Archives par mot-clé : racisme

Du macrocosme au microcosme…, par

Comme sur la scène d’un théâtre politique, un drame se joue dans l’appartement parisien, drame social qui est aussi un drame moral. La situation dramatique implique trois personnages : la Nounou, l’Employeuse et le Compagnon. Bien qu’interdépendants, ces trois personnages rejouent des relations de domination sociale et, dans leur tentative pour donner du sens à leur action quotidienne, des relations de domination morale. L’employeuse est confrontée à l’épreuve de la division morale, entre éthique des droits et éthique du care. La reconnaissance de la moralité de l’autre apparaît ainsi comme un enjeu fondamental de la reconnaissance sociale ; la méconnaissance de la moralité de l’autre est le signe autant que l’instrument de la domination.

From macrocosm to the microcosm : of the wider world to the apartment in Paris, the moral life of Nounou
Like on the stage of a political theatre, a social and moral drama is being played in the Parisian home. The theatrical situation implies three characters : the Nanny, the Employer and the Companion. Although they are interdependant, these characters are engaged in social domination relashionships and moreover, as they attempt to justify their everyday action, they are engaged in a moral plot. The Employer confronts to the trial of moral division, torn between the ethics of justice and the ethics of care. Thus, the recognition of others’ morality seems to be the basic stake of social recognition ; the misappreciation of others’ morality then becoming the sign and the tool of social domination.

Animal, mon égal Ethique et politique de l’abolition de la viande, par

Si la réflexion sur la condition animale est millénaire, il se produit bien quelque chose de singulier avec l’éthique animale, dans la mesure où une activité intellectuelle « académique » s’articule avec un mouvement social qui vise à mettre fin à toutes (ou à la plupart) des pratiques où des animaux sont utilisés pour servir des intérêts humains. Du fait des inspirations théoriques diverses, il arrive que les controverses sur les valeurs et leurs implications fassent rage à l’intérieur du mouvement animaliste. Il s’agit de montrer que, au-delà des engagements idéologiques des uns et des autres, une véritable convergence pratique se dégage sur la plupart des objectifs, dont celui d’en finir avec la viande. Au regard de ce but, les lignes de division qui se maintiennent permettent d’opposer, non pas tant des courants éthiques, que des stratégies.

Animal, my equal. Ethics and politic of the abolition of meat
The reflection about animal condition is thousands of years old, yet animal ethics has a peculiar result in that an intellectual “academic” activity connects with a social movement that aims at ending all (or most) activities where animals are used to serve human interests. Different theoretical inspirations result in controversies about values and their implications within the animal rights movement. But it is important to show that, beyond ideological differences, there is real practical convergence in objectives like the abolition of meat consumption. In light of this objective, the differences are mainly of strategies, not of ethical thinking.

En Bolivie, une victoire difficile, par

Les transformations de la structure de classe associée au néolibéralisme en Bolivie pourraient être, paradoxalement, les conditions de possibilité pour l’émergence de propositions plurielles et pluriculturelles. L’épuisement des promesses jamais satisfaites de la modernité eurocentrée, l’altération des hiérarchies traditionnelles aux différents niveaux géographiques (localité, région, État, international) engendrée par les formes dans lesquelles se manifeste la globalisation dans les périphéries, et le retour – volontaire et planifié – à une souveraineté étatique qui n’a jamais été qu’une aspiration créole-urbaine, ont rompu les certitudes traditionnelles : les futurs imaginables, les formes d’organisation classiques, les sujets de changement et leurs identités, les classifications géographiques et raciales.

The transformations undergone by the class structure associated with neoliberalism in Bolivia could be, paradoxically, the conditions for the possibility of an emergence of more plural and pluricultural propositions. The exhaustion of perpetually unsatis fied promises of eurocentric modernity, the alteration of traditional hierarchies at different geographical levels (local, region, state, international) engendered by the forms in which globalisation manifests itself in the peripheries, and the – voluntary and planned – return to a state sovereignty which was never more than a creole-urban aspiration, have broken traditional certainties: imaginable futures, classic forms of organisation, subjects of change and their identities, geographical and racial classi fications.

Anthropophagies, racisme et actions affirmatives, par

L’anticipation du Manifeste anthropophage (1950) d’Oswald de Andrade a consisté à saisir la dynamique brésilienne, à cheval entre l’héritage de la colonisation européenne et sa projection dans l’avenir. Oswald a vu dans le Brésil qui entrait dans la modernité un « pays du futur », non pas du point de vue de la dynamique de construction d’une trajectoire nationale de développement, mais dans la perspective du développement du rapport brésilien (indigène) à l’altérité coloniale. La révolution anthropophagique, au fur et à mesure qu’elle projetait les Indiens dans le monde, se fondait sur une théorie de la multiplicité et non de la « diversité ». L’anti-colonialisme n’était pas un nationalisme et moins encore un isolationnisme, mais une machine de guerre pour prendre à l’Europe des riches « ce qui nous intéressait ».

