Majeure 53. Histoires afropolitaines de l’art

« Enraciné dans, mais pas limité par » Les black artistes contemporains et l’évolution des conditions de la représentation

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« Les stratégies culturelles qui peuvent changer les choses, voilà ce qui m’intéresse
– celles qui peuvent changer les choses et modifier les dispositions du pouvoir. »

La Blackness a été et est toujours en vogue au début du xxie siècle, non seulement dans la culture populaire, mais aussi dans les arts, qui reproduisent de façon synchronique les stéréotypes classiques sur le corps Noir (Black), incitant les artistes et intellectuels Noirs à ne pas tomber dans des contre-discours déjà établis mais à élargir le répertoire des représentations. Cet article vise donc à explorer les difficultés et les subtilités de l’art post-black, introduit comme concept curatorial en 2001, ainsi que de son héritage curatorial. En outre, l’article envisage la possibilité d’étendre le débat à un discours plus large sur la politique de l’identité (identity politics), sur ses différentes significations, ses limites et ses promesses pour l’actualité contemporaine. Je dois préciser que par « post-black » je n’entends pas « post‑race ». Par exemple, je ne cherche pas à prétendre qu’une condition « post-raciale » puisse exister, étant donné que celle-ci nécessiterait l’effacement de la différence en tant que concept qui structure et ordonne nos sociétés (souvent de façon hiérarchique, malheureusement). Je pense qu’il est également important de reconnaître qu’il n’y a pas d’existence institutionnelle du post-race, et certainement pas dans le domaine des beaux-arts. L’hypothèse utopique selon laquelle nous serions entrés dans une ère « post‑raciale » montre à quel point les débats sur la race et la Blackness sont contestés et chargés politiquement. Comme je le montre dans cet article, post-black a de nombreuses significations, mais ces significations sont toujours situées à l’intérieur du concept de blackness, avec ses identités d’emprunt et ses différences. « Post‑black » est intrinsèquement lié à l’Expérience Noire (Black Experience), qui, en conclusion, n’est pas seulement limitée à des revendications politiques mais offre une perspective élargie aux productions socio-historiques des Expériences Noires ainsi qu’aux pratiques esthétiques qui n’ont pas été prises en compte dans la vision dominante et étriquée sur l’art des artistes Noirs. Les paramètres des représentations ont changé, et on pourrait soutenir que les représentations et significations des œuvres d’artistes Noirs sont toujours situées dans un discours racial mais pas seulement. « Post‑black » décrit donc un autre genre de blackness que celle qui était représentée auparavant, une différente performance de la différence au sein d’une « multiplicité de multiplicités ». J’affirmerais aussi que la création d’une différence différente (different difference) a toujours fait partie de la discussion sur la blackness depuis les origines de la réflexion intellectuelle Noire et de la pratique artistique dans les diasporas et sur le continent. Mais je souligne aussi que, dans ces discours, on n’a pas accordé assez d’attention à la diversité des identités Noires. Notamment en ce qui concerne le genre et la sexualité, l’idée d’une identité Noire s’est construite de manière monologique, autour d’une masculinité hétéro-normative qui renvoie toute aberration à la marge-.

La difficulté d’écrire sur l’art post-black provient de son hétérogénéité, ou, pour le dire autrement, du fait qu’il ne propose pas de style esthétique particulièrement cohérent. L’art qui est qualifié de post-black, avec des artistes comme Kara Walker, Hank Willis Thomas, Rashid Johnson, Mickalene Thomas, Leslie Hewitt ou Kori Newkirk, pour n’en nommer que quelques-uns, est beaucoup trop varié pour fonder un style harmonieux. La seconde limitation qui entrave le discours sur l’art post-black a trait au fait que, là où la plupart des mouvements artistiques sont définis rétrospectivement, le post-black prétend décrire un phénomène contemporain. Je poursuivrai mon exploration en montrant que l’art post‑black est théorisé comme étant issu d’une identité qui a produit des pratiques artistiques particulières à une certaine génération d’artistes, ce qui explique pourquoi le discours théorique (comme c’est le cas dans cet article également) oscille entre le débat sur l’identité et le débat sur les pratiques artistiques et curatoriales.

Quelle est la signification de l’art post-black ?

