A l’occasion de la sortie du dernier ouvrage d’Alain Bertho[[La crise de la politique. Du désarroi militant à la politique de la ville, L’Harmattan, Paris 1996., qui dresse une vaste analyse de la crise politique actuelle en partant de l’exemple de la ville de Saint-Denis, Futur antérieur a demandé à l’auteur de discuter des problèmes de la démocratie locale avec l’un des rédacteurs. Suite à un premier échange, il a semblé préférable d’aborder le sujet en insistant sur les contrastes qui séparent des approches se recoupant par ailleurs sur de nombreux plans. D’où ce dialogue en trois temps, où les thèses défendues par les auteurs ont été conçues comme des invites à un débat plus large.
Quelle pertinence de l’objet local ?
Alain Bertho : La pertinence de l’objet local doit-elle s’exprimer en terme institutionnel, politique ou social ? Nous vivons un paradoxe : dans les sociétés urbaines, la pertinence de la démocratie locale comme vecteur d’un développement social différent a été rarement aussi évidente que dans les municipalités ouvrières d’une république centralisée. Avec le communisme municipal, l’unité de vie et de travail mobilisée localement dans une posture polémique avec l’ordre social a débordé le cadre institutionnel.
Le souci étatique de l’objet local et la revendication d’un espace public local institutionnalisé émerge dans la France urbaine des années 1970 alors même qu’on assiste au découplage des espaces d’habitat et de travail et à une mobilité importante de la population. L’origine du thème de l’objet local comme composition opératoire de la totalité sociale est plus à chercher du côté des difficultés prescriptives de l’Etat national que du côté d’une politisation populaire locale qui se dégrade dès les années 70. C’est le choc de la violence urbaine qui, au début des années 80, a accéléré les choses. La démocratie locale qui est prônée et organisée depuis, notamment dans le cadre de la décentralisation et de la politique de la ville, est plus animée d’un souci gestionnaire que du souci de développer un espace public spécifique.
Comme le montrent (et l’approuvent) Jacques Donzelot et Philippe Estèbe dans l’Etat animateur, l’espace local est celui de la recherche et de l’organisation du consensus. Ils prônent ainsi, en s’appuyant sur l’expérience de la politique de la ville et le constat de ce qu’ils nomment la « non force sociale », le passage d’une démocratie délibérative (de débat et de décision) à une démocratie « d’implication ». Mais l’institution ne peut pallier l’activité politique défaillante. Le face à face du pouvoir local et des réseaux associatifs produit plus de clientélisme et de lobbying que de politisation.
J’ajouterai une inquiétude supplémentaire, celle de l’enferment des enjeux dans l’espace local pour les « gens d’ici », sans (ou contre) les « gens d’ailleurs ». Le localisme alimente aujourd’hui trop souvent une logique d’exclusion, que ce soit en terme de recherche « d’équilibre social » local ou en terme de rejet brutal des populations les plus pauvres, pour qu’on s’interroge sur sa capacité à fonctionner comme un espace public de rationalisation et d’universalisation des débats.
Il me semble significatif que les théoriciens que tu interpelles dans ta thèse sur la démocratie[[De Weber à Habermas : les dilemmes de la démocratie, à paraître aux éditions La Découverte, Paris 1997. ne posent jamais la question de l’échelle pertinente, notamment de l’échelle locale. La question est soit complètement déterritorialisée, soit naturellement calée sur l’espace de la nation…
Yves Sintomer : A l’évidence, ce n’est pas sur l’échelle locale que des problèmes cruciaux comme le chômage et la « crise économique » pourront trouver une solution véritable, qui requiert un cadre qui dépasse aujourd’hui les frontières de l’Etat-nation. Cela ne veut pourtant pas dire que le local soit dénué de pertinence pour le traitement de problèmes plus « modestes », tels que l’urbanisme et le cadre de vie journalier, la coexistence des individus et des groupes sur leur lieu d’habitat, l’animation culturelle et les loisirs de proximité… Ces « petites » questions comptent énormément dans la vie quotidienne ; au-delà, elles sont décisives pour donner une forme sociale, territoriale et culturelle à une (sous-) communauté locale. De tels thèmes peuvent être cantonnés à des discussions relevant d’un pur « esprit de clocher », mais cela n’est en rien inévitable. Ils peuvent au contraire constituer un point de départ (ou un point d’ancrage) pour une problématisation plus globale des rapports sociaux. Affronter ces questions « locales » constitue l’un des grands vecteurs de politisation dans les sociétés contemporaines, aux côtés des problèmes rencontrés dans le monde du travail et des formes plus « idéologiques » de politisation -un vecteur particulièrement important pour les couches dominées, parce qu’issu de l’expérience quotidienne.
