Archives par mot-clé : laïcité

La réislamisation de la société bengladeshi, par

La réislamisation de la société bengladeshi
L’histoire politique du Bangladesh, complexe et contradictoire, démonte tous les fantasmes entretenus aujourd’hui sur l’islam, érigé en ennemi global prenant la suite du défunt communisme. Le pays est devenu indépendant en 1971 après une guerre de libération meurtrière qui a vu sa population musulmane s’affronter au Pakistan, créé par l’ex-colonisateur anglais de l’Inde comme nation musulmane. Son gouvernement s’affirme d’abord laïc avant de décréter l’islam religion d’État et d’entamer une profonde réislamisation de la société. Aujourd’hui cette dictature militaire islamique avec à sa tête la Ligue Awami, l’ancien parti indépendantiste, a liquidé régulièrement toutes ses oppositions politiques au nom de la lutte anti-terroriste mondiale.

The Re-Islamization of Bangladeshi Society
The political history of Bangladesh, complex and contradictory, dismantles all the fantasies held today about Islam, erected as a global enemy taking over from defunct communism. The country became independent in 1971 after a deadly liberation war that saw its Muslim population clash from Pakistan, created by the British ex-colonizer of India as a Muslim nation. Its government claimed to be secular before promoting Islam as the State religion and initiating a deep re-Islamization of society. Today this Islamic military dictatorship headed by the Awami League, the former independence party, has regularly liquidated all its political oppositions in the name of the global anti-terrorist fight.

Le féminisme islamique et l’ambiguïté de l’engagement politique. « Le beau est affreux et l’affreux est beau », par

Le féminisme islamique et l’ambiguïté de l’engagement politique
« Le beau est affreux et l’affreux est beau »

L’ascension et la chute récentes de la loi islamiste en Égypte appellent une réflexion, non seulement sur le rôle social des idées féministes islamiques, mais aussi sur les raisons des changements politiques, ainsi que sur les questions d’opposition éthique et de principe. Mon approche de ce sujet ne reprend pas l’opposition habituelle entre laïc et islamique, ni la critique du libéralisme laïc, mais propose une critique de tout mouvement féministe, qu’il soit laïc ou islamique, qui s’autorise de lui-même à coopérer ou à être réduit au silence par des régimes politiques corrompus. La première partie de l’article traite de la question des relations fragiles entre les féministes et l’État plus particulièrement dans le contexte égyptien contemporain. La deuxième partie examine les ambiguïtés morales des positions du féminisme islamique.

Islamic feminism and the Equivocation of Political Engagement
“Fair is foul, and foul is fair”

The recent rise and fall of the Islamist rule in Egypt calls for reflection, not just on the role of Islamic feminist ideas in society, but also on the shifting political grounds and questions of ethical and principled opposition. The presentation of this subject does not take the approach of the usual secular/Islamist binary or a criticism of secular liberalism, but is rather focused on a critique of any feminist movement, be it secular or Islamic, that allows itself to be co-opted and silenced by corrupt political regimes. This article, in its first part, discusses the general issue of the precarious relationship between feminists and the state, especially in the modern Egyptian context, and, in its second part, looks into the moral ambiguities associated with Islamic feminism’s political stands.

1905 : quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France, par

1905 : Quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France

L’islam est souvent présenté comme la dernière religion implantée sur le territoire français. Elle aurait été de ce fait absente du paysage religieux français au moment de l’adoption de la loi sur la séparation des Églises et de l’État. Cet article entend battre en brèche ce récit et propose de montrer que la religion musulmane fut largement représentée en France, notamment à travers ses départements algériens, et que des débats eurent bien lieu dès 1905 à propos de l’application de la loi à cette religion. D’ailleurs, là où l’islam était la religion majoritaire dans les territoires de l’Empire colonial, l’État a soit opté pour la solution de l’inapplication de la loi, soit, lorsque la contrainte légale et la discipline républicaine étaient trop fortes, imaginé un régime d’exception exorbitant permettant la poursuite du contrôle de la religion musulmane.

1905: When Islam was (already) the Second Religion in France

Islam is often presented as a new religion in France. This article highlights the presence of Islam in 1905 France, notably in French Algeria, during the debates and the vote of this law. In the colonies where Islam was the dominant religion, the French colonial State decided to exclude it from the new legal framework. In Algeria, three French departments, an exception to French secularism (laïcité) was created in order to maintain state’s control of Islam.

