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Anthropophagies, racisme et actions affirmatives, par

L’anticipation du Manifeste anthropophage (1950) d’Oswald de Andrade a consisté à saisir la dynamique brésilienne, à cheval entre l’héritage de la colonisation européenne et sa projection dans l’avenir. Oswald a vu dans le Brésil qui entrait dans la modernité un « pays du futur », non pas du point de vue de la dynamique de construction d’une trajectoire nationale de développement, mais dans la perspective du développement du rapport brésilien (indigène) à l’altérité coloniale. La révolution anthropophagique, au fur et à mesure qu’elle projetait les Indiens dans le monde, se fondait sur une théorie de la multiplicité et non de la « diversité ». L’anti-colonialisme n’était pas un nationalisme et moins encore un isolationnisme, mais une machine de guerre pour prendre à l’Europe des riches « ce qui nous intéressait ».

Oswald de Andrade’s « Cannnibal Manifesto » (1950) was anticipative in its apprehension of the Brazilian dynamic as it emerged from its European colonial heritage projecting itself towards the future. As Brasil entered modernity, what Oswald observed was « a country of the future », not from the perspective of the dynamic of a construction of a national trajectory of development, but from the perspective of the development of the indigenous Brazilian relation to colonial alterity. The anthropophagic revolution, as it projected the Indians into the world, rested on a theory of multiplicity and not of « diversity ». Anti-colonialism was not a form of nationalism, but a war machine which served to take what we wanted in the rich Europe.

Philosophie et philosophie des normes chez Kant, par

Luc Vincenti part de la question de l’applicabilité qui, en matière de comportement humain, spécifie la normativité dans le champ plus large de la régularité. La philosophie pratique de Kant permet d’enraciner cette applicabilité, au-delà d’un simple sentiment de soi, dans la connaissance de sa liberté. Mais que devient ce fondement de l’obligation hors du champ moral, dans le champ juridique, où Kant se rapproche du positivisme kelsénien ? La philosophie politique kantienne est en fait à double face : mettant en question la fondation contractualiste dans le champ propre du droit, Kant retrouve la légitimité dans le rapport, finalisé, du droit à la morale : dans la capacité du droit à produire la paix en préservant la liberté. La notion kantienne d’usage public de la raison est alors tout à la fois ce qui manifeste cette fin du droit, par la liberté d’expression, et ce qui apparaît comme déploiement public d’une connaissance de la liberté par elle-même.

Luc Vincenti starts from the question of applicability which, as regards human behaviour, specifies normativity within the wider field of regularity. Kant’s practical philosophy enables this applicability to be located, beyond the mere feeling of self, in the knowledge of one’s freedom. But what happens to this foundation of obligation outside of the moral realm, in the legal realm, where Kant is closer to Kelsenian positivism ? In fact, Kant’s political philosophy is two-sided : while he questions the contractualist foundation within the properly legal realm, he returns to the idea of legitimacy in the purposive relation law has to morals, i.e., in the capacity of the law to produce peace by preserving peace. Kant’s notion of the public usage of reason then exhibits this purpose of law, through freedom of expression, and is also the public display of freedom’s knowledge of itself.

Lévia Tot(h) (À propos de Leviathan Toth d Ernesto Neto), par et

Leviathan Toth, la contre-“installation” que Ernesto Neto a suspendue aux voûtes du Panthéon à l’automne 2006 n’exploite pas l’espace de ce lieu de mémoire national pour s’exposer («art environnemental»). Il affronte toutes ses coordonnées physiques, esthétiques, politiques, métaphysiques, pour s’en prendre à l’Art de la représentation dont le frontispice du Léviathan montrait, au dire même de Hobbes, le rôle constitutif-constitutionnel pour la République. Mettant en scène une manière de Critique et Clinique de la Représentation dans toutes les acceptions du terme à partir du court-circuit (qui est aussi le circuit le plus court) entre politique et esthétique, l’Opération-Neto vise à la dés-organisation expansive de la multitude vivant sous le régime «démocratique» de la représentation contractuelle dont le Panthéon est le temple. Elle donne corps à la perversion rhizomatique-bioénergétique de l’Image de l’État-Machine, de la Forme-État, en projetant un nouveau type de réalité, infra- et supra-organique, qui tire son «énergie» des forces de la multitudo dissoluta (Hobbes) dont elle propose une radicale re-composition vitale. Cette œuvre/non-œuvre qui relève d’un constructivisme politico-esthétique brésilien que l’on s’attache à redéfinir, ne peut dès lors faire l’«objet» que d’une pratique de déplacement incorporante et constituante du spectateur-participant.

