Majeure 10. Capitalisme cognitif, développement, normativité

La nouvelle économie d’Israël et l’Intifada

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Dans les dernières années, le capitalisme israélien a accompli des changements fondamentaux. Une composition de classe entièrement nouvelle résulte de l’émigration soviétique des années 90. Les marchés pour les produits israéliens traditionnels se sont trouvés réduits. Internet a créé les conditions pour l’exportation de produits de haute valeur ajoutée mobilisant du travail immatériel qui est venue remplacer les précédents produits à basse valeur ajoutée et à coûts de transport élevés. La nature de cette économie de la connaissance ouvre de nouvelles possibilités pour l’insertion dans l’économie mondiale. Une nouvelle force de travail techniquement qualifiée se montre ainsi en capacité de créer les flux d’innovations qui constituent les prérequis à l’existence de grandes sociétés capitalistes actuelles ou de l’époque précédente (recherche et sélection de start-up prometteuses). Entre autres choses, les sociétés israéliennes sont particulièrement bien placées pour satisfaire la demande de produits biomédicaux.

Décembre 2001 : la Campagne de Solidarité avec la Palestine installe un piquet devant le magasin Selfridge d’Oxford Street, pour exiger l’arrêt des ventes de produits en provenance des colonies israéliennes.

Il faut cependant savoir que le capitalisme israélien se présente aujourd’hui comme un véritable microcosme du travail immatériel. Une composition de classe entièrement nouvelle a résulté des migrations des ex-soviétiques dans les années 90. Les marchés des produits israéliens traditionnels se sont rétrécis ; Internet a créé les conditions pour des exportations transnationales de produits du travail immatériel à haute valeur ajoutée qui remplacent les anciens produits à basse valeur ajoutée et à forts coûts de transport. Une nouvelle force de travail techniquement qualifiée montre qu’elle est capable de créer des flux d’innovation qui sont la première condition pour la survie des grandes entreprises capitalistes nées récemment ou au cours de la période précédente. Les entreprises israéliennes sont notamment bien équipées pour répondre à la nouvelle demande de produits biomédicaux. Elles disposent également d’un centre générateur de recherche et de développement dans les académies de hautes technologies dépendant du Ministère de la Défense. Et elles ont leurs entrées garanties dans le complexe militaro-industriel américain grâce aux lignes de communication entre la « Silicon Valley » et la « Silicon Wadi » au Nord d’Israël. Israël exporte de plus des modèles de conduite biopolitique sous forme de savoirs, commercialement présentés comme des « méthodes de lutte contre le terrorisme », destinés à limiter, arrêter et éventuellement supprimer les conduites dissidentes.
Ce déplacement de conjoncture est à l’origine du changement complet d’attitude d’Israël vis-à-vis de la main d’œuvre palestinienne, dont elle s’était servi auparavant dans l’agriculture et dans le bâtiment. L’arrivée des Juifs soviétiques « russes » a permis de briser avec la force de travail palestinienne. Parallèlement les Juifs soviétiques ont fait le lit électoral de la solution définitive pour les Palestiniens recherchée maintenant par le gouvernement israélien.
Il ne s’agit pas seulement d’un abandon des formes traditionnelles d’exportation d’agriculture et de produits manufacturés pour le travail immatériel. La guerre avec les Palestiniens opère en tant que fabrique de possibilités d’exportation de travail immatériel : elle est véritablement productive pour l’économie israélienne.
Les appels au boycott des produits israéliens sont symboliquement signifiants et tout à fait utiles : un élément nécessaire d’hygiène éthique. Mais la manière dont la campagne est menée est d’un simplisme qui confine à la naïveté. Il ne s’agit plus de quelques paquets de bretzels, d’un carton d’oranges de Jaffa ou d’un assortiment de cosmétiques. La nouvelle économie immatérielle d’Israël et les produits de son travail immatériel sont organiquement intégrés par les niveaux les plus élevés des communications globalisées high-tech de l’économie militaire et sécuritaire. Et, surtout, le modèle breveté des Israéliens pour supprimer les opposants a été exporté et projeté sur la scène mondiale pour devenir le paradigme dominant de la politique étrangère américaine.
Les caractéristiques de ce modèle sont : une négation radicale de l’Autre (depuis plusieurs dizaines d’années les Palestiniens ne sont désignés dans les discours israélien que par l’expression « les terroristes ») ; des mesures sécuritaires préventives, allant progressivement jusqu’à l’assassinat ; l’observation fine des populations à toutes les échelles et l’installation de moyens administratifs et techniques adaptées à cette fin ; l’intransigeance et la défiance, l’unilatéralisme.