La notion « d’art post-black » appartient à la terminologie critique depuis 2001, donnant suite au concept curatorial introduit par le peintre Glenn Ligon et par Thelma Golden, alors nouvelle directrice du Studio Museum in Harlem de New York et ancienne conservatrice du Whitney Museum. Le terme post-black est issu de la trilogie Freestyle, Frequency et Flow de Golden, qui peut être considéré comme une résurrection de l’idée de l’art Black et de la Blackness en général. Issu de conversations avec l’artiste Glenn Ligon, le terme « post-black » est décrit par Golden comme « au premier abord, une description d’artistes qui refusaient catégoriquement d’être étiquetés comme des artistes “noirs”, même si leur travail était empreint de, et même s’intéressait profondément à la redéfinition des notions complexes de blackness ». Dans une courte interview, employant une formulation qui fera débat et qui connaîtra une grande réception critique, Golden présente sa conceptualisation de l’art afro-américain contemporain : « Il n’existe pas de façon unique d’y penser. Je m’intéresse à sa diversité et je veux rendre le multiculturalisme accessible au grand public. J’ai commencé à m’intéresser à de jeunes artistes noirs qui sont imprégnés du discours postmoderne sur la blackness, mais qui ne la mettent pas nécessairement au premier plan. [Le peintre] Glenn Ligon et moi avons commencé à appeler ça post-black. Le post‑black est le nouveau black ». En insistant sur « black », Golden signifie que dans le concept d’art post-black, il existe encore une dimension politique où une politique de l’identité se dresse contre le racisme avec le désir de surmonter une certaine fixité socio‑structurelle en ce qui concerne les individus Noirs. Le post-black soulève des questions de pouvoir, puisque la race et le racisme présentent pour les sujets noirs des articulations et des règlements différents en fonction du contexte et du lieu. Ainsi, sans faire de la race une catégorie relative, je souligne que les pratiques visuelles et esthétiques qui sont attachées à cet important désir d’égalité doivent être abordées sous l’angle du contexte de son articulation artistique. Il faut également noter que l’idée d’art post-black a été une réussite du point de vue économique, puisque la plupart des artistes de la première exposition qui a introduit le post-black (Freestyle) ainsi que de la deuxième exposition (Frequency) sont maintenant représentés dans des galeries réputées, ce qui est dû en partie au fait que le label ou la marque « post‑black » a ouvert un marché et focalisé une attention particulière sur les jeunes artistes contemporains noirs. Mais la question demeure de savoir si le label post-black, en même temps que la réussite économique, ont eu un impact sur l’analyse et le cadre discursif utilisés pour débattre de l’œuvre de ces artistes. Ce label a certainement permis d’établir des acteurs de premier plan comme Golden, qui se devait de laisser sa trace en tant que nouvelle directrice du Studio Museum in Harlem, en 2001. Le « post-black » peut donc aussi être considéré comme un exemple d’autopromotion habile, tout comme Nicolas Bourriaud sera toujours lié au concept d’Altermoderne – contexte qui est rarement pris en compte dans l’analyse de cette dernière expression, étant donné que l’histoire de l’art, la critique, les galeries et les institutions artistiques font toutes partie du même réseau économique ; et qui donc a intérêt à mettre en péril sa propre position au sein de ce réseau fragile ?

À cette époque, Golden ne savait pas que le théoricien de l’art Robert Farris Thompson avait déjà noté en 1991 que : « Une révision du modernisme qui montrerait comment celui-ci prédit le triomphe des séquences actuelles révélerait que “l’Autre” est ton voisin – que les cultures noires et modernistes sont inséparables depuis longtemps. Pourquoi utiliser le mot “post-moderne” quand celui-ci peut également signifier “postblack” ». Thompson met en évidence le caractère entrelacé du développement du modernisme en Occident, mais aussi l’inspiration que l’Occident a empruntée à l’art africain et à l’art de la diaspora. Cependant, il ouvre également un espace de réflexion, à un moment (l’ère post-moderne) où la diversité, le multiculturalisme et la multiplicité des points de vue sont plus saillants qu’auparavant dans la vie politique et dans la réflexion intellectuelle. Cette idée a eu un impact (malheureusement, pas encore canonique) sur notre perception de l’art moderne.

Les batailles incessantes des modernités

Les tentatives pour englober le contemporain sous un même terme-parapluie, comme « altermoderne », proposé par Nicolas Bourriaud en 2008 – m’amènent à faire une brève mais nécessaire excursion. Le terme altermoderne met en évidence, comme le fait le poète et philosophe Édouard Glissant, la notion de « créolisation » et « d’expérience de l’errance – dans le temps, dans l’espace et dans les supports ». Il n’a pas le potentiel pour être largement appliqué, étant donné que la terminologie confirme un récit classique de la modernité, bien que Bourriaud souligne par ailleurs le fait que la modernité est un terme contesté. Le concept ne fait pas non plus état des travaux des spécialistes, comme Houston Baker (1989) et plus tard James Smethurst (2011), qui soulignent qu’il y a des « altermodernités » depuis les origines de la modernité. Je suggère que non seulement notre condition postmoderne pitoyable (comme l’a décrite Kobena Mercer) a besoin d’être modifiée au sein des sociétés qui sont façonnées par le néo-libéralisme, mais aussi que la tentative de Thompson de faire valoir l’idée selon laquelle aussi bien le passé que le présent doivent être considérés comme culturellement dépendants n’a pas eu le succès que l’on pourrait espérer. Les musées à orientation anthropologique, comme le Quai Branly à Paris ou le Forum de Humboldt programmé à Berlin, présentent de bons exemples du récit incohérent de la modernité qui est constamment répété en Occident. Ils restent donc tributaires d’une vision étriquée de l’évolution des identités et des flux esthétiques qui constituent nos sociétés.

