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Philosophie et philosophie des normes chez Kant, par

Luc Vincenti part de la question de l’applicabilité qui, en matière de comportement humain, spécifie la normativité dans le champ plus large de la régularité. La philosophie pratique de Kant permet d’enraciner cette applicabilité, au-delà d’un simple sentiment de soi, dans la connaissance de sa liberté. Mais que devient ce fondement de l’obligation hors du champ moral, dans le champ juridique, où Kant se rapproche du positivisme kelsénien ? La philosophie politique kantienne est en fait à double face : mettant en question la fondation contractualiste dans le champ propre du droit, Kant retrouve la légitimité dans le rapport, finalisé, du droit à la morale : dans la capacité du droit à produire la paix en préservant la liberté. La notion kantienne d’usage public de la raison est alors tout à la fois ce qui manifeste cette fin du droit, par la liberté d’expression, et ce qui apparaît comme déploiement public d’une connaissance de la liberté par elle-même.

Luc Vincenti starts from the question of applicability which, as regards human behaviour, specifies normativity within the wider field of regularity. Kant’s practical philosophy enables this applicability to be located, beyond the mere feeling of self, in the knowledge of one’s freedom. But what happens to this foundation of obligation outside of the moral realm, in the legal realm, where Kant is closer to Kelsenian positivism ? In fact, Kant’s political philosophy is two-sided : while he questions the contractualist foundation within the properly legal realm, he returns to the idea of legitimacy in the purposive relation law has to morals, i.e., in the capacity of the law to produce peace by preserving peace. Kant’s notion of the public usage of reason then exhibits this purpose of law, through freedom of expression, and is also the public display of freedom’s knowledge of itself.

Post-scriptum sur l’esthétique relationnelle : capitalisme, schizophrénie et consensus, par

Les cartes et les ritournelles d’une panthère arc-en-ciel, par

Petit à petit, Guattari a forgé un ensemble d’outils à même de soutenir chacun dans son désir d’échapper à l’injonction capitaliste, en s’appuyant sur ses passions, sur les actions auxquelles il participe, sur les universaux culturels qu’il reconnaît, et sur les flux libérés à la surface de la terre par l’aventure humaine. Le sujet, mis à distance de l’impuissance que la centralité de son moi engendrait, développe sa réflexion et la capacité d’action dans une infinité de situations différentes. Ces outils viennent de la psychothérapie institutionnelle et de la psychosociologie dans un premier temps ; puis Guattari se tourne vers des sémiotiques non limitées par l’effondrement des « lieux de parole », sensible depuis 1975 ; enfin il invente les « cartographies schizoanalytiques » et jette les bases de l’« écosophie ».

Guattari has progressively designed a set of tools capable of helping everyone escape from capitalist injunctions, finding support in affects, in participative action, in cultural universals and in the flows freed by the human adventure on the surface of the planet. The subject, distanced from the powerlessness generated by a central ego, develops her reflection and agency in infinitely diverse situations. He drew such tools, first, from institutional psychotherapy and psycho-sociology, later, from a form of semiotics not limited by the collapse of the « loci of speech », which finally led him to invent schizo-analytic mappings and to prepare the ground for « ecosophy ».

Un cavalier schizoanalytique sur le plateau du jeu d’échecs politique, par

Lévia Tot(h) (À propos de Leviathan Toth d Ernesto Neto), par et

Leviathan Toth, la contre-“installation” que Ernesto Neto a suspendue aux voûtes du Panthéon à l’automne 2006 n’exploite pas l’espace de ce lieu de mémoire national pour s’exposer («art environnemental»). Il affronte toutes ses coordonnées physiques, esthétiques, politiques, métaphysiques, pour s’en prendre à l’Art de la représentation dont le frontispice du Léviathan montrait, au dire même de Hobbes, le rôle constitutif-constitutionnel pour la République. Mettant en scène une manière de Critique et Clinique de la Représentation dans toutes les acceptions du terme à partir du court-circuit (qui est aussi le circuit le plus court) entre politique et esthétique, l’Opération-Neto vise à la dés-organisation expansive de la multitude vivant sous le régime «démocratique» de la représentation contractuelle dont le Panthéon est le temple. Elle donne corps à la perversion rhizomatique-bioénergétique de l’Image de l’État-Machine, de la Forme-État, en projetant un nouveau type de réalité, infra- et supra-organique, qui tire son «énergie» des forces de la multitudo dissoluta (Hobbes) dont elle propose une radicale re-composition vitale. Cette œuvre/non-œuvre qui relève d’un constructivisme politico-esthétique brésilien que l’on s’attache à redéfinir, ne peut dès lors faire l’«objet» que d’une pratique de déplacement incorporante et constituante du spectateur-participant.

