L’Espagne a voté. Ceux qui se sont déplacés ont, de façon écrasante, dit oui au TCE.
Les refus de ratification de la première Constitution qui donnera une personnalité juridique à l’Union Européenne et signifiera au monde enfin que le vieux continent ne s’est pas uni seulement pour faire des affaires, et constituer une zone de prospérité à l’abri, est ultra minoritaire (17 % des suffrages exprimés). A y regarder de plus près, dans les deux provinces les deux plus développés d’Espagne, la Catalogne et le Pays Basque, le non est nettement plus vigoureux, comme il risque de l’être en France. Séparatisme au-delà des Pyrénées, souverainisme, nostalgie du gaullisme en deçà qui touche désormais la Gauche ( la droite de l’appel de Cochin du Président Jacques Chirac de 1976 a mangé son chapeau depuis longtemps ; espérons que nos Fabius n’attendront pas une vingtaine d’avis avant de se rendre compte de leur bévue). Comptabiliser les abstentions record dans le camp du non serait absurde, car l’absence de risque d’une victoire du non a plutôt démobilisé les partisans de la Constitution.
Chez nous, où la perspective d’un oui d’extrême justesse ne saurait être écartée, le non est déchaîné, actif, virulent, avec cette mauvaise foi magnifique qui a l’énergie du désespoir. Plus proche de ceux qui se rangent instinctivement du côté des mouvements sociaux, du dynamisme dans un pays qui sentir le moisi et un type de réaction inimitable, que des partisans de l’ordre, je me retrouve confronté partout à une opiniâtreté agaçant qui constitue autant de défis à relever. Il faut se battre partout au sein de la gauche pour expliquer un texte qu’une majorité n’ont pas lu, et que, comme dans un pays de tradition catholique ( et pas protestant) l’on commente en s’appuyant sur les autorités diverses, citant à charge des extraits et avec souvent d’allègres contresens.
Le problème profond est que le oui au TCE est singulièrement atone . Pire, il est dans la plupart des cas, sans enthousiasme, sans projet, sans élan. De raison. Comme un mariage du même nom. Nos partisans du traité de Constitution, politiques de gauche, comme de droite, du centre (je laisse de côté ici les subalternes du Front national cette fois-ci concurrencé par tant de souverainistes que leur spécificité devient inaudible ) développent parcimonieusement l’idée que le oui est la seule solution, appliquant le cynisme désabusé et viscéralement conservateur à la Churchill. Ils en viennent à lâcher presque dédaigneusement in petto, en s’excusant presque auprès des électeurs, que ce Traité constitutionnel est le moins mauvais possible, comme la « démocratie parlementaire représentative ».
On se doute qu’avec de tels amis, le TCE n’a pas besoin d’ennemi. Que la « crise du politique » et que le vague à l’âme de la « démocratie parlementaire nationale » ne quitteront pas la scène. Ne devrait-on pas penser plutôt que la crise des démocraties européennes (atonie de participation, disparition de medias diversifiés devant une centralisation et uniformisation consternante, crise de « proximité ») pourrait à voir avec le lent effacement des Etats Nation, du département et la montée en puissance des régions de plus en plus autonomes et de l’Union Européenne comme niveaux réels et nouveaux du pouvoir, comme jadis l’émergence des cités et du pouvoir de l’Etat monarchiste ont marqué l’ascension de l’histoire moderne. Ni que la seule antidote au dégoût de la politique puisse se trouver dans la mobilisation des esprits, d’une nouvelle culture autour de l’accélération de la construction politique européenne.
