final precarization, as info-work is the point of arrival of a process of abstraction of human cognitive activity, after it has been de-singularized and dis-embodied. De-singularized time and de-personalized cognition are the ultimate agents in the process of valorization : they never fall sick, do not resist through trade unions nor claim political rights ; they are there available, as a cerebral openness out of reach. Cells of pre-formatted productive time can be mobilized and recombined through the tone of a smartphone, re-assembling the individual brains according to the flows in the network.

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées, par

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées

Cet article revient sur la notion de « subjectivité computationnelle » formulée par David M. Berry visant à développer une approche critique des technologies numériques. Afin de comprendre les implications philosophiques d’un tel rapprochement entre « subjectivation » et « computation », nous revenons tout d’abord, via Leibniz et Hannah Arendt, sur l’émergence des sciences modernes qui visent à faire du « sujet » classique une entité calculante. Nous voyons ensuite comment les sciences « comportementales » ont influencé la conception des ordinateurs en substituant à la raison humaine des modélisations rationnelles déléguées à des machines. Pour sortir de l’impasse d’une déshumanisation annoncée dès la fin des années 1970 par des auteurs comme Ivan Illich ou Gilles Deleuze, nous envisageons enfin la « subjectivation » comme un processus qui ne nécessite pas qu’il y ait sujet. Le concept d’« appareil », tel que le propose Pierre-Damien Huyghe à propos de la photographie et du cinéma, peut ainsi être étendu aux machines computationnelles pour penser de possibles « consciences appareillées ».

Computational Subjectivities and Apparatus-Consciousness

In continuation with David M. Berry’s considerations on “computational subjectivities”, this paper goes back to the emergence of modern science, via Leibniz to Arendt, questioning the attempt to see the classical “subject” as a calculating machine. After behaviorism had greatly influenced computer science, after Ivan Illich or Gilles Deleuze’s redefinition of the subject, we can now envisage processes of subjectivation without a subject. The concept of apparatus, as theorized by Pierre-Damien Huyghe’s analysis of the photographic camera, can be extended to computation and help us conceive of “apparatus-consciousness”.

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable

La cognition algorithmique joue un rôle central dans le capitalisme contemporain. Depuis la rationalisation du travail industriel et des relations sociales jusqu’à la finance, les algorithmes fondent un nouveau mode de pensée et de contrôle. Dans cette phase du tout-machinique dans l’évolution du capitalisme numérique, il ne suffit plus de se mettre du côté de la théorie critique pour accuser la computation de réduire la pensée humaine à des opérations mécaniques. Comme le théoricien de l’information Gregory Chaitin l’a démontré ; l’incomputabilité et l’aléatoire doivent être conçus comme les conditions de bases de la computation. Si le technocapitalisme est contaminé par l’aléatoire computationnel et le chaos, la critique traditionnelle de la rationalité instrumentale doit elle aussi être remise en question : l’incomputable ne pleut plus être réduit au statut de contraire de la raison.

Instrumental Reason, Algorithmic Capitalism, and the Incomputable

Algorithmic cognition is central to today’s capitalism. From the rationalization of labor and social relations to the financial sector, algorithms are grounding a new mode of thought and control. Within the context of this all-machine phase transition of digital capitalism, it is no longer sufficient to side with the critical theory that accuses computation to be reducing human thought to mere mechanical operations. As information theorist Gregory Chaitin has demonstrated, incomputability and randomness are to be conceived as very condition of computation. If technocapitalism is infected by computational randomness and chaos, the traditional critique of instrumental rationality therefore also has to be put into question: the incomputable cannot be simply understood as being opposed to reason.

L’algorithmique a ses comportements que le comportement ne connaît pas, par

L’algorithmique a ses comportements que le comportement ne connaît pas

La présente contribution cherche à reconceptualiser certains enjeux fondamentaux du machine-learning en problématisant la question du « comportement » à l’aune de la théorie du cycle de l’image de Gilbert Simondon. En prenant au sérieux les positions théoriques et les ambitions techniques dans le domaine des algorithmes auto-apprenants, nous proposons de rendre compte de certaines transformations de l’algorithmique en la qualifiant de deux idéaux-types : mécanique et comportementale. Sans suggérer une quelconque opposition binaire, nous proposons plutôt de voir ces deux pôles comme des structurations successives, des phases d’existence qui transforment la nature du problème à résoudre, qui opèrent un passage de structure en structure. À la suite de Simondon, ce passage est requalifié de transductif, de façon à esquisser une image du comportement appelant une réinvention de nos cadres politiques et éthiques. Et si la question était : quel est le collectif qui advient, et que nous désirons voir advenir, quand nous nous comportons avec des algorithmes ?

Algorithms Have Reasons Behavior Ignores

The present contribution seeks to reconsider some of the fundamental stakes underlying machine-learning. The question of « behavior » will be problematized in light of Gilbert Simondon’s theory of the image cycle. By taking theoretical positions and technical ambi-tions in the field of machine-learning seriously, we suggest to frame the transformations of algorithmics in terms of two ideal-types: mechanical and behavioral. While taking care to avoid any binary opposition, we treat these two poles as successive structurations, phases of existence that transform the nature of the problem to be resolved, that operate a passage from one structure to another. Following Simondon, we qualify this passage as transductive so as to sketch an image of behavior that calls for a reinventing of our political and ethical frameworks. What if the question were: what collective is eventuated, or do we wish to eventuate, when we behave with algorithms?

multitudes