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La régulation et le régime urbains : La structure urbaine, sa reproduction et le capital

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L’image de la “ville du capital” a longtemps dominé le débat urbain. La plupart des études sur le sujet ont établi un rapport universalisant entre l’urbain et le capital et subordonné les “phénomènes urbains” à la logique globale de valorisation du capital. Les conditions générales de production[[Cf. Lojkine, 1977 ; Castells, 1970 ; Harvey, 1985., l’espace de lutte autour de la consommation[[Cf Castells, 1970. ou le circuit secondaire qui absorbe la suraccumulation du secteur primaire[[Cf. Harvey, 1985., ce sont là les thèmes qui ont donné le ton du débat et divisé “les coeurs et les esprits” des chercheurs et des acteurs urbains. Ces temps héroïque d u structuralisme ont ensuite débouché sur une production urbaine soucieuse de révéler les particularités historiques et géographiques du “phénomène” urbain. Les analyses généralisantes ont cédé la place à une prolifération d’études de cas et d’enquêtes qui, dans leur volonté de rompre avec les approches “délirantes du rationalisme marxiste”, tendaient à se rapprocher du journalisme engagé, comme le souligne Castells dans son tour d’horizon des études concernant les mouvements sociaux urbains : “la plupart de ces recherches sont un mélange de descriptions romantiques et d”‘idéologie populiste”[[Castells, 1983, p. 5..
Nous chercherons ici à suggérer une possible médiation entre ces deux extrêmes. Pour ce faire, nous avancerons deux concepts qui devraient permettre, globalement, de mettre en lumière l’articulation entre capitalisme et structure urbaine (régime urbain) et les modes de reproduction de cette spatialité construite (régulation urbaine).
Cependant, l’articulation que nous voulons mettre en avant entre le capital et l’urbain (rapport industrialisation-urbanisation ou “urbanisation capitaliste”) ne sera pas envisagée sous son aspect universalisant, c’est-à-dire comme s’imposant dès l’instant où s’instaure une logique d’auto-expansion du capital. Nous partirons plutôt de l’hypothèse que les rapports sociaux de production capitaliste revêtent dans le temps et l’espace des formes différentes tout au long de l”‘historicité capitaliste” et qu’ils se manifestent à travers les modes d’organisation et de distribution de la production telle qu’elle est dirigée par la valorisation capitaliste. C’est à partir de cette hypothèse, qui a été formulée par l’école française de la régulation”, et en évoquant ses auteurs que nous chercherons à identifier les périodes particulières de l’historicité urbaine capitaliste, que nous proposons d’appeler, pour rester fidèles à la terminologie “régulationniste”, “régimes urbains”.
Les “régimes urbains” représenteraient ainsi des phases spécifiques du rapport entre capital et structure urbaine. La “fonctionnalité” de la structure urbaine à l’égard du processus de valorisation du capital évolue dans le temps et l’espace en fonction des caractéristiques du régime d’accumulation en vigueur. Les particularités de l’environnement urbain bâti – qui configurent ce que nous appelons la “fonctionnalité de la ville”- sont différentes selon que la dynamique de valorisation du capital se structure autour de la consommation de masse (fordisme) ou d’une consommation orientée et/ou restreinte (spécialisation souple ou fordisme périphérique). 1- n d’autres termes, chaque régime d’accumulation inscrit sa spécificité historique et géographique dans la spatialité urbaine sous la forme d’un “régime urbain”.
De la même façon qu’un régime d’accumulation a besoin de mécanismes sociétaux capables d’assurer la reproductibilité des rapports sociaux de production, les régimes urbains – ou les formes particulières de structure urbaine – font appel à ce que nous dénommons la “régulation urbaine”, qui constitue les caractéristiques du processus de production de la spatialité bâtie et les mécanismes qui garantissent sa reproductibilité. Les notions de régime urbain et de régulation urbaine doivent être vues ici en tant que proposition de relecture du rapport capital-urbain. Ce retour à un thème qui a marqué les études urbaines des années soixante-dix se justifie dans une large mesure par les interrogations soulevées par les changements qui touchent actuellement les “fonctions”, les pratiques, les politiques et les formes urbaines. La crise du fordisme et l’émergence de nouveaux projets de société (post-fordisme, néo-fordisme, etc.)[[Cf Lipietz et Leborgne, 1991. a remis en effet à l’ordre du jour cette question du rapport entre l’urbain et le capital ou, selon les termes de Scott, entre urbanisation et industrialisation[[Cf Scott, 1986..
Toutefois, contrairement à la tradition des années soixante-dix, ce rapport ne doit plus être problématisé selon la perspective universaliste propre à la logique du capital. Mais il devra également tenter d’échapper à une lecture qui serait allergique à toute volonté de dépasser une description historique. C’est dans cet esprit de médiation que nous essaierons d’identifier chez quelques auteurs ce que pourraient être un “régime urbain” et la “régulation urbaine”. Le texte qui suit relève donc avant tout d’une entreprise exploratoire visant à recueillir dans la littérature certains traits permettant de montrer l’opérationnalité descriptive de ces deux notions.

Les notions de régime d’accumulation et de mode de régulation

Le texte de référence qui définit le mieux ce qu’il est convenu d’appeler la “Théorie de la Régulation” est sans aucun doute la thèse de Michel Aglietta relative à l’économie américaine. Mais, concernant ce que nous appellerons le “chaînon manquant” (le marché immobilier) dans le rapport entre les processus d’industrialisation et d’urbanisation, le travail d’Aglietta ne fournit que peu d’indications explicites, dans la mesure où l’analyse que mène l’auteur autour de ce qu’il nomme le “mode de fonctionnement de la ville” et le surgissement de la “production en masse d’habitations” doit être comprise avant tout comme s’inscrivant dans le cadre des “macro-intentions” qu’il se propose de mettre en lumière. De ce point de vue, l’analyse qu’il fait de ce qu’on peut caractériser comme étant le rapport entre industrialisation et urbanisation obéit à un projet théorique plus large : définir une nouvelle approche dans la lecture des rapports capitalistes. Ses efforts consistent, à avancer l’hypothèse que la production et la distribution des excédents revêtent, au sein même de l’économie capitaliste, des formes historiques particulières (régimes d’accumulation), dont 1a reproduction est garantie par des exigences institutionnelles, culturelles et sociétales spécifiques[[Cf Boyer, 1986.. Le régime d’accumulation définit alors les rapports macro-économiques agrégés (caractéristiques du poids relatif de chaque secteur dans le processus général d’accumulation de l’économie) ainsi que les traits particuliers des formes d’organisation du travail (ce qui permet de tracer les limites et les possibilités de développement des forces productives, et donc des gains de productivité). Par ailleurs, la notion de mode de régulation sert à définir les conditions fondamentales qui garantissent les rapports sociaux de production. Elle représenterait les formes particulières d’embauche de la force de travail, les conditions de sa reproductibilité sociale et les formes monétaires spécifiques de chaque régime d’accumulation. Ces deux concepts permettent d’identifier des historicités particulières du rapport social de production capitaliste, c’est-à-dire l’élaboration d’une typologie des crises (dans le mode de régulation, dans le régime d’accumulation, crises graves et crises mineures) qui permettra à son tour de retracer les processus de transition entre les régimes d’accumulation et/ou les modes de régulation[[Cf Boyer, 1979, et Lipietz, 1979..