Mais revenons justement à la Constitution européenne. Le projet de traité Constitutionnel a été élaboré par les Conventionnels (largement élus et comprenant même des représentants des pays non encore membres) dans des conditions d’une difficulté inouïe.Pas d’élan révolutionnaire comme une bonne petit libération nationale ou coloniale, pas d’aristocrate à la lanterne, toutes choses qui aident bien la convocation de Constituante et les prises de décisions radicales. Voilà pour ceux qui continuent de rêver de la Convention de Philadelphie ou d’une Constituante de 1790 où l’hydre néolibérale se laisserait enfermer dans le rôle de Louis XVI en attendant qu’une fuite à Varennes (outre Atlantique aujourd’hui ? ) permette de lui couper la tête. Après la débâcle historique que vient de prendre et continue de prendre ce qui se nomma socialisme réel, disqualifiant pour longtemps le nom même du communisme, après le triomphe insolent du marché avec ses pitoyables excès, de telles rêveries relèvent plus d’un bonne pièce comique (Molière où es-tu ?) que d’un savant raisonnement.
D’autre part, puisque l’Europe n’est pas un processus dans lequel les Etats sont destitués au profit d’une nouvelle entité politique née brutalement, mais qu’ils amorcent à leur rythme (avec de grands ménagements pour de vénérables vieillards) un abandon de souveraineté progressif (et heureusement inexorable, même s’il ne faut pas le leur faire perdre la face en les obligeant à le reconnaître), puisque, donc, le Conseil Européen des chefs d’Etat a encore un poids très lourd, beaucoup trop lourd, malgré la montée en puissance de l’Europarlement, les Conventionnels ont dû travailler avec la redoutable épée de Damoclès au dessus de leurs têtes du veto « national » : il suffisait d’un seul non catégorique d’un seul Etat ( membre ou entrant) pour détricoter d’un seul coup leur patient échafaudage. On en a eu un petit avant-goût avec l’Espagne et la Pologne, perspective heureusement dissipée. Les Conventionnels ont choisi la voie réaliste et pas de se faire plaisir avec un projet qu’attendaient leur adversaires. Un échec de la Communauté Européenne de défense en 1954, suffit. Il a coûté trente ans à l’Europe. C’est probablement ce que nous coûtera un rejet du TCE, quoi qu’en disent les Emmanuelli, Fabius et autre Robert Hue, qui pensent que l’histoire est un dîner de gala où l’on repasse les plats sans cesse.
De plus, certains Etats nationaux étaient postés en embuscade confédéraliste devant la moindre velléité supranationale en particulier dans les domaines qui fâchent comme la politique sociale, la politique budgétaire, la politique fiscale, décidé avec le Royaume-Uni (et plus spécifiquement la vieille Angleterre, presque aussi vieille nation que la France) fermement décidé à arrêter le grignotage communautaire.
Enfin, si la novlangue des marchands et du marché est relativement simple et frustre (encore qu’elle possède des raffinements qui font les délices des cabinets d’affaire), s’entendre sur des institutions à vingt-cinq nations parlant 22 langues sans compter les langues minoritaires, faire consonner des traditions juridiques aussi profondément différentes que le droit germanique, la common law britannique, le droit romain relu par l’école des légistes français, s’entendre sur les mots, qui reflètent des structures, des traditions, des équilibres, des compromis, relèvent d’un tour de force à côté de quoi les difficultés du fédéralisme américain ( qui s’est édifiée en un siècle et demi avec l’épine dans la chair de l’esclavage à son début, puis une guerre civile ), sont des jeux d’enfants.
Pourtant malgré ses difficultés immenses, un projet est né, et très peu modifié (en général évidemment en un mauvais sens comme tout ce qui émane et émanera du confédéralisme européen ). Malgré une conjoncture morose qui pousse au repli, à la défense du précarré national, l’intention constituante et le dessein d’approfondir sans cesse davantage une union qui devient politique a été préservée. Certes les compromis ont dû être passés par les vrais européens face aux baronnies nationales et étatiques qui n’ont d’autre projet qu’un obtus « j’y suis, j’y reste » : il a fallu continuer de faire semblant de penser que les Etats Nations sont encore la pierre maîtresse de l’édifice. On a même vu le dernier des grands Pères fondateurs européen, Jacques Delors, revenir à la désastreuse formule d’une « fédération d’Etats Nations » ; formule parfait oxymore destiné à éclater un jour, formule reprise avec gourmandise par Jacques Chirac et le Conseil. Il a pour excuse d’avoir durement éprouvé le désastre frôlé de très près avec le référendum de Maastricht approuvé de justesse par la France, et d’avoir été dissuadé par l’aimable parti socialiste, chez qui il n’a pas été mieux accepté que Michel Rocard, de se présenter à la Présidence française face à Chirac.
