L’ouvrage se présente de manière partiellement trompeuse comme un essai synthétique destiné au grand public. Sans doute l’effort de clarté et d’explication y est-il prévalent. Il ne doit pas dissimuler cependant qu’il s’agit ici de tout autre chose que d’une présentation très réussie de notions bien établies.
Bien au contraire, le livre recèle une doctrine entièrement originale du capitalisme (qui, selon l’auteur, doit nécessairement se dire au pluriel) et de l’économie politique comme science. Selon P.N.Giraud, le concept fondamental de l’économie politique est celui d’inégalité. Le concept de richesse lui-même, mis depuis A. Smith au départ de la théorie économique, se révèle dérivé de ce concept fondamental. La relation d’inégalité se différencie suivant les deux types d’espaces où elle opère: inégalité entre les territoires économiques en quoi la Terre se divise; inégalité à l’intérieur de chaque territoire.
La thèse est la suivante: ce qu’on a appelé l’essor du capitalisme au XIX et au XXe siècles se décrit sur le long terme comme l’accroissement de l’inégalité entre les territoires et l’atténuation de l’inégalité au sein de chaque territoire (soit par hausse générale du niveau de vie, pays occidentaux; soit par baisse générale du niveau de vie, Tiers Monde). L’économie politique a supposé que c’était là la loi générale et a résumé cette supposition par la notion de capitalisme au singulier. Au point qu’on peut reconnaître au fondement de l’économie politique l’hypothèse que “capitalisme” peut et doit se dire au singulier.
Or, on peut montrer que la loi générale est tout autre: historiquement, avant le XIXe siècle, les territoires sont assez largement égaux entre eux, et le degré d’inégalité interne est fort. Aujourd’hui, il semble que la loi générale retrouve sa validité; c’est donc la période du XIXe-XXe siècles qui apparaît exceptionnelle. On comprend alors qu’il faut parler de capitalismes au pluriel et reprendre sur des bases nouvelles les questions de l’économie politique.
Un très grand nombre de problèmes doctrinaux sont ainsi abordés: qu’est-ce que la richesse ? qu’est-ce que l’économie politique et quelle est la nature de ses démonstrations ? peut-elle continuer de se présenter comme une science alors même que le dispositif empirique dont elle s’autorisait est remis en cause ? quel rapport entre l’histoire comme discipline et l’économie politique ? A cela s’ajoutent des questions d’interprétation des processus présents: quelle est la latitude d’intervention des États ? est-elle aussi étroite qu’on le dit ? quel est l’avenir des classes moyennes dans les territoires où elles existent ? que signifie réellement la mondialisation ? Sur ces questions, l’auteur présente des analyses constamment intéressantes et souvent éclairantes.
En résumé, l’ouvrage tranche, par son style et par son contenu, avec la convention régnante en matière d’économie empirique. S’il y parvient, c’est précisément parce qu’il ose poser des questions théoriques précises. Il tranche donc également en matière d’économie théorique. La manière dont les deux méthodes analytique et synthétique se combinent et s’éclairent en font une œuvre de grande importance.