Compléments de Multitudes 17

Intermittence et fabrique d’épingles

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A propos de l’article d’Antonella Corsani et de Maurizio Lazzarato dans le n° 17 de Multitudes.La fabrique d’épingles décrite par marx, après Smith, et après Jean Rodolphe
Perronet chargée par l’Académie des sciences de l’inspecter n’est pas une
usine capitaliste mais un laboratoire d’expérimentation scientifique sur les
nouvelles manières de produire de la richesse hors travail rural contrôlé
par la noblesse et hors travail artisanal contrôlé par les corporations.
La fabrique d’épingles est une manufacture royale où on fait des essais sur
la productivité comparée de diverses formes d’organisation du travail.
Pourquoi les épingles: parce que c’est ce qu’il y a de plus simple à
fabriquer, et donc à observer expérimentalement ( comme les rats de
laboratoire)
Pourquoi à Laigle en Normandie, parce que c’est là qu’à commencé à se
dégager un surplus de travailleurs agricoles, des intermittents du travail
agricole en devenir chômeur car les petits chefs d’entreprise agricoles les
agriculteurs ont de moins en moins besoin d’eux.
On peut donc facilement en attirer dans une entreprise qui leur donne un
salaire minimum en échange d’une obéissance aux formes d’organisation et de
production auxquelles on les soumet.
L’expérience utilise sans doute en cas de récalcitrance les services de
l’armée, mais mes lectures sont lointaines et je ne me souviens plus si
c’est mentionné.
C’est en tout cas mentionné pour la construction des routes que Jean
Rodolphe Perronet va organiser selon le même modèle: division du travail
calculé en fonction de la force de travail à déployer et de l’évaluation de
la force de travail excédentaire dans les communautés rurales le long de la
route dont le tracé est mesuré grâce aux premières cartes exactes.
Ce laboratoire expérimental a notamment permis d’établir que le travail
divisé et réalisé avec l’aide de machines était dix fois plus rentable que
le travail d’artisans mis côte à côte à faire l’objet tout entier.
A la deuxième inspection on constate même que ce travail peut être servi par
des femmes et des enfants, payés moins puisque leur force de travail est
moindre, mais rendant autant grâce aux machines: théorie de la plus-value
sans encore le nom.
Dans ce laboratoire, dépendant de l’Académie des sciences et hors normes des
régulations du travail de l’époque ( rémunéré à l’oeuvre et à la journée),
s’invente la science économique moderne, à savoir la démonstration que les
mercantilistes et les physiocrates ont peut-être raison sur leurs terrains,
mais qu’il existe une nouvelle manière de produire de la richesse:
l’organisation industrielle.
Qu’est-ce qui passionnne les acteurs de cette histoire: c’est que cette
nouvelle manière de produire la richesse n’est pas sous la coupe des
dominants précédents, les féodaux, mais une création ex-nihilo quasiment qui
utilise les excédents du système: excédent de la main d’oeuvre rurale,
excédent de capital public qui au lieu d’être dépensé de manière somptuaire
est mis en oeuvre “scientifiquement” pour augmenter la capacité productive
du pays.
La manufacture est un maillon du réseau au sein duquel se produit à l’époque
le “bien commun” qu’est la science économique, bien commun dont on voit dans
cet exemple que le caractère de classe est très affirmé.

Le problème de l’Etat français c’est qu’avec ses belles expérimentations
scientifiques dans tous les domaines, il fait ensuite de l’assistance aux
patrons, véritable sens du welfare en France, qui vient comme l’a très bien
analysé Ewald d’une extension de l’assurance contre les accidents du
travail. Ce sont les accidents à la force de travail qui sont assurés, ce
qui la rend indisponible pour l’exploitation par son patron, et non par
l’ensemble des patrons et de la société. C’est le patron qui est aidé à
récupérer son salarié quand il ne sera plus malade, à continuer à l’employer
quand il est handicapé, plus que le salarié qui est aidé à vivre quand il ne
peut plus travailler.

Le socialisme à la française c’est la mutualisation du patronat, et la
devise: devenez tous patrons: de votre ménage, de vos casseroles, de votre
employée de maison, de votre aide ménagère, de votre voisin; si chacun
devient patron il y aura forcément du travail pour tout le monde, puisque
tout le monde sera l’employé de l’autre: servira.
Servir à quelque chose: l’idéal socialiste par excellence, mais à quoi?

Je crois que ce ce qui est jeu c’est de sortir de ce mode de relation qu’est
le service qu’il soit public, privé, à la personne, à l’entreprise, ou au
patron
et d’inventer un autre mode de relation, de production, de coopération
d’invention,
qui ne nous met pas l’un sous l’autre, au service de l’autre, mais l’un à
côté ou en face de l’autre et en relation avec une multiplicité d’autres, et
matérialisant ces relations grâce à l’ordinateur dans la fabrication
collective, la coopération entre cerveaux, ou entre fabricants de tous
objets également.
la question ne me semble pas l’intermittence, mais comment nous coopérons,
et comment tendanciellement la rémunération devient celle de cette
disponibilité à coopérer, de la force de vie, et non celle de
l’assujettissement et du service.
C’est de service qu’il faut parler aujourd’hui, pas d’usine c’est
complètement périmé
Et si nous parlons de bien commun, disons comment se définit le caractère
commun de ce bien, commment se construit le commun de la coopération pour le
produire. Ce n’est que vraiment très partiellement le cas de la recherche
scientifique que son mode de rémunération par les brevets met au service du
développement industriel et de ses affolements.