Après la première phase de la guerre d’Afghanistan, l’opinion mondiale semblait s’attendre à une powellisation de la politique israélienne, c’est-à-dire à des négociations. Nous assistons au contraire à une sharonisation de la politique américaine.[[ Interview d’Alain Joxe, Multitudes, n° 7, Paris, Décembre 2001.

De la vieille à la nouvelle économie

Une bonne part de l’ancienne économie d’Israël consistait en produits agricoles : il y a vingt ans la principale industrie d’Israël était la culture des oranges. Au début des années 50 grâce à une immigration massive et à des investissements abondants, le sous-secteur des agrumes a cru rapidement. Les surfaces ont cru de 14 000 à 40 000 hectares. Sous la marque israëlienne bien connue Jaffa les oranges et les pamplemousses ont dominé de nombreux marchés étrangers. Mais à la fin des années 1970 une rude concurrence d’Espagne, du Maroc et de Chypre, accompagnée d’un changement de goût des consommateurs, a conduit à un tassement de la demande. Les années 1980 ont vu un important déclin dans la compétitivité internationale et la rentabilité : les arbres ont été arrachés sur plus de 20% des zones plantées, des maisons d’emballage ont été fermées et les niveaux de production sont retombés à ceux de 1930. Plusieurs facteurs ont conduit à ce déclin :

– l’inflation rapide des coûts au milieu des années 1980
– la force du dollar face aux monnaies européennes
– la montée des coûts du fret maritime international dans les années 1980
– la crise financière dans les colonies agricoles israéliennes[[.S.Carter, Global agricultural marketing management, FAO, Rome, 1997. cf. http://www.fao.org
– la dépendance de cette agriculture par rapport à la main d’œuvre palestinienne ou étrangère immigrante
– l’utilisation de la terre agricole pour le logement des nouveaux immigrants
– la sensibilité au boycott commercial international
– le fait que l’eau est une ressource rare au Moyen Orient : exporter des oranges, c’est exporter de l’eau.

La première condition pour une nouvelle économie est la présence d’une main d’œuvre hautement qualifiée techniquement. Ceci a été permis par l’arrivée massive des Juifs russes émigrant d’Union soviétique, en deux vagues, la seconde dans les années 1990. Environ 600 000 personnes sont arrivées, dont beaucoup très qualifiées : médecins, avocats, musiciens, scientifiques et informaticiens. Plus de 13 000 médecins sont arrivés en Israël dont plus de la moitié sont des femmes. Le service de santé n’a pu en absorber que 20%, ce qui a nécessité un redéploiement. Les Russes constituent 15% d’un électorat de 4,5 millions de personnes ; ils ont leurs propres partis politiques, et sont notoirement hostiles à toute négociation avec les Palestiniens. 600 000 autres sont partis aux États-Unis et se sont installés dans la région de Los Angeles.