« Doit-on réformer l’islam ? ». Brève histoire d’une injonction, par

Penser le sécularisme, par

Penser le sécularisme

Ce texte, écrit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, tente de redéfinir les notions de laïcité et de sécularisme en marge des grands récits de sécularisation. La modernité laïque n’est ni la simple séparation du politique et du religieux, ni ce qui reste lorsque la religion décline ou s’efface. Dès lors que le concept de « religion » renvoie lui-même à une construction historique qui diffère selon les espaces politiques, l’on doit affirmer que la modernité laïque est la production d’un nouveau partage entre le religieux et le politique, d’une redéfinition de ce qu’est censé être la « religion » et, avec elle, l’éthique et la politique. Le texte discute ensuite le libéralisme politique de Charles Taylor de façon critique. L’unité de la modernité politique n’est pas factuelle, c’est l’unité d’un projet moderne : elle a un but politique dont l’hégémonie se lit dans le fait que les peuples extra-européens sont perpétuellement invités à s’y mesurer. Cette analyse dessine enfin la voie d’une anthropologie du sécularisme défini comme une doctrine qui cherche à émanciper la sphère publique d’un religieux oppressif, mais aussi et surtout comme une forme de vie laïque : un ensemble d’attitudes spécifiques, un certain rapport au corps et à la souffrance ainsi qu’un modèle de subjectivité.

Thinking about secularism

The text was written at the aftermath of 9/11. It tries to redefine secularism without presupposing any narrative of the decline of religion. Secular modernity is neither the mere separation of politics and religion nor what remains after religion has withered away. Insofar that the concept of “religion” is itself a historical construction, secularism can be seen as the production of a new binary division between the secular and the religious, as a redefinition of what religion, ethics and politics are supposed to be. The text critically engages with Charles Taylor’s political liberalism. It then asserts that modernity is a hegemonic political project forcing non-European people to measure themselves to it. It eventually paves the way for an anthropology of secularism defined as both a political doctrine and a form of life – a set of attitudes, a specific relationship to the body and pain, and a mode of subjectivity.

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?, par

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?

Pour mieux analyser les implications et conséquences des événements de janvier 2015, il faut parler du regard public sur l’islam et les musulmans, ce qui renvoie à l’idée d’une scène publique sur laquelle controverses, discussions polémiques et délibérations collectives se déploient, où émergent et se constituent des problèmes publics. L’irruption de la violence politique accélère potentiellement l’institutionnalisation de politiques du soupçon et de la méfiance vis-à-vis des populations musulmanes de France en convoquant des répertoires juridico-administratifs inadaptés. Les réactions politiques françaises, en particulier le choix de répondre aux attentats par une injection de laïcité dans l’école publique, sont préoccupantes en ce qu’elles contribuent à instituer un espace public dont le « monolinguisme » nationalo-laïque menace de s’avérer délétère.

After January 7, 2015, What Is the Place for Muslim Citizens in a Liberal Secular Context?

In order to understand the stakes and consequences of the Jan 2015 events in Paris, it is important to observe how public attention on Islam and Muslims generates a certain stage and a certain construction of public issues identified with religion. The irruption of political violence accelerates the institutionalization of suspicion towards Muslim populations in France. So far, political, legal and administrative reactions attempted to inject a more rigorous laicism in the French schools and public spaces have reinforced a tendency towards a mono-linguistic national-secularist public space, which doesn’t bode well for the future.

La laïcité répressive. Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus, par et

La laïcité répressive
Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus

Cet article interroge les conditions du renversement actuel des principes libéraux et anti-discriminatoires de la laïcité en leur application répressive : un « méta-laïcisme », au sens où l’on a pu parler d’un métaracisme, avec lequel il a partie liée. Plutôt que dans les instrumentalisations tactiques hétéroclites faites du discours de la laïcité – qui sont une dimension du problème plutôt que son explication –, on interroge ce renversement à partir des conditions historico-politiques d’une constitution matérielle laïque, du développement inégal qui marque sa synthèse historique, et des effets résultants de la crise de son hégémonie. L’issue qui s’en dessine n’est pas seulement hypothétique, mais doublement hyperbolique, appelant un surcroît de luttes émancipatrices égalitaires, mais sur fond d’un non moins nécessaire surcroît de libéralisme politique pour accepter de reconnaître dans les cultures de l’Islam les ressources de forces idéologiques ayant droit de cité dans le champ des affrontements idéologico-politiques.

Repressive Laicism
Anthropology and Geopolitics of Homo Laïcus

This text deals with conditions of the present reversal of the liberal and anti-discriminatory principles of laïcité into their repressive application in the French context : a “meta-laicism”, as one speaks of a meta-racism (they are linked together by the way). I ponder such a reversal, not from the heterogeneous tactical instrumentalizations of the laic discourse (which is more an aspect of the problem than an element of its explanation), but from the historico-political conditions of a laic material constitution, from the unequal development which characterizes its historical synthesis, and from the resulting effects of the crisis of its hegemony. The outcome I suggest here is not merely hypothetical, but doubly hyperbolical : it claims an increase of egalitarian and emancipatory struggles, but on the background of an increase of political liberalism until cultures of Islam would be to recognized as resources for ideological forces having a legitimate place in the field of ideological and political confrontations.