"Opportunisme politique du monde de l'art? "

Discussion suscitée par l'annonce d'une table ronde : "La multitude contre la guerre" (Bruxelles, 26 avril 2003).

"Qu'est-ce que la politique ?"

"Quelle résistance pour les multitudes en Irak ?"

00. Articles de presse divers

01. Compléments de la Majeure de Multitudes N° 19

01. Extension de la majeure : Ecopolitique now !

01. Multitudes n°1 vu par la presse

02. Penser et agir en relation avec...

02. Compléments bibliographiques

03. Compléments bibliographiques

04. Politiques de l'écologie

05. Multitudes n°5 vu par la presse

08. Liens

08. Multitudes n°8 vu par la presse

1. Sur l'Europe

100. Multitudes 100. Automne 2025

La revue Multitudes célèbre sa 100 e publication et son 25 e anniversaire avec un numéro spécial. De la couleur partout pour fêter le retour de 49 artistes ayant exposé leur travail  dans un dossier Icônes lors de ce dernier quart de siècle, qui nous ont fait le cadeau d’une image de plus pour l’occasion. 
37 articles pour mettre ce que Multitudes a proposé jusqu’ici dans la perspective du présent, pour trouver dans ces 99 numéros des concepts et ressources pour imaginer l’avenir. Davantage qu’un bilan ou qu’une autocélébration, 240 pages pour réfléchir, avancer ensemble et répondre aux défis sociaux, écologiques et politiques de 2025.

15. Multitudes 15, hiver 2004

- Art contemporain : la recherche du dehors - Aux origines de l'Apartheid - La créativité au travail - Les conséquences de Diderot - Atlas Group, Goldblatt, Feuerstein, Golz, Page Sucker, Bartoloméo, Moulène

15. Multitudes n°15 vu par la presse

16. Multitudes 16, Printemps 2004

- Philosophie de la biologie - Stopub - Jazz : puissance de l'improvisation collective - L'état d'exception : forme de gouvernement de l'Empire ? - Henri-François Imbert/No Pasarán

17. Multitudes 17, été 2004

- L'intermittence dans tous ses états - Mayotte - Villes : fractures et mouvements - Entretien : Peter Friedl/Jean-Pierre Rehm - Playgrounds/Four or Five Roses - Toni Negri : Spinoza

18. Multitudes 18, automne 2004 .

- Politiques de l’individuation. Penser avec Simondon - Hardt/Negri : "Multitude", la suite d'"Empire" - Pasolini à la sauce piquante - Anne Frémy - Quel Etat palestinien ? - Latrive : Du bon usage de la piraterie.

19. Multitudes 19, hiver 2004

- Migrations en Europe : les frontières de la liberté. - Internet : la fin des intermédiaires ? - Pragmatique du voile. - Warschawski : impasse en Palestine/Israël - Sloterdijk : Naître de l'écume - Bushit

2. Discussion sur la philosophie de la biologie.

2. Europe constituante ?

2. Sur l'Argentine

20. Multitudes 20. Printemps 2005

- Architroubles : pragmatiques architecturales - Expertises : politiques des savoirs - Le « mariage gay », les queer, l'État - Yacoub/Lasserre - Entretien avec Maurizio Lazzarato - Un pour cent critique

21. Multitudes 21. Été 2005

- Subjectivation du Net : postmédia, réseaux, mise en commun - Sur le matérialisme aléatoire - Un inédit d'Althusser - Notation en danse - Numérique et biopouvoir: entretien avec La Cause Freudienne - What's the score now ?

22. Multitudes 22. Automne 2005

- Philosophie politique des multitudes (2) - Toni Negri: Réponse à Pierre Macherey - Créoles - François Cusset : French Theory et cybernétique - Peter Weibel/Hans Belting/Boris Groys

23. Multitudes 23 : Hiver 2005-2006

- Emeutes: la république mise a nu - Racisme institutionnel - Expérimentations politiques - Mayotte : entrée interdite - Clarisse Hahn / Bruno Serralongue

24. Ecologie de l'esprit / économie de l'esprit

24. Multitudes 24 : Printemps 2006.

- Un deuxième âge de l’écologie politique ? - Deligny, le lieu du commun - John Giorno, Welcoming the Flowers - Entretien Robin / Guattari - Rada Ivekovic, boomerang colonial

24. Par-delà les grands partages

24. Politiques de l'écologie

25. Multitudes 25 : Eté 2006.

-CPE : sur une crise -Masoch avec Deleuze -Deleuze un article de 1961 -activistes du hoax : Yes Men, Luther Blissett, Serpica Naro etc. -Antoni Muntadas/ Marc Augé/ Raymond Bellour - Neyrat : Surexposition

26. Multitudes 26. Automne 2006

- Castro-Gomez/Grosfoguel : Empire et « colonialité du pouvoir » - Postcolonial et politique de l'histoire - Mezzadra / Bhabha /Mc Clintock - Perspectives pour Internet - Kinkaleri : touche-moi

27. Multitudes 27. Hiver 2007

-revenu garanti: questions ouvertes - banlieues, sans-papiers et nouvelle citoyenneté - re-présentation de Birgit Jûrgenssen - Spinoza- Leibniz - Spinoza-Machiavel

28. Multitudes 28 : Hiver-Printemps 2007

- L'Extradisciplinaire. Critique des institutions artistiques - noise music [ncïz 'mju:zïk] - B-Zone devenir-Europe et au-delà - Faire / Défaire l'image. Rancière / Alliez-Bonne - Abou Ghraib et les médias

29. Multitudes 29, été 2007

- narrations postcoloniales - traduire deleuze - l'homme qui ne savait plus ecrire - giselle donnard - subbotniki - critique et clinique de la Documenta

30. Multitudes 30, automne 2007

- droites nouvelles, gauches vieillissantes ? autre chose ! - réseaux autochtones - le rire matérialiste - multitudes icônes versus documenta magazine - Andreas Fogarasi RESEAUX AUTOCHTONES, RESONANCES ANTHROPOLOGIQUES Dossier coordonné par Barbara Glowczewski et Alexandre Soucaille Les réponses sociales de tout groupe discriminé sont souvent mal comprises ou ignorées par les médias, les pouvoirs publics ou les institutions humanitaires qui manipulent, détournent ou simplement confisquent les espaces d’action créés par ceux qui, en tant que victimes, se voient dénier le droit d’être des sujets politiques. En tant qu’anthropologues nous avons une certaine responsabilité dans la présentation de la manière dans les groupes humains s’engagent dans des quêtes identitaires – qu’il s’agisse des peuples indigènes dits autochtones, des descendants des peuples colonisés qui fuient des pays en tourmente ou des banlieues laissées pour compte. L’enjeu est d’analyser comment ces groupes expriment et vivent leur droit à parler et agir pour prendre en main leur destinée. Les contradictions avec les discours scientifiques ou médiatiques souvent soulignent un paradigme ancien mais non résolu : comment des gens peuvent revendiquer d’être différents sans être condamnés à figurer sur une échelle qu’elle soit sociale ou raciale. Aujourd’hui la discrimination raciale réapparaît avec un prétendu masque social d’exclusion qui légitime de nouvelles formes d’apartheid. Or les populations concernées tant par ces rejets que par l’élitisme qui en est la contrepartie s’accrochent à de nouveaux essentialismes comme à un bouclier de résistance existentielle qui valorise les singularités contre le rouleau compresseur de la globalisation. RIRE MATERIALISTE Dossier coordonné par Charles Wolfe Pendant longtemps on a considéré le matérialisme comme un pur mécanisme, ou encore un « spatialisme » qui ne connaîtrait rien au temps. Les articles réunis ici, qui travaillent les champs de la création (danse, théâtre notamment), la politique, et l’histoire des idées, voudraient faire entendre une autre musique, et montrer qu’il peut bien émaner, du fond du « ventre » matérialiste (pensons à Gargantua), un rire puissant et déstabilisant. Ce même rire que Bergson pensait détruire, mais qui renaît comme le phénix, de Machiavel et Spinoza à Bakhtine et Joe Orton. Ni le rire du sens commun face à la philosophie qui trébuche et tombe dans un puits, ni le rire de l’intellect face au corps : un rire matérialiste.