Les facteurs conjoncturels de promotion des secteurs high tech

L’économie mondiale de la connaissance a démarré dans les années 1990. Des facteurs spéciaux ont assuré une croissance rapide de la société travaillant en réseau en Israël. Pendant la guerre du Golfe la menace de fusées et de gaz biologiques irakiens a permis la mise en place d’une planification nationale d’urgence dans laquelle les communautés utilisent Internet et les technologies qui y sont liées comme moyens de défense civile, transformant Israël en l’une des sociétés les plus câblées du monde.
Toutes les maisons construites depuis la Guerre du Golfe doivent d’après la loi avoir une pièce sécurisée pouvant fonctionner comme abri contre une attaque terroriste. Israël est également parsemé de centres d’intervention de voisinage. « Située dans le sous sol d’un centre social, la salle de commande est tenue par des citoyens volontaires et des conscrits militaires. Des radios et des liaisons téléphoniques cellulaires, en même temps que des alarmes dans les maisons et des microphones placés dans les voitures des habitants des colonies, permettent de surveiller de près les voyageurs et de faire connaître aux autorités les troubles dès qu’ils apparaissent ».[[Eli Lehrer, dans The American Enterprise Online, décembre 2001, p.2.
La présence d’un excédent de main d’œuvre immigrée et qualifiée a fait pression en direction de l’innovation. En grossissant beaucoup, et très vite, le secteur émergent et immatériel d’Internet et des télécommunications a offert des possibilités interstitielles à des petites compagnies start-up, qui purent très vite devenir grosses. Et des applications intelligentes étaient nécessaires pour lever les blocages imposés par la vitesse de croissance du secteur.
« Tandis que la croissance du revenu pour les puces électroniques primaires ralentissait, les puces de communication ont connu la croissance la plus rapide dans le marché des semi-conducteurs. Ce qui tire l’ensemble, c’est la demande d’une bande passante toujours plus large pour chaque aspect des communications : utilisateurs domestiques accédant à Internet, fourniture d’une grande entreprise, ou demande émergente du tiers monde. La demande est littéralement partout ».[[« Les puces spécialisées trouvent leur niche », par Wylie Wong, http://news.cnet.com, avril 1999. Ce secteur est fortement présent parmi les start-up en Israël. L’entreprise américaine géante Intel, qui souffrait d’une chute de la demande de puces pour PC s’est mise à acheter des entreprises de fabrication de puces de communication. En 2001 Intel-Israël avec 5000 salariés à Jérusalem, Haïfa et Kyria Gate a exporté pour 2 milliards de dollars au lieu des 810 millions l’année précédente, ceci grâce à l’ouverture de la nouvelle usine de Kyria Gate.[[ cf. http://www.start-ups.co.il, 12 Février 2002. Le gouvernement israélien a fourni des conditions juridiques et matérielles favorables pour les start-up high-tech, en créant des pépinières d’entreprises dans des zones telles que Yokneam. La compagnie israélienne DSP, qui a développé des puces utilisées dans les communications sans fil et les téléphones mobiles a été récemment vendue à Intel pour 1,6 milliards de dollars.[[ ibid.
Jusque là une grande part de l’intervention israélienne dans le secteur des hautes technologies était interstitielle, à la recherche de possibles niches émergentes dans la croissance globale du secteur. Par exemple quand on se posa internationalement la question du passage à l’an 2000, la compagnie israélienne Sapiens International[[Le nom lui-même suggère une vocation pour le travail immatériel global, http://www.sapiens.com a construit une niche spécialisée avec un personnel composé à 70% d’informaticiens « russes ». La firme s’est également consacrée à une autre fenêtre créée par la conjoncture : le passage de l’Europe à l’euro et la conversion des ordinateurs de la monnaie nationale à la monnaie européenne[[ cf.http://www.cnn.com, 19 Septembre 1999.. La remédiation était le mot clé à l’époque, améliorer et résoudre les problèmes des vieux systèmes informatiques.
Ce nouveau secteur israélien de haute technologie a opéré grâce aux réseaux étendus de la diaspora, en cherchant partout des opportunités. En un sens la diaspora offre une bonne métaphore des nouvelles réalités du cybertariat dans le travail immatériel. Les réseaux et les connections font que la Silicon Wadi qui a émergé en Israël est devenue partie prenante de la Silicon Valley opérant aux Etats-Unis. Le parc technologique de Yokneam, par exemple, est jumelé avec la ville de Saint Louis aux Etats-Unis. La chambre de commerce israélo-américaine organise des voyages d’affaires pour les petites compagnies israéliennes à Saint Louis, où de futures relations commerciales sont développées avec l’aide de Boeing. Des voyages semblables sont organisés par la Chambre de commerce israélo-américaine du Minnesota, qui a les quatre plus grandes compagnies de services médicaux du monde, (et des compagnies telles que le secteur israélien du travail immatériel se développe fortement dans la bio-médecine et les soins high-tech).[[ cf. http://.aiccmn.org.