Eh bien, malgré toutes ces embûches l’Europe est née. Et quoiqu’on pense par ailleurs de Valéry Giscard d’Estaing notamment de son confédéralisme impénitent, il faut rendre hommage à sa faculté d’avoir négocié avec les plus récalcitrantes des gouvernements nationaux, la britannique notamment.
Le miracle de la signature à Rome du TCE aurait-il pu se produire sans la détestable seconde guerre d’Irak ? On peut en douter. On ne remerciera jamais assez Donald Rumsfeld, Condolezza Rice et Georges W. Bush pour le coup de pouce qu’ils ont donné à la naissance de l’Europe politique concomitante d’un affaissement intérieur de l’Otan. Les dirigeants républicains sont notre Georges III. Sans eux le miracle d’une rupture nette de l’Allemagne avec son passé atlantiste inconditionnel et la rébellion du pays hébergeant le siège militaire de l’Otan aurait pris plusieurs années de plus et le coq gaulois aurait continué à gratter ses ergots dans le superbe isolement à la « gaulliste ». Le fossé transatlantique a été une des composantes essentielles de la poussée constituante de l’Union Européenne. Elle est l’acte II, de cet acte I qu’avait été la guerre du Kosovo, dans le dessein de Joschka Fisher, et qui se poursuivra jusqu’à l’extinction inévitable de l’Otan devenu inutile et la construction d’une force européenne de défense commune.
L’histoire avance de travers : l’immobilisme américain en Israël/Palestine, et l’équipée de Bagdad improvisée après le 11 septembre et l’Afghanistan, l’immobilisme européen en Afrique notamment en Bosnie, en Algérie, au Rwanda, au Darfour, en Tchétchénie, alors que l’Amérique latine et l’Afrique du Sud se réveillent, permettent aux vieilles nations européennes de mesurer chaque jour leur impuissance. Nul doute que l’élan constitutionnel soit pour l’instant plus nourri de la considération du désordre du monde, que d’un moteur interne vigoureux.
Mais l’Europe naît avec la Constitution. Ne boudons pas cet événement majeur, même s’il nous dicte impérativement de trouver l’élan interne centripète qui relaie et démultiplie cette poussée partout présente à l’Est comme au Sud.
Certes, les constitutionnalistes, les puristes s’arrachent les cheveux . Texte hybride puisque constitution sans Peuple référant lui préexistant, sans peuple qui se serait déclaré comme à la Convention de Philadelphie, sans Madison européen, Texte encore dépendant de la signature des Etats membres à Rome (même si la ratification « populaire » en fait tout autre chose qu’un traité de plus, comme disent ses adversaires). Constitution interminable, toute procédurière dans les politiques avec gros paquet et pâté (sa troisième partie). Texte d’une complication rebutante. On a tout dit. Que répondre à ces maîtres d’école, pour qui la mariée n’est jamais assez belle : trop néolibérale pour les uns, trop confédérale pour d’autres, trop bureaucratique ou pas assez démocratique pour d’autres ?