Une première approche de la notion de régime urbain

Dans l’analyse historique de l’économie américaine menée par les auteurs régulationnistes, les changements intervenus dans l’organisation du processus de travail, dans le mode de vie des salariés et dans les rapports inter-secteurs sont montrés comme les éléments ayant déterminé le passage d’un régime d’accumulation concurrentiel à un régime d’accumulation monopoliste. Ces modifications, et en particulier celles qui touchent au rapport salarial, ont entraîné des bouleversements significatifs dans ce qu’Aglietta appelle les “formes de fonctionnement de la ville” et caractérisent un certain processus d’urbanisation. Le terme urbanisation doit cependant être utilisé avec précaution : il ne faudrait pas le comprendre ici dans son sens démographique habituel d’augmentation de la population urbaine, mais plutôt dans le sens analytique d’accroissement de la place de l’urbain dans la reproduction des rapports sociaux.
On peut supposer que le passage, par exemple, du régime tayloriste au régime fordiste, dans lequel la consommation de masse sert de modèle urbain universel implique un certain processus d’urbanisation. De ce point de vue, on peut dire qu’il y a non pas un mode unique d’urbanisation qui serait associé ou non à la Révolution Industrielle et/ou à des modes d’industrialisation, mais des processus divers. L’urbanisation serait avant tout un moment de transition dans la place particulière qu’occupe l’urbain dans les rapports sociaux de production et dans les mécanismes de leur reproduction.
Les “processus d’urbanisation” constituent en fait les moments de transition entre des “fonctionnalités urbaines” différentes, c’est-à-dire dans les manières dont une structure sociale urbaine est liée au rapport capitaliste de production. Ce lien revêtant des traits particuliers dans le parcours historique du capitalisme (régimes d’accumulation), il en résulte une altération de la fonctionnalité de la ville au fil du temps. Schématiquement, un régime urbain définit les formes particulières qu’assument les processus de production et d’appropriation de l’espace urbain construit. En ce sens, le marché immobilier peut être vu, tout comme d’autres modes d’approvisionnement résidentiel, comme une institution -dans le sens que donne au terme Boyer-[[Cf Bover, 1986, p. 48., du régime urbain. C’est ce qui confère un statut propre à ce “chaînon manquant” dans le rapport industrialisation-urbanisation. Notre hypothèse est donc que, en évoquant le concept de régime urbain et son articulation avec le régime d’accumulation, il est possible de redéfinir les visions que l’on a habituellement du rapport (ou du non-rapport) qu’il y a entre marché immobilier et processus d’urbanisation industrialisation.
Nous croyons qu’il est possible, à partir des concepts de régime d’accumulation, de mode de régulation, de régime urbain et de régulation urbaine d’établir des niveaux différenciés d’analyse. Nous pourrons ainsi étudier, d’un côté, les caractéristiques de la reproductibilité urbaine proprement dite -par exemple les processus de structuration intra-urbaine, les crises fiscales urbaines, etc. et, de l’autre, le rôle de la “fonctionnalité urbaine” dans le mode de régulation d’un régime d’accumulation particulier -par exemple dans les modes de vie et de consommation, dans le type de lien qui s’instaure entre les espaces de travail, d’habitation et de loisir, etc. La distinction entre ces deux niveaux d’analyse permet de relever des mouvements aussi bien synchroniques que diachroniques entre les régimes urbain et d’accumulation. Il est alors possible d’identifier des “trajectoires urbaines” différentes au sein d’un même régime d’accumulation, où les particularités de chaque ville se traduisent par une forme spécifique de régulation urbaine.
De la même façon, on peut imaginer que les crises qui touchent un régime d’accumulation engendreront ou non des crises urbaines qui se manifesteront différemment selon les caractéristiques propres de ce régime et de son mode de régulation. On peut aussi penser qu’une crise urbaine fiscale, par exemple- se manifestera en fonction des particularités du mode de régulation de la ville sans que cela n’affecte la reproduction du régime d’accumulation. Enfin, les notions de régime urbain et de régulation urbaine pourront servir à dépasser les limites naturalisantes (dans le sens démographique et évolutionniste du terme) que comportent les concepts d’industrialisation et d’urbanisation, et à ouvrir ainsi de nouvelles possibilités d’analyse concernant l’articulation entre l’économique, l’urbain et le marché immobilier.

Le surgissement du fordisme aux Etats-Unis et l’émergence d’un nouveau régime urbain

Grosso modo, nous pouvons distinguer deux niveaux d’argumentation dans l’analyse que fait Aglietta du “mode de fonctionnement de la ville” dans le processus d’instauration du régime fordiste d’accumulation. Le premier est celui qui considère les liens entre, d’un côté, les changements intervenus dans la spatialité urbaine, et en particulier dans la localisation de l’habitat ouvrier, et, de l’autre, l’émergence d’un régime intensif d’utilisation de la force de travail (le taylorisme). Le deuxième niveau de l’articulation entre urbain et industriel est celui qui met l’accent sur la consommation, et donc sur la production massive de biens durables (fordisme).
Aglietta distingue ainsi, par rapport à ce nouveau régime d’accumulation, deux niveaux de la fonctionnalité urbaine : celui qui touche aux altérations générées au sein des “forces productives” d’une part, et celui qui concerne le surgissement d’une nouvelle “norme sociale de consommation” d’autre part. Si ces deux modifications assument des rôles différents, qui font appel d’un côté à la réorganisation de la production, et de l’autre au problème des débouchés de cette production, elles renvoient cependant toutes deux au changement intervenu dans le “rapport salarial”, et plus particulièrement dans ce que les auteurs régulationnistes appellent le “mode de vie”[[Cf Boyer, 1986, p. 49. ou encore les “conditions d’existence du travail salarié”[[Cf Aglietta, 1976, p. 129..