Israël en tant qu’économie militaire

La société israélienne est hautement militarisée. Des décennies de guerre ont abouti à la création d’une véritable fabrique de techniques et technologies militaires. Celles-ci incluent du hardware (fusées, bombes, fusils et munitions) et des systèmes informatiques, (systèmes électroniques intégrés pour le combat terrrestre), et aussi la mise en route d’une production d’états d’esprit, de philosophies et de manières de se tenir dans le monde, soit un software de biopouvoir.
Fondée en 1933, pour combattre les Britanniques, l’entreprise Israel Military Industries a été nationalisée en 1990. Elle emploie 4000 personnes, dont la moitié sont des ingénieurs, des scientifiques, et des experts en technologies, et recrute du personnel hautement qualifié formé dans les prestigieuses académies militaires d’Israel. En plus de sa division d’armements traditionnels, elle en a une consacrée aux télécoms, et une autre spécialisée dans le commerce électronique.[[ cf. http://www.imi-israel.com Capitalisant sur son expérience unique de société câblée équipée pour la modération quotidienne du désastre et le contrage capillaire de la révolte, elle était bien placée pour exploiter la niche offerte par la vulnérabilité américaine aux attaques du 11 Septembre 2001. Par exemple, elle a organisé le 5 février 2002 un séminaire international sur la gestion nationale de l’urgence pour les gouvernements et les entreprises étrangers locaux et nationaux. Il s’agit là véritablement d’une exportation israélienne du travail immatériel. Il en va de même pour une autre des « usines » de l’IMI, l’Académie pour la sécurité avancée et l’entraînement anti-terroriste, qui possède un grand campus avec une équipe d’instructeurs pluridisciplinaire qui sont « tous des anciens commandants des unités d’élite de la sécurité israélienne ».[[ ibid. C’est dans cette mesure que la guerre contre les Palestiniens est effectivement un secteur productif, une fabrique d’expertises et de techniques, ensuite vendues à l’échelle mondiale.