Plus largement, dès lors que les problèmes « locaux » ne sont pas affrontés dans une perspective trop étriquée, ils constituent un lieu majeur d’apprentissage de la démocratie, du moins si l’on conçoit celle-ci dans une problématique de maximisation de l’initiative citoyenne. Comment concevoir que les citoyen(ne)s « ordinaires » puissent revendiquer la gestion collective des affaires de la cité au niveau national ou au niveau européen s’ils ne s’exercent pas dans la gestion de choses plus « simples », où il est plus aisé de voir le bout de ses actes et de cerner les responsabilités individuelles et collectives ? Il y aurait danger à idéaliser un modèle « républicain » (ou « léniniste ») dans lequel la forte politisation idéologique tend à se coupler avec une délégation tout aussi forte des responsabilités politiques à des élites étatiques ou partidaires -dans une dynamique au bout du compte fort peu démocratique. Les municipalités ouvrières d’une république centralisée ont sans doute favorisé l’organisation et le poids politiques des couches dominées (ou d’une partie de celles-ci, les femmes étant par exemple cantonnées au second rang dans ce dispositif), mais il n’est pas sûr qu’elles l’aient fait dans une dynamique démocratique…
Quelle représentation ?
Yves Sintomer : Nous vivons actuellement la confluence de deux crises : celle d’un modèle de démocratie représentative où l’écart entre gouvernants et gouvernés était censé être réduit par les structures partidaires -notamment celles du mouvement ouvrier- et leur incarnation territoriale dans le pouvoir municipal ; celle d’un paradigme qui faisait de la classe ouvrière une classe universelle luttant pour l’intérêt général à travers la défense de ses intérêts particuliers. Pour le meilleur et pour le pire, ces deux modèles avaient jusqu’à un certain point donné une clef de voûte idéologique à la façon dont fonctionnaient « réellement » les institutions et la société.
Aujourd’hui, ce n’est pas parce que les mouvements sociaux se font souvent porteurs de revendications « transversales » aux classes sociales (les questions écologistes en étant le paradigme) et qu’ils les formulent de plus en plus fréquemment en termes de droits qu’il conviendrait de suspendre l’analyse sociologique de leur base sociale. Le soupçon critique est d’autant plus de rigueur que les mouvements entendent parler dans un langage « universaliste ». C’est encore plus vrai des structures de pouvoir local qui entonnent (souvent avec sincérité) l’hymne de l’intérêt général ; pour ne prendre qu’un exemple, celui-ci comprend fréquemment dans les (anciennes) « villes ouvrières » un couplet sur la mixité sociale. Or, si les villes populaires ont effectivement intérêt à maintenir une certaine diversité sociale, celle-ci n’est pas une fin en soi ; plus exactement, elle ne peut constituer qu’un objectif subordonné dans la visée d’une justice sociale qui doit prioritairement prendre en compte les revendications et les intérêts des plus mal lotis, pour parler comme Rawls, ou des couches les plus dominées, pour employer un vocabulaire marxisant. Il serait vain de vouloir nier les conflits d’intérêts entre les diverses fractions des couches populaires ou les différences qui opposent leur manière d’être au monde, leur «habitus ». Cela ne revient pas à dire que ces oppositions ou ces différences seraient insurmontables, mais il faut reconnaître la réalité des conflits et laisser jouer leur dynamique.