Mais dans une Europe dont le seul élément clairement fédéraliste est … la politique agricole commune et la politique régionale des Fonds Structurels (l’essentiel du budget), avec de véritables hystériques néolibéraux qui sortent leur revolver lorsqu’on parle d’harmonisation fiscale, sociale et d’intervention concertée de la Commission en matière de politique budgétaire, de politique industrielle, tandis que les monomaniaques souverainistes défendent qui le pré carré de la grandeur coloniale et linguistique de l’ex-Grande Nation, qui le service « à la française », comme si nos voisins du Nord n’avaient pas de services publiques, ni, c’est bien connu de politique sociale, qui l’« exception culturelle » hexagonale, le tout pour défendre de grands monopoles étatiques dont le comportement ne se différencie pas des firmes multinationales américaines, doit-on s’étonner du sage parti de ne pas trop approfondir et de s’en tenir à la rationalité procédurale, qui est liée à des comportement pratiques et très expérimentaux ? Un amateur de Stendhal eût pu préféré, comme m’opposait Gilles Lemaire , l’ancien secrétaire nationale des Verts dans un débat contradictoire interne que nous eûmes sur le TCE, la clarté de rédaction de notre constitution de … 1958 !! Je pense plutôt avec Stendhal au code civil napoléonien : « tout condamné à mort aura la tête tranchée». Seulement, la beauté du style, vaut-elle faire éclater quasiment immédiatement ce que nous avons mis 50 ans à produire ? D’ailleurs, j’avoue qu’à partir du moment ou la Charte des droits fondamentaux intégrée comme II° Partie de la Constitution, dit simplement dans son article 62 : « Toute personne a droit à la vie. Nul ne peut être condamné à la peine de mort ni exécuté », en ces temps d’exécution massive d’Etat en Chine, de milliers d’êtres dans les couloirs de la mort des prisons américaines, de génocide, de torture, de charniers un peu partout autour de l’Union Européenne, et pas si longtemps en son cœur, dans l’ex- Yougoslavie je trouve cette Constitution un pas en avant décisif de la simple humanité.
Post-socialiste et post-communiste dès les années soixante-dix, ayant fait depuis longtemps mon deuil de toute référence aux paradis des modèles soviétique, yougoslave, algérien, cubain, chinois, albanais, kmer rouge, j’ai voté pour François Mitterrand en raison de l’abolition de la peine de mort promise par le candidat de la rose, comme beaucoup.
Lisez les deux premiers chapitre de la Constitution Européenne (article 1 à 114) et demandez-vous si cette abolition de la peine de mort, ce résidu bourbonien du pouvoir d’Etat, par la Vieille Europe, ne vaut pas à lui seul de voter pour elle ? On me dira, cela existait déjà puisque l’un des clauses pour être membre de l’Union ( et qui recalerait les Etats-Unis d’Amérique, et l’actuelle Russie) est de ne pas comprendre la peine de mort dans l’arsenal juridique du droit. Mais l’affirmer à 25 pays, dans un lieu où se sont exprimés toutes les formes de barbaries (des persécutions religieuses, à l’esclavagisme colonial, au racisme colonial, des exclusions civiques et nationalistes à l’extermination systématique des minorités), de boucheries guerrières mondialisées, cela change quelque chose.
Soit direz-vous : peut-être que le TCE est le signe timide d’une volonté de l’Europe a cesser d’être une zone de prospérité ayant renoncé à tout rôle politique. Mais au pays de Vénus qui laisse le rôle de Mars et le langage de la puissance Hobsien au parapluie américain (R. Kagan), cette volonté ne se réduit-elle pas à une velléité impuissante ?
La vérité est qu’il ne dépend pas de la forme actuelle de la Constitution mais de la naissance d’un parti fédéraliste ( qui traverse assez largement l’actuel clivage hexagonal du champ politique), que la volonté de naissance d’une Europe politique prenne corps.
Les partisans du non se divisent en deux groupes : ceux qui veulent vraiment une victoire du non, qui croient au vertus d’un sursaut dans la crise. J’avoue que ce calcul du pire, rarement bon en politique sauf dans les situations insurrectionnelles, me paraît incongru et plutôt enfantin dans les conjonctures mondiale et européenne actuelles. Le second groupe d’adversaires du TCE reprennent le rôle d’une opposition tribunicienne si longtemps tenu par le Parti Communiste en France. Ils ne pensent pas que le non pourra gagner ; mieux ils ne le souhaitent pas et espèrent au fond d’eux-mêmes que les partisans du « oui » sauront se mobiliser correctement. Ce dont ils ne veulent pas, c’est d’une victoire écrasante du oui qui laisserait, selon eux, mains libres qui aux néolibéraux de Bruxelles, qui à la droite, qui au Parti socialiste.
Ils veulent un oui de justesse, talonné par un puissant non grognon, sans autre perspective que celle de peser, de résister pensant qu’ainsi on ira plus vite verts une Europe sociale et fédérale.