L’intégration d’Israël dans le complexe militaro-industriel américain

La guerre du Golfe a provoqué des moments de coopération entre Israël et le complexe militaro-industriel américain. En échange de l’inaction et du retrait d’Israël face à l’arrivée de missiles irakiens, les États-Unis et les militaires israéliens ont collaboré à la production de systèmes anti-missiles. L’un d’eux, destiné à combattre les missiles Katyusha venus du Sud-Liban, était le laser tactique à haute énergie (THEL).
Les commandes créées par Israël à la suite du 11 Septembre comportent notamment la fabrication d’un engin révolutionnaire pour détecter les explosifs, autre dérivation de la guerre entre Israël et les Palestiniens. La compagnie MS-Tech a développé un « petit-nez renifleur » financé à 80% par le Ministère de la Défense américain et le Ministère de la Défense israélien. Le créateur de cette entreprise Moses Shalom négocie aussi actuellement avec Ion Track Instruments, qui fournit des systèmes de sécurité pour les prisons.[[cf. Dror Marom « US companys interested in Israel’s MS-Tech explosives sniffer? », http://new.globes.co.il , 18 Décembre 2001.
Mais encore plus intéressant que ces manifestations publiques de collaboration est ce qui se trame par derrière dans les universités et les instituts de recherche. Un des nouveaux paradigmes de la pensée militaire est CCCI : Commande, contrôle, communications, intelligence pour opérer dans le cyberespace. « Le progrès rapide de la puissance des ordinateurs et leur miniaturisation dans les années 1980 et 1990 ont rendu possible l’introduction des ordinateurs et des systèmes informatiques dans chaque élément de combat. Chaque composante des forces militaires américaines est maintenant reconstituée autour des armes et systèmes informatiques et du CCCI ».[[ cf. Rochlin, Trapped in the net, Princeton Université press, 1997. Sommaire on line.
Il n’est pas surprenant que les militaires israéliens jouent un rôle dans le développement de ces systèmes militaires américains. « En 2000 l’entreprise américaine Mercury Computer Systems, un fabricant en pointe dans les ordinateurs capables de rassembler et d’analyser des données sensibles, avait signé un contrat de 1,2 millions de dollars de recherche avec le ministère de la défense israélien ».[[ cf. http://www.indigo-net.com/intel
Israël est connu pour ses académies militaires qui agissent comme des bases de recherche pour former la crème du personnel high-tech de ce pays. Ce personnel national opère aussi dans le contexte global de la diaspora, et est également chez lui dans le complexe militaro-industriel américain, car de on trouve beaucoup de personnes formées en Israël qui sont passées aux États-Unis pour poursuivre leurs études. C’est ainsi que la recherche du professeur Ouri Wolfson de l’Université de l’Illinois à Chicago est à la fois israélienne et américaine, financée par le Bureau pour la recherche scientifique de l’armée de l’air américaine et par l’Académie israélienne des sciences et des humanités. Il a développé un logiciel Domino, pour suivre à la trace les avions et les voitures avec les laboratoires de recherche de l’armée américaine. Sa recherche antérieure en informatique s’est déroulée à l’Université Technion de Haïfa. Une application civile de cette recherche fournit aux entreprises de transport les moyens de suivre à la trace leurs véhicules.

Visionics Inc. La biométrique comme secteur en croissance

La découverte de la vulnérabilité américaine le 11 septembre a montré la nécessité de réponses rapides dans le domaine de la sécurité. Paranoïa, xénophobie et peur de la mort ont créé une opportunité commerciale de masse aux États Unis. L’Airport Security Improvment Act, passé en 2001, demande une importante amélioration des systèmes de sécurité. Intervient alors Visionics Inc., entreprise produisant des équipements pour la reconnaissance du visage et des empreintes digitales basés sur la nouvelle science de la biométrique.
La biométrique est un des champs explorés par les entreprises de logiciels israéliennes, elles-mêmes en relation étroite avec l’armée. Dans ses premiers usages la technologie de reconnaissance du visage servait à observer les visages des travailleurs journaliers palestiniens qui passaient les checkpoints de l’armée israélienne.
Un article décrivant le complexe productif Israélo-Américain opérant dans le Minnesota parle d’ « entreprises high tech coopérant pour développer et commercialiser une nouvelle génération éblouissante de produits sécuritaires ». Il faut noter l’importance du travail intellectuel investi dans cette aventure. Nous sommes à la frontière de la science : le travail de son nouveau PDG[[ cf. International Herald Tribune, 23 Janvier 2002 sur la reconnaissance du visage dérive de ses travaux antérieurs de physicien à l’Institut d’Études Avancées de Princeton où ses recherches portaient sur les supercordes et les théories de la supersymmétrie.[[ Cf. http://www.sciam.com.