L’uniformisation de la force de travail et les nouveaux critères de localisation de l’habitat ouvrier

Le premier moment de la modification du mode de fonctionnement de la ville serait lié aux changements survenus dans l’organisation du processus de travail lors du passage du XIXe au XXe siècle. Avec le taylorisme, la principale exigence imposée aux travailleurs, est la soumission absolue à des normes disciplinaires de production, le savoir lié à l’acte de transformation de la nature ayant été codifié aussi bien dans le système de maniement des machines que dans les normes gestuelles du processus de travail[[Cf Coriat, 1979..
Ce processus, qui devait se limiter en principe au “monde bruyant” de la fabrique, s’est fortement répercuté sur le mode d’habitat des travailleurs. Dans l’ancien modèle résidentiel ouvrier le facteur d’attraction déterminant résidait dans la proximité de la fabrique, fondamentale non seulement pour la constitution de “poches” de main-d’œuvre détenant encore un certain savoir-faire, mais aussi et surtout en raison de la longueur de la journée de travail.
Ce modèle de localisation résidentielle est cependant redéfini avec l’uniformisation de la force de travail, l’intensification de son utilisation et -principalement- la réduction de la journée de travail. Au début du XXe siècle, on assiste ainsi à une première vague de production généralisée d’habitations qui va bouleverser les critères traditionnels et les effets d’agglomération sur les lieux de résidence ouvrière et d’implantation des fabriques.
La redéfinition du nouveau problème posait un nouveau problème pour le fonctionnement des cités industrielles : celui de la distance entre le lieu de travail et le lieu de résidence. La réponse qui est apportée à cette question pratique touchant au quotidien de la vie et du travail conduit à une modification importante du mode de fonctionnement de la ville elle-même, avec la mise en place d’un système de transports d’abord collectif dans les premières décennies de ce siècle, et ensuite plus individuel, qui allait remettre en question toute une organisation urbaine, mais aussi, comme le soulignent Aglietta et Coriat, le mode de vie des salariés.
La transformation qui intervient dans la forme et la localisation de l’habitat ouvrier ainsi que dans les infrastructures urbaines est un élément essentiel de l’implantation du taylorisme en tant que mode dominant d’utilisation de la force de travail et d’organisation de la production[[Cf Aglietta, 1976, p. 61 et 62.. Cependant, la diffusion et l’accroissement de la production de logements joue un autre rôle dans le soutien au nouveau régime d’accumulation. Si, d’un côté, elles ont offert de nouvelles conditions de reproductibilité de la force de travail, de l’autre, elle a eu un impact macro économique significatif aux États-Unis durant les premières décennies du XXe siècle.
Le rapport entre la production massive de logements et le nouveau régime d’accumulation s’établit, en termes macroéconomiques, à deux niveaux. La première articulation concerne les demandes inter-industrielles induites par les décisions de production d’habitations. La deuxième, et sans doute la plus importante dans le soutien du nouveau régime, tient au fait que la construction de logements crée une masse salariale urbaine indispensable à un secteur de production de biens de consommation en plein essor grâce à l’introduction systématique du travail à la chaîne et à la mise en oeuvre des systèmes de machines intégrées. Apparaît ainsi un “cercle vertueux” où l’on voit la masse salariale engendrée par la production de logements pourvoir à une partie de la demande dans le secteur de la production de biens de consommation, tandis que ce dernier, grâce à ses gains croissants de productivité, entraîne une réduction du “salaire réel” (valeur de la force de travail). C’est ce qui marque l’entrée dans un régime d’accumulation intensive caractérisé par la prééminence du mode relatif de calcul de la plus-value.