Le risque de ce calcul est connu ; il suffit de se reporter au 20 et 27 avril 2002 : ceux qui voulaient une victoire de justesse du candidat Jospin ont eu un frisson au premier tour avec Le Pen et une victoire écrasante de Chirac au second.
Chez les partisans d’un oui de « raison », du bout des lèvres, on sent l’équivalent de cette fonction tribunicienne. Ils veulent un oui, mais surtout pas trop fort qui, pour que le gouvernement en place ne trouve pas là une porte de sortie commode à ses difficultés internes, qui, pour des raisons moins avouables, parce qu’ils craignent qu’un mouvement pro-européen, fédéraliste, ne bouscule rapidement la constitution munie de verrous confédéraliste ou bien son caractère libéral hérité de son histoire. Ce sont les adversaires de la révolution silencieuse que constitue la réémergence historique du continent européen.
Ces partisans du oui ont peur de l’avenir. Pas simplement par prudence, cette prudence qui les fait quand même acquiescer au TCE. Mais peur par manque d’imagination, de faculté de se projeter dans l’avenir. Bref d’opérer le saut conceptuel et pratique du fédéralisme. Que ce soit vers l’Europe puissance à dimension impériale, ou que ce soit plus ambitieusement vers la création d’une organisation post-étatique, post-nationale et post-impériale.
Et la scène politique actuelle est cruelle comme un plateau de télévision : impossible de cacher derrière une langue de bois, l’absence de conviction intime, de fibre européenne. Le drame de beaucoup de ces pro-constitution « raisonnables » est qu’ils sont le plus souvent a-européens ou le sont devenus après un séjhour prolongé à Bruxelles iou au Parlement mais sans jamais passer de la rationalité admlinsiutrative européenne à la rationalité européenne politique. Hormis chez les démocrates-chrétiens qui ont surnagés des tempêtes fascistes et nazies, il n’existe pas de culture européenne dans la gauche socialiste ou communiste qu’un internationalisme et un laïcisme et une culture de la confrontation ont rendu méfiante à l’égard des sociaux-chrétiens, ni dans la culture populiste (gaulliste en France) et encore moins dans la culture libérale plus cosmopolitique qu’européenne. Pas étonnant que les Verts aient pu servir de réceptacle à un électorat qui se tourne d’instinct vers ces valeurs européennes, à condition qu’ils ne reviennent pas vers le fondamentalisme vert ou la fondamentalisme gauchiste.
Le non sera nettement battu en France (qui risque d’être avec le Royaume-Uni, l’autre vieille nation, l’autre nation impériale) seulement si les partisans d’un oui de conviction et d’élan se mobilisent. C’est triste à dire, mais chaque fois que les partisans d’un oui mou s’expriment, ils font gagner des voix au non. Mais François Bayrou ne parle-t-il pas depuis longtemps d’un « élan européen » nécessaire ?
Sans dénier à certaines composantes pro-européennes du parti socialiste, des Verts et de l’UDF leur contribution, il faut ajouter qu’une mobilisation forte pour une Europe politique et constituante, devra requérir une nourriture plus consistante. Plus d’enthousiasme ; plus de méthode, plus de contenu, plus de volonté et de culot révolutionnaire par rapport aux institutions naissantes.
Ainsi, nous devons persuader les actuels opposant tribuniciens à la Constitution, que la voie la plus courte pour parvenir à une Europe sociale, politique et culturelle et pas simplement à un marché, (réalisation qui pour respectable qu’elle soit, -que serait l’Europe sans cela aujourd’hui -, demeure toutefois limitée et muette sur toutes les questions fondamentales que se pose le monde), est celle à la fois d’un oui à la Constitution et à un programme politique solide, cohérent, systématique de marche vers une Europe fédérale.
Quelques grandes lignes d’orientation doivent être assumées en tant que telles. C’est la transparence du projet européen et non son flou (souvent tactique qui a prévalu jusqu’ici) qui conférera un caractère démocratique aux institutions et qui surtout mobilisera les esprits dans la seule grande aventure de l’esprit depuis les années 1945.
