Archives par mot-clé : entretien

Des « vices de recirculation » des sons et des appareils, par

Des « vices de  recirculation » des  sons et  des  appareils
Qu’est-ce que la circulation mondialisée des biens et des personnes fait à la musique ? Deux choses apparemment contradictoires : l’uniformisation des styles et des moyens se conjugue avec leur renouvellement constant, les effets de contagion planétaire avec la multiplication des réappropriations locales. Autrement dit ce qui uniformise peut être aussi ce qui singularise. Ce paradoxe nous conduit à dérouler quelques fils, à suivre de proche en proche des « objets » circulants –  un appareil numérique, un style musical, un groupe de pratiques  – de manière à saisir les modalités concrètes de leur circulation. Pour que ça circule, il faut que ça se connecte, ce qui ne va pas sans heurts, disputes, larsens, frottements, qui tous affectent voire transforment l’« objet » circulant. Point de circulation sans frictions et boucles de rétroaction et sans une multitude d’agents qui font que ça passe : nous croisons en cheminant des musiciens noise, mais aussi des benders, des shifters, des makers, des repairers. Ces figures de l’interconnexion globale sont également celles qui se glissent dans ses failles et amplifient ses différences.

Music in the Age of  Circulation
What does the globalized circulation of goods and people do to music? Two things, which are apparently contradictory: the uniformization of styles and means of production, on one side, and their constant renewal, on the other — an effect of the planetary contagion of sounds and the multiplication of local revisitings. In other words, the very movement that uniforms can sometimes be that which singularizes. This paradox leads us to unravel some threads, tracking different circulating objects — a digital device, a musical style, a group of practices — in order to seize the concrete modalities of their circulation. For circulation to occur, there is a need for connection, and connection doesn’t go without conflicts, feedbacks, rubbings and shriekings which all affect the circulating object. There is no circulation without friction, without feedback loop, and without a multitude of agents that allow for the transmission: we encounter the paths of noise musicians, and benders, shifters, makers, and repairers. These figures of global interconnectivity are also those who learn to slip into its cracks and amplify its differences.

Contradictions idéologiques dans les écoles supérieures d’art en France, par

Contradictions idéologiques
dans les  écoles supérieures
d’art  en  France
Comment la mondialisation artistique et la globalisation esthétique sont interprétées dans les écoles supérieures d’art ? Par une réflexion sur la normalisation des pratiques artistiques du fait de la prédominance de certains modèles de réussites, par des conflits autour des traditions théoriques (pensées antiracistes, postcoloniales et décoloniales) et par une interrogation quant à la libéralisation du secteur éducatif. Cet article propose également un cadrage historique de l’arrivée de ces vocabulaires dans les écoles et de leur inscription dans débats idéologiques contradictoires. Il évoque les effets concrets des savoirs tacites en éducation artistique sur l’évaluation des jeunes artistes en écoles. Comment éviter le double écueil d’une assignation racialisante des étudiant·es ou bien de son contraire, une politique de recrutement aveugle au racisme structurel.

Ideological Conflicts in French Art Schools
Artistic and aesthetic globalizations have various effects in the context of French art schools: they bring about debates concerning the normalization of artistic practices by the models of artistic achievement, they spur conflicts around new theoretical traditions — specifically antiracist, postcolonial, and decolonial studies — and they multiply interrogations concerning the neoliberal transformation of higher education. This paper offers a historical framing of the import of these new terminologies in art schools and a rendering of the ideological debates they provoke. What are the concrete effects of tacit systems of belief in art education and especially in the evaluation of young artists? Is it possible to avoid the double pitfall of, on the one hand, racializing art students or, on the other, of following a color-blind politics of recruiting that ignores the effects of structural racism?

Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés, par

Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés
La photographe, vidéaste, plasticienne et dessinatrice Michèle Magema analyse sa pratique artistique, marquée par l’exil et l’appartenance à des territoires multiples. La métamorphose, le Tout-Monde, l’état de postcolonie, la monstration du corps féminin : autant de motifs de son travail artistique. Oyé Oyé est une installation mêlant images de défilés du temps de Mobutu et reconstitution par l’artiste des codes gestuels imposés aux écoliers sous la dictature. Under The Landscape reproduit et interroge les frontières politiques du Congo. Evolve revient sur la catégorie coloniale d’« évolué ». Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés interroge le « retour au pays natal » de l’artiste, après plus de trente ans d’absence. Michèle Magema définit son travail comme une création de fiction, une exploration des relations entre le Congo, la France et la Belgique, une étude des effets politiques du monde globalisé sur les individus.

