Texte passionnant que la discussion entre C. Wolfe et D.Debaise.
Il est clair, surtout si on a lu l’excellente présentation du workshop “reduction and emergence” qu’il ya un grand “fossé” sémantique et historique entre la tradition anglo-saxonne et la tradition continentale et Canghuilem peut en effet en être pris comme le point focal.
Où est passé l’épistémologie française après le cour-circuitage opéré par Foucault se demande, à juste titre CW ?
Le terme/processus “réduction” en territoire anglo-saxon est une méthodologie; Il est considéré ici comme une archéo-idéologie, dernier avatar du naturalisme/scientisme qu’il faut combattre au même titre que l’idéalisme du duo Natür/Geist Wissenschaft Entre les deux évidemment la phénoménologie qui (zu die Sache selbst + back to Kant) se met à égale distance d’une philosophie de la nature et de l’esprit.
Donc rien avoir entre le couple réduction/émergence, la multiplicité de ses protocoles, le réductionnisme, et la réduction eidétique sinon beaucoup de procès d’intention. Peu de compréhension possible également pour une philosophie de l’esprit axée sur l’interface brain/mind pour une philosophie plus “dichtungante” que “denkenante” plus attirée par le poétique et l’artistique que par la science.
Mais peut-être n’y a-t-il pas plus d’influences contextuelles dans le vitalisme et l’organicisme golsteinien de Canghuilem que dans le darwinisme de Dennett qui est en plus d’un choix scientifique une option militante contre la résurgence de l’obscurantisme créationniste aux USA . Difficile de se poser autrement qu’en s’opposant soit à une autre tradition soit à ses anciens maîtres (après leur avoir rendu le respectueux hommage qui convient!)
Il est également probable que le décodage du génome qui a donné lieu à une concurrence acharnée a poussé à des conclusions fonctionnalistes un peu rapides : “to be a gene is to be a causal mechanism” même si pour Kim il s’agit de relations entre concepts et non entre propriétés. On sait dorénavant qu’il n’y a pas univocité entre un gène et une fonction et d’autre part que ce qui semblait n’avoir aucun rôle dans l’ADN en a probablement un. Sinon on ne comprendrait pas pourquoi le grain de riz (50 000 gènes) n’est pas plus “emergent” que nous qui n’en avons guère plus que la mouche drosophile.
Tout est dans la complexité de la combinatoire issue de l’évolution et non dans le nombre. Les modélisations probabilistes des interactions aléatoires du micro ont sans doute beaucoup à nous apprendre sur le macro que ce soit en biologie ou en sociologie. Qu’est-ce qui fait passer d’une peur diffuse dans une foule à un mouvement de panique ? Qu’est-ce qui fait passer au viol collectif ou au lynchage? Qu’est-ce qui fait passer de bon “pères de famille” à l’ethnocide acharnée ?
Sans doute des processus fonctionnels analogues à ce qui oblige une cellule à se diviser et à s’unir dans des fonctions organiques ou des oiseaux à des conduites altruistes ou à migre en ne formant qu’une seule grande aile porteuse, comme l’unisson du chant des partisans ..;
Analogie mais pas identités. C’est toute la force du couple réduction/émergence et ce serait toute sa faiblesse s’il était “réductionniste” c’est à dire confondant les interactions “intra-level” et inter-level.
Tout ceci pour dire que certains concepts sont piégés par la “surdétermination” de leur contexte d’origine et qu’il est difficile aux uns et aux autres de leur rendre leur sens originel. Ainsi malgré ma modeste formation continentale il m’est difficile parfois quand je lis des textes parlant de “régimes” de discours de ne pas avoir une réaction très anglo-saxonne. S’agit-il de régimes de bananes (agrégats plus ou mois ordonnés par le nb d’or de L. de VInci), s’agit-il de “dispositifs” politiques ou du régime thermique d’un moteur ? ). Aucune dérision quant à ce mode de pensée au contraire. Seulement parfois une certaine perplexité due sans doute à ma très grande ignorance.