Leviathan-Toth, Ernesto Neto’s anti/counter-installation which could be seen hanging from the vaults of the Panthéon in autumn 2006 does not seek to exploit this national memorial as a space in which to stand as an exhibition (environmental art). It responds to all of its surrounding factors – physical, aesthetic, political, and metaphysical, to attack the representative art whose constitutive-constitutional role in the republic, according to Hobbes, can be seen in Leviathan’s frontispiece. Setting up a sort of Critique et Clinique of Representation in all senses of the term beginning with the short-circuit (which is also the shortest circuit) between politics and aesthetics, Neto’s operation sets its sights on the expansive dis- organisation of the multitude living under the «democratic» regime of contractual representation of which the Panthéon is the temple. It provides a body for the rhizomatic-bioenergetic perversion of the Image of the State-Machine, of the Form-State, by projecting a new infra and supra-organic type of reality which draws its «energy» from the forces of the multitudo dissoluta (Hobbes) whose radical and vital recomposition it advocates. This work or non-work, derived from a Brazilian political-aesthetic constructivism which is undergoing redefinition, can now only take place in the context of a practice of displacement which incorporates and is constituted of the spectator-participant.

D’autres monstres possibles, par

Sao Paulo a connu ces dernières années, de forts mouvements d’occupation d’immeubles au centre-ville. Fortement atteinte par la désindustrialisation, la ville connaît à la fois des problèmes de chômage et de logement. Au mouvement des Sem Teto, sans toit, se sont joints des collectifs d’artistes et graphistes qui ont développé une véritable guérilla médiatique dont la multiplicité de pratiques esthétiques atteint une dimension monstrueuse. Cette analyse nous permet de réfléchir à la dimension constituante de la multitude productive, à travers ses créations esthétiques, contre les politiques de gentrification dans la métropole. La lutte contre le Léviathan pauliste entraîne la création d’autres monstres possibles.

Sao Paulo has in recent years been acquainted with large movements of occupation of buildings in downtown area. Strongly affected by the reduction of the industrialization, the city experiences regularly problems of unemployment and housing. Collective of artists and graphists have joined the movement of”Sem Teto”, the Homeless, in order to develop a real media guerrilla whose multiplicity of aesthetic practices have reached a monstruous dimension. This analysis allows us to reflect on the constituent dimension of the productive multitude, through their aesthetic creations against the policies of gentrification in the metropolis. The fight against the Léviathan in the city of São Paulo entails the creation of other possible monsters.

The Many-Headed Hydra, par et

Cet article est la traduction de l’Introduction du livre, L’hydre aux mille têtes. L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire, à paraître aux Éd. Amsterdam en 2008. Il s’agit de l’exploration historique de la classe multi-ethnique qui forma la main-d’œuvre bon marché ayant permis l’avènement du capitalisme et de l’économie moderne transatlantique, puis mondialisée, à partir du début du XVIIe siècle. Une «foule bigarrée» (motley crowd) constituée de marchands, d’esclaves, de pirates, de travailleurs, de femmes, de soldats, de criminels déportés, de radicaux religieux, etc., développa des formes de résistance et de coopération afin de se soustraire à une exploitation forcenée (exploitation d’une main-d’œuvre dans une configuration productive qui est déjà mondialisée). Les auteurs racontent l’histoire du rôle de ces dépossédés du monde moderne, et de leur lutte pour la liberté.

This article is the introduction of the volume The Many-Headed Hydra. The Hidden History of the Revolutionary Atlantic, to be published by Amsterdam, a historical investigation of the multi-ethnique class which formed the cheap workforce which made possible the rising of capitalism and of modern transatlantic (and eventually global) economy, since the beginning of 17th century. A motley crowd made by merchants, pirates, workers, women, soldiers, convicted criminals, religious radicals, etc. developed forms of resistence and mutual cooperations, in order to escape the deep exploitation of the workforce, taking place in an economy already globalised. The authors tell the story of the role played by these wretched of modern world and of their fight for liberty.

Voltaire et les vampires, par

Dans son article «Vampires» du Dictionnaire philosophique, Voltaire évoque le phénomène de la «peste vampirique» qui a frappé l’Europe centrale des années 30 du XVIIIe siècle, aussi bien que les interprétations controversées qui en furent alors données, en France comme dans toute l’Europe. Il profite de cette occasion pour reprendre sa polémique anti-religieuse avec une ironie corrosive qui n’épargne pas même un voltairien sincère, comme Jean-Baptiste Boyer d’Argens, qui avait, avec beaucoup d’acuité, donné lui-même une interprétation du phénomène dans ses Lettres juives. Dans son texte, Voltaire choisit l’arme de la satire plutôt que celle de l’enquête scientifique. Il nous donne ainsi une approche anthropologique assez approximative en révélant par là les limites d’une raison polémique bornée à la simple idéologie.

In his article on «Vampires», in the Dictionnaire philosophique, Voltaire both evokes the phenomenon of the so-called «vampire plague» which hit Central Europe during the 1730s and recalls the controversial interpretations of this phenomenon in France and abroad. He takes advantage of the occasion to renew his anti-religious polemic, with a caustic irony that doesn’t spare even a sincere Voltairian like Jean Baptiste Boyer d’Argens, who had offered a penetrating analysis of this phenomenon in his Lettres juives. In his text, Voltaire chooses satire rather than an inquiry into causes of the phenomenon, revealing a superficial anthropological approach as well as the limits of an argument conceived as pure ideology.

multitudes