Remind Me Not to Forget Our Dreamed Territories
Photographer, video artist, visual artist and cartoonist Michèle Magema analyzes her artistic practice, marked by exile and belonging to multiple territories. Metamorphosis, the All-World, the state of postcolony, the monstration of the female body: these are the motifs of her artistic work. Oyé Oyé is an installation mixing images of Mobutu’s parades and reconstitution by the artist of the gestural codes imposed on schoolchildren under the dictatorship. Under The Landscape reproduces and questions the political borders of the Congo. Evolve returns to the colonial category of “the evolved”. Remind me not to forget our dreamed territories questions the artist’s “return to the native country” after more than thirty years of absence. Michèle Magema defines her work as a creation of fiction, an exploration of the relations between the Congo, France and Belgium, a study of the political consequences of the globalized world on individuals.

Tanina ntoto !
Grand-maternités politiques, par

Tanina Ntoto !
Grand-maternités politiques
L’article entend constituer la grand-mère comme figure centrale de transmission, comme personnage politique radical : figure de récit, figure de continuité mémorielle là où la colonisation a sapé l’autorité des lignées paternelles. Se décalant d’un récit qui pense la colonisation comme une castration symbolique des pères, l’auteure interroge les lignées féminines et leur pouvoir de transmission de trames narratives et mémorielles. La grand-mère est érigée en force politique, capable de défaire l’autorité patriarcale et de recréer des liens défaits. La force des « petites histoires » racontées par les grand-mères face aux défaites de la « grande histoire » des pères : tel est le pouvoir des fabulations politiques de soi qui s’inventent au-delà ou contre les identités normatives et produisent de nouveaux imaginaires politiques.

Tanina Ntoto!
Political Grandmotheroods
The article intends to constitute the grandmother as a central figure of transmission, as a radical political figure: a figure of narrative, a figure of continuity of memory where colonization has undermined the authority of paternal lineages. Moving away from a narrative that thinks of colonization as a symbolic castration of fathers, the author questions female lineages and their power of transmission of narrative and memory frames. The grandmother is set up as a political force, capable of undoing patriarchal authority and recreating broken ties. The strength of the “little stories” told by grandmothers in the face of the defeats of the “big story” of fathers: such is the power of political self-fabulations that invent themselves beyond or against normative identities, and produce new political imaginaries.

Champ politique et champ musical populaire
Parallèle entre deux espaces de compétition à Kinshasa, par

Champ politique et champ musical populaire
Parallèle entre deux espaces de compétition à Kinshasa
Le politique et le chanteur : deux figures qui semblent bien éloignées mais que l’auteur rassemble en partant de la scène kinoise. Stratégie de subversion, culte de la personnalité, culture du clash, soutien de supporters, fonctionnement en factions : avec humour, l’auteur dresse des parallèles entre les univers musicaux et politiques pour, d’une part, souligner combien la musique porte une large part de politique et pour, d’autre part, déconstruire l’autorité du champ politique par la dérision. La dictature est ainsi lue comme le plébiscite, par les masses, d’hommes de scènes, passés maîtres dans la gestion des slogans et des bonnes répliques. Les stars de la chanson, de leur côté, sont partie prenante des campagnes électorales et participent aux stratégies de marketing de la scène politique. Au-delà des jeux de rapprochement, l’article interroge la fabrication des élites, l’espace médiatique, la création des « stars » et l’usage de la parole politique.

The Political Field and the Popular Music Field
Parallel between Two Competitive Spaces in Kinshasa
The politician and the singer: two figures who seem quite distant but whom the author brings together from the Kinshasa scene. Strategy of subversion, cult of personality, culture of clash, supporters’ spirit, faction dynamics: with humor, the author draws parallels between the musical and political worlds in order, on the one hand, to underline how much music carries a large part of politics but also, on the other hand, in order to deconstruct the authority of the political field through derision. The dictatorship is thus read as the plebiscite, by the masses, of showmen who have become masters in the management of slogans and punchlines. The music stars are part of the electoral campaigns and participate in the marketing strategies of the political scene. Beyond the parallels, the article questions the fabrication of elites, the media space, the manufacture of celebrity, the use of political speech.