Un exemple qui mérite d’être souligné dans ce débat curatorial est l’exposition intitulée : AfroModern: Journeys Through the Black Atlantic, organisée par Tanya Barson et Peter Gorschlüter à la Tate Liverpool en 2010. Ils ont repensé l’approche de Thompson en la mettant en rapport avec les écrits du théoricien postcolonial Paul Gilroy. À travers le sous-titre et le choix des œuvres, l’exposition s’inspire de l’ouvrage de Gilroy, The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness, publié en 1993. Le livre traite des rapports entre la philosophie des Lumières et les changements économiques et intellectuels qui ont résulté de l’esclavage africain, dans le contexte du modernisme naissant. Gilroy propose également un cadre théorique pour comprendre la blackness et la Diaspora comme une culture hétérogène produite par le discours occidental issu de la pensée humaniste des Lumières, culture qui peut être décrite comme une « structure fractale rhizomorphique » qui prend la forme d’une « formation interculturelle et transnationale ». L’Atlantique Noir devient ainsi une contre-culture de la modernité et, comme l’a tenté Thompson, fait signe vers les relations, échanges et métissages esthétiques que la Tate Liverpool retrace à travers des œuvres de Constantin Brancusi, Ellen Gallagher, Aaron Douglas, Renee Cox ou Isaac Julien. Malgré son ambition prometteuse, le spectacle n’a pas été couronné de succès dans le monde de l’art et il a été supposé que la commissaire d’exposition, Tanya Barson, a cherché à démontrer trop de choses, comme celle-ci l’a expliqué dans une interview donnée en 2009. Malgré cette critique, je soutiens qu’il faudrait encore beaucoup d’autres expositions mettant en avant cette notion de réécriture de l’histoire de l’art pour faire prendre conscience de l’hybridité et des connectivités interculturelles. Seule une pratique curatoriale qui met en évidence les articulations esthétiques plutôt que l’origine ethnique ou culturelle d’une œuvre pourrait résister à la création d’espaces d’exposition exclusifs et pourrait rendre les positions artistiques d’une manière qui reflète nos réalités contemporaines.

Les spécialistes contemporains appartenant à l’histoire de l’art ou de la culture visuelle (visual culture) de la diaspora noire, comme Kobena Mercer, Huey Copeland, Darby English ou Krista Thompson, soulignent une lecture historique et artistique qui examine l’art d’un point de vue qui n’est pas tant celui des politiques identitaires, mais qui élargit le débat à la réécriture des histoires culturelles, celles qui ne séparent pas les cultures, l’histoire, le développement occidentaux du reste du monde et mettent encore l’accent sur les distinctions et les idées que produisent les artistes noirs. Cette lecture offre également une vision de l’art comme ensemble de pratiques, ou encore, dirais-je en me fondant sur l’analyse menée par Ella Shohat et Robert Stam sur les flux de connaissances postcoloniales, se comprend comme un polylogue esthétique multidirectionnel. Ainsi, ces théoriciens proposent de se concentrer davantage sur les évolutions esthétiques plutôt que de mettre en valeur le milieu ethnique ou culturel de l’artiste-.

Tracer la Blackness

Pour en revenir à « post-black », quel est le black que l’on trouve dans post-black ? L’article de Valerie Cassel Oliver (dans le catalogue de l’exposition Black Consciousness: Black Conceptual Art since 1970) a proposé en 2003 une généalogie du discours culturel et politique intersectionnel (intersectional) sur la blackness aux États-Unis depuis les années 1960. Elle décrit la sortie des luttes des années 1960, le passage de negro à Negro, suivi d’une stratégie d’auto-identification et d’autonomisation politique, puis de l’utilisation du terme Black ou « personnes de couleur » (colored people) à la fin des années 1970, pour arriver aux années 1980 et 1990, avec des identités doubles reliées par des trait d’union (hyphenated identities), notamment « Afro-American » et plus tard « African-American ». Toute cette histoire, dit-elle, doit être considérée comme le contexte derrière l’idée de post‑black. À chacun de ces auto-identifications et de ces procédés de nomination sont attachées des stratégies politiques, culturelles et structurelles qui représentent autant de repères pour l’histoire et la lutte afro-américaine. Dans l’analyse d’Oliver, toutes ces stratégies sont encadrées par un examen et une réflexion sur l’idée de double conscience de W.E.B. Du Bois, tirée de son livre de 1903, Les Âmes du peuple noir (The Souls of Black Folk). Du Bois décrit l’état d’esprit des individus noirs, qui ont un double point de vue sur le discours racial, en étant à la fois inclus et exclus du concept de modernité. La remarque finale d’Oliver, selon laquelle « […] il y a eu, sans aucun doute, une résurrection de la blackness – une résurrection qui rejette les adages normaux de la mortalité, puisque la blackness n’existe pas comme objet physique, mais comme sensibilité », redéfinit le Noir (et par conséquent aussi le post‑black) comme appartenant à la sphère de l’expérience, en réintroduisant l’idée de Du Bois de la sensibilité spéciale, à savoir la double conscience. Dans l’argumentation d’Oliver, ceci produit une esthétique différente au sein du cadre de l’art conceptuel ; mais je crois que ce n’est pas une résurrection de la blackness qui définit le moment présent. La reconnaissance qu’il existe une diversité de Blackness et qu’il existe peut-être un espace au-delà de la dichotomie Noir-Blanc caractérise le post-black.