Le rire matérialiste, par

Il existe une figure classique du philosophe matérialiste qui rit du reste de l’humanité, de ses craintes, ses superstitions et même ses valeurs. On peut retrouver au choix cette figure sous les traits de Démocrite, Épicure, Spinoza, Rabelais, La Mettrie, etc. Mis à part l’intérêt que l’on peut avoir pour cette figure du philosophe, assez éloignée des bancs de l’école, le texte présent vise à décrire ou (re)définir ce personnage conceptuel afin que l’on comprenne que c’est ainsi – en riant – que le philosophe matérialiste accède au monde « humain », au monde « des valeurs ». On verra alors que le vieux reproche fait au matérialisme, à savoir sa froideur et son incapacité à saisir la dynamique de l’action humaine, sa « cruauté d’anatomiste » comme dit Flaubert, ne l’atteint pas ; ou alors l’atteint à cause de son rire.

The figure of the materialist philosopher as the « laughing philosopher », who mocks the rest of humanity, its fears, superstitions and even values, is a classic one. It has been associated variously with Democritus, Epicurus, Spinoza, Rabelais, La Mettrie and others. Apart from the interest one might have in this figure of the philosopher as someone who is rather far removed from school benches, the present essay seeks to describe or (re)define this conceptual character in order to argue that laughter is the materialist philosopher’s « mode of access » to the human world, the so-called world of « values ». This implies that the equally classic reproach towards materialism – its coldness, its inability to grasp the dynamics of human action, what Flaubert would have called an « anatomist’s cruelty » – fails ; or only successfully targets materialism when it laughs.

Le rire comme arme chez Joe Orton, par

Cet article vise à présenter et interpréter l’œuvre dramatique de Joe Orton, auteur anglais des années 1960 qui parvint à la notoriété par le contenu violent et obscène de ses pièces, son homosexualité affichée et sa mort brutale des mains de son amant. Le travail d’Orton est un condensé dramaturgique de thèmes caractéristiques du « matérialisme » anticipés dans les philosophies de Machiavel et de Spinoza, mais trouvant leur expression la plus aboutie dans la pensée deleuzienne : l’immanence radicale du politique ; la critique de l’identité et des concepts cliniques de la folie ; la force anarchique et impersonnelle du désir sexuel. Orton atteint ce but au moyen d’une expérimentation comique à partir du langage et d’une radicalisation de la farce (comédie), qui produit une rire à la fois destructif et affirmatif : il détruit les barrières artificielles de la raison (y compris la frontière entre l’artificiel et le naturel) et affirme ce processus de destruction ainsi que le désir pré-subjectif par lequel il s’accomplit.

This paper is a brief introduction to and interpretation of the work of Joe Orton, an English playwright of the 1960s who achieved notoriety through the violent and obscene content of his plays, his scandalous homosexual lifestyle and brutal death at the hands of his lover. Orton’s work is presented as a dramatic exemplification of distinctive themes pertaining to a radically materialistic strain in philosophy anticipated in Machiavelli and Spinoza but finding its fullest expression in Deleuze’s thought : the radical immanence of the political, the critique of self-identity and clinical concepts of madness, and the anarchic and impersonal force of sexual desire. Orton achieves this aim through comic experimentation with language and a radicalisation of farce that serve to produce a laughter that is both destructive and affirmative : destructive of the boundaries artificially erected by reason (including the boundary between the artificial and the natural), and affirmative of this process of destruction and the pre-subjective desire through which it is accomplished.

L’enthousiasme, ou le cinéma à venir, par

Enthusiasm, projet des artistes Neil Cummings et Marysia Lewandowksa initié en 2002, recense des centaines de films réalisés par des cinéastes amateurs polonais entre les années 1950 et la fin des années 1980. À partir de ces archives filmiques inédites, les deux artistes élaborent un réseau, ou une stratification, de récits : un certain mode collectif de production et de diffusion cinématographique, une visualisation du socialisme vécue du dedans, ainsi que la transmission (nécessairement indirecte) d’un enthousiasme historico-politique. Cet article tente de mettre en évidence le lien – sensible dans les expositions d’Enthusiasm en Europe et en Amérique – entre un tel enthousiasme et une conception du cinéma comme vestige historique en perpétuel devenir, depuis l’avant-garde russe des années 1920 jusqu’à certaines productions artistiques récentes (celles de Lewandowska/Cummings, mais aussi de Pierre Huyghe et Douglas Gordon) en passant par les œuvres de Jean-Luc Godard et Chris Marker.

Enthusiasm, a project launched in 2002 by the artists Neil Cummings and Marysia Lewandowska, inventories hundreds of films created by amateur filmmakers in Poland from the 1960s to the late 1980s. On the basis of this previously unavailable film archive, the two artists have elaborated a network or stratification of narratives – concerning a certain mode of collective film production and distribution, a visualization of socialism as lived from within, and a (necessarily indirect) transmission of historical-political enthusiasm. This essay attempts to highlight the link – palpable in the exhibitions of the project both in Europe and America – between such an enthusiasm and a conception of cinema as a historical vestige in a process of perpetual becoming, from the Russian avant-garde of the 1920s all the way to certain recent artistic productions by Lewandowska/Cummings as well as Pierre Huyghe or Douglas Gordon, via the filmic works of Jean-Luc Godard and Chris Marker.

The Right and the Wrought Identité ethnique, conscience politique et activisme, par

Traversées océaniennes, par

Les Polynésiens continuent aujourd’hui encore d’être réduits au mythe du bon sauvage, effaçant ainsi une histoire qui intégrerait les Polynésiens dans l’humanité. Il est ainsi essentiel de reconsidérer la mémoire officielle angélique, du moins salvatrice, protectrice, civilisatrice, pour restituer l’Histoire telle qu’elle est. Humaine. Parler l’Histoire dans son humanité obligerait à accepter une Histoire de femmes et d’hommes dans leurs grandeurs dans leurs petitesses. Noirceurs et lumières, trahisons et fidélités, boues et espérances, violences et générosités, haines et compassions. Humaine. Parler l’Histoire du côté des Polynésiens obligerait à déconstruire plus de deux cents ans d’un discours dominant, d’une pensée impérialiste, d’une occupation illégitime. Parler l’Histoire dans son entier obligerait à remettre en question toutes les théories qui ont encore cours aujourd’hui, qui voudraient nous faire accroire que la civilisation ne se décline qu’occidentale, que le progrès ne se conjugue que matériel, que l’avenir ne se compose que mondial.

To this day, Polynesian people continue to be reduced to the myth of the Good Savage. Beyond fables of innocence, protection and salvation, it is essential to reintegrate them within a truly human history, which accepts men and women in their bravery as well as in their pettiness, in their treasons as in their truthfulness, in their violence as in their generosity, in their hates as in their compassions. This would call for the deconstruction of 200 years of domineering, imperialism and occupation. This would also put into question most of the current approaches, which assume that civilisation has to be Western, that Progress has to be material, and that the future has to be globalized.