La maison et l’automobile comme expression du mode de consommation fordiste

Les transformations induites dans la forme d’organisation du travail à la fin du XIXe siècle et durant les premières décennies du XXe aux Etats-Unis (taylorisme) ont permis une montée en puissance et une intensification du recours à la force de travail qui se sont traduites par d’énormes gains de productivité. Néanmoins, ces altérations de la base productive du capitalisme n’ont pas été suivies de retombées immédiates dans la structure de la mise en oeuvre de cette production. La grande crise de sur-production de 1929 en fut la conséquence.
La résolution de la crise et la mise en place d’un régime d’accumulation intensive stable ont exigé : une amplification du processus de pénétration des relations mercantiles dans les conditions d’existence du travail salarié, qui a contribué à instaurer les normes de consommation de masse à l’émergence de “compromis dans les rapports contractuels entre les capitalistes et les organisations ouvrières, et à la socialisation d’une partie des dépenses de reproduction de la force de travail”[[Aglietta, 1976, p. 72.. Il est ainsi possible d’établir un lien analytique entre la transformation du mode d’organisation du travail (taylorisme), le mode de régulation d’un régime d’accumulation centré sur la production de masse de biens de consommation durables (fordisme) et un mode de fonctionnement de la ville qui doit se mettre en adéquation avec la production de masse de logements et d’automobiles. Dans un tel modèle, l’habitat cesse d’être uniquement le lieu de ce que Marx aurait pu appeler la “reproduction physique” de la force de travail (dormir-procréer) ; il devient aussi le lieu d’accumulation et de réalisation individuelle des valeurs d’usage des biens durables. La dimension physique de l’habitation (sa taille moyenne) devra la rendre apte à accueillir toute une série de biens durables.
De la même façon, le critère du choix de la localisation du domicile est bouleversé par la réduction de la journée de travail et les nouveaux moyens de transport. Ces transformations vont entraîner une relative “sédentarisation” résidentielle des salariés, dans la mesure où leur choix va obéir de moins en moins à la “loi aveugle” de l’offre d’emploi(et donc de ses fluctuations). C’est aussi cette stabilité spatiale qui va permettre aux familles d’accumuler des biens de consommation durables chez elles, modifiant ainsi radicalement le processus de reproduction du quotidien familial des salariés.
La conjugaison de ces deux facteurs – plus grande stabilité spatiale et agrandissement de l’unité domiciliaire – va induire un double mouvement de “banlieuisation” et d’accès à la propriété immobilière pour une partie significative des salariés. Le premier de ces phénomènes trouve un “allié” fondamental dans cet autre bien durable qu’est l’automobile, dans la mesure où ce nouveau mode de transport individuel permet de viabiliser le déplacement entre le lieu de résidence et le lieu de travail. Les unités résidentielles ayant besoin de surfaces croissantes de terrain urbain et celui-ci étant devenu relativement cher, il en résulte un déplacement de : l’offre de logements vers les banlieues. Dans la mise en place de ce “cercle vertueux urbain” entre banlieuisation et diffusion du transport individuel, l’industrie automobile va trouver une expansion dynamique de sa demande[[Cf Walker, 1981, et Florida, 1985.. Ce processus va exiger par ailleurs une intervention significative de l’Etat en ce qui concerne la production d’une infrastructure urbaine : rendre les banlieues accessibles aux voitures demandait la mise en oeuvre non seulement d’un vaste programme de voirie, mais aussi de tout un réseau de services urbains tels que la distribution d’eau, d’électricité ou l’installation d’égouts.
Ainsi, la redéfinition des critères de décision concernant la localisation domiciliaire, la transformation du quotidien à l’intérieur de l’unité familiale salariée (substitution du travail non mercantilisé par l’usage de biens durables), la généralisation des moyens de transport motorisés, la relative stabilité résidentielle (grâce à l’accès à la propriété), l’accroissement de la surface moyenne des logements de salariés et la production d’une infrastructure urbaine centrée sur les deux biens durables “emblématiques” du modèle fordiste de consommation l’automobile et la maison- sont les principaux signes visibles de la constitution d’un nouveau régime urbain dans la société nord-américaine, que l’on peut qualifier de régime urbain fordiste.
Cependant, la caractérisation d’un régime urbain ne saurait se faire uniquement à partir des traits que nous avons cherché à mettre en avant concernant l’instauration du régime d’accumulation fordiste aux Etats-Unis. Si, d’un côté il est indéniable que ces traits permettent d’identifier la manière dont la production de masse d’habitations est devenue l’un des piliers de l’édification de la régulation fordiste (et les raisons de cette production) et dont ce régime d’accumulation a induit des transformations significatives dans le fonctionnement de la ville, de l’autre, et dès lors que ce sont avant tout les macro caractéristiques du fordisme et leur articulation avec la spatialité construite qui sont soulignées à ce niveau d’analyse, il convient parallèlement d’identifier la dimension spatiale interne proprement dite du régime urbain.
Le moment est venu de relativiser la prééminence du discours démographique en relevant quelques traits de ce que pourrait être la configuration d’un nouveau régime urbain (fordiste). Ce processus de modification des caractéristiques urbaines, c’est-à-dire du régime et du mode de régulation de la ville, exprime selon nous plus exactement le terme “urbanisation”, dans la mesure où il introduit dans les altérations démographico-spatiales une dimension qualitative qui incite à prendre ce terme dans son sens pluriel. Cependant, l’usage de la notion d’urbanisation pour définir le passage (transition) entre deux régimes urbains différents introduit tout une série de nouvelles interrogations.