Le post-Black comme pratique artistique

Je soutiens également que l’esthétique post-black utilise l’héritage historique de l’oppression épistémique – à savoir un refus de la sociogenèse proposée par Fanon – et le traduit par l’utilisation de matériaux et d’images facilement accessibles afin de souligner simultanément leur fabrication. Une observation plus poussée souligne que les œuvres d’art déconstruisent l’idée de blackness jusqu’à l’inexistence, ce qui laisse deviner une forme de nihilisme. J’utilise le concept de nihilisme tel qu’il est traité chez Cornel West, lorsqu’il écrit : « Le nihilisme est à entendre ici non pas comme une doctrine philosophique selon laquelle il n’y a aucune base rationnelle pour fonder une autorité ou des normes légitimes, mais bien plutôt comme l’expérience vécue d’une vie caractérisée par une absence de sens terrifiante, une absence d’espoir, et surtout une absence d’amour » (West 2001, 14). Cornel West souligne que la communauté noire était marquée par une absence manifeste de sens, et il adjoint à sa réflexion que ce nihilisme est le résultat d’une série de violences symboliques et institutionnelles systématiques contre des individus noirs, qui va de pair avec une exclusion stratégique du système capitaliste des États-Unis.

Les artistes post-black utilisent les catégories de race et de Blackness en les déconstruisant, ce qui déplace la question de la race légèrement en dehors du centre interprétatif. Cette pratique de la déconstruction est caractérisée par une désobéissance visuelle. Le terme « désobéissance » s’inspire du concept de Walter Mignolo, la « désobéissance épistémique » contre la manière dont les concepts occidentaux de modernité produisent des pratiques et des ordres de racialisation, de genre/sexualité et appellent donc des subjectivités et des ensembles de pratiques alternatives. Je soutiens par conséquent que l’esthétique produite dans les réseaux esthétiques diasporiques peut être interprétée comme une forme de connaissance qui remet en question les idées philosophiques des Lumières sur l’être.
L’artiste Kori Newkirk, par exemple, décrit sa pratique de la manière suivante : « Nous faisons tous des œuvres qui peuvent être difficiles parfois, avec une exploration incroyable des matériaux et un ancrage solide dans l’art conceptuel. Je dirais que nous faisons tous des œuvres qui ne matraquent plus les gens avec la question de la race. C’est un conceptualisme exubérant (juicy) – un conceptualisme bling bling (ghetto fabulous) – ancré dans la réalité et dans les complexités de la vie quotidienne ». Cet argument peut être lié à l’approche de l’historien de l’art Darby English, quand il dit que : « Il n’est pas moins convaincant à l’heure actuelle de parler des “artistes noirs” comme si ceux-ci partageaient un projet. Le travail des artistes noirs qui prennent pour sujet les questions culturelles, mais chez qui la visualisation ou la représentation de la race ou de l’identité ne sont pas une fin, nous oblige à déloger la race de sa position centrale dans nos interprétations de ce travail. Plutôt, ce travail préconise de marquer un tournant en direction des exigences subjectives que font peser les artistes sur les multiples catégories qu’ils occupent. Il préconise aussi que nous accordions à cette multiplicité un droit de présence dans nos méthodologies ». Cette désobéissance et cette déconstruction sont illustrées par le travail de Mickalene Thomas : par exemple, son interprétation du Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet, dans laquelle elle a remplacé les sujets masculins du tableau par des femmes noires, tout en contestant également l’hétéro-normativité de la perception. Le regard de la femme nue – qui a fait scandale dans le monde artistique à l’époque de Manet, car il imposait le sujet féminin comme un défi au regard du spectateur (au lieu de présenter la femme comme objet soumis au regard et aux fantasmes du spectateur) – est remplacé par trois femmes Noires qui sont elles aussi habilitées à performer leur féminité. La variation qu’a effectuée Thomas provoque directement le regard du spectateur à travers la position des femmes les unes par rapport aux autres, et le fait qu’elles posent avec leurs jambes entrelacées. L’image déplace l’interprétation fondamentale de l’œuvre sur un plan homo-érotique, mais il aborde également la question de la puissance de l’érotisme comme instrument féministe, comme le décrit la philosophe Audre Lorde. À travers l’entrelacement des jambes et l’action d’offrir des fleurs, Thomas utilise également un vocabulaire visuel emprunté à la culture populaire, à savoir une esthétique des années 1970 qui fait écho à leurs couleurs intenses, et qui évoque également les personnages féminins des films de blaxploitation comme Foxi Brown (1974) ou Cleopatra Jones (1973). Cela ne veut pas dire cependant que le travail de Thomas se limite simplement à de la déconstruction ou à de l’appropriation. Elle utilise également une technique de collage qui s’inspire du Black Arts Movement, en particulier de l’artiste de Spiral Group, Romare Bearden. Une autre référence est contenue dans cette image : ce sont les motifs et les couleurs que Thomas utilise pour rappeler la photographie de Seydou Keita. Cet élément établit une relation esthétique intéressante entre la diaspora et le continent africain.