La furigraphie pour briser l’encerclement, par

L’expérience de la domination et de la marginalisation – politique, économique, sociale, culturelle – ressentie par beaucoup de Touaregs dans l’ordre des États modernes se traduit par une image récurrente : celle d’un corps mutilé, amputé, blessé, empêché de se mouvoir. Face à la fragmentation et à la paralysie du corps social, territorial, individuel, revient l’idée qu’il faut le souder, le remembrer, le réemboîter pour lui restituer sa mobilité. C’est dans cette perspective que, depuis plusieurs décennies, des initiatives aussi nombreuses que variées investissent des scènes d’actions multiples, de l’insurrection armée au travail de l’imaginaire. Dans le domaine littéraire et artistique, la « furigraphie » du peintre et poète touareg Hawad, apparaît comme un de ces moyens « de dépasser les limites, de contourner l’enfermement, de faire ricocher les échos de (s)es paysages et de construire des espaces inédits pour penser, ressentir et dire autrement le monde ».

There is a recurrent image that captures the experience of being dominated and marginalised many Touaregs have felt in the political, economic, social, and cultural realms as has been inflicted upon them by the modern nation-states system : that of a mutilated, injured body deprived of its freedom to move around. So the idea comes up to put together again, to rearticulate this social body in order to counter its fragmentation and paralysis and bring it back to its former mobility. It is in this perspective that over the past scores of years various initiatives have sprung up, ranging from armed resitance to imaginary discourses. In literature, it has been the of the Touareg painter and poet Hawad that appears to be one of the paths available to « go beyond the limits, to route around the confinement, to make the echos of the landscape rebound and to build fresh spaces of thoughts, feelings, and different ways to look at the world ».

Survivre au désastre, par

Les communautés aborigènes d’Australie souffrent d’exil dans leur propre pays, et deviennent de plus en plus comme des « réfugiés de l’intérieur ». À l’instar des camps de réfugiés, elles sont non seulement assaillies par les consultants des très nombreuses instances du gouvernement australien mais, de plus en plus, par des pouvoirs ou des représentants du marché global. Si face à ce monde globalisé, les Aborigènes expérimentent quotidiennement les articulations hybrides entre technologie moderne et mode de vie nomade, les situations locales configurées par deux siècles d’histoire coloniale restent le plus souvent dramatiques. Les douleurs de ces situations quotidiennes culminent dans des événements violents et tragiques, comme à Palm Island où des émeutes ont éclaté à la suite de la mort en détention d’un Aborigène ; événements qui condensent les rapports de la société australienne aux communautés aborigènes. Comment donc expliquer que les Aborigènes qui sont restés entre eux et ceux qui furent dispersés puissent vivre la même désolation aujourd’hui ? Pour répondre à cette question qui touche tous les peuples autochtones en Australie ou ailleurs, il convient de se placer dans la perspective d’une anthropologie de la survie au désastre, non comme esthétique du malheur et de la vie nue mais comme éthique d’espoir.

Aboriginal communities in Australia are exiles in their own country and are becoming prorgessively more like domestic refugees. As in the case of refugee camps they are not only subjects to constant harassment from agents of various Australian governmental organizations, but also by forces or representatives of the global market. Faced with globalization, Aborigines experience, hybrid articulations between modern technology and a nomadic lifestyle on a daily basis. Nevertheless, their local situation — which is the result of two centuries of colonial history, remains dramatic. The hardship of their situation often culminates in violent and tragic events, as at Palm Island where riots broke out following the death of an Aborigine held in detention. Such events have the effect of polarizing relations between Australian society and Aboriginal communities. Why is it that Aborigines who remain with their communities and Aborigines who left both experience the same desolation today ? In order to answer this question — which concerns all the Indigenous people in Australia and beyond, it is necessary to employ the perspective of an anthropology of disaster survival, not in the sense of an aesthetic of misfortune and « bare life », but as an ethics of hope.

31. Multitudes 31, hiver 2008

Une micropolitique de la ville : l'agir urbain

La figure du pirate ou la désobéissance civile, par et

À travers les questions « Qu’est-ce que l’individu du point de vue de la domination ? », « Qu’est-ce que l’individu du point de vue de la résistance, de la lutte et de la subversion ? », nous analyserons le rapport entre le groupe militant Women on Waves et certaines pratiques artistiques contemporaines. Cette association, par un brouillage nécessaire et efficace des frontières et des limites d’actions autant territoriales que politiques, sociales, juridiques ou encore artistiques, nous semble poser aujourd’hui frontalement au champ de l’art contemporain la question de l’engagement et surtout la possibilité d’une action éthique forte. Le principe même des Women on Waves repose sur l’idée que la responsabilité justifie la désobéissance ; nous verrons dans quelle mesure cette désobéissance civile parvient à nouer des relations singulières entre action artistique et groupe associatif.

By focusing on the questions « what is the individual from the standpoint of domination? » and « what is the individual from the standpoint of resistance, struggle and subversion ? », we will analyze the relation between the militant group Women on Waves and certain contemporary artistic practices. In its necessary and efficient perturbation of borders and limits to actions (territorial, political, social, legal or artistic), this association seems to us to frontally pose contemporary art the question of commitment and especially the possibility of robust ethical action. The very principle of the Women on Waves is the idea that responsibility justifies disobedience. We will see in what way this civil disobedience is able to create singular relations between artistic action and associative groups.

Multiplicité interstitielle, par

Les interstices représentent ce qui résiste encore dans les métropoles, ce qui résiste aux emprises réglementaires et à l’homogénéisation. Ils constituent en quelque sorte la réserve de « disponibilité » de la ville. Du fait de leur statut provisoire et incertain, les interstices laissent deviner ou entrevoir un autre processus de fabrication de la ville, ouvert et collaboratif, réactif et transversal. Ils nous rappellent que la société ne coïncide jamais parfaitement avec elle-même et que son développement laisse en arrière plan nombre d’hypothèses non encore investies. L’interstice constitue certainement un des espaces privilégiés où des questions refoulées continuent à se faire entendre, où certaines hypothèses récusées par le modèle dominant affirment leur actualité, où nombre de devenirs minoritaires entravés, bloqués, prouvent leur vitalité. À ce titre, l’expérience interstitielle représente la parfaite métaphore de ce que peut être le mouvement de l’antagonisme et de la contradiction dans la ville postfordiste : un mouvement qui s’affirme au fur et à mesure de ce qu’il expérimente, qui monte en intensité grâce aux modalités de vie et de désir qu’il libère, qui s’oppose à la hauteur de ce qu’il est susceptible d’inventer et de créer.

Interstices represent a still resistant element within the metropolis, that which resists the stranglehold of regulation and homogenisation. They are, in a sense, a reserve of the city’s « availability ». Because of their provisional and uncertain status, interstices are left open to imagination or provide a glimpse of another process of fabricating the city, open and collaborative, reactive and treansversal. They remind us that society never coincides exactly with itself and that its development leaves behind a number of possibilities not yet invested in. The interstice certainly constitutes one of the privileged spaces where repressed questions are made to be heard, where certain hypotheses rejected by the dominant model affirm their presence, where the numerous fates of minorities, disadvantaged, impeded, prove their vitality. In this way, the interstitial experience provides the perfect metaphor for what could be said to be the movement of antagonism and the contradiction within the post-Fordist city : a movement which affirms its own experimentation along the way, which grows in intensity thanks to the modalities / mood of life and of the desires that it liberates, which resists the haughtiness which it is susceptible to inventing and creating.

L’exode habite au coin de la rue, par

Alors que la société du coin de la rue est plutôt masculine, les femmes cherchent des espaces communs : sorties d’école, permanences médicales, centre social, et aujourd’hui jardin. Sur ce besoin s’est greffée une pratique artistique et politique de construction d’espaces d’attente où respirer ensemble. Dans les grandes métropoles européennes se créent à l’initiative d’activistes-artistes des « vacuoles » (Cf. Félix Guattari), des lieux où les habitants des quartiers pauvres peuvent eux aussi associer leurs idées et inscrire leurs rêves, se rendre disponibles à l’événement. La construction collective en langues multiples, celle des immigrations locales, est charpentée par un travail d’analyse et de mise en commun, par l’édification lente d’un « plan de consistance » (Cf. Félix Guattari) translocal et transnational.