Cela vaut particulièrement lorsque des différences culturelles viennent s’articuler aux différences sociales. Le modèle de la « ville rouge » supposait qu’une certaine symbiose existait entre les couches ouvrières et leur dirigeants, fondée sur des liens de sociabilité quotidienne, une culture largement commune, etc. Or, à l’heure actuelle, une fraction décisive des couches populaires des grandes agglomérations, celle qui est issue de l’immigration en provenance de pays hors CEE, n’est pas unie de la même manière aux dirigeants municipaux de gauche. Elle est en but à un racisme quotidien et diffus. Il est d’autant plus urgent de reconnaître le droit des diverses communautés à une égale reconnaissance dans le cadre des institutions démocratiques. Si ce droit n’équivaut pas une fragmentation «communautariste » de la citoyenneté, il implique pourtant que les différences culturelles d’individus et de groupes politiquement égaux puissent s’exprimer sur la place publique (par exemple à travers la construction de mosquées dans les villes où vivent de nombreux musulmans -et où, bien souvent, des maires de gauche opposent des obstacles procéduriers à cette perspective). Si les conceptions traditionalistes ou ethniques des communautés doivent être combattues, ce n’est pas par des moyens administratifs ou en prétendant homogénéiser les comportements dans un « moule français » largement fantasmatique. Le propre de la politique démocratique n’est pas de nier les différences sociales et culturelles mais de les problématiser, de les faire évoluer et de pousser à ce qu’elles s’expriment en termes de droits.
Alain Bertho : Pour moi, nous vivons la fin d’une séquence historique, celle de la combinaison lutte des classes/unité de la république. L’épuisement de la classe ouvrière comme figure poli tique de la contradiction et des conflits est lourde de conséquence.
De quoi s’agissait-il ? De l’affirmation d’une différence antagoniste qui portait en elle son propre dépassement. La ségrégation sociale, notamment spatiale, n’a pas été porteuse d’un enfermement. A travers le mouvement ouvrier français, notamment le communisme, la classe a revendiqué son intégration à la nation, l’accès à la normalité. Mais cette normalité était normative. Fixée sur un horizon utopique, la classe a assuré son intégration sociale et politique ici et maintenant en imprimant sa marque à la nation et à l’Etat.
Aujourd’hui, si des contradiction de classes, de logiques de classes interviennent de façon décisives dans tous les domaines du développement social, aucun groupe social identifié ne peut se poser comme le porteur de la libération commune. Les affirmations identitaires normatives se font maintenant sur des bases régressives. Elles sont exclusives des différences et non porteuses de leur dépassement. On coure donc un grave danger à ne pas faire le deuil des classes comme groupes sociaux. Car à chercher désespérément dans la différenciation sociale ou culturelle les bases d’une dynamique politique, en s’obstinant, dirait-on, à « sociologiser » la politique, on ne peut déboucher que sur des solutions de gestion institutionnelles des différences. Cette pente conduit immanquablement à des formes de communautarisme qui mettent en péril l’unité du droit et l’universalité abstraite de la citoyenneté. Le mot d’ordre de l’ANC dans l’Afrique du sud de l’apartheid n’était pas « un noir égale un blanc », mais « un homme une voix ».
Ce point est essentiel. Le droit démocratique ne peut légiférer sur des questions ou des groupes de circonstance. La question de la représentation de tous n’est pas une question d’adaptation de l’Etat aux différences sociales, mais de l’instauration des droits et d’attributs de citoyenneté égaux pour tous, abstraction faite de toute autre chose. Le reste n’est que question de mobilisation politique : il n’intéresse l’Etat qu’en ce qu’il est appelé à répondre à des exigences de droits. Or, des mobilisations sectorielles, voire communautaires aujourd’hui (mais la communauté sociale et culturelle ne doit pas être assimilée au communautarisme institutionnel), peuvent être porteuses de revendication universalisables : c’est le cas d’une bonne part du féminisme, de l’action d’Act-up, des revendication de mouvement de chômeurs ou du mouvement des sans papiers par exemple. Ce qui manque est moins le cadre institutionnel de leur «représentation » que l’espace politique de leur expression et de leur rassemblement.