La régulation monopoliste, le tribut foncier et la rénovation urbaine

Selon Alain Lipietz, aborder l’espace en continuité avec la tradition de l’économie politique devrait consister avant tout en une distinction entre les formes d’appropriation de l’espace par les classes sociales, et à montrer comment la spatialité, en cessant d’être une nature préservée de l’action transformatrice de l’homme, se produit-reproduit en obéissant à la logique d’un rapport déterminé de production. Dans ce cadre de référence intellectuel, la première étape consiste pour Lipietz à spatialiser la division sociale du travail selon la définition qu’il donne du concept de division économico sociale de l’espace (DESE), qui serait l’expression “spatiale des activités des agents et de leur mode de vie”[[Lipietz, 1982, p.6. Par ailleurs, Lipietz définit la DESE comme étant la combinaison de deux processus de structuration : “la division technico-économique du travail qui règne au niveau des forces productives et des rapports de production, qui se reflète par une division technico-économique d, l’espace (DTE) -ici le port, la fabrique, les bureaux et les résidences-, et la division sociale du travail qui règne au niveau des rapports sociaux de production et qui se reflète en une division sociale de l’espace (DSE) -ici les résidences des patrons et des ingénieurs d’un côté, et celles des ouvriers de l’autre” (Lipietz, 1974, p.22).. Pour que la DESE se reproduise dans le temps, il faut cependant qu’il y ait un “mécanisme régulateur de l’appropriation du sol[[Lipietz, 1983, p.119.. L’hypothèse avancée par l’auteur est que le mécanisme qui préside à la reproduction de la DESE pourrait être identifié grâce à une théorie de l’imposition d’un tribut foncier urbain. On aurait ainsi une typologie historique de la “régulation de l’espace” où un type dominant de tribut foncier servit de mécanisme régulateur de la reproductibilité de la division économico-sociale de l’espace. Deux formes essentielles de régulation de la DESE ont été ainsi relevées le régime concurrentiel et le régime monopoliste ou fordiste.
Selon Lipietz, ce tribut serait déterminé non pas par la maximisation des fonctions d’utilité que recherchent les individus, mais par l’échelon social qu’occupe le quartier dans la DESE. L’auteur l’appelle “tribut différentiel exogène”, dans la mesure où il est défini pour une DESE donnée, autrement dit par un “héritage” historique. Le tribut différentiel exogène serait ainsi le mécanisme qui préside à la “reproduction simple de la division économico-sociale de l’espace” dans la régulation concurrentielle. Dès lors qu’un quartier s’inscrit dans la division économico-sociale de l’espace, ses caractéristiques ne pourront être altérées par l’offre individuelle de logements, dans la mesure où, contraints de payer un tribut pour l’insertion de la zone concernée dans la DESE, les capitalistes ne peuvent faire un usage du terrain hiérarchiquement inférieur sans que cela se traduise par un préjudice. Mais si le mécanisme du tribut différentiel exogène est 1″‘opérateur économique de la DESE qui assure l’adéquation du ‘rang’ social de la résidence produite au ‘rang’ social du quartier”[[Lipietz, 1983, p. 119., il est incapable de modifier la structure spatiale ; il peut tout juste réitérer une structure prédéterminée. Dans la régulation concurrentielle, “la croissance urbaine implique soit une prédétermination implicite de l’espace social, soit une intervention de l’état urbaniste”.
La conquête par les capitaux individuels du “pouvoir” d’altération de la division économico-sociale de l’espace, indépendamment de la prédétermination de la croissance urbaine par l’Etat urbaniste, marque l’émergence d’une nouvelle forme de régulation de l’espace : c’est la phase monopoliste ou fordiste. Dans ce nouveau mode de régulation de l’environnement construit, les capitaux devaient se libérer des règles établies par la configuration socio-spatiale existante, rompant ainsi avec le mécanisme régulateur du régime concurrentiel (tribut différentiel exogène) qui interdisait l’accès aux gains liés à l’imposition foncière (tribut foncier). Les capitaux faisant usage du sol urbain et offrant de l’espace bâti vont alors passer d’une attitude passive à un comportement actif dans le “jeu” de l’imposition de tributs[[Pour une présentation relativement simplifiée de la dispute autour du tribut foncier à partir de la théorie des jeux, voir Paelink, J.H.P., et Sallez, A., “Prix fonciers, comportements des acteurs et théorie des jeux”, in La rente foncière, approches théoriques et empiriques, Paris, 1990.. Pour ce faire, ces capitaux sont amenés à proposer de nouvelles spatialités devant obligatoirement nier la structure socio-spatiale en place. De ce point de vue, “la production monopoliste de l’espace consiste -à matérialiser un nouvel espace social, un espace projeté qui se substitue à l’espace social concret préexistant”[[Lipietz, 1983, p. 122..
C’est ainsi que, dans la régulation monopoliste (ou fordiste), les choix de localisation de l’offre capitaliste de résidences en viennent à être commandés par ce que Lipietz appelle le tribut différentiel endogène[[Ce tribut est défini comme étant le “rapport entre le capital à investir et le bénéfice attendu (…) il s’agit de la différenciation du tribut provoquée par le niveau de l’investissement capitaliste lui-même (analogue à la rente différentielle II de Marx)”. Lipietz, 1983, op. cit., p.122., et que nous préférons quant à nous nommer l’imposition d’un “mark up urbain”, le tribut différentiel exogène déterminé par la DESE préexistante n’étant plus que l’un des éléments du calcul de ces capitalistes. Ce processus individualisé de transformation de l’environnement bâti qui en vient à diriger la régulation fordiste de l’espace urbain, et dont les traits principaux peuvent être traduits schématiquement par la “dynamique immobilière”[[Cf Abramo, 1989., va révéler avec une netteté accrue l’ambiguïté du rapport mercantile. En effet, si d’un côté il libère les capitaux à travers un processus d’auto-expansion des frontières d’une hiérarchie socio-spatiale donnée, de l’autre, il amplifie les incertitudes quant à la réalisation de l’offre de logements. Autrement dit, la reconnaissance sociale des nouvelles spatialités socio-économiques proposées par les capitalistes va devenir un problème critique dans le mode fordiste de régulation urbaine.
Ce type de problème se pose, selon Lipietz, principalement pour les opérations de rénovation et de création de centres urbains et commerciaux, et il fait intervenir ce qu’il appelle la “tactique de validation sociale de la production monopoliste d’espace”. Cette tactique consisterait essentiellement en une intervention de l’Etat qui, d’un côté, éliminerait tout risque de blocage de l’opération de négation de l’ancienne spatialité (grâce à l’expropriation) et, de l’autre, donnerait des signes (allocation d’équipements et des services) à la société de ce que lui -l’Etat- s’engage à ratifier la nouvelle spatialité proposée par les capitalistes privés.
Cependant, si le trait principal de la forme de régulation monopoliste ou fordiste est la négation récurrente des spatialités en place à travers des propositions de nouvelles spatialités, et si, comme le souligne Aglietta, l’une des caractéristiques constitutives du mode de consommation fordiste et de son régime d’accumulation est la production en masse d’habitations, on peut raisonnablement penser que le processus de “rénovation” urbaine – autrement dit, de négation de la spatialité ancienne- pourra revêtir des aspects divers. Il interviendra ainsi, aussi bien sous la forme de macro-transformations (ce qui constitue le sens courant du terme et caractérise les opérations monopolistes d’internalisation d’une série d’externalités) que de moyennes (à l’échelle du quartier), petites (portion d’un quartier) et micro-transformations. Si l’action des capitalistes peut se manifester à ces différentes échelles l’intervention de l’Etat dans toutes les opérations de transformation de la division économico-sociale de l’espace exigerait cependant de sa part une capacité à interférer dans la spatialité bâtie qui paraît largement au-delà de ses réelles possibilités, que ce soit en termes de coordination temporelle et spatiale des multiples “demandes” de soutien dans la validation-réalisation des nouvelles spatialités proposées ou, une fois résolu le problème de la coordination, du point de vue de son omniprésence dans la régulation spatiale. En dernière instance, la présence de cet Etat Urbain éliminerait la possibilité d’existence de relations de marché susceptibles d’interférer dans le processus de structuration de la spatialité urbaine construite. On aurait alors quelque chose qui se rapprocherait d’une “loi urbaine de Say”, où l’on verrait l’Etat garantir la réalisation de l’ensemble de la production de l’espace construit[[Il est intéressant de noter qu’une partie significative du débat de la sociologie urbaine critique des années soixante-dix, en France, tournait autour du leitmotiv de la figure omniprésente, et dans certains cas omnipotente, d: l’Etat. Même chez un auteur comme Topalov, qui a cherché à analyser la production résidentielle de marché, on retrouve le souci constant de voir dans les actions de l’Etat un moyen de viabiliser le processus d’auto-expansion des capitaux. Voir à ce sujet Topalov, 1974..
Il nous semble donc raisonnable de supposer la présence d’autres mécanismes permettant d’assurer la réalisation de la spatialité urbaine construite, via le marché, par les capitalistes. Dans la mesure où ils expriment et permettent la reproduction de la structure urbaine, ces mécanismes s’inscriraient dans le mode de régulation fordiste.