Le signifiant flottant

Ce qui paraît évident, c’est que le post-black, tel qu’il est pensé par Oliver et Golden fait partie d’une analogie temporelle qui se réfère à l’histoire de l’idée de Blackness. Oliver et Golden ne traitent pas du fait qu’il existe différents cadrages simultanés des identités Noires, ils ne se servent pas non plus, pour fonder leur pensée, des productions culturelles et artistiques de la diaspora noire qui existe à l’extérieur des Amériques et des États-Unis. Néanmoins, la troisième exposition Flow était marquée par le terme Afropolitain parce que le Studio Museum incluait pour la première fois des artistes noirs du continent africain ; il a donc reconnu l’interconnectivité historique et contemporaine de la production culturelle dans un cadre mondial. Enfin, les œuvres d’artistes africains et diasporiques contemporains comme Julie Merethu, Chris Ofili ou Grace Indiritu ont été exposées au Studio Museum en 2008. Le terme afropolitain est aussi contesté que post-black, il vient de Taye Tuakli‑Wosurnu (aujourd’hui Tayie Selasie). « Comme tant de jeunes Africains qui travaillent et vivent dans les villes du monde entier, ceux-ci n’appartiennent à aucune géographie particulière, mais ils se sentent chez eux dans plusieurs de ces géographies. Ils (lire : nous) sont afropolitains – la nouvelle génération d’émigrants africains qui seront là bientôt ou ont déjà été récoltés pour un cabinet d’avocats/un laboratoire pharmaceutique/un bar de jazz près de chez vous ». L’analyse du terme par Salah Hassan dans le catalogue de Flow crée un lien important avec les théoriciens postcoloniaux comme Stuart Hall. Hassan relie le phénomène d’afropolitanisme – qui est évidemment un amalgame d’africain et de cosmopolitisme – avec l’idée de Hall de nouvelles ethnicités (New Ethnicities), que ce dernier a introduit à la fin des années 1980. Hall souligne que parmi les nouvelles représentations intersectionnelles, qui comprennent des catégories comme le genre et la sexualité, « un autre élément inscrit dans la nouvelle politique des représentations a trait à la question de l’ethnicité. […] Si le sujet noir et l’expérience noire ne sont pas fixés par la nature ou par quelque autre garantie essentielle, alors ce doit être parce qu’ils sont construits historiquement, culturellement, politiquement – et le concept qui désigne [ce phénomène] est l’ethnicité […] Il me semble que, dans les différents discours et pratiques de la production culturelle noire, nous commençons à voir précisément ce genre de nouvelles conceptions de l’ethnicité : une nouvelle politique culturelle qui engage un rapport avec la différence au lieu de la supprimer, et qui repose, en partie, sur la construction culturelle de nouvelles identités ethniques ».
Même si je suis d’accord avec Hassan pour dire que l’afropolitanisme peut être rapporté au cadre théorique de Hall, je vois un danger dans l’alignement rigoureux et non justifié que suggère Hassan, puisque celui-ci ne prend pas en considération le fait que Hall parle de nouvelles ethnicités comme du résultat d’une évolution des représentations (comprenant les représentations des sexualités, du genre et de la classe sociale). Dans la théorisation de Hassan mais aussi dans les applications contemporaines du concept d’afropolitanisme, aucune de ces catégories n’est abordée de manière critique. Hall met en valeur les politiques de la représentation, toujours avec un accent sur les contre‑discours. Il me semble donc que ce courant très commercial de l’afropolitanisme (qui se situe en dehors des réflexions critiques sur les arts) est le symptôme d’un autre phénomène, qui est étroitement corrélé à une conception de soi néolibérale très spécifique – que l’on trouve aussi parfois dans le post‑black – propre à une jeune génération d’Africains, qui reproduit une hétéro‑normativité et des idées arrêtées sur le genre ancrées dans des croyances religieuses.