Flexibilisation du mammouth

L’économie liée au boom des nouvelles technologies rencontre des problèmes internes liés à la rapidité de sa croissance. C’est le champ spécifique d’intervention que se sont donné de petites start-up israéliennes qui analysent et réparent les problèmes de communication, les goulots d’étranglement, les insuffisances de bande passante, etc., et accélèrent le flux de l’information comme capital. Parmi ces entreprises :
– Foxcom wireless : fabrique un produit en fibre optique Rfiber qui permet aux technologies sans fil d’opérer dans les zones urbaines et dans les zones d’ombre difficiles à atteindre telles que gares, tunnels, etc.
– Chiaro Networks : utilise les capacités de la fibre optique pour supprimer les goulots d’étranglement dans les intersections d’artères optiques ; une technologie de commutation optique unique, qui étend la capacité en bande passante.
– Xact technologies, produit à Ramat Gan et Santa Clara, qui analyse l’utilisation d’Internet par les usagers à partir de la quantité de bande passante qu’ils utilisent. Cela ressemble à l’évaluation d’une facture de gaz, et cela permet de monétariser l’usage d’Internet.
– Mavix : produit un système multimédia central pour l’analyse et la sécurisation. Il convoie toutes les données sécuritaires dans une unité centrale. Il peut être utilisé pour la surveillance des stades de football, des métros, des ferry-boats, des prisons, etc.
– Mercado Software : un produit intitulé Intuifind ajoute une capacité de recherche plus fine aux moteurs de recherches commerciaux sur internet , avec des services intégrés.
– Sapiens International : s’est spécialisé dans le rassemblement de données discrètes en paquets qu’il peut envoyer très rapidement à la demande. Par exemple pour recalculer les polices d’assurance quand l’installation de nouveaux systèmes serait très chère. Opère pour sa commercialisation internationale par les forums du cyberespace.[[ On trouve encore dans les mêmes domaines :Opticom (intégration de la technologie biométrique), Shonut Probabilistic Solutions ( reconnaissance de la voix et des empreintes digitales), TeKey ( biométrique et simulation de la reconnaissance humaine), Tadiran Co ( communications militaires), Proneuron, Net2wireless, Batm Advanced Communications, Luz Industries, Mercury Interactive, Team Computers, Safe-Mail.
Le complexe diasporique israélo-américain dans les technologies de sécurité militaire se traduit par des nominations croisées, par exemple en novembre 2001 celle de Benyamin Netanyahu comme conseiller de la direction de Bio Key International implantée aux Etats-Unis dans le Minnesota.

La production biomédicale

Le concept de travail immatériel s’étend très loin dans le champ des soins et du corps, et dans ce domaine aussi les entreprises israéliennes sont intervenues fortement. Ce développement vient pour une part de l’intérêt croissant de la formation hospitalière en Israël pour sa commercialisation, et d’autre part des excès de main d’œuvre qualifiée dans le domaine médical ayant immigré d’Union Soviétique dans les années 1990.[[ cf.http://www.cnn.com ,19 septembre 1999.

« Les entreprises de produits biomédicaux en Israël continuent leur croissance, alimentée par l’afflux d’immigrants très qualifiés en physique, biologie et sciences de l’ingénieur, et l’accroissement des ressources en capital par des entreprises de capital risque d’Israël et des Etats-Unis, ainsi que de grandes entreprises partenaires ».[[ cf. Jeffrey Berg, dans Biomedical Business International Newsletter, septembre 2000.

Cette croissance est tellement remarquable que la multinationale pharmaceutique géante Johnson and Johnson a ouvert un bureau permanent en Israël pour rechercher les start-up dans lesquelles investir. Entreprises qui ont un pied en Israël et l’autre aux États-Unis, et approvisionnent clairement le marché massivement émergent aux Etats-Unis des produits de santé.

Il faut souligner que ces technologies de soins et de partage de responsabilités ne sont pas à comprendre séparément du complexe militaro-industriel décrit plus haut. Par exemple :

-Given Imaging a fourni une capsule de la taille d’une pilule qui transmet des images tout en passant par l’intestin des patients. C’est une spin-off dérivée d’un produit CMOS développé par la NASA.
-Galil medicals : techniques de cryochirurgie qui permet un traitement des cancers de la prostate le moins invasif possible. C’est une excroissance de Rafael Development Corporation, la plus grande organisation de recherche appliquée en Israël, qui cherche des applications commerciales des technologies de défense.

