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Mineure 99. Moyen-Orient, soulèvements transnationaux

Réinventer l’internationalisme au Moyen-Orient, par et

Réinventer l’internationalisme au Moyen-Orient
Cet article étudie de manière critique les possibilités de l’internationalisme au Moyen-Orient, dans le contexte de la profonde reconfiguration de la région au sein du capitalisme mondialisé contemporain. Il soutient que l’internationalisme d’aujourd’hui doit être ancré dans les mutations régionales du capital et du pouvoir, à savoir l’émergence d’un mode logistique de reproduction du capital et d’une structure géoéconomique de la multipolarité, dans laquelle une pluralité de puissances concurrentes et de formes de domination impériale s’efforcent de contrôler les espaces de circulation du capital. En retraçant les transformations historiques depuis le déclin de l’internationalisme tiers-mondiste et la reconfiguration des fractures politiques après la guerre froide jusqu’à la guerre actuelle, cristallisées notamment en Syrie, l’article examine les contradictions et les asynchronies qui marquent les luttes de libération dans la région aujourd’hui, en réfléchissant aux dilemmes stratégiques de la construction d’une nouvelle praxis internationaliste capable de synchroniser des soulèvements hétérogènes sans aplatir leurs singularités.

Reinventing Internationalism in the Middle East
This article critically examines the possibilities of internationalism in the Middle East, in the context of the region’s profound reconfiguration within contemporary globalised capitalism. It argues that today’s internationalism must be rooted in the regional mutations of capital and power, namely the emergence of a logistical mode of capital reproduction and the geo-economic structure of multipolarity, in which a plurality of competing powers and forms of imperial domination strive to control the spaces of capital circulation. By tracing the historical transformations and the reconfiguration of political divides after the Cold War to the current context of war, crystallised in particular in Syria, the article examines the contradictions and asynchronies that mark the liberation struggles in the region today, reflecting on the strategic dilemmas of building a new internationalist praxis capable of synchronising heterogeneous uprisings without flattening their singularities.

Le spectre de la libération nationale
Dialectique de l’héritage et de la défaite au Moyen-Orient, par

Le spectre de la libération nationale
Dialectique de l’héritage et de la défaite au Moyen‑Orient
Les mouvements de libération nationale des années 1960 et 1970 ont marqué un tournant dans la décolonisation de l’internationalisme. À une époque où le marxisme-léninisme hégémonique était de plus en plus asservi aux intérêts géopolitiques de l’Union soviétique, ces mouvements du Sud ont rompu avec Moscou et ont adopté une vision de l’internationalisme plus décentralisée, décolonisée et ancrée dans le contexte. En se créant des espaces d’autonomie politique et d’imagination révolutionnaire sans précédent, ils ont reconfiguré la grammaire même de la lutte mondiale. Pourtant, ce moment de libération nationale s’est avéré tragiquement éphémère. Cet article interroge cette conjoncture, ses potentiels non réalisés et ses trajectoires, (en particulier le tournant culturel de la gauche dans des contextes tels que l’Iran) son détachement des luttes régionales et de son propre héritage émancipateur.

The Spectre of National Liberation
The Dialectic of Legacy and Defeat in the Middle East
The national liberation movements of the 1960s and 1970s marked a turning point in the decolonisation of internationalism. At a time when hegemonic Marxism-Leninism was increasingly subservient to the geopolitical interests of the Soviet Union, these movements in the South broke with Moscow and adopted a vision of internationalism that was more decentralised, decolonised and rooted in context. By creating unprecedented spaces of political autonomy and revolutionary imagination, they reconfigured the very grammar of the global struggle. Yet, this moment of national liberation proved tragically short-lived. This article examines this conjuncture, its unfulfilled potential and its trajectories (in particular the Left’s cultural turn in contexts such as Iran), its detachment from regional struggles and its own emancipatory heritage.