While the « street corner society » is mostly masculine, women seek out common spaces : school gates, around-the-clock / 24-hour surgeries / medical practices / centres, social centres, and nowdays the garden. There is an artistic and political practice, that has been grafted onto this need, for the construction of waiting spaces where it is possible to breath together. In the major European cities « vacuoles » (Cf. Félix Guattari) are being created on the initiative of artist-activists, places where the inhabitants of a deprived neighbourhood can pool their ideas and set down their dreams, making themselves available for the event. The collective construction of multiple languages, that of local migrations, is framed by a work of analysis and common effort, by the slow building up of a « plan of consistency » (Cf. Félix Guattari), translocal and transnational.

L’ambivalence de la participation et l’urbanisme situationnel, par et

Des groupes d’auto-construction se multiplient aujourd’hui en Allemagne, en réponse à l’abandon d’une politique publique du logement. Mais ces groupes réservés de fait aux classes moyennes sont fonctionnels par rapport à cette politique. Ces groupes visent la propriété individuelle du logement. Ils n’ont aucun égard pour l’insertion urbaine de leur îlot. Il y a par contre un autre urbanisme situationnel, mal toléré des autorités, qui se développe à la marge, dans les lieux écartés. Les mouvements pour l’urbanisme participatif obéissaient à d’autres logiques, depuis l’advocacy planning des années 1970, qui développait des alternatives aux projets urbains, jusqu’aux Community Design Centers qui travaillent avec les minorités ethniques. Mais cette forme d’organisation tend aussi à être récupérée dans des projets d’homogénéisation. Quelles seraient alors les conditions d’intervention d’un urbanisme situationnel réellement pluraliste et non hégémonique ?

There has been a proliferation of self-construction groups in Germany today in response to the political abandonment of public housing. But these self-contained groups made up of the middle classes are operating within the framework of this politics. These groups aim for individual ownership of housing. They have no interest in the urban integration of their enclave. By contrast there is another type of situational urbanism, not well tolerated by the authorities, that is developing on the margins, in remote places. The particpative urbanism movements were very different, whether these were the Advocacy Planning of the 1970s which developed alternatives to urban projects, or Community Design Centres which worked with ethnic minorities. But this form of organisation tends also to be reclaimed by projects of homogenisation. So what should be the conditions of intervention for a situated urbanism that is genuinely pluralist and non-hegemonic ?

Un activisme informel ?, par

L’agir urbain est ici un agir ordinaire, comme celui d’un vieil homme qui persiste à habiter les Champs-Élysées. L’agir urbain se trouve en contradiction avec les politiques urbaines, ce que doit comprendre la gauche, alors qu’elle ne fait qu’organiser la résistance contre les expulsions, quand c’est trop tard. Qu’est-ce que cette ville qui résiste ? Une idée peut en être donnée dans la parenté entre les icônes de l’architecture moderne et les baraques turques informelles des années 1950, à propos desquelles s’est produit tout un théâtre à destination des classes moyennes, qui ont accueilli en leur sein les anciens squatters : le président Erdogan lui-même vit dans une de ces baraques ! Mais de nouveaux réfugiés arrivent d’autres pays qui n’ont pas cet espace périphérique pour construire leur vie.

Urban action is ordinary action, like the old man who persists in living on the Champs-Élysées. Urban action finds itself in contradiction with urban politics, as understood by the Left, which organises resistance against evictions, only when it is too late. What is this city that resists ? A sense of it can be given, parenthetically, between the icons of modern architecture and the informal Turkish shantytown huts of the 1950s, which inspired a whole theatre having as public the middle classes, who welcomed old squatters into their midst : President Erdogan himself lived in one of these huts ! But now there are new refugees arriving from other countries who do not have this peripepheral space in which to build their own lives.

De la frontière globale au quartier de frontière : pratiques d’empiètement, par

Malgré les images dramatiques diffusées à propos de la frontière États-Unis / Mexique, elle reste tout à fait poreuse. La migration illégale bat son plein vers le nord tandis que des tas de détritus passent dans l’autre sens pour se faire recycler ou participer à la construction d’un contre-urbanisme, sans compter les nombreux tunnels qui passent sous la frontière et participent de cet habitat illégal. Face à l’urbanisme de la ségrégation se développe un urbanisme de la transgression, avec ses entreprises spécialisées et ses prototypes. C’est ainsi que travaille Casa Familiar dans un quartier de frontière en Californie. Une zone d’habitat accessible a été créée, ainsi que des pièces à vivre la frontière qui sont autant des lieux de rencontre que des logements, de simples pièces équipées d’électricité, à usage temporaire. Sur la frontière se crée un nouveau programme d’habitat, accessible et durable.

In spite of the dramatic images broadcast from the US / Mexican frontier, the border still remains porous. Illegal migration continues northward while piles of waste moves in the other direction to be recycled, and to be re-used in the construction of a counter-urbanism that includes numerous tunnels that pass under this border and make up this illegal inhabitation. In reaction to urban segregation, an urbanism of transgression is developing via specialised enterprises and their alternative prototypes. It is in this context that the non-governmental organization Casa Familiar works in the border neighbourhood of San Ysidro, California. A zone of alternative affordable housing has been designed including a serie of « open air rooms » that contain electricity, serving as site for a variety of neighborhood activities. On the border a new housing programme is developing : affordable and socially sustainable.

Entre destruction néolibérale et construction du commun : le pouvoir des quartiers, par

En Afrique du Sud, de nouveaux mouvements communautaires, où dominent les femmes, les jeunes, les pauvres, où tout le monde participe, sont apparus depuis la fin de l’apartheid. Ils luttent contre l’ANC, refusent de payer les services publics pour compenser les diminutions d’allocations, essaient d’inventer de nouveaux services. Les anciens militants de la libération nationale sont forcés de revoir leurs alliances et de se fondre dans ce mouvement horizontal. L’histoire est réécrite, hors des compromis que les luttes pour l’indépendance avaient faits avec le colonisateur. Il s’agit de lutter contre les politiques imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international et, concrètement, contre les expulsions de logement et contre la privatisation des services et des espaces urbains. La communauté a cessé de croire en l’État, dans la figure du père. Alors les gens remplissent les logements vides comme ils l’entendent, avec qui ils veulent, brouillent la frontière entre légal et illégal. Ils s’inspirent de la lutte des piqueteros en Argentine et de ce qu’ils ont entendu de Seattle.

New community-based movements have been appearing in South Africa since the end of apartheid, dominated by women, youngsters, the poor, where everyone participates. They are struggling against the ANC, refusing to pay for public services as a way of compensating for their diminishing rents, they are trying to invent new services. The old militants of national liberation are being foreced to reconsider their alliances and to merge instead into this horizontal movement. History is rewritten, outside of those compromises that were made with the coloniser during the struggle for independence. It is now a matter of fighting against the politics imposed by the World Bank and the International Monetary Fund and, in concrete terms, fighting against the expulsion from homes and the privatisation of public services and urban spaces. The community has ceased to believe in the State as father figure. And so, filling empty homes with people chosen by themselves, they muddy the frontier between the legal and illegal. They draw inspiration from the struggles of the piqueteros in Argentina and from what they have heard about Seattle.