Okwui Enwezor, en revanche, conceptualise le terme comme un « espace entre », qui rappelle le tiers-espace (Third Space) de Homi Bhabha : « Entre les catégories de l’identité (l’ethnicité, la religion, la nation) se trouve l’espace de l’identité africaine cosmopolite. Cette identité est globale dans sa position et transnationale dans sa traversée des frontières culturelles ». Tout comme l’idée grecque classique de kosmopolitês – qui signifie « citoyen du monde » – Enwezor conteste des idées existantes comme celle d’identité culturelle, nationale ou religieuse et il met l’accent sur l’hybridité et les perspectives « afropessimistes » qui dominaient dans les années 1980 et 1990 (Gikandi 2011). Il met également en évidence la difficulté d’appliquer ce terme aux arts des artistes africains, dont l’identité africaine est constamment réifiée – ce qui, me semble-t-il, n’est pas toujours un inconvénient pour les conservateurs de certaines expositions particulières. Le philosophe politique le plus souvent cité dans ce contexte, Achille Mbembe, décrit en outre l’afropolitanisme comme « une esthétique et une poétique particulière du monde. C’est une façon d’être au monde qui refuse par principe toute forme d’identité victimaire – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas consciente de l’injustice et de la violence infligées sur le continent et sur son peuple par la loi du monde. C’est aussi une prise de position politique et culturelle sur la nation, la race et la question de la différence en général ». Mbembe souligne la diversité internationale qui existe sur le continent et inclut donc le continent africain dans une conceptualisation de l’économie globale, en lui conférant un rôle d’agent actif plutôt que d’entité monoculturelle sans cesse surdéterminée. La lecture attentive de Mbembe
et Enwezor déclenche une analogie avec le post-black qui met en évidence les similitudes entre les deux concepts. Alors pourquoi crée-t-on encore des distinctions entre l’afropolitanisme et le post-black ?

Ironiquement, un débat sur l’art contemporain africain a également eu lieu en même temps que la réintroduction de concepts comme l’art post-black. Ces débats se dégagent d’expositions de groupe comme Africa Remix, qui a débuté au musée Kunstpalast de Düsseldorf et a voyagé à Paris (Centre Pompidou) et Londres (Hayward Gallery) en 2004, ou encore l’exposition The Short Century : Independence and Liberation Movements in Africa 1945-1994, montée à Berlin (Martin Gropius Bau) et Munich (Villa Stuck) en 2001. Je dirais que si post-black signifie une vue élargie sur l’expérience Noire, alors les artistes africains doivent en faire partie. Après des expositions comme la Documenta XIII et la Triennale de Paris « Intense Proximité », une nouvelle approche curatoriale est adoptée. Une approche qui interroge les liens historiques entre anthropologie [et] histoire coloniale dans un cadre théorique sur les relations sujet/objet. La nouveauté est que les artistes africains et diasporiques sont inclus pour contribuer à l’ensemble des questions curatoriales posées. Ceci constitue un développement relativement récent (en dehors de la Documenta XI) qui était attendu depuis longtemps.

Je fais référence à ces quatre expositions, car elles illustrent le fait qu’il n’y a pas vraiment de discussion hétérogène sur la Blackness mais plutôt qu’il se produit une dichotomie qui divise le débat sur les artistes Noirs entre les artistes de la diaspora et les artistes d’Afrique (à l’exception de la Documenta XIII et la Triennale de Paris), ce qui – me semble‑t‑il – doit d’abord être lié à un besoin qui existe au cœur de la diaspora noire des États-Unis (celle-ci se définissant principalement par ses traumas et le Passage du Milieu) de maintenir son hégémonie culturelle sur les autres diasporas. Deuxièmement, cette division témoigne de la nécessité intrinsèque de reproduire les stéréotypes culturels occidentaux portant sur le continent africain, et de rejeter constamment les contre‑discours dans les arts et l’académie. Troisièmement, cette division reflète le potentiel lucratif contenu dans la reproduction de stéréotypes particuliers, ainsi que les ambitions opportunistes des conservateurs et des institutions. Derrière ces trois paradigmes se trouve une critique du marché néolibéral de l’art, marché qui visiblement n’exclut pas les artistes noirs ou les politiques de la représentation – tout comme un certain niveau de mélanine dans la peau d’une personne ne garantit pas l’immunité contre l’ambition et la réussite personnelle. Par exemple, la coopération dans ce domaine est d’une grande importance, non seulement le réseau artistique de la diaspora est une source de coopérations, mais les institutions établies ont un rôle-clé dans ce réseau mondial. Ainsi, une critique séparée des institutions et des conservateurs est rarement articulée, étant donné que « les gens ne sont pas disposés à se faire des ennemis [pourtant] nécessaires, d’autant que leur soutien sera un jour nécessaire ». Cornel West a déjà souligné la nécessité d’une critique éloquente : « La nouvelle politique culturelle de la différence conseille aux critiques et aux artistes de couleur de mettre de côté les modes de servitude mentale, de se rendre ainsi libre, à la fois d’interroger la manière dont ils sont liés par certaines conventions, et d’en tirer des leçons pour construire à partir de ces mêmes normes et modèles ». Dans le cas de la diaspora noire et des réseaux coopératifs, la critique est encore plus difficile car elle ne s’accorde pas avec la « politique noire de la solidarité » (black politics of solidarity). Il n’y a pas beaucoup de conservateurs ou d’artistes noirs qui tiennent des rôles clés, la critique est donc souvent inhibée par cette double contrainte économique et idéologique.

Qu’est-ce qui produit le terme post-black aujourd’hui ?