Une troisième voie au Moyen-Orient
Les luttes populaires face à d’immenses défis, par

Une troisième voie au Moyen-Orient
Les luttes populaires face à d’immenses défis
Gilbert Achcar analyse la reconfiguration géopolitique mondiale marquée par une convergence néofasciste entre les États-Unis, la Russie de Poutine et l’extrême droite mondiale, redéfinissant ainsi une « nouvelle guerre froide ». Dans ce contexte, au Moyen-Orient, les États jouent sur les rivalités internationales, tandis que les mouvements populaires doivent compter sur eux-mêmes pour progresser. Achcar insiste sur l’idée d’un processus révolutionnaire de longue durée entamé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en 2011, rythmé par crises et contre-révolutions. Malgré les échecs et répressions, des dynamiques progressistes émergent, notamment au Soudan, en Turquie par le Parti démocratique des peuples (HDP) kurde, ou en Iran à travers le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Toutefois, des cloisonnements ethniques et idéologiques limitent une contagion révolutionnaire régionale. Achcar appelle à un internationalisme basé sur la démocratie et la solidarité entre les peuples, refusant autant le campisme classique que le néo-campisme anti-occidental aveugle.

A Third Bay in the Middle East
Popular Struggles face Immense Challenges
Gilbert Achcar analyses the global geopolitical reconfiguration marked by a neo-fascist convergence between the United States, Putin’s Russia and the global far right, redefining a “new Cold War”. In this context, in the Middle East, states are playing on international rivalries, while popular movements have to rely on themselves to make progress. Achcar insists on the idea of a long-term revolutionary process that began in the Middle East and North Africa in 2011, punctuated by crises and counter-revolutions. Despite setbacks and repression, progressive forces are emerging, notably in Sudan, in Turkey through the Kurdis Kurdish People’s Democratic Party, and in Iran through the “Women, Life, Freedom” movement. However, ethnic and ideological divisions are limiting regional revolutionary contagion. Achcar calls for an internationalism based on democracy and solidarity between peoples, rejecting both classic campism and blind anti-Western neo-campism.

Résonnances internationalistes de la lutte kurde
Peuple sans État, alliances sans frontières, par

Résonnances internationalistes de la lutte kurde
Peuple sans État, alliances sans frontières
Cet article propose une lecture du mouvement kurde contemporain au prisme d’un internationalisme ancré dans les luttes populaires, féministes et anti-impérialistes, tout en documentant la résilience d’un mouvement enraciné dans les marges mais tourné vers l’universel. Il retrace l’histoire d’une oppression transnationale – du morcellement colonial du Kurdistan aux logiques autoritaires des États postcoloniaux – et met en lumière la manière dont le PKK a articulé un projet politique transfrontalier fondé sur la solidarité entre peuples. Le rôle central de la diaspora, les alliances interethniques et l’expérience révolutionnaire du Rojava y sont analysés comme les expressions d’un internationalisme par le bas, mêlant luttes anti-impérialistes, socialistes, féministes et décoloniales. Porté en grande partie par les femmes, ce projet questionne les cadres classiques du nationalisme, du féminisme d’État et des formes d’engagement vertical, au profit d’une résistance autonome, intersectionnelle et transnationale.

Internationalist Resonances of the Kurdish Struggle
People without a State, Alliances without Borders
This article offers a reading of the contemporary Kurdish movement through the prism of an internationalism rooted in popular, feminist and anti-imperialist struggles, while documenting the resilience of a movement rooted in the margins but turned towards the universal. It traces the history of transnational oppression—from the colonial fragmentation of Kurdistan to the authoritarian logics of post-colonial states—and highlights the way in which the PKK has articulated a cross-border political project based on solidarity between peoples. The central role of the diaspora, the inter-ethnic alliances and the revolutionary experience of Rojava are analysed as expressions of an internationalism from below, combining anti-imperialist, socialist, feminist and decolonial struggles. Led largely by women, this project questions the classic frameworks of nationalism, state feminism and vertical forms of commitment, in favour of an autonomous, intersectional and transnational resistance.