Politiques urbaines sans auteur. une anthropologie des situations, par

Comment quelque chose fait-il événement, surgit-il et fait-il sens massivement ? Cela se passe très différemment en Amérique Latine et en Afrique, même s’il y a des emprunts, même si dans le local partout quelque chose se mondialise. Il y a une prise de l’espace à ce moment-là, une occupation, qui fait peur aux autorités. Le modèle en est le carnaval, mais les télévisions communautaires qui surgissent sur les écrans africains sont une autre modalité, comme l’était le théâtre des townships. L’important, ce sont les espaces interstitiels dans lesquels peut surgir une création, une activité à dimension rituelle. L’anthropologie des émergences existe autant que celle qui déterre les traces du passé. Il s’agit d’approcher le monde à partir d’événements ou de situations plus que de structures. Ce qu’il est important de saisir, c’est le mouvement, pas la négociation qui a lieu après et qui réinstalle les structures connues ; ce qui est important, c’est l’image qui reste du changement. Ce qui se passe en Afrique en ce moment c’est le retour d’enfants d’émigrés qui veulent y installer le marché. L’anthropologue fait passer les récits des événements, les descriptions de ces espaces intermédiaires qui se maintiennent entre les camps et les gated communities.

How does something turn into an event, how does it appear and make itself felt with impact ? The siutation is different from Latin America to Africa, even if there are borrowings, even if in the local there is everyewhere something that is being globalised. There is an appropriation of space here at this moment in time, an occupation, which frightens the authorities. The model we have is the carnival, but the community television channels that are appearing on African television screens are of a different order, as was the case with the township theatres. The important thing is the interstital space out which a creation can emerge, an activity with a ritual dimension. An anthropology of emergence exists as much as an anthropology that unearths traces of the past. It means looking at the world through events and situations rather than through structures. It is the movement which needs to be understood, not the negotiation that takes place afterwards and which merely reinstates known structures : it is the image which remains after change that is important. What is happening in Africa at the moment is the return of the children of immigrants who want to set up a market. The anthropologist passes on the story of the events, the description of those intermediate spaces that are being maintained between the camps and gated communities.

Sur les palmiers, la neige, par

Le titre évoque le nouveau paysage créé sur le port de Hambourg par l’action intitulée Park Fiction. C’est une action pas plus extraordinaire que celle des skaters qui se sont mis un jour à patiner n’importe où librement. L’art ne se contente pas de faire voir le monde d’un autre point de vue, il le fait fonctionner différemment. À Hambourg, une action continue d’animation, d’exposition, d’agit-prop, menée avec humour, a fini par convaincre la municipalité que les habitants avaient vraiment besoin d’un jardin sur le port, et qu’il fallait le réaliser selon les plans qu’ils avaient projetés. Pas tout à fait, car elle ne comprend pas pourquoi il faudrait constituer une archive de cette action, ouverte au public. En fait elle en nie la dimension artistique et ne garde que le fonctionnel. Mais le Park Fiction est convoité par les investisseurs, dont il a jusqu’à présent déjoué les assauts en développant des activités internationales.

The title alludes to a new landscape created at Hamburg’s port through an action entitled Park Fiction. It is an action not that much more extraordinary than the action of skaters who set out one day to go skating, freely. Anywhere. Art is not about simply making the world look at itself from a different point of view, but to make it be used in a different way. In Hamburg an ongoing action of animation, exhibition, agit-prop, fuelled by humour, has ended up convinvcing the local council that the inhabitants have a real need for a garden by the port, and that they are bound to realise this according to the plans they have put forward. Though not entirely, because the council does not understand why it is necessary to make an archive of this action, that is open to the public. In fact, the council denies the artistic dimension of the project, and retains only that which is functional. But Park Fiction is being now sought-after by investors, whose advances they have so far eluded through the development of international activities.

32. Multitudes 32, printemps 2008

Capitalisme cognitif : la démocratie contre la rente

Propos sur le Camp : les « Tribus criminelles » Inde ( ), par et

L’ancrage du camp dans l’épistémique moderne se trouve dans une certaine nécessité et difficulté qu’ont rencontré les métropoles européennes à partir du XIXe siècle à gérer des populations qu’elles conçoivent comme un surplus inutile et potentiellement dangereux. Faire une place à l’inutile allait poser inévitablement le problème conjoint de l’élimination ou de la mise à l’écart radicale qui parcourra également tout le XXe siècle. C’est en ces termes que vont notamment se formuler les difficultés rencontrées par le colonisateur britannique en Inde dans l’appréhension de certaines castes et tribus nomades perçues comme criminelles mais, surtout, à l’aune du système social des castes, comme criminelles de naissance et en cela irréformables. Le dispositif réflexif mis en place aboutit alors à une synthèse originale entre le système autochtone et la criminologie métropolitaine en instituant une nouvelle catégorie de délits et de criminels : la criminalité de naissance. La criminalité de naissance allait ainsi trouver sa forme répressive dans la création d’une loi concernant les « tribus criminelles », et l’instauration de Settlements, véritable camp où des générations de groupes ainsi qualifiés allaient se perpétuer.

If European metropolises witnessed the development, throughout the 19th century, of various forms of concentrationary assistance and radical isolation through penal colonies, colonial space was the site of an even more explicit formulation and experimentation with the creation and the exclusion of of an undesirable human surplus, notably in South Asia, where the social system of castes could provide powerful ideological foundations for the colonial thinking on exclusion. This article seeks to illustrate this by examining the creation of the category of « criminal tribes » in India, during the last third of the 19th century.

Internet : de quel séisme parle-t-on ?, par

Le récent livre de Marc Le Glatin, Internet, un séisme dans la culture, accomplit au moins trois gestes intellectuels. Premièrement, il résume les principaux faits concernant l’évolution des pratiques culturelles sur Internet, et tout particulièrement la multiplication et la banalisation des téléchargements « gratuits » d’œuvres protégées en principe par la propriété intellectuelle. Deuxièmement, il interroge les notions de propriété intellectuelle et de diversité culturelle à lumière des nouveaux possibles ouverts par Internet. Troisièmement, il propose quelques pistes de solutions aux problèmes économiques et juridiques (et notamment la rémunération des artistes) que soulève la transformation en cours dans l’univers de la communication. Autant les faits me semblent correctement cernés et les questions dignes d’être posées, autant les solutions proposées, inspirées d’un mixte de jacobinisme centralisateur, de socialisme et de postmodernisme, me paraissent trompeuses, parce qu’elles s’appuient sur des présupposés philosophiques et politiques contraires à l’esprit de la mutation culturelle en cours. Je discute les thèses principales de l’auteur et propose des pistes de réflexion alternatives faisant appel à la philosophie de l’intelligence collective, plus propres à tirer le meilleur parti des nouvelles possibilités techniques au service de l’émancipation et du développement humain.

The recent book from Marc Le Glatin, Internet, un séisme dans la culture ?, performs three intellectual acts. First, it resumes the main facts concerning the evolution of cultural practices on the Internet, particularly the multiplication of « free » downloading of works that are in principle protected by intellectual property. Second, it interrogates the notions of intellectual property and cultural diversity in relation to the new possibilities opened up by the Net. Third, it proposes some tentative solutions for legal and economic problems, mainly the artists remuneration, related to current media transformations. Facts are correctly outlined and questions are worth asking. But the proposed solutions – inspired by a mix of centralizing jacobinism, socialism and post-modernism – sound deceptive because they are based on philosophical and political presuppositions that are quite contrary to the current stream of cultural mutation. I discuss the author’s thesis from the standpoint of a philosophy of collective intelligence and proposes some solutions oriented toward the best exploitation of the new technical possibilities in the service of human development and emancipation.