Après avoir exploré l’art post-black comme un concept curatorial, je vais maintenant revenir aux questions que j’ai posées au départ. Pourquoi le Post-Black apparaît-il maintenant ? L’art post-black est un nœud de concepts qui ne s’expliquent pas facilement, et le groupe de questions que j’ai posées sert de rappel d’une question posée par Stuart Hall il y a près de vingt ans dans son article important « What is This “Black” in Black Popular Culture? ». Dans son article, Hall affirme que la question « Qu’est-ce que c’est que ce “noir” dans la culture populaire noire », marque un moment temporel particulier, qu’il explore en posant une autre question : « Dans quel genre de moment sommes-nous pour poser la question de dans la culture populaire noire ? ». Hall fonde sa réflexion sur l’analyse de la culture contemporaine formulée par Cornel West dans l’article « New Cultural Politics of Difference » (1990), dans lequel West esquisse une généalogie complexe de la politique mondiale, de ses positions de sujet, de ses notions de pouvoir, en nommant les paramètres qui signifient le moment dans lequel parlent Hall et West. Compris dans ce moment – le début des années 1990 – on trouve le décentrement de l’Europe du rang de centre culturel et intellectuel (universal centre of culture) et l’accession des États-Unis au statut de puissance mondiale après la Seconde Guerre mondiale, avec sa redéfinition de la haute culture en culture mainstream, de masse et populaire. Le moment culturel englobe également le processus de décolonisation, auquel West intègre les diasporas et leur entreprise intellectuelle et culturelle de décolonisation. Ces paramètres constituent l’espace dans lequel les individus noirs doivent trouver des stratégies afin de faire partie de la production de la connaissance.
Je vais maintenant essayer d’établir un lien avec la particularité du cadre contemporain et démontrer que la critique et la revendication formulées par Stuart Hall et Cornel West devraient être réexaminées et modifiées. Les changements idéologiques et économiques à l’œuvre dans la dynamique des puissances mondiales depuis 2001, à commencer par le 11 septembre, puis avec la guerre contre le terrorisme, ont renforcé les divisions dans les régimes politiques, religieux et idéologiques. En 2008, la plus grande crise financière depuis la Grande dépression des années 1930 a coïncidé avec un changement dans la représentation du pouvoir grâce à l’élection et à l’investiture de Barack Obama comme premier président américain noir de l’histoire. Cette élection a ouvert le débat sur la notion et la situation de la race, sur le sens de la blackness à l’heure actuelle, débat qui fut accompagné par une grande désillusion des individus Noirs aux États-Unis. Dans une certaine mesure, cette évolution a forcé une crise de la politique identitaire, puisque l’élection d’Obama a remis au goût du jour les arguments sur la possibilité et le sens du pouvoir dans une perspective racialisée. Il n’est donc pas surprenant que le débat public sur le post-black semble être étroitement lié à la politique identitaire du président américain, comme par exemple pour Michael Eric Dyson, dans sa préface au livre récemment publié par Touré, Who is Afraid of Post-Blackness? « Lorsqu’il s’agit de défendre Barack contre l’accusation qu’il n’est pas assez Noir, je dis aux gens : “Eh bien, ça fait plus de quinze ans que je le connais, et ce que j’ai remarqué, c’est qu’il est fier de sa race, mais qu’elle n’englobe pas tout l’éventail de son identité. Il est enraciné dans, mais pas limité par, sa Blackness” ». Ce qui est frappant dans cet exemple, c’est qu’il y a encore une interrogation sur sa propre Blackness, qui découle d’une idée de l’essence ainsi que de la bonne performance. Obama, de son côté, répond à cette vision, dans le récit de Dyson, avec les mots suivants : « Ce frère a l’art de la formule ». Son utilisation de « frère » replace la blackness d’Obama dans le domaine de la politique noire de la solidarité et de la communauté, mais les identités d’Obama demeurent troublantes pour de nombreuses personnes.
Je dirais que le dualisme des identités Noires et Blanches qui était auparavant réservé aux débats historiques sur l’exclusion et l’oppression doit maintenant être considéré, de manière plus visible que par le passé, comme étant intimement lié aux considérations de classe, de race et de politique sexuelle. Néanmoins la « suprématie de la race blanche » (white supremacy) existe encore. Bien que n’étant plus explicitement raciale, la « ligne de la couleur » (color line) traverse encore toutes ces formes de domination. Paul Gilroy parle d’un « ordre hémisphérique de la domination raciale », tandis que Mills parle de « l’infrastructure métaphysique de la suprématie mondiale de la race blanche », notent Shohat et Stam. En outre, la guerre déclarée « contre le terrorisme » (War on Terror) – terme qui remonte à l’ex-président des États-Unis, George W. Bush – a ré-articulé, dans sa pire expression, la pratique institutionnelle du racisme contre les individus noirs, sous forme de racisme contre les musulmans (supposés). Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de racisme contre les individus noirs, mais que les cibles du racisme se sont élargies et que le langage du racisme est devenu plus sophistiqué.