Syrie – Luttes populaires et projet autogestionnaire
Revendiquer « notre » révolution, par

Syrie – Luttes populaires et projets autogestionnaires
Revendiquer « notre » révolution
Ce texte revient sur un aspect invisible de la révolution syrienne, en mettant l’accent sur les luttes populaires et les expériences d’autogestion. Au lendemain de la chute d’Assad en 2024, les médias mondiaux ont donné crédit à Abu Mohammad al-Jolani en ignorant le soulèvement mené par les Syriens qui réclament depuis longtemps liberté et dignité. Critiquant la réduction de la révolution syrienne à une rhétorique de guerre par procuration ou à un jeu d’échecs géopolitiques, cet article met l’accent sur l’échec des discours anti-impérialistes contemporains et met en lumière l’organisation révolutionnaire des conseils locaux inspirés par les idées d’Omar Aziz autour de l’autonomie décentralisée. De Raqqa à Idlib, les Syriens ont reconstruit la vie civique au milieu des destructions, en créant des structures alternatives pour l’éducation, les soins et les médias. Les femmes ont joué un rôle essentiel dans la résistance à l’autoritarisme et au fondamentalisme. Cet article soutient que le véritable changement révolutionnaire ne vient pas d’en haut, mais des actions collectives d’en bas, et qu’il est essentiel de les reconnaître pour décoloniser la façon dont nous comprenons les luttes dans le Sud global.

Syria—Popular Struggles and Self-Management Projects
Claiming “our” Revolution
This article looks at an invisible aspect of the Syrian revolution, focusing on popular struggles and experiments in self-management. In the aftermath of Assad’s fall in 2024, the world media gave credit to Abu Mohammad al-Jolani while ignoring the uprising led by Syrians who had long been demanding freedom and dignity. Criticising the reduction of the Syrian revolution to the rhetoric of a proxy war or a game of geopolitical chess, this article focuses on the failure of contemporary anti-imperialist rhetoric and highlights the revolutionary organisation of local councils inspired by Omar Aziz’s ideas of decentralised autonomy. From Raqqa to Idlib, Syrians have rebuilt civic life in the midst of destruction, creating alternative structures for education, healthcare and the media. Women have played a key role in resisting authoritarianism and fundamentalism. This article argues that real revolutionary change does not come from above, but from collective action from below, and that recognising these is essential to decolonising the way we understand struggles in the global South.

Turquie – La convergence des oppositions dépassera-t-elle le nationalisme ?
Et l’eau finit par creuser la roche…, par

Turquie – La convergence des oppositions dépassera-t-elle le nationalisme ?
Et l’eau finit par creuser la roche…
Le 19 mars 2025, l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et opposant politique, a déclenché une vague de contestation en Turquie. Son incarcération est perçue comme une tentative d’étouffer l’alliance naissante entre le CHP, parti d’opposition, et le mouvement kurde. Ceci s’inscrit dans une stratégie de répression étatique renforcée, malgré une apparente ouverture vers un processus de paix avec le PKK, récemment annoncé par Abdullah Öcalan. Le pouvoir oscille entre discours d’apaisement et violences accrues. Pourtant, cette répression a favorisé l’émergence d’alliances inédites entre mouvements féministes, kurdes, arméniens, LGBT+, écologistes, etc. Ces convergences sociales structurent une opposition plurielle, ancrée dans les luttes et difficile à étouffer. L’expérience de Gezi reste une matrice symbolique de ces résistances. Le gouvernement, inquiet de cette dynamique ascendante, tente de la contenir sans y parvenir pleinement.