Le rapport capital/travail dans le capitalisme cognitif, par et

L’article propose une grille de lecture synthétique de la mutation du rapport capital-travail qui, à partir de la crise sociale du fordisme, a conduit à la montée en puissance de la dimension cognitive et immatérielle du travail. L’accent est mis plus particulièrement sur l’autonomie croissante du travail et sur le rôle clé des productions de l’homme par l’homme, assurées traditionnellement par les institutions du Welfare, dans la constitution du commun et dans l’essor d’une économie fondée sur le rôle moteur du savoir et de sa diffusion. Il en résulte une transformation majeure du rapport salarial qui déstabilise les termes traditionnels, fordistes, de l’échange capital/travail. En même temps, ce qui est mis en évidence, c’est la manière dont la mutation du travail et la crise de la loi de la valeur-temps de travail se traduisent par une modification radicale des mécanismes de captation de la plus-value. C’est dans ce cadre que les auteurs identifient, à plusieurs niveaux, le processus qui a conduit à un retour en force de la rente et à une crise de la formule trinitaire permettant de séparer clairement les catégories du salaire, de la rente et du profit. Ils indiquent aussi certaines lignes d’un processus de recomposition de classe susceptible de trouver dans la réappropriation des institutions du Welfare et la lutte pour un revenu social garanti l’un de ses vecteurs principaux.

This essay proposes a synthetic matrix for reading the transformations in the relation between capital and labor which, since the social crisis of Fordism, have led to a rise in strength of the cognitive and immaterial dimensions of labor. The emphasis is placed particularly on the growing autonomy of labor and on the key role played by the production of Man by man – traditionally assured by the institutions of welfare – in the constitution of the Common and in the rise of an economy based on the driving force of knowledge and its diffusion. A major transformation in salary relations has progressively destabilized traditional, Fordist, terms of capital/labor, revealing, at the same time, the manner in which the transformation of labor and the crisis in the laws of the value-time of labor translate into a radical modification of the mechanisms of capture of surplus value. It is within this framework that the authors identify, on several levels, the process which leads to a return in force of annuity and a crisis in the categorical formula permitting clear separation amongst the trinity of salary, annuity, and profit. They also indicate the outlines of a process of class recomposition that would appear likely to find one of its principal vectors in the reappropriation of the institutions of welfare and the struggle for a guaranteed social income.

Attention et soin. Subjectivité, lien et travail, par

L’article insiste sur la place cruciale du travail affectif et de soin (care). Dans la société du travail en réseau, l’objet principal du travail n’est plus la matière inanimée mais la vie elle-même. Le travail des infirmières, des travailleuses sociales, etc., présente la caractéristique de reposer sur une activité relationnelle qui, par nature, mobilise affects et intelligence dans la coproduction du service. Il s’agit par ailleurs d’activités fortement féminisées qui s’inscrivent dans l’interstice entre public et privé, sphère domestique et sphère étatique, économie marchande et non marchande. Autre trait marquant : ces nouvelles formes de travail sont de plus en plus assurées dans la sphère marchande par une force de travail immigrée qui, quoique fortement qualifiée, est souvent sous-payée et soumise à un lourd processus de déclassement. Sous l’impulsion des politiques néolibérales, le creusement des inégalités dans la répartition du revenu et l’affaiblissement des garanties du Welfare favorisent l’essor de ce qu’André Gorz appelait la domesticité moderne. La combinaison des inégalités salariales et celles des revenus du patrimoine se trouve ainsi à l’origine d’un dualisme croissant du marché du travail. Nous sommes là en présence d’une tendance forte, menant à la généralisation du modèle anglo-saxon de régulation du capitalisme cognitif, même s’il n’y a là rien d’une logique inéluctable, comme le montre par exemple le modèle nordique de protection sociale et de régulation du marché du travail.

This essay insists on the crucial position of affective labor and care. In the society of network labor, the principal object of work is no longer inanimate matter but life itself. The labor of caregivers, social workers, etc., is characterized by relational activity which, by nature, mobilizes affects and intelligence in the mutual co-production of services. Such activities are furthermore highly feminized and inscribed in the interstices between the public and the private, the domestic and the state spheres, market and non-market economies. Another significant trait : these new forms of work are increasingly guaranteed in the sphere of the market by an immigrant labor force that, although highly qualified, is often under-paid and subject to a heavy process of declassification. Under the impulse of neoliberal policies, the intensification of inequities in the distribution of revenue and the weakening of Welfare guarantees favor the birth of what André Gorz has called « modern domesticity ». The combination of inequality in both salary and inheritances is thus at the origin of a growing dualism in the labor market. We are thus witness to a marked tendency culminating in the generalization of the anglo-saxon model of regulation of cognitive capitalism, even though this trend bears no inevitable logic–as shown, for example, by the Nordic model of social protection and regulation of the labor market.

Segmentation du travail cognitif et individualisation du salaire, par et

L’article traite de la transformation du travail et de la différenciation des salaires. Il montre la diffusion du travail cognitif à partir d’exemples empruntés au secteur de l’édition. Il définit tout d’abord le travail cognitif selon le rôle qu’y tiennent les activités relationnelles et les processus d’apprentissage. C’est le type travail qui permet d’exploiter les nouveaux types de rendements d’échelle croissants qui caractérisent l’accumulation dans le capitalisme cognitif. Les activités en réseau et l’apprentissage conduisent, par définition, à un accroissement du travail et à une fragmentation et individualisation du salaire, qui se traduisent le plus souvent par des conditions de vie précaires en termes de revenu et de protection sociale. La seconde partie de l’article est consacrée à l’organisation du travail dans le secteur de l’édition. Le travail cognitif y connaît une forte expansion en raison de l’introduction des technologies de l’information et de la communication. Des données empiriques montrent que cette dynamique, qui repose toujours davantage sur la nouvelle division cognitive du travail, conduit à un accroissement des inégalités salariales et à une forte précarisation,.

The paper deals with the transformation of labour and wages differentiation, providing some empirical examples in the diffusion of cognitive labour, especially in the publishing industry. The first part gives a definition of cognitive labour by focussing on the role played by relation activities and learning processes. It is the type of labour which is able, better than others, to exploit the new types of dynamic scale economies which affect the way of accumulation of cognitive capitalism. Network and learning activities, by definition, lead to an increasing of labour and wage individualisation and fragmentation, which in many cases imply a precarious condition in term of income and social security. In the second part of the paper, the labour organisation is analysed as far as publishing industry is concerned. In the publishing industry, cognitive labour is increasing in relevant way as a consequence of the introduction of Ict. Empirical data show that this dynamic leads to an increase of wages differentiation and precariousness, more and more based on the new cognitive division of labour.

Finance, instabilité et gouvernabilité des externalités, par

Après une mise en perspective historique du processus de financiarisation, l’article prête plus particulièrement attention au rôle de la finance dans le gouvernement des externalités, et cela à un double niveau. (1) Le premier a trait à la revanche des externalités négatives. La surexploitation de la planète résultant de deux siècles d’une croissance hyper-productiviste fait désormais peser sur l’économie mondiale une incertitude structurelle, qui pèse tant sur les prix des ressources non renouvelables que, plus fondamentalement, « sur le prix de l’avenir tout court ». Or c’est la finance qui, faute de mieux, va être « sollicitée pour donner un prix au futur ». Ce constat est d’autant plus fort que le développement des activités visant à solder les externalités négatives est destiné à jouer nécessairement un rôle majeur dans la dynamique du capitalisme. Après la convention boursière Internet et celle immobilière, il est ainsi fort probable que la prochaine convention boursière porte sur les énérgies alternatives et les activités liées à la réparation des dégâts de la croissance. (2) Le deuxième niveau concerne le rôle croissant des externalités positives liées au processus de production et de circulation des connaissances. Plus précisément, la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la montée de l’immatériel se traduisent par deux effets convergents et éminemment contradictoires, auxquelles la finance apporte une réponse. D’une part, les TIC permettent la numérisation et la codification de tout ce qui est répétitif dans l’activité mentale en dépréciant la valeur marchande de l’information. Or, et nous avons là une première contradiction, ces connaissances codifiées et numérisées (dites de niveau 1) présentent un problème majeur d’appropriation privative. Leur coût de production initial est certain. En revanche, leurs coûts marginaux sont très faibles ou nuls, ce qui rend de plus en plus difficile l’exécution des droits de propriété intellectuelle. D’autre part, ce même processus d’automatisation des activités mentales répétitives et de codification de la connaissance déplace le cœur de l’activité créatrice de valeur vers les connaissances tacites, difficilement codifiables : les connaissances dites de type 2, constituées par le triptyque créativité/intelligence/innovation. C’est le modèle paradigmatique du travail immatériel reposant « sur la coopération entre cerveaux travaillant sur ordinateur et reliés par le réseau (Internet)… » Or l’assujettissement de cette forme de la coopération productive en réseau ne peut être qu’indirecte et formelle. Dans ce cadre, la finance est alors destinée à remplir toujours davantage deux fonctions structurelles. Elle seule permet de subsumer le travail immatériel, tout en actualisant l’évaluation à la juste valeur (fair value) des actifs immatériels, dans un contexte d’incertitude structurelle où la « valeur des biens connaissances oscille de rien à des valeurs incommensurables et à des prix de monopole qui sont des prix politiques ».

