Les émeutes urbaines de Novembre 2005

Les banlieues, le feu, la désespérance et les voyous

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Cette situation n’a rien d’étonnant, elle n’est qu’une des faces de la désagrégation de nos sociétés et du tissu social. La violence n’est pas irrationnelle mais il n’y a pas de complot politique. Camus avait bien décrit cette situation dans l’Homme révolté, c’est du nihilisme. On peut rappeler les très bons travaux de Beaud et Pialoux (Violences urbaines, violence sociale, 2003) qui expliquent la désagrégation actuelle mais pour qu’il y ait violence généralisée, il faut des déclancheurs comme Sarkozy et des médias pour les communiquer, sinon nous avons de multiples actes de violence sans liens entre eux. Cette violence est le fruit d’une accumulation de haines, elle se dirige logiquement vers les institutions considérées comme co-responsable de ces situations individuelles, les écoles, l’Etat. Elle s’alimente aussi de sa propre image. Nous sommes dans une logique spectaculaire où les propos d’élus, du moins leurs images, trouvent des réponses dans des images de violences qui se répondent aussi entre elles et s’évaluent à travers les statistiques de voitures brûlées mais pourraient s’évaluer autremenent si on indiquait par exemple des statistiques de bâtiments détruits ou de chômage technique. Cette violence est une forme de langage particulière.

Mais elle n’est pas irrationnelle. Il y a une adaption aux nouvelles conditions. Quand on n’a pas confiance dans la justice et dans la société pour résoudre ses problèmes, la meilleure des défenses est de ne pas se faire prendre. Nous ne sommes donc pas dans des situations d’emeute à l’anglosaxonne où il y a une véritable confrontation car il y a deux camps bien déterminés où l’usage d’armes à feu est possible comme les fameuses émeutes du Watts. Nous ne sommes pas non plus dans une situation de guerre civile où la violence est organisée par des groupes maffieux ou pseudo-politique mais nous pourrons y tendre car la cause principale de tout cela, c’est le capitalisme néo-libéral dans lequel nous vivons.
Sarkozy n’est pas irresponsable. Il pratique une politique tout à fait cohérente, le capitalisme autoritaire. La mise en concurrence de nos vies crée un niveau d’inégalité qui s’accroit infiniment et le tout s’exprime librement dans nos télévisions.
La ségrégation urbaine est un choix politique. Le fait que l’OPAC, la principale office d’HLM de Paris ait des immeubles dans la profonde banlieue, difficilement accesible, est un choix politique. Clichy sous Bois est symptomatique de cette ségrégation spatiale, aucun accés métro, RER ou train de banlieue, uniquement une ligne de bus, des immeubles délabrés. Ces cités à OS, smicards sont devenus des cités à chômeurs, à rmistes avec les délocalisations, restructurations des industries de ces 20 dernières années.

Il faut faire attention aux apparences des phénomènes. Dans les années 70 et 80, en pleine période fordienne, la variable d’ajustement du capitalisme était les travailleurs d’étrangers. Yann Moulier-Boutang disait que la rigidité de la division du travail avait remplacé la rigidité de la baisse des salaires. En effet, les conventions collectives et la création du SMIG avaient stabilisés les salaires à la hausse et tout le monde travaillait à temps complet mais les étrangers ne bénéficiaient de ce même statut, d’où les grèves importantes menées par le Mouvement des Travailleurs Arabes à Poissy par exemple ou les mouvements dans les foyers Sonacotra ou Soundiata. Aujourd’hui, leurs enfants ne veulent plus être exploités comme leurs parents. C’est leur mai 68 ! mais n’étant pas issus de classes bourgeoises, leur « reclassement social » est difficile. Leur choix se fait entre un boulot de merde et le chômage ou le RMI. Avec une telle perspective d’avenir, il ne faut pas s’étonner qu’à la manière des anarchistes russes de la période tsariste ou de sa traduction litteraire dans Germinal, ils aillent détruire l’entrepôt de bus d’à coté, leur mine à eux. Le jeune de banlieue est la nouvelle figure du nihiliste mais il ne faut pas la limiter aux jeunes maghrébins. Ils étaient peu nombreux parmi ceux passés en comparution immédiate.
Sarkozy n’est pas irresponsables. Il a besoin de ces simplifications comme tous les conservateurs. Le clivage gauche/droite est bien de retour entre ceux qui veulent les structures sociales inégales et ceux qui veulent transformer notre société. Le pb est qu’une partie du PS se complait dans ce conservatisme social ou des lectures éculées de notre société et cette pseudo-concorde des maires de banlieue est plutôt inquiétante. Le capitalisme néolibéral défait notre tissu social, détruit les solidarités au nom d’une pseudo liberté théorique. De plus, la pseudo-modernité de Sarkozy cache son soutien aux structures rétrogrades aliénantes comme les religieux et les sectes type scientologie. Voir des médiateurs à clichy sous bois interpellaient les « jeunes » au nom d’« Allah akbar » me réjouit moins que l’incendie d’une usine. Cela révèle certe une contradiction qui se retournera contre la droite comme le gvt américain l’a cruellement vécu mais surtout cela ne nous éclaire pas un avenir progressiste. Le choisir entre le fascisme et le capitalisme des années 30 n’est pas plus réjouissant que le choisir entre l’intégrisme et capitalisme d’aujourd’hui.

Que faire maintenant ?

Être clair sur l’analyse comme dans les années 70. Les victimes ne sont pas les coupables. Si la violence doit être condamnée car elle ne peut déboucher que sur plus de violence légitime étatique, elle doit être aussi comprise et non critiquée unilatéralement car la phase suivante, c’est la guerre civile comme le vivent nombre du pays du Sud quotidienement ou des quartiers américains où le contrôle est fait par des groupes armés qui ne s’embarassent pas de la démocratie.
Reconstruire les réseaux de solidarités ou renforcer ceux qui existent car il faut reconstruire la gauche par une base populaire, qui est la seule manière de s’opposer au conservatisme qui est une position facile à faire passer. Il est toujours plus facile de s’attaquer aux symptômes d’une maladie qu’à la maladie.

Refuser les pseudos appels à la concorde. La crise économique et sociale est une crise systémique comme la crise écologique. Les slogans ne suffisent plus. Il faut quand on est élu ou militant politique, reconnaître son impuissance individuelle mais travailler à redonner espoirs par des actions de solidarités, critiquer l’hypocrisie de la crise et dénocer les causes de la crise (Il faudrait peut-être faire un arumentaire)
Faire la lumière sur les deux morts et sur toutes les violences policières pour arrêter le cycle de violence actuel. Dans cette logique spectaculaire, obtenir la démission de sarkozy n’est pas la solution, ni l’arrêt de la politique responsable de la situation mais elle serait un signe qui pourrait stopper l’embrasement. Car comme en 68, les acteurs de cet embrasement ne manquent pas et leur situation individuelle ne va se règler avec un claquement de doigt. Mais si cela ne s’arrête pas, le mécontement va augmenter, la pression policière, voir militaire va augmenter et la spirale de violence va se terminer sur un encadrement encore plus pousée des banlieues.
Dans ces conditions, défendre les libertés publiques est une position difficile et minoritaire mais elle est incontournable pour ne pas tomber dans le piège de la droite. Pour qu’elle soit audible, il faut l’associer à la création et au soutien des actions de solidarités locales.

Le 5 novembre 2005