Créer sans tarder un programme de fédéralisation plus forte d’une Constitution encore trop confédéraliste et une accélération des dévolutions des pouvoirs des Etats
Pour moi les choses sont claires et doivent être dites, même trente ans à l’avance : hormis une Union franchement fédérale, dotée d’un budget représentant 10 à 15 % du PIB et un transfert des compétences et des ressources des vieux Etats Nations aux Régions/Provinces/Pays d’une part et à l’Etat fédéral, l’Union ne pourra pas remplir ses objectifs , pas mêmes ses ambitions économiques ( plein emploi, développement soutenable, cohésion sociale, politique et culturelle).
Ce qui nous conduit sur la base de la présente constitution acceptée et ratifiée, à un prochain affrontement croissant entre la Commission et le Conseil Européen d’une part et l’Europarlement d’autre part. Sa montée en matière d’initiatives des lois, de contrôle de la Commission, de responsabilité du Conseil devant lui (le dernier mot devant revenir au Parlement et à des élections générales européennes en cas de crise) est inéluctable avec la montée du budget, l’accroissement des compétences exclusives et communes.
L’inclusion dans les domaines ne relevant plus de l’unanimité, particulièrement les questions d’harmonisation sociale, fiscale, budgétaire (qu’on peut imaginer demeurer seulement en matière de politique de défense et de politique étrangère) fera apparaître de plus en plus le clivage entre les confédéralistes partisans d’une Union d’Etat souverains (et demeurant libres de se retirer ou de participer de façon variable, » à la carte ») et les fédéralistes partisans d’un lien qui passe par-dessus les allégeances aux vieilles Nations donc d’une citoyenneté européenne distincte de la citoyenneté « nationale » ( ce qui permettait d’intégrer les 15 à 20 millions de non citoyens résidents dans les Etats membres originaires des pays tiers). Il est clair par exemple que le caractère pro-européen des Schroeder et Chirac montre toutes ses limites dès qu’il s’agit d’augmenter le budget européen qui implique une baisse corrélative des budgets nationaux, mais surtout une diminution de l’emprise du conseil sur la Commission et sur l’Europarlement.
L’actuel constitution tout en semblant offrir un os à ronger au confédéralistes et au Conseil ( procédure de révision notamment) desserre la contrainte des coopérations renforcées . une fois leur principe accepté à l’unanimité des membres de l’Union, seuls ceux qui en font partie votent et les décisions peuvent être prises à la majorité simple. Dans le domaine de la défense, de la politique industrielle, de la recherche, d’un programme de soutien du revenu et du niveau de qualité de la population (éducation, formation, accès au nouvelles technologies) et pourquoi pas d’une zone qui ferait l’essai d’un niveau de protection sociale harmonisé, ces coopérations renforcées peuvent contourner l’immobilisme confédéral. Du Consweild ans son ensemble ou de la Commission.
La lutte entre les confédéraliste et les fédéralistes n’est pas encore ouverte, elle se contente d’informer largement le débat ( et à l’insu le plus souvent des principaux protagonistes). Mais c’est une raison de plus pour devancer l’éclosion du débat, de lui donner forme , en particulier d’en faire un élément centripète et cumulatif au lieu d’attendre que les tensions suscitent une crise formidable avec risque d’éclatement. Il faut devancer et préparer cette bataille qui pourrait intervenir plus vite qu’on ne pense en raison même de la pression aux portes de l’Union (Turquie,Ukraine, mais aussi Russie Blanche, Russie tout court , pour ne pas parler de la Géorgie ou du pourtours méditerranéen).
Passer directement au niveau européen en contournant le niveau national plus franchement.
Pour cela, il ne faut pas partir de la situation de chaque pays membre, car malheureusement la pression sociale de gauche a tendance, à l’heure actuelle (depuis vingt ans), à se convertir au niveau de l’Union en renforcement du souverainisme et confédéralisme : chaque pays faisant valoir sa propre pression interne pour ralentir qui la réforme de la PAC, qui le passage à une Europe fiscale (ce qui ne veut pas dire qu’on ne puise pas maintenir un soutien à des nouveaux pays membres qui font des efforts considérables d’adaptation à l’euro), qui enfin, le passage à une Europe sociale.