After putting the process of the financialization of capital into historical perspective, this essay focuses attention on the role of finance capital in the governance of externalities on two levels : (1) the first has to do with the revenge of negative externalities. The overexploitation of the planet resulting from two centuries of super-productivist growth has henceforth introduced a structural uncertainty into the global economy that weighs as much upon the price of non-renewable resources as, more fundamentally, the « price of the future as a whole ». For better or for worse, it is now finance capital that is going to be « asked to put a price on the future ». This state of affairs is all the more marked given that the development of activities designed to counter negative externalities is necessarily destined to play a major role in the dynamic of capitalism. Following the stock exchange protocols realized around dot.coms and then housing, it is extremely likely that the next stock exchange protocol will be directed at alternative energy sources and activities related to growth-related damage control. (2) The second level concerns the growing role of positive externalities linked to the process of production and the circulation of knowledge. More precisely, the revolution in information and communication technologies (ICT) and the rise of the immaterial translate into two convergent and eminently contradictory effects, to which finance capital brings a particular response. On the one hand, ICTs allow for the digitalization and codification of all that is repetitive in mental activity by depreciating the market value of information. However – and this is where we find our first contradiction – these codified and (re-) digitalized knowledges present a major problem to private appropriation. Although the cost of their initial production is definite, their marginal costs are by contrast very slight or even non-existent – a fact that makes the execution of intellectual property rights that much more difficult. On the other hand, this same automation of repetitive mental activities and the concomitant codification of knowledge displaces the heart of value-creative activity towards implicit knowledge that is codifiable only with difficulty : this is knowledge of the so-called second type, constituted by the triptych of creativity/intelligence/innovation. This is the paradigmatic model of immaterial labor that relies « upon the cooperation between minds working on computer and connected by the net (internet) ». The subjection of this form of productive network cooperation can only be indirect and formal. Within this framework, finance capital is thus forever destined to fulfill two structural functions. Only finance capital is capable of allowing the subsumption of immaterial labor while realizing the evaluation at fair value of immaterial assets, in a context of structural uncertainty where the « value of knowledge goods oscillates between nothing and incommensurable values and the price of monopoly, which is ultimately political ».

Rente salariale et production de subjectivité, par

Au cœur de cet article : l’émergence de la figure du « salarié rentier ». Cette figure n’a rien de nouveau en soi si l’on songe aux différentiels de salaire liés aux hiérarchies socialement déterminées des métiers. Ou bien, si l’on songe aux rentes salariales obtenues par des pans du salariat aux dépens du salariat féminin, précaire, immigré. Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui la rente salariale ressort d’un processus double, d’individualisation du salaire et de « socialisation du capital ». Elle est donc d’une nature nouvelle, par ailleurs, son émergence rend encore plus floues les frontières qui séparent les grandes catégories des revenus : salaire, rente et profit. Dans cet article, il s’agit moins de rendre compte de la figure du salarié rentier d’un point de vue strictement économique que de saisir dans le processus double qui lui donne naissance le fonctionnement propre d’une machine de production de subjectivité qui soude la liaison dangereuse entre capitalisme cognitif et néolibéralisme.

The central concern of this essay : the emergence of the figure of the « wage shareholder ». There is nothing new about this figure in and of itself if one thinks of wage differentials linked to social hierarchies determined by the professions. Or again if one thinks of wage-earning shares obtained by sections of the wage-earning system at the expense of feminine, precarious, and immigrant wage earners. What is new is that today the wage share results from a double process of wage individualization and « socialization of capital ». It is thus of a new nature, and its emergence therefore renders more indistinct the boundaries that separate the main categories of revenue : wage, annuity and profit. In this article, it is less a question of accounting for the figure of the wage-earning shareholder from a strictly economic point of view as to see it in terms of a double process that gives to it the functions proper to a machine producing subjectivity that unite the dangerous link between cognitive capitalism and neoliberalism.

La monnaie et la finance globale, par

Les différentes réformes institutionnelles qui, depuis la fin des années 1970, ont conduit à une « privatisation de la monnaie » ont été l’une des assises principales sur lesquelles a été bâti le pouvoir de la finance et, dans le même temps, la déstabilisation du Welfare. À cet égard, un tournant essentiel a été l’institutionnalisation de la soi-disant autonomie des banques centrales. L’une des mesures phares de cette réforme fut la coupure du « cordon ombilical » qui, dans le mode de régulation keynésien, liait le trésor public à la banque centrale, ce qui permettait de financer par création monétaire le déficit du budget de l’État et, sous la poussée des conflits, l’expansion des dépenses sociales et du salaire socialisé. En ce sens, l’affirmation de l’autonomie de la banque centrale par rapport au pouvoir politique a été aussi, et surtout, un changement institutionnel effectué dans le but de soustraire la création monétaire à la pression des conflits sociaux, et par là, de la subordonner progressivement à la logique de la rente et de l’accumulation financière. Ce n’est pas un hasard si, à la suite de l’interdiction de financer le déficit par émission monétaire, la pierre angulaire de la première phase de la financiarisation a justement reposé sur la titrisation de la dette publique, c’est-à-dire sur l’adjudication des bons du Trésor sur un marché libéralisé. Le résultat en est non la réduction mais la croissance exceptionnelle de la dette publique et des revenus rentiers. Dans le même temps, le service de la dette représente désormais l’un des principaux postes de dépenses de l’État et son poids « excessif » est souvent invoqué pour stigmatiser les gaspillages et donc le « nécessaire » démantèlement de l’État-providence. C’est toujours dans ce contexte que l’objectif principal de la politique monétaire devient la stabilité des prix et la garantie des revenus rentiers, alors que les bulles spéculatives constituent désormais la forme essentielle et nouvelle de l’inflation dans les pays développés. De plus, pour soutenir la demande malgré le creusement des inégalités et la déstabilisation des garanties du Welfare, le deficit spending public de type keynésien a été remplacé par une sorte de deficit spending privé, incitant, comme dans le cas exemplaire des subprimes, à un formidable endettement des ménages. Cette évolution signifie aussi que nous passons de plus en plus, comme pour le droit au logement, d’une logique fondée sur des droits de propriété sociale, à une logique de droits de propriété privés, soumis aux cycles d’accumulation du capital. Pour inverser cette spirale, un processus de resocialisation de la monnaie (impliquant la remise en cause du statut d’autonomie de la Banque centrale) se présente ainsi, conjointement à une réforme fiscale radicale, comme l’un des piliers d’un projet de société capable de s’attaquer au pouvoir de la rente et de permettre la mise en place d’un revenu social garanti.