Oswald de Andrade’s « Cannnibal Manifesto » (1950) was anticipative in its apprehension of the Brazilian dynamic as it emerged from its European colonial heritage projecting itself towards the future. As Brasil entered modernity, what Oswald observed was « a country of the future », not from the perspective of the dynamic of a construction of a national trajectory of development, but from the perspective of the development of the indigenous Brazilian relation to colonial alterity. The anthropophagic revolution, as it projected the Indians into the world, rested on a theory of multiplicity and not of « diversity ». Anti-colonialism was not a form of nationalism, but a war machine which served to take what we wanted in the rich Europe.

Puissances de la samba, clichés de la samba, par

La samba est la plus puissante des expressions artistiques et en même temps l’un des plus grands clichés de Rio de Janeiro. Cliché de l’« identité nationale », du peuple et de l’État-Nation. Mais avant d’être capturée et rendue impuissante dans un cliché, la samba est une ligne de fuite, ou mieux, plusieurs lignes de fuite selon les différentes formes selon lesquelles elle s’est réinventée au long du XXe siècle. Elle dessine la carte, avec ses divisions et occupations territoriales, de la ville même de Rio : la samba qui démarque des territoires en même temps qu’elle se fait démarquer par le territoire, la samba qui réinvente des corps selon ses performances. Performances contre l’asepsie, la discipline physique et la séparation qu’on veut leur infliger : enfin, un jeu permanent de résistance biopolitique et d’action du biopouvoir.

Samba is Rio de Janeiro’s most powerful form of artistic expression, but also one of the city’s main clichés. It is a cliché of”national identity”, cliché for the people and for the Nation State. However, more fundamental than its capture in these clichés, making it powerless, samba is a line of flight or – even better than that – it is a series of lines of flight, according to the different modes by which it has been reinvented throughout the 20th century. Samba draws Rio’s map, with its sections and territorial occupations: shaping territories and being shaped by them, inventing bodies according to their performances. The performances go against asepsis, physical disciplines, and the separation that one tries to inflict on the city’s territories. In short: samba is a permanent interplay between biopolitical resistance and the action of biopower.

Survivre au désastre, par

Les communautés aborigènes d’Australie souffrent d’exil dans leur propre pays, et deviennent de plus en plus comme des « réfugiés de l’intérieur ». À l’instar des camps de réfugiés, elles sont non seulement assaillies par les consultants des très nombreuses instances du gouvernement australien mais, de plus en plus, par des pouvoirs ou des représentants du marché global. Si face à ce monde globalisé, les Aborigènes expérimentent quotidiennement les articulations hybrides entre technologie moderne et mode de vie nomade, les situations locales configurées par deux siècles d’histoire coloniale restent le plus souvent dramatiques. Les douleurs de ces situations quotidiennes culminent dans des événements violents et tragiques, comme à Palm Island où des émeutes ont éclaté à la suite de la mort en détention d’un Aborigène ; événements qui condensent les rapports de la société australienne aux communautés aborigènes. Comment donc expliquer que les Aborigènes qui sont restés entre eux et ceux qui furent dispersés puissent vivre la même désolation aujourd’hui ? Pour répondre à cette question qui touche tous les peuples autochtones en Australie ou ailleurs, il convient de se placer dans la perspective d’une anthropologie de la survie au désastre, non comme esthétique du malheur et de la vie nue mais comme éthique d’espoir.

Aboriginal communities in Australia are exiles in their own country and are becoming prorgessively more like domestic refugees. As in the case of refugee camps they are not only subjects to constant harassment from agents of various Australian governmental organizations, but also by forces or representatives of the global market. Faced with globalization, Aborigines experience, hybrid articulations between modern technology and a nomadic lifestyle on a daily basis. Nevertheless, their local situation — which is the result of two centuries of colonial history, remains dramatic. The hardship of their situation often culminates in violent and tragic events, as at Palm Island where riots broke out following the death of an Aborigine held in detention. Such events have the effect of polarizing relations between Australian society and Aboriginal communities. Why is it that Aborigines who remain with their communities and Aborigines who left both experience the same desolation today ? In order to answer this question — which concerns all the Indigenous people in Australia and beyond, it is necessary to employ the perspective of an anthropology of disaster survival, not in the sense of an aesthetic of misfortune and « bare life », but as an ethics of hope.

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