Il est un seul endroit où la pression sociale interne à chaque pays n’a pas eu ces effets corporatistes et populistes ou souverainistes, donc ces menaces de fracture, c’est le domaine international : la confrontation des Européens avec les problèmes du monde, fait apparaître de telle convergence que ce qui était encore un mirage il y a cinq ans, la perspective d’une politique étrangère parlant d’une seule voie a pu commencer à s’inscrire dans la constitution.
La paix, la façon de réformer l’ONU, le bannissement des guerres préventives ou dites « justes », les rapports avec le Sud (non Chinois), le traitement des questions de développement soutenable (effet de serre, pollution, désertification agricole, biopiratage), la question des nouveaux biens communs (logiciels, médicaments génériques ou à licence obligatoire contre des pandémies telles le sida), la protection sociale, le rapport en général avec le marché, la marchandisation du vivant, le principe de précaution concernant la production du vivant à partir du vivant, la diversité culturelle, toutes ces terrains ont fait apparaître progressivement des convergences considérables entre les Européens. Tant et si bien que de l’avis sur les OGM dans l’alimentation, à la paix ou à une solution en Israël /Palestine, est en train de surgir une opinion publique directement européenne. Quelle que soit la couleur du gouvernement en place, l’opinion européenne a été du même avis sur l’intervention en irak, y compris en Pologne, en Espagne, au Portugal, en Italie et au Royaume-Uni.
Il faut partir de ce levier pour faire communiquer davantage les différentes opinions publiques. Nous aurions été au XIX° siècle, nous pourrions espérer en une montée du quatrième pouvoir, celui de la presse, pour bâtir cette opinion publique, préalable indispensable au fonctionnement d’institutions politiques démocratiques hors du cadre national. L’irruption du 5° pouvoir, les médias audio-visuels, son degré ahurissant de concentration et de main mise sur la presse écrite, compliquent beaucoup la tâche et expliquent les fiascos successifs des tentatives de créer des journaux directement européens, Alors que certaines expérience bi-nationales comme Arte, montrent ce que les lecteurs et téléspectateurs y gagneraient en qualité. D’autre part, la création des moyens d’une opinion publique européenne, suppose l’affectation à la traduction multidirectionnelle de moyens conséquents, (même si les partisans d’un simple bilinguisme où l’Anglais devient la langue de travail systématique exagèrent beaucoup leur ampleur),
Du côté des partis politiques également et d’un fonctionnement davantage politique de l’Europarlement, il faudrait partir d’une organisation directement européenne des Partis ( et pas d’une confédération le plus souvent hétéroclite, voire baroque, des partis nationaux), des syndicats. Pour ancrer, ces organisations à vocation fédérales dans l’Union européenne, il faudrait qu’un district fédéral de l’Union soit créé et que des Fondations puissent s’y développer.
Faire de l’Euro une monnaie internationale de réserve
Actuellement la Banque Centrale Européenne (FED) n’est pas comptable, comme c’est le cas aux Etats-Unis pour le FED, du résultat de sa politique de change, de création monétaire en termes d’emploi et de croissance économique. Elle n’a pour objectif assigné que la seule stabilité des prix.
La méthode pour en sortir outre la réforme institutionnelle très simple (un amendement à la constitution suffit) d’ajouter à ses objectifs la réalisation du niveau de croissance et d’emploi durables le plus élevé possible. Concrètement cela doit se traduire par un programme que je nomme Keynes à Bruxelles. Le déficit budgétaire est divisé en déficit d’investissement ( dépenses de recherche, d ‘équipement en NTIC, en infrastructures de transport dans l’Union ( ferroutage de marchandise, et de voyageurs dans les tunnels , TGV, canaux ) qui ne sont pas comptabilisé dans les 3% tolérés aujourd’hui. Seul le reste obéit à une limitation.`
Le financement du déficit de la première catégorie de dépense est opéré uniquement à niveau fédéral (transfert donc de ces budgets à niveau fédéral) par des emprunts internationaux gagés sur l’euro et administrés par la BCE.