La convention urbaine comme troisième forme de régulation

Dans un précédent travail, nous avions cherché à proposer une forme de coordination des décisions de production de spatialités bâties par les capitaux immobiliers, et de leur validation sociale, qui ne passerait pas obligatoirement par l’action de l’Etat[[Cf Abramo, 1991 et Abramo, 1994.. Cette forme de coordination, que nous avons appelée “convention urbaine”, serait une réponse des agents producteurs de spatialité construite à un environnement urbain en constante mutation. De plus, cette incertitude à l’égard de la DESE future serait l’un des traits caractéristiques du régime urbain fordiste, dans la mesure où les capitalistes qui produisent cette spatialité doivent nier la spatialité ancienne pour imposer un mark up urbain. Qu’ils en soient producteurs ou consommateurs, les agents qui doivent prendre des décisions quant à la spatialité construite le font dans un environnement d”‘incertitude urbaine”, dès lors que la DESE future sera le résultat agrégé d’un ensemble de choix individuels décentralisés. Les capitalistes immobiliers vont alors spéculer sur les intentions de production des autres capitalistes (pour qui ils vont produire de l’espace bâti), et c’est sur ces spéculations qu’ils se forgeront une idée de la DESE future (virtuelle). Mais puisque chaque capitaliste sait que les autres formulent leur opinion en tenant compte de la sienne, il sera amené lui-même à reformuler son anticipation en s’interrogeant sur ce que les autres pensent qu’il pense de la DESE future. Si tous les capitalistes raisonnent ainsi, on aura alors un “environnement de spécularité”[[Cf Dupuy, 1989. où la crainte de porter un jugement erroné sur l’avenir (en raison de l’incertitude régnante) engendrera un comportement imitatif[[Cf Keynes, 1937., ou encore mimétique[[Cf Orléan, 1986 et 1989., avec émergence soit d’une “opinion moyenne” sur ce que serait la spatialité construite future, c’est à dire d’une “convention urbaine” qui permettra aux capitalistes de formuler leurs décisions d’altération de la spatialité en place, soit d’un désistement (fuite) à l’égard d’une pratique monopoliste de transformation de l’espace bâti. Cette fuite pourra se traduire aussi bien par des choix de non-production (crise urbaine) que par un retour à des pratiques de régime concurrentiel qui conduiront les capitalistes à reproduire les caractéristiques de la division économico-sociale de l’espace, et donc à se trouver dans l’incapacité d’imposer un mark-up urbain. Ainsi, dans un régime fordiste, la reproductibilité de la DESE obéit à des formes de régulation différentes selon les particularités non seulement des modes de production de la spatialité construite (production étatique et production capitaliste privée), mais aussi des processus de coordination des agents et de validation sociale des spatialités proposé.

Systèmes de production de logements en régime fordiste et formes de régulation

On peut donc établir un lien entre les formes de production de logements et les mécanismes de régulation de la spatialité urbaine capitaliste. Grosso modo, la littérature concernant l’offre de logements dans les pays développés distingue trois grands modes (systèmes) de production (de promotion, d’approvisionnement) résidentielle capitaliste en régime fordiste :
a) la production étatique ;
b) la production capitaliste “assistée”,
c) la production capitaliste “autonome”.
Durant tout le régime fordiste, l’Etat a été présent dans la production résidentielle, que ce soit en coordonnant les décisions de production (politiques d’habitation) ou les flux monétaires assurant le financement de cette production et de sa réalisation concrète (politiques monétaires). Même dans le cas des États-Unis, vu comme le “paradigme” de la politique d’habitation “libérale” ou “de marché” en régime fordiste, l’État a une participation active dans la mise en place du système de financement du logement et
dans sa gestion[[Voir à ce sujet la formulation de Topalov (1974, 1984 et 1987) en termes de promotion immobilière. Dans le premier ouvrage, l’auteur présente une taxinomie de cette promotion ; dans le second, il cherche à établir les fondements théoriques (théorie de la rente) des trois marchés ; et dans le troisième, il mène une analyse du cas français à propos de cette “marchandise impossible”. Un autre exemple est donné par M. Ball (1983, 1986), qui suggère le concept de “structures de production du logement” (SEP) en tant qu’instrument (“metatheorical concept”, Ball et Harloe, 1982) grâce auquel il serait possible d’identifier historiquement les l’ormes d’approvisionnement résidentiel. Ball (1985) a rejeté toute tentative de théorisation globale des types de rente foncière et fait du matérialisme historique l’outil privilégié des analyses liées à l’urbain. En ce sens, le concept de système de production du logement permettrait d’identifier, pour chaque moment historique et spatial particulier, les agents impliqués dans le processus de production de logements et les liens que ceux-ci établissent entre eux et avec la société.. La distinction entre productions capitalistes assistée et autonome ne repose donc pas sur le maintien ou non de liens avec l’État, ou sur l’utilisation on non des structures institutionnelles. La différence tient aux normes auxquelles devra obéir l’offre capitaliste pour accéder à certaines prérogatives qui introduiront des nuances quant aux critères habituels du libre jeu de la concurrence et du marché par exemple dans l’accès à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché. La production capitaliste “assistée” va ainsi se soumettre à certaines normes institutionnelles touchant à l’allocation des biens produits : construire pour une tranche spécifique de revenus, accepter des critères préétablis concernant l’endettement familial, etc. Ces normes restreindront sa liberté de production, mais elles limiteront par ailleurs l’incertitude liée à la réalisation de cette production, en raison même des mécanismes institutionnels qui permettent à ces biens d’entrer sur le marché avec des “avantages comparatifs». A l’inverse, la production capitaliste “autonome” jouira d’une liberté allocative[[La liberté allocative est toutefois relative, dans la mesure où elle doit respecter certaines normes relevant du code de la construction ou de la législation urbanistique et qui varient dans le temps et l’espace., mais elle devra aussi faire face, concernant la concrétisation de sa production, à un environnement d’incertitude inhérent au marché capitaliste.
Il est possible, schématiquement, d’articuler ces trois formes de production sur trois modes de régulation de la DESE pour les villes capitalistes fordistes : ceux de type concurrentiel, monopoliste et “mimétique” (ou “conventionnel”). Les deux premiers mettent en jeu des tributs différentiels respectivement exogène et endogène. Le rôle de l’Etat est ici fondamental, soit parce que c’est lui qui détermine les altérations à mettre en oeuvre au sein de la DESE et/ou programme la croissance urbaine (l’Etat urbaniste), soit parce qu’il ratifie/garantit la réalisation des projets de transformation de la
DESE que proposent les capitalistes monopolistes[[Cf Lipietz, 1977.. Dans le troisième mode de régulation spatiale en revanche, l’État n’est plus une entité omniprésente, et l’altération de la DESE se fait par le “jeu” de la concurrence capitaliste. Ici, la réalisation de la nouvelle spatialité n’est pas assurée par des mécanismes (stratégies) de contournement des règles et des fonctions du marché. En même temps qu’ils ont une certaine liberté d’action pour proposer de nouveaux espaces bâtis, les capitalistes doivent faire face à l’aléa de la reconnaissance ou du rejet de leur projet par la société. Ce jeu de “spéculation mimétique” entraîne 1″‘émergence” d’une représentation de la DESE future qui prend la forme d’une “convention urbaine”[[Cf Abramo, 1991. et qui va devenir le mécanisme de régulation spatiale quand les capitalistes se présentent sur le marché avec un “esprit animal”[[Cf Keynes, 1936..
Les trois formes de régulation de la spatialité urbaine évoquées ici sont caractéristiques des systèmes de production capitaliste (dans ses deux versions) et étatique de logements. Comme nous l’avons souligné, ces formes tendent à coexister sous un même régime urbain, mais leur poids relatif diffère selon la nature de ce régime. La régulation de la DESE se fait donc à travers la ‘coexistence de différents types de régulation urbaine, et c’est la prédominance de l’un vis à vis des autres dans certaines spatialités de la DESE qui constitue les traits d’un régime urbain.