La crise financière mondiale a précipité encore plus de personnes dans la précarité et a empiré les conditions de vie des minorités en Occident, ce qui a été suivi d’une remise en cause du statut de l’Occident comme leader mondial. La crise a également mis en évidence des dépendances internationales et des réseaux de pouvoir financiers cachés, dont la plupart des occidentaux n’étaient pas au courant. L’Union Européenne, par exemple, ne s’est toujours pas rétabli des bulles financières provoquées par les politiques néolibérales, qui ont, en revanche sans surprise, proclamé l’échec du multiculturalisme à peu près en même temps que la crise financière frappait l’Europe. L’idée du néolibéralisme et sa politique de la diversité avait peut-être une certaine force à l’époque de politiques comme Clinton, Schröder et Blair, mais leur politique de la diversité et leurs promesses économiques ont été brisées en 2008 et dénoncées comme creusant l’écart de la richesse. Le discours sur l’art post-black peut être considéré comme faisant partie d’un discours de classe néolibéral, où les individus qui mènent la discussion représentent la « classe moyenne américaine Noire » et où ceux qui sont en mesure de parler sont ceux qui sont au pouvoir. Le néolibéralisme, dans ce contexte, engendre également un manque de solidarité et un intérêt pour la croissance personnelle seule, qui peut également instrumentaliser la blackness. Ce sont quelques-uns des paramètres qui doivent être considérés pour penser dans son ensemble le moment où l’art post-black se profile, en plus d’événements particuliers et de changements politiques ou socio-économiques qui trouvent aussi leur expression dans l’art.

Du point de vue curatorial, Thelma Golden a pointé du doigt dans cette direction en 2001, lorsqu’elle a (ré) introduit l’idée du post-black art au Studio Museum. D’autres expositions ont également tenté de saisir ce que signifient les transferts de pouvoir évoqués plus haut. Par exemple, environ huit ans plus tard, en 2009, Hamza Walker a organisé l’exposition « Black is, Black Ain’t », inspiré du roman de Ralph Ellison L’Homme invisible, à la Renaissance Society de l’Université de Chicago. Les deux expositions doivent être contextualisées dans le cadre de la production culturelle afro-américaine puisqu’elles opèrent dans le cadre de la blackness, étayées par un discours afro-américain sur l’identité, la communauté et la lutte contre la culture suprématiste blanche (white supremacist culture). L’accent est mis sur les identités noires, africaines et les identités blanches (encore invisibles), dans ce nouvel ensemble mondial de conditions que je viens d’esquisser, ce qui fait de cette discussion un phénomène très localisé. Le fait que ces pratiques artistiques sont connectées et interdépendantes comme Thompson l’a souligné en 1993, n’est pas pris en considération. Par la suite, la localité de ce discours devra être reliée à la spécificité de la crise nationale américaine, qui a provoqué un besoin de redéfinition. Mais cette crise a aussi permis à la politique américaine d’embrasser, en surface, l’autre de l’intérieur, dans le but de créer un sentiment d’unité nationale.

Je voudrais terminer avec la remarque de Stuart Hall sur la façon dont la culture populaire doit être abordée, car je pense qu’il est important de reconsidérer sa tentative de manière heuristique et de l’appliquer à l’art et aux pratiques curatoriales post-black. Hall dit : « Toujours ces formes [de la production culturelle d’individus Noirs] sont le produit d’une synchronisation partielle, d’un engagement qui traverse les frontières culturelles, de la confluence de plusieurs traditions culturelles, des négociations entre positions dominantes et subordonnées, de stratégies souterraines de recodage et de transcodage, de significations critiques, de signifiance. Toujours ces formes sont impures, dans une certaine mesure, des hybrides d’une base vernaculaire. Ainsi, elles doivent toujours être entendues, non pas simplement comme la retrouvaille d’un dialogue perdu comportant des indices pour la production de nouvelles musiques (parce qu’il n’y a aucune manière simple de revenir à l’ancien), mais pour ce qu’elles sont – des adaptations, façonnées sur les espaces mixtes, hybrides, contradictoires de la culture populaire ». Le post-black art représente cet espace hybride, mais la question demeure de savoir si d’un côté, cet espace hybride est une question politique ou si elle réinscrit des idées de l’individualité néolibérales qui transforment le potentiel d’une différence différente au sein d’une multiplicité de multiplicités en un phénomène diffus et sans grand impact fonctionnant à grande échelle pour servir la logique du marché de l’art. Même si je suis toujours convaincue que le post-black art – en tant que forme élargie d’une politique de la représentation qui met en évidence les multiples points de vue au sein de la diaspora noire qui n’ont pas trouvé de tribune par le passé – a du potentiel, il appartient encore à l’héritage postcolonial de toutes les sociétés de réfléchir aux reproductions des multiples facettes du racisme, qui peuvent être trouvées dans tous les aspects de notre vie. De nombreuses institutions et sociétés préfèrent encore rester dans la pensée stéréotypée, plutôt que d’ouvrir un espace (également un espace de pensée) dans lequel les différentes variétés d’être au monde auraient une place et nous permettraient peut-être de penser au‑delà, ce qui incite constamment les artistes noirs à élargir le répertoire des représentations. Le post-black est un projet en cours qui a commencé bien avant la création du terme.

Traduit de l’anglais par Isabelle Montin