Leviathan-Toth, Ernesto Neto’s anti/counter-installation which could be seen hanging from the vaults of the Panthéon in autumn 2006 does not seek to exploit this national memorial as a space in which to stand as an exhibition (environmental art). It responds to all of its surrounding factors – physical, aesthetic, political, and metaphysical, to attack the representative art whose constitutive-constitutional role in the republic, according to Hobbes, can be seen in Leviathan’s frontispiece. Setting up a sort of Critique et Clinique of Representation in all senses of the term beginning with the short-circuit (which is also the shortest circuit) between politics and aesthetics, Neto’s operation sets its sights on the expansive dis- organisation of the multitude living under the «democratic» regime of contractual representation of which the Panthéon is the temple. It provides a body for the rhizomatic-bioenergetic perversion of the Image of the State-Machine, of the Form-State, by projecting a new infra and supra-organic type of reality which draws its «energy» from the forces of the multitudo dissoluta (Hobbes) whose radical and vital recomposition it advocates. This work or non-work, derived from a Brazilian political-aesthetic constructivism which is undergoing redefinition, can now only take place in the context of a practice of displacement which incorporates and is constituted of the spectator-participant.

Puissances de la samba, clichés de la samba, par

La samba est la plus puissante des expressions artistiques et en même temps l’un des plus grands clichés de Rio de Janeiro. Cliché de l’« identité nationale », du peuple et de l’État-Nation. Mais avant d’être capturée et rendue impuissante dans un cliché, la samba est une ligne de fuite, ou mieux, plusieurs lignes de fuite selon les différentes formes selon lesquelles elle s’est réinventée au long du XXe siècle. Elle dessine la carte, avec ses divisions et occupations territoriales, de la ville même de Rio : la samba qui démarque des territoires en même temps qu’elle se fait démarquer par le territoire, la samba qui réinvente des corps selon ses performances. Performances contre l’asepsie, la discipline physique et la séparation qu’on veut leur infliger : enfin, un jeu permanent de résistance biopolitique et d’action du biopouvoir.

Samba is Rio de Janeiro’s most powerful form of artistic expression, but also one of the city’s main clichés. It is a cliché of”national identity”, cliché for the people and for the Nation State. However, more fundamental than its capture in these clichés, making it powerless, samba is a line of flight or – even better than that – it is a series of lines of flight, according to the different modes by which it has been reinvented throughout the 20th century. Samba draws Rio’s map, with its sections and territorial occupations: shaping territories and being shaped by them, inventing bodies according to their performances. The performances go against asepsis, physical disciplines, and the separation that one tries to inflict on the city’s territories. In short: samba is a permanent interplay between biopolitical resistance and the action of biopower.