Le régime urbain du “fordisme périphérique”

Un bon exemple de la coexistence de rapports salariaux fordistes et non fordistes et de leur expression dans la forme de structuration interne des métropoles périphériques est le maintien de critères de localisation résidentielle et de modes de consommation propres aux économies de l’Europe occidentale du XIXe siècle et du début du XXe (proximité entre lieu de résidence et lieu de travail) à travers les modèles de localisation habitationnelle et de consommation du régime d’accumulation fordiste. Fondé sur la conjugaison d’une production massive de logements et d’automobiles et de l’accès des salariés à la propriété domiciliaire, celui-ci introduit une fracture dans la logique de détermination du lieu de résidence à partir du critère de localisation de l’emploi et/ou d’autres formes de revenus.
Cette autonomisation des critères de localisation résidentielle apparaît dans ce que les auteurs des modèles de base de l’économie urbaine néoclassique ont appelé la “préférence pour l’espace” chez les riches, au détriment de 1″‘accessibilité” du lieu de travail (CBD),
caractéristique de la fonction d’utilité chez les pauvres[[Cf Alonso, 1963, et Fujita, 1990.. Toutefois, selon nous, l’élément le plus marquant concernant les critères de détermination de la localisation résidentielle non locative, c’est-à-dire dans le cas où le choix résidentiel est indissolublement lié à l’acquisition (et à l’offre) d’un bien durable, tient à la tentative d’anticipation de l’évolution future de la structure urbaine, et aussi de la position relative virtuelle des localisations[[Cf Abramo, 1988.. Cependant, cette évolution dépend d’une infinité de décisions autonomes de production et de consommation de spatialités urbaines, et ce caractère d”‘incertitude” de la dynamique de structuration intraurbaine capitaliste pourra revêtir une “dramaticité” distincte selon les traits domine de régulation de la spatialité.
Dans le cas où la “régulation monopoliste” ou 1″‘État urbaniste” sont prédominants par rapport à la “régulation mimétique” (ou keynésienne), l’environnement d’incertitude même s’il ne disparaît pas totalement donne lieu à certaines formes préétablies de coordination dans l’évolution de la spatialité urbaine. A l’opposé, on peut supposer que dans un régime urbain où la régulation mimétique de l’espace occupe une place prépondérante en tant que moyen de coordination des offres capitalistes de logements, l’exercice consistant à anticiper la structure urbaine sera plus aléatoire et largement assujetti à la “croyance” que nourrissent les producteurs et les consommateurs de spatialité urbaine autour de l’avenir de la ville.
Dans la plupart des régimes de la périphérie des villes, on trouve des formes de production de résidences qui échappent aux réglementations (lotissements clandestins, invasion de terrains, auto-construction, etc.). Lorsque, dans un régime urbain, coexistent d’un côté les systèmes de production de logements de type fordiste (étatique, assisté et autonome) et, de l’autre, les formes “informelles” de production de spatialité résidentielle, on peut dire que la régulation urbaine emprunte des éléments de la régulation fordiste et d’autres de la régulation périphérique. C’est cette juxtaposition qui nous permet de parler ici avec Lipietz de régime “fordiste périphérique”[[Cf Lipietz, 1985.
Etant donné que, dans les métropoles de régime fordiste périphérique, une partie significative des habitations abritant les couches de la population dotées d’un faible pouvoir d’achat est produite à travers des systèmes qui n’obéissent pas aux critères légaux, et que l’expansion urbaine ne semble pas y suivre les principes et les attitudes volontaristes d’un “Etat urbaniste” qui coordonnerait les intentions de production et de consommation de spatialité bâtie, l’incertitude urbaine y joue apparemment un rôle beaucoup plus important que dans les régimes urbains fordistes des économies développées. En effet, les anticipations touchant à l’évolution intraurbaine et formulées aussi bien par les capitalistes qui offrent des logements que par les travailleurs (fordistes) qui consomment (acquièrent) ces biens se heurtent à un autre facteur (aléatoire) de transformation de la structure urbaine : l’informalité résidentielle.
Cette caractéristique nous a amenés à émettre l’hypothèse que les processus spéculatifs liés aux spatialités construites ont, dans la régulation urbaine du fordisme périphérique, un poids nettement supérieur à celui qu’ils représentent dans les pays développés, ce qui expliquerait les phénomènes de modifications intraurbaines rapides (DESE) que l’on observe dans ces métropoles[[En général, la littérature critique à l’égard de la théorie de la rente urbaine souligne le caractère “pervers” de la spéculation immobilière. D. Harvey (1982) est l’un des rares auteurs qui aient insisté sur son rôle fonctionnel dans l’allocation spatiale urbaine.. En d’autres termes, dans les régimes urbains où l’incertitude acquiert un poids important, la régulation spatiale reposerait en grande partie sur les “conventions urbaines”.