La désaffection pour l’espace public institutionnel que signale par exemple l’abstention n’est pas une question d’échelle géographique : l’absentéisme est encore plus fort dans les élections locales que dans les élections nationales. C’est une désaffection pour les formes d’universalisation dont est aujourd’hui porteur un champ politique largement nécrosé par la logique du pouvoir d’État et qui néglige pour une bonne part la multitude des mobilisations sectorielles par lesquelles les individus et les collectifs se confrontent aujourd’hui au systèmes de normes juridiques, marchandes ou culturelles, à l’échelle du pays ou à l’échelle du monde. La politique vécue déborde l’espace public officiel et trouve difficilement les voies de sa redéfinition sinon de sa subversion. Aucune créativité purement institutionnelle ne palliera à cet enjeu politique majeur.
Quelles institutions ?
Alain Bertho : L’organisation contemporaine de la démocratie locale ne se résume pas à la mise en oeuvre, et à la mise en vie, de la décentralisation. Paradoxalement la décentralisation a contribué à intégrer les collectivités locales, et singulièrement les communes, dans l’Etat : leur mode de gestion est moins contrastée, leur capacité d’affirmation politique contradictoire aussi. Mais cette avancée de fait de l’Etat ne s’est pas accompagnée, au contraire, d’une avancée du droit. La temtorialisation des nouvelles politiques sociales et éducatives, généralement regroupée sous le terme générique de politique de la ville et l’instauration de pseudo rapports contractuels entre les différentes entités étatiques (État, région, département, communes…) contribuent à la remise en cause de l’unité juridique du pays. Le service public de l’Éducation Nationale n’est plus officiellement le même d’un côté et d’une autre d’une rue. Il en est de même des espaces locaux de concertation, de la politique de l’emploi, de la fiscalité des entreprises. La France a connu depuis une quinzaine d’année une accumulation de mesures à vocation locale, temporaires, « expérimentales », différentialistes au nom de la discrimination positive. L’espace du local tend à se réduire à la composition locale originale des différentes mesures proposées par l’Etat national : il n’est plus politique mais technique.
La démocratie n’est pas qu’une affaire d’institution mais aussi de tension entre l’espace public garanti par l’institution et la force des activités et des débats politiques qui s’y développent, entre le droit et la polémique sociale. Si l’un fait défaut, l’autre s’en ressent. Lorsque l’Etat passe du dépassement du conflit à la réduction du désordre, il privilégie la puissance sur le droit. La recherche du consensus, voire de la communion, réduit l’espace démocratique.
Il est assez signifcatif que les collectivités locales qui aujourd’hui s’affirment dans un énoncé politique clair et tranché le font sur la base d’une exacerbation de l’ordre communautaire et consensuel local : c’est le fait de municipalités Front National ou idéologiquement proches (comme la mairie de Nice). Quand une réglementation locale, qui peut-être légitimée par un référendum local, réinstaure le caractère délictueux de la mendicité qui a été retiré du code pénal en 1993, on est dans cette logique. Dans une société en crise profonde, l’affirmation du caractère local des réponses et de la restauration d’un ordre débouche immanquablement sur l’expulsion des « indésirables »… Émietter l’espace public, quand l’ampleur des enjeux de développement humain appelle au contraire de desserrer les limites nationales de la citoyenneté, est lourd de dangers régressifs…
Yves Sintomer : En France, le mouvement de décentralisation s’est développé dans une conjoncture régressive, marquée notamment par l’accentuation de la crise socio-économique et le recul de la politisation ; il a de plus été instrumentalisé par les différents gouvernements pour désamorcer la tension sociale et diluer les responsabilités. Cependant, la décentralisation est aussi le fruit d’autres demandes, et nombres de mouvements sociaux ont poussé dans ce sens au cours des années 70. D’ailleurs, une vue non hexagonale permet de comprendre que décentralisation et dépolitisation ne sont pas nécessairement liées (la recentralisation opérée par Thatcher est à cet égard éloquente). Certes, la dévolution de pouvoirs d’un monarque républicain aux potentats locaux que sont les maires ne s’est pas mécaniquement traduite par un regain de démocratie locale, mais cela est davantage lié aux particularités du système institutionnel français qu’à des raisons