Conséquences : le bon déficit (celui qui contribue à la tenue des objectifs der Lisbonne) entraîne une utilisation de l’euro comme monnaie de réserve par les créanciers de ces emprunts non résidents. Et tempère la montée absurde de l’euro par rapport à la lire sterling, au Yuan, au Yen et au dollar.
En échange de la perte de leur degré de liberté dans leur politique fiscale et de leur politique sociale (et pas budgétaire déjà restreinte) les pays qui se joignent à l’Eurogroupe, reçoivent une aide qui s’ajoute aux aide du Fonds conjoncturel et qui créé des garanties de soutien aux industries et employeurs qui jouent le jeu de l’harmonisation fiscale et sociale. `
Par ailleurs un fonds de régulation des revenus pour les emplois victimes de délocalisation au sein de l’Union est créé.
Ces programmes fédéraux de lutte contre l’exclusion sociale s’ajoutent aux programmes nationaux et peuvent pallier les inégalités de protection sociale les plus grands en même temps qu’ils peuvent agir dans un sens redistributif comme le font déjà les fonds structurels.
Le principe du déficit budgétaire fédéral est admis quand il contribue à se rapprocher d’un niveau d’emploi supérieur. Le financement de ce déficit devient une des activités fondamentales de la BCE.
Chercher, créer des alliances
Au sein des partisans de l’Union européenne les fédéralistes qui ont l’ambition de construire un ensemble post-étatique (en clair un Etat atténué c’est-à-dire ayant perdu un grand nombre d’attribut de la souveraineté), post-national (en clair une extinction graduelle de la Nation), et post-impérial (en clair alternatif à l’hyper-puissance impériale américaine) doivent s’allier en priorité avec les fédéralistes européens qui développent une idée de l’Europe puissance, d’un véritable Etat fédéral européen. Cela inclut donc les industriels, les classes dirigeantes qui ne se pensent pas comme liées à l’Empire mais qui pensent un devenir contrepoids et qui contestent profondément (culturellement, économiquement, politiquement), l’hégémonie américaine mais qui se sont rendu compte qu’il : n’y a aucune avenir pour chacune des Nations européenne prise isolément. Les critères dirimants seront la question du fossé transatlantique, la question du sud et la question écologique. Cela veut dire qu’un nouveau souverainisme européen et un grand nationalisme européen n’est pas exclu. Il faudra composer avec lui dans la stricte mesure où il combat efficacement les petits souverainismes français, anglais et les petits nationalismes (serbes, polonais) puis se séparer de lui dès que le fédéralisme sera devenu hégémonique au sein de l’Union Européenne et aura écarté le danger confédéraliste.
Comment l’Europe fédérale peut se penser dans l’émergence du capitalisme d’un troisième type à la quelle nous assistons ( l’hypothèse du capitalisme cognitif fournit un point de départ permettant d’alimenter une réflexion sur les nouveaux espaces communs et publics, sur les régimes de propriété à repenser, sur l’intervention régulatrice du marché ? Quel compromis peut être trouvé autour d’une nouvelle donne , un New Deal à l’Européenne ( forme du salariat, de la protection sociale) ? C’est autour de ces questions qu’il convient de créer des initiatives culturelles (Club, conventions souples transversales en Europe aux situations nationales). Une partie du capitalisme européen nous paraît fortement opposée à la guerre permanente (des civilisations, contre le terrorisme).
Au sein des partisans du non, seuls les partisans d’un non tribunicien peuvent devenir des alliés dans la mesure où sans la force des mouvements sociaux à venir, jamais le fédéralisme dans l’EuropParlement n’aura assez de force pour s’imposer sur le Conseil et modifier la Commission. Il n’est pas exclu qu’une période d’affrontement entre une droite européenne et une gauche enfin sur le terrain des institutions européennes soit nécessaire à la reconstruction d’un mouvement salarié d’un type nouveau.
Le 22 février 2005