Covid 19
Oxymores des totems et des signes de vie à Kinshasa, par

Covid‑19
Oxymores des totems et des signes de vie à Kinshasa
L’auteur analyse les signes verbaux, non-verbaux, les rituels intégrés dans les discours dominants et dans les discours communs en réponse à la pandémie de Covid‑19 à Kinshasa, entre mars et mai 2020. « Masque », « geste barrière », « confinement » sont tour à tours lus à travers leurs résonnances en lingala ou au sein de l’histoire récente du Congo. L’auteur montre comment ils se chargent d’« oxymores », où des significations antithétiques viennent se greffer sur le discours officiel, venant le contredire ou en tout cas le biaiser. L’auteur revient également sur les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie, le confinement impossible de Kinshasa, la hausse des prix, les mises en scène médiatisées des hommes politiques et des hommes d’églises, les conséquences sociales dramatiques pour les plus pauvres. C’est finalement à un « éloge de la lenteur » que nous convie l’auteur, ainsi qu’à une politique du « care » et de l’accompagnement : dernière positivité paradoxale du virus.

Covid‑19
Oxymora of Totems and Signs of Life in Kinshasa
The author analyzes the verbal and non-verbal signs, as well as the rituals integrated into dominant and common discourses in response to the Covid‑19 pandemic in Kinshasa, between March and May 2020. “Mask”, “barrier-gesture”, “lockdown” are read in turn through their resonances in Lingala or within the recent history of Congo. The author shows their oxymoronic uses, where antithetical meanings are grafted onto the official discourse, contradicting or in any case twisting it. The author also discusses the measures taken by the government to fight the pandemic, the impossible lockdown of Kinshasa, the rise in prices, the high-profile media coverage of politicians and churchmen, and the dramatic social consequences for the poorest. Finally, the author invites us to a “praise of slowness” and to a “policy of care”: the last paradoxical positivity of the virus.

Ré-enchanter l’Afrique, par et

Ré-enchanter l’Afrique
Au cours de cet entretien mené par Yala Kisukidi, Achille Mbembe revient sur les thèmes clés de son ouvrage Brutalisme (2020) : la définition de l’idée d’« Afrique », la nécessité de sortir d’une « histoire de la prédation » et de réinvestir des utopies par le « ré-enchantement », la revalorisation d’une « politique du soin » tandis que la terre est endommagée, la création d’un espace africain de libre circulation sont évoquées tour à tour. Convoquant les écrivains Amos Tutuola et Sony Labou Tansi, Mbembe souligne le rôle de l’imaginaire, et singulièrement de la littérature, dans la fabrique des utopies de demain. L’art, entendu comme réserve de vie et de possibles, constitue une ressource pour penser les migrations contemporaines et imaginer d’autres modèles alternatifs au modèle actuel néolibéral. Face à la criminalisation des circulations, le pillage des ressources, la violence du « brutalisme » contemporain, Mbembe en appelle à une « politique du soin » capable d’inclure, depuis l’Afrique, la question du commun et du partage de la Terre.

Re-Enchanting Africa
During this interview conducted by Yala Kisukidi, Achille Mbembe returns to the key themes of his book Brutalism (2020): the definition of the idea of “Africa”, the need to get out of a “history of predation” and to reinvest utopias through “re-enchantment”, the revaluation of a “policy of care” in our damaged lands, the creation of an african space of free movement, all these themes are discussed in turn. Convening the writers Amos Tutuola and Sony Labou Tansi, Mbembe underlines the role of the imaginary, and particularly of literature, in the making of tomorrow’s utopias. Art, understood as a reserve of life and possibilities, constitutes a resource for thinking about contemporary migrations and imagining alternative models to the current neo-liberal model. Faced with the criminalization of circulation, the plundering of resources, the violence of contemporary “brutalism”, Mbembe calls for a “politics of care” capable of including, from Africa, the question of the common and the sharing of the Earth.

multitudes