Finance, instabilité et gouvernabilité des externalités, par

Après une mise en perspective historique du processus de financiarisation, l’article prête plus particulièrement attention au rôle de la finance dans le gouvernement des externalités, et cela à un double niveau. (1) Le premier a trait à la revanche des externalités négatives. La surexploitation de la planète résultant de deux siècles d’une croissance hyper-productiviste fait désormais peser sur l’économie mondiale une incertitude structurelle, qui pèse tant sur les prix des ressources non renouvelables que, plus fondamentalement, « sur le prix de l’avenir tout court ». Or c’est la finance qui, faute de mieux, va être « sollicitée pour donner un prix au futur ». Ce constat est d’autant plus fort que le développement des activités visant à solder les externalités négatives est destiné à jouer nécessairement un rôle majeur dans la dynamique du capitalisme. Après la convention boursière Internet et celle immobilière, il est ainsi fort probable que la prochaine convention boursière porte sur les énérgies alternatives et les activités liées à la réparation des dégâts de la croissance. (2) Le deuxième niveau concerne le rôle croissant des externalités positives liées au processus de production et de circulation des connaissances. Plus précisément, la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la montée de l’immatériel se traduisent par deux effets convergents et éminemment contradictoires, auxquelles la finance apporte une réponse. D’une part, les TIC permettent la numérisation et la codification de tout ce qui est répétitif dans l’activité mentale en dépréciant la valeur marchande de l’information. Or, et nous avons là une première contradiction, ces connaissances codifiées et numérisées (dites de niveau 1) présentent un problème majeur d’appropriation privative. Leur coût de production initial est certain. En revanche, leurs coûts marginaux sont très faibles ou nuls, ce qui rend de plus en plus difficile l’exécution des droits de propriété intellectuelle. D’autre part, ce même processus d’automatisation des activités mentales répétitives et de codification de la connaissance déplace le cœur de l’activité créatrice de valeur vers les connaissances tacites, difficilement codifiables : les connaissances dites de type 2, constituées par le triptyque créativité/intelligence/innovation. C’est le modèle paradigmatique du travail immatériel reposant « sur la coopération entre cerveaux travaillant sur ordinateur et reliés par le réseau (Internet)… » Or l’assujettissement de cette forme de la coopération productive en réseau ne peut être qu’indirecte et formelle. Dans ce cadre, la finance est alors destinée à remplir toujours davantage deux fonctions structurelles. Elle seule permet de subsumer le travail immatériel, tout en actualisant l’évaluation à la juste valeur (fair value) des actifs immatériels, dans un contexte d’incertitude structurelle où la « valeur des biens connaissances oscille de rien à des valeurs incommensurables et à des prix de monopole qui sont des prix politiques ».

After putting the process of the financialization of capital into historical perspective, this essay focuses attention on the role of finance capital in the governance of externalities on two levels : (1) the first has to do with the revenge of negative externalities. The overexploitation of the planet resulting from two centuries of super-productivist growth has henceforth introduced a structural uncertainty into the global economy that weighs as much upon the price of non-renewable resources as, more fundamentally, the « price of the future as a whole ». For better or for worse, it is now finance capital that is going to be « asked to put a price on the future ». This state of affairs is all the more marked given that the development of activities designed to counter negative externalities is necessarily destined to play a major role in the dynamic of capitalism. Following the stock exchange protocols realized around dot.coms and then housing, it is extremely likely that the next stock exchange protocol will be directed at alternative energy sources and activities related to growth-related damage control. (2) The second level concerns the growing role of positive externalities linked to the process of production and the circulation of knowledge. More precisely, the revolution in information and communication technologies (ICT) and the rise of the immaterial translate into two convergent and eminently contradictory effects, to which finance capital brings a particular response. On the one hand, ICTs allow for the digitalization and codification of all that is repetitive in mental activity by depreciating the market value of information. However – and this is where we find our first contradiction – these codified and (re-) digitalized knowledges present a major problem to private appropriation. Although the cost of their initial production is definite, their marginal costs are by contrast very slight or even non-existent – a fact that makes the execution of intellectual property rights that much more difficult. On the other hand, this same automation of repetitive mental activities and the concomitant codification of knowledge displaces the heart of value-creative activity towards implicit knowledge that is codifiable only with difficulty : this is knowledge of the so-called second type, constituted by the triptych of creativity/intelligence/innovation. This is the paradigmatic model of immaterial labor that relies « upon the cooperation between minds working on computer and connected by the net (internet) ». The subjection of this form of productive network cooperation can only be indirect and formal. Within this framework, finance capital is thus forever destined to fulfill two structural functions. Only finance capital is capable of allowing the subsumption of immaterial labor while realizing the evaluation at fair value of immaterial assets, in a context of structural uncertainty where the « value of knowledge goods oscillates between nothing and incommensurable values and the price of monopoly, which is ultimately political ».

multitudes