La réurbanisation post fordiste

En ce travail, nous nous sommes attachés à présenter une vision alternative à quelques thèses sur le rapport existant entre ce que l’on peut définir grosso modo comme étant les deux processus révélateurs de la modernité capitaliste, à savoir l’industrialisation et l’urbanisation. D’un point de vue synthétique, nous avons relevé trois grandes “versions” interprétatives de ce rapport.
La première est la version classique, qui identifie l’industrialisation à la révolution industrielle. La deuxième est la vision nuancée, qui accorde elle aussi une place importante au cadre démographique. Elle se distingue de la précédente en caractérisant le processus d’urbanisation sans prendre en compte l’industrialisation. Les études qui se rangent dans cette optique prennent généralement pour objet d’analyse les phénomènes d’urbanisation accélérée que l’on rencontre depuis une vingtaine d’années sur le continent africain. A l’origine de ce processus, il faudrait voir non pas l’industrialisation, mais des facteurs socio-économiques et culturels ayant conduit à la désagrégation des structures tribales, et donc à une migration de la population vers les centres urbains.
La troisième vision est la vision structuraliste latino-américaine qui cherche pour sa part à mettre l’accent sur les effets de décalage temporel du processus d’industrialisation où le caractère spécifique du processus d’industrialisation latino-américain aurait produit une urbanisation particulière, doublée d’une “marginalisation”.
Une quatrième interprétation du lien entre industrialisation et urbanisation pourrait être qualifiée de régulationniste, dans le sens où elle vise à établir les contours généraux de ce rapport en s’inspirant des auteurs qui s’identifient à ce qu’il est convenu d’appeler l”‘école française de la régulation”. Dans cette quatrième lecture, les concepts de régime urbain et de régulation urbaine sont formulés de manière à rompre avec les approches naturalisantes et universalisantes que l’on trouve fréquemment dans les définitions de l’industrialisation et de l’urbanisation.
Notre objectif était de réintroduire ce que Harvey a nommé le “matérialisme géographique historique”[[Cf Harvey, 1982., sans pour autant tomber dans la tendance dominante des études urbaines qui consiste à rejeter toute tentative de construction théorique de caractère général. Nous pensons pour notre part que le concept de régime urbain pourrait traduire la dimension de la nécessaire historicité géographique des “phénomènes urbains”, tandis que l’analyse de la régulation urbaine devrait servir à donner une formulation théorique des mécanismes économiques et institutionnels qui permettent la reproductibilité du régime urbain auquel elle s’articule. Nous dirons, pour reprendre la terminologie utilisée par Haila dans la classification des théories foncières, que le régime urbain exprime la dimension «idéographique” et que la régulation urbaine est le concept grâce auquel il serait possible de développer une perspective “monothétique”[[Cf Haila, 1990..
Néanmoins, les notions de régime urbain et de régulation urbaine ne sauraient être vues comme une panacée capable de tout décrire ; elles visent avant tout à problématiser les formes historiques et géographiques particulières des processus de construction et de reproduction des spatialités urbaines capitalistes et ce qui les rattache -y compris leur éventuelle fonctionnalité- aux régimes d’accumulation dominants. Dans ce type d’approche, l’urbanisation est vue comme un moment de transition entre des régimes urbains différents, c’est-à-dire comme un processus de changement dans les fonctionnalités de l’espace urbain bâti. Ce processus pourra se manifester à travers une variation des composantes démographiques (croissance absolue ou relative de la population urbaine), mais il relève en premier lieu d’une modification des formes de production des matérialités construites et des critères de localisation qui régissent les décisions des acteurs sociaux. Le résultat sera la configuration d’une nouvelle spatialité construite (régime urbain) qui, pour se reproduire, devra faire appel à de nouveaux mécanismes de régulation. En ce sens, la notion d’urbanisation réacquiert une signification analytique sans perdre pour autant son caractère descriptif (tradition démographique).
Si les concepts de régime urbain et de régulation urbaine cherchent avant tout à exprimer les caractéristiques de la structure urbaine construite, il nous faut alors tenir compte de leurs limitations analytiques. Leur objet réside dans la production et la disposition spatiale et fonctionnelle des stocks urbains. Autrement dit, il s’agit de deux concepts visant à articuler les analyses de la structuration intra-urbainc avec les variables qui entourent le problème de la localisation dans les régimes d’accumulation. De ce point de vue, les variables micro sociologiques -celles qui retracent les micro-sociabilités liées à la spatialité de la rue et du quartier n’entrent pas en ligne de compte dans notre analyse, bien qu’elles soient un élément important de la régulation urbaine. De la même façon, nous n’avons pas évoqué dans ces notes les composantes de ce que Théret a appelé le régime monétaire fiscal[[Cf Théret, 1992., qui jouent un rôle substantiel dans la régulation urbaine dans la mesure où elles relient-coordonnent les modes de financement d’une partie de la spatialité bâtie. A l’heure où les tentatives qui sont menées pour surmonter la crise du régime fordiste apparaissent comme des formes concurrentes de restructuration des rapports sociaux capitalistes et où, d’un côté, elles rejoignent un projet de radicalisation de la flexibilité (“néo-fordisme”) et, de l’autre, revêtent des modes d’engagement dits de «contractualisation responsable» (post-iodisme), et où ces deux types de projet se présentent comme des modalités focales de ce processus de restructuration, il nous paraît urgent d’identifier et d’évaluer les implications claires de ces tentatives dans la réorganisation de l’espace urbain. C’est dans ce cadre général de (ré)urbanisation que les notions de régime urbain et de régulation urbaine que nous avons voulu défendre ici pourront servir à baliser les transformations urbaines en cours et leur donner une certaine intelligibilité.

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