Retour à Oxford Street, décembre 2001

Mais d’abord penchons-nous sur le cas d’une des plus fameuses start-up israéliennes de nouvelles technologies. Mirabilis, fondée par « le légendaire entrepreneur high-tech Yassi Vardi », produit une système de messagerie internet qui identifie quels sont vos correspondants branchés à un moment donné, et vous donne la possibilité d’échanger directement des messages avec eux. [[.cf. http://www.malibutel.com/mobilemediaworld/features/israeli le rachat de Mirabilis par AOL fut un évènement qui aiguisa la frénésie du high-tech israélien. Le produit est connu sous le nom ICQ ( I seek you). En très peu de temps Mirabilis a construit une communauté d’utilisateurs de 50 millions de personnes, couvrant l’essentiel de l’Europe occidentale. En 1998 Mirabilis a été achetée par AOL.com et le système est devenu un des standards de la technologie de la messagerie. Il fait maintenant partie du système opératoire d’AOL, le plus grand réseau d’Internet, d’e-mail et d’opérateurs de forums du monde. La caractéristique politique la plus notable de ce produit d’exportation israélien est qu’il a disparu, qu’il est devenu invisible, qu’il s’est incorporé aux systèmes opératoires du capitalisme d’aujourd’hui. Et cette caractéristique se retrouve dans beaucoup des produits décrits plus haut.

Ce qui nous amène à Mercado Software, une compagnie d’origine israélienne dont le siège social est à Palo Alto. Mercado produit le logiciel Intuifind. Ce produit fournit une expérience intuitive et facile du commerce et de la navigation on-line. Ce qui signifie qu’alors que le commerce on-line se développe rapidement, la plupart des systèmes sont stupides, rigides et encombrants. Par exemple le catalogue d’une boutique peut comporter plusieurs lampes, mais si vous indiquez « lumière » pour votre recherche, vous n’en trouvez aucune. Aussi Intuifind a-t-il construit un système utilisant plus de 50 banques de données linguistiques, y compris les racines, l’orthographe et les thésaurus, pour aider les consommateurs à définir leurs demandes dans leurs propres mots. Il s’agit vraiment d’un travail de production immatérielle. Ce système a été installé à Macy’s, Caterpillar, Sears, Blockbuster Video, etc…

D’où l’ironie d’Oxford Street : au moment même où la Campagne de Solidarité pour la Palestine faisait son piquet contre la vente de produits israéliens par les magasins Selfridge, à l’autre bout de la rue le magasin John Lewis (très fréquenté par la classe moyenne libérale britannique) était en train d’installer un nouveau produit exporté par Israël, la technologie Mescado de recherche et d’achat Intuifind, comme élément central de son système opératoire. Un système qui était incorporé, invisible, immunisé contre le boycott.

Note sur les oranges de Jaffa

Pour finir, je voudrais simplement ajouter qu’Internet offre des possibilités d’anonymat. Les entreprises capitalistes israéliennes ne font pas exception. Normalement elles commencent leur vie comme des petites start-up localisées en Israël. Très rapidement elles créent des sites web qui leur permettent d’agir de façon déracinée. Elles se procurent des adresses situées dans les banlieues résidentielles les plus tranquilles des États-Unis et de Grande Bretagne. Elles commercialisent leurs produits on-line, souvent en offrant des services de téléconférences on-line qui transcendent les problèmes de frontières nationales. Alors, très rapidement, ces entreprises fusionnent, créent une marque et sont rachetées par des entreprises plus grandes non-israéliennes. Il y a une tendance à cacher leur origine israélienne, qui de toute façon tend à être effacé par le processus de fusion. Elles deviennent donc des produits capitalistes neutres, libres de toute trace d’association avec le pays où elles ont été formées.
Nous qui continuons à vouloir boycotter les oranges de Jaffa, nous serons peut-être intéressés par l’information suivante : le 27 Décembre 2001 le Jerusalem Post annonçait dans son édition Internet que le gouvernement chinois était en train de négocier la commercialisation de ses propres fruits sous la marque Jaffa et était en train d’en acheter les droits au Bureau du commerce des agrumes israéliens. Jaffa joue au jeu du logo. Peut-être finirons nous boycotter maintenant des oranges chinoises !

(L’auteur serait heureux de pouvoir discuter de cet article avec les lecteurs. Écrire à :
Alexmcna@hotmail.com

(traduit de l’anglais par Anne Querrien)