inhérentes à tout processus de décentralisation. Si l’on pense, pour les raisons évoquées plus haut, que l’objet local a une pertinence certaine pour la démocratie, la décentralisation doit dans son principe être considérée comme un point d’appui. Elle implique cependant un risque, clair au regard du cas américain celui de renforcer les inégalités et la ségrégation socio-spatiales par effet de clôture des collectivités peuplées par les couches « supérieures ». Ce risque peut être combattu par des mécanismes reposant sur une péréquation des ressources des collectivités locales (mécanismes qui existent déjà mais portent sur des sommes peu significatives, à l’inverse de ce qui se passe entre Länder allemands), par des mesures législatives (pénalisant par exemple les villes qui feraient un effort insuffisant en termes de logement social) et par le principe fédéraliste qui veut que le recours à l’instance supérieure soit toujours possible. Quant aux dérives racistes ou autoritaires, il serait illusoire de croire que l’Etat central en est miraculeusement indemne…
Le principe d’une certaine contractualisation entre Etat et collectivités locales doit nécessairement accompagner la décentralisation, et la politique de la ville incluait au départ certains éléments positifs (comme ceux qui allaient dans le sens d’une affirmative action à la française). Cependant, elle s’est presque essentiellement réduite à une gestion instrumentale destinée à atténuer administrativement la « question sociale », non à favoriser le développement d’un espace public politique. Le drapeau du consensus qui a été brandi bien haut par ses «intellectuels-experts » tend de façon inhérente à masquer les oppositions sociales ou politiques et à transformer la politique en administration (la « politique » de la ville est une public policy et non une politics, pour employer une distinction qui n’existe pas explicitement en français). Elle a par surcroît accompagné un transfert de charge de l’Etat aux collectivité locales, ce qui a contribué à réduire la marge de manoeuvre réelle de ces dernières en l’absence d’un transfert de ressources équivalent.
La voie d’un développement de la démocratie locale passe par d’autres chemins. Un espace public fort implique indissolublement le développement de débats argumentés (ce qui ne présuppose pas un objectif consensuel) et celui de la conflictualité (qui ouvre l’espace des possibles et joue sur les identités d’individus et de groupes qui ne s’engagent jamais sur une base purement argumentative). Il suppose aussi un cadre institutionnel qui favorise ce développement et limite l’effet « censitaire » propre à la démocratie représentative, qui tend à cantonner les couches dominées dans la passivité. Référendums d’initiative populaire, conseils de quartiers avec droit de veto suspensif, désignation des conseillers par tirage au sort, voire réunions de l’ensemble des citoyen(ne)s lorsque les collectivités ne dépassent pas une certaine taille (ce qui est le cas dans bien des communes rurales)… Les voies institutionnelles à explorer sont multiples pour contribuer à jeter à bas les cloisons qui séparent la politique institutionnelle des simples citoyens.
La question du rapport à l’Etat -à cet Etat, largement bureaucratique et structurant une société profondément inégalitaire- n’en sera pas résolue pour autant. D’un côté, les perspectives qui vont du refus principiel de la « cogestion » à la métaphore du « siège » des institutions par la société civile s’appuient trop souvent sur une dichotomie simple entre société (ou mouvement ouvrier) et Etat, qui idéalise le premier terme et décharge les acteurs sociaux de toute tâche propositionnelle. De l’autre, les dispositifs qui poussent les acteurs sociaux à participer consensuellement à la gestion et à se transformer en échelons subalternes de l’institution tendent à étatiser plus ou moins complètement l’activité politique (bien des maires, toutes tendances politiques confondues, n’ont pas eu besoin des théorisations de Donzelot pour aller dans ce sens). Le rapport au pouvoir étatique, dans nos sociétés, ne saurait être simple. Il implique une tension sans cesse renouvelée entre l’autonomie des acteurs sociaux d’une part, la tentative de démocratiser le pouvoir politique et de réduire le poids de la bureaucratie administrative d’autre part. La tentative de favoriser à chaque niveau territorial l’éclosion de contre-pouvoirs plus ou moins formalisés et accessibles à ces acteurs pourrait constituer à cet égard une expérience intéressante, mais ne saurait constituer une voie royale.