Turkey—Will the Convergence of Oppositions go Beyond Nationalism?
And the Water Ends up Digging the Rock…
On 19 March 2025, the arrest of Ekrem İmamoğlu, mayor of Istanbul and political opponent, triggered a wave of protest in Turkey. His imprisonment is seen as an attempt to stifle the nascent alliance between the CHP, the opposition party, and the Kurdish movement. This is part of a strategy of increased state repression, despite an apparent opening towards a peace process with the PKK, recently announced by Abdullah Öcalan. The authorities oscillate between talk of appeasement and increased violence. Yet this repression has encouraged the emergence of unprecedented alliances between feminist, Kurdish, Armenian, LGBT+ and environmental movements. These social convergences structure a plural opposition, rooted in the struggles and difficult to quell. The Gezi experience remains a symbolic matrix for this resistance. The government, worried about this rising momentum, is trying to contain it without fully succeeding.

Antisionisme de gauche en Israël
Une résistance méconnue, par

Antisionisme de gauche en Israël
Une résistance méconnue
Ofer Cassif retrace ici l’histoire et l’évolution de la gauche antisioniste en Israël, soulignant la distinction entre les courants sionistes de gauche et les courants socialistes et communistes opposés au projet sioniste. Il explique comment, dès les années 1920, certains immigrés juifs, initialement engagés dans le sionisme, ont pris conscience des contradictions entre leurs idéaux internationalistes et la réalité nationaliste du sionisme, menant à la création de mouvements communistes. Aujourd’hui, ces forces continuent d’exister et leur nombre s’accroît, notamment parmi les jeunes refusant de servir dans l’armée. La coopération entre Israéliens antisionistes et Palestiniens reste un élément-clé, même si elle est entravée par le climat politique et les divisions au sein des mouvements progressistes régionaux. Cassif dénonce avec force la dérive fasciste du gouvernement israélien, tout en appelant à un engagement transnationaliste pour la justice et la solidarité entre les Palestiniens et Israéliens.

Left-wing Anti-Zionism in Israel
A Little-Known Resistance
Ofer Cassif traces the history and development of the anti-Zionist left in Israel, highlighting the distinction between left-wing Zionist currents and the socialist and communist currents opposed to the Zionist project. He explains how, from the 1920s onwards, certain Jewish immigrants, initially committed to Zionism, became aware of the contradictions between their internationalist ideals and the nationalist reality of Zionism, leading to the creation of communist movements. Today, these forces continue to exist and their numbers are growing, particularly among young people refusing to serve in the army. Cooperation between anti-Zionist Israelis and Palestinians remains a key element, even if it is hampered by the political climate and divisions within progressive regional movements. Cassif forcefully denounces the fascist drift of the Israeli government, while calling for a transnationalist commitment to justice and solidarity between Palestinians and Israelis.

Palestine, un nouveau Vietnam
L’indivisibilité de la justice, par

Palestine, un nouveau Vietnam
L’indivisibilité de la justice
Dans cet entretien, Rabab Abdulhadi présente la Palestine comme une cause éminemment internationaliste. Elle dénonce le projet colonial israélien visant à effacer le peuple palestinien par divers moyens (génocide, destruction culturelle, déplacement). Pourtant, la résistance palestinienne persiste, soutenue par une solidarité mondiale croissante. Une résurgence de solidarité internationale émerge, s’inscrivant dans la continuité historique des luttes anticoloniales et antiracistes. De nombreux mouvements sociaux reconnaissent désormais l’interconnexion entre leurs combats et celui des Palestiniens. L’auteur défend l’idée que toutes ces luttes relèvent d’une même exigence de justice indivisible, faisant de la Palestine uns cause transversale.

Palestine, a New Vietnam
The Indivisibility of Justice
In this interview, Rabab Abdulhadi presents Palestine as an eminently internationalist cause. She denounces the Israeli colonial project aimed at erasing the Palestinian people by various means (genocide, cultural destruction, displacement). Yet Palestinian resistance persists, supported by growing global solidarity. A resurgence of international solidarity is emerging, in line with the historical continuity of anti-colonial and anti-racist struggles. Many social movements now recognise the interconnection between their struggles and those of the Palestinians. The author defends the idea that all these struggles stem from the same demand for indivisible justice, making Palestine a cross-cutting cause.

Multitudes en images

Entretien avec Gaëtane Lamarche-VadelDe Téhéran et d’Ivry
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