The various institutional reforms which have led since the end of the 70s to the « privatisation of currency » have formed the main base on which the subsequent power of (international) finance has been built, and, concurently, the dismantling of Welfare could take place. Core of this was the so-called autonomy of central banks, as their « umbilical cord » to national treasuries was severed. From then on, deficit financing and « keynesian » social expenditures became near-impossible. Emphasizing the autonomy of central banks from politics was mostly an institutional mutation meant to free monetary policies from social pressure and make it totally subordinate to rent creation and financial accumulation. No wonder then that « securitisation » of the public debt closely followed on the prohibition to deficit financing social expenditures. And then the outcome was not a reduction, but an explosion of public debt! And as debt servicing becomes a principal item on the budget, the « excessive costs » of welfare provisions is blamed, and a further break-down of social services is called for. It is in the same vein that price inflation is controlled, but assets inflation and speculative bubbles dominate « developped » economies. Meanwhile, in order to compensate for increasing income inequalities and diminishing welfare benefits, an exacerbated form of « private households deficit spending »has come into its own, as witnessed by the subprime crisis and mounting credit card defaults. So we are moving from an entitlements-based provision of social goods (housing, education, health etc) to one based on the pure logic of capital and its cycles. The only way out lies in the resocialisation of currency (and an end to the « independence » of central banks), profound fiscal reforms, the demise of rent-seeking, and the institution of an universal « basic income ».

La démocratie contre la rente, par

Aujourd’hui, la démocratie ne se trouve plus seulement devant (et contre) la rente absolue, terrienne (foncière et immobilière) : elle doit surtout affronter la rente financière, le capital que l’argent mobilise de manière globale comme instrument fondamental de la governance des multitudes. La financiarisation est la forme actuelle du commandement capitaliste. Bien évidemment, celle-ci est encore liée à la rente, et elle en répète l’intentionnalité violente – tout comme elle reprend les ambiguïtés et les contradictions de n’importe quelle figure de l’exploitation capitaliste. Il serait donc stupide de penser que le capital financier ne représente pas en lui-même un moment antagoniste – car il comprend toujours en son sein cet élément nécessaire qu’est la force de travail, et qui est à la fois un producteur de capital et une menace pour celui-ci.

Today democracy is no longer faced with absolute, land-based rent (ground and real estate) ; it must above all confront financial rent, capital, which money mobilizes globally as a fundamental instrument in the control of the multitudes. « Financialization » is the present form of capitalist governance. Obviously, this is still tied to rent, and it repeats the latter’s violent intentionality – just as it takes over the ambiguities and contradictions of any figure of capitalist exploitation. It would thus be stupid to think that financial capital does not represent in itself an antagonistic moment, for it always includes within itself labor-force as a necessary elements, which is both a producer of capital and a threat to it.

33. Multitudes 33, été 2008

Lévia Tot(h) (À propos de Leviathan Toth d Ernesto Neto), par et

Leviathan Toth, la contre-“installation” que Ernesto Neto a suspendue aux voûtes du Panthéon à l’automne 2006 n’exploite pas l’espace de ce lieu de mémoire national pour s’exposer («art environnemental»). Il affronte toutes ses coordonnées physiques, esthétiques, politiques, métaphysiques, pour s’en prendre à l’Art de la représentation dont le frontispice du Léviathan montrait, au dire même de Hobbes, le rôle constitutif-constitutionnel pour la République. Mettant en scène une manière de Critique et Clinique de la Représentation dans toutes les acceptions du terme à partir du court-circuit (qui est aussi le circuit le plus court) entre politique et esthétique, l’Opération-Neto vise à la dés-organisation expansive de la multitude vivant sous le régime «démocratique» de la représentation contractuelle dont le Panthéon est le temple. Elle donne corps à la perversion rhizomatique-bioénergétique de l’Image de l’État-Machine, de la Forme-État, en projetant un nouveau type de réalité, infra- et supra-organique, qui tire son «énergie» des forces de la multitudo dissoluta (Hobbes) dont elle propose une radicale re-composition vitale. Cette œuvre/non-œuvre qui relève d’un constructivisme politico-esthétique brésilien que l’on s’attache à redéfinir, ne peut dès lors faire l’«objet» que d’une pratique de déplacement incorporante et constituante du spectateur-participant.

Leviathan-Toth, Ernesto Neto’s anti/counter-installation which could be seen hanging from the vaults of the Panthéon in autumn 2006 does not seek to exploit this national memorial as a space in which to stand as an exhibition (environmental art). It responds to all of its surrounding factors – physical, aesthetic, political, and metaphysical, to attack the representative art whose constitutive-constitutional role in the republic, according to Hobbes, can be seen in Leviathan’s frontispiece. Setting up a sort of Critique et Clinique of Representation in all senses of the term beginning with the short-circuit (which is also the shortest circuit) between politics and aesthetics, Neto’s operation sets its sights on the expansive dis- organisation of the multitude living under the «democratic» regime of contractual representation of which the Panthéon is the temple. It provides a body for the rhizomatic-bioenergetic perversion of the Image of the State-Machine, of the Form-State, by projecting a new infra and supra-organic type of reality which draws its «energy» from the forces of the multitudo dissoluta (Hobbes) whose radical and vital recomposition it advocates. This work or non-work, derived from a Brazilian political-aesthetic constructivism which is undergoing redefinition, can now only take place in the context of a practice of displacement which incorporates and is constituted of the spectator-participant.

Puissances de la samba, clichés de la samba, par

La samba est la plus puissante des expressions artistiques et en même temps l’un des plus grands clichés de Rio de Janeiro. Cliché de l’« identité nationale », du peuple et de l’État-Nation. Mais avant d’être capturée et rendue impuissante dans un cliché, la samba est une ligne de fuite, ou mieux, plusieurs lignes de fuite selon les différentes formes selon lesquelles elle s’est réinventée au long du XXe siècle. Elle dessine la carte, avec ses divisions et occupations territoriales, de la ville même de Rio : la samba qui démarque des territoires en même temps qu’elle se fait démarquer par le territoire, la samba qui réinvente des corps selon ses performances. Performances contre l’asepsie, la discipline physique et la séparation qu’on veut leur infliger : enfin, un jeu permanent de résistance biopolitique et d’action du biopouvoir.

Samba is Rio de Janeiro’s most powerful form of artistic expression, but also one of the city’s main clichés. It is a cliché of”national identity”, cliché for the people and for the Nation State. However, more fundamental than its capture in these clichés, making it powerless, samba is a line of flight or – even better than that – it is a series of lines of flight, according to the different modes by which it has been reinvented throughout the 20th century. Samba draws Rio’s map, with its sections and territorial occupations: shaping territories and being shaped by them, inventing bodies according to their performances. The performances go against asepsis, physical disciplines, and the separation that one tries to inflict on the city’s territories. In short: samba is a permanent interplay between biopolitical resistance and the action of biopower.

D’autres monstres possibles, par

Sao Paulo a connu ces dernières années, de forts mouvements d’occupation d’immeubles au centre-ville. Fortement atteinte par la désindustrialisation, la ville connaît à la fois des problèmes de chômage et de logement. Au mouvement des Sem Teto, sans toit, se sont joints des collectifs d’artistes et graphistes qui ont développé une véritable guérilla médiatique dont la multiplicité de pratiques esthétiques atteint une dimension monstrueuse. Cette analyse nous permet de réfléchir à la dimension constituante de la multitude productive, à travers ses créations esthétiques, contre les politiques de gentrification dans la métropole. La lutte contre le Léviathan pauliste entraîne la création d’autres monstres possibles.

Sao Paulo has in recent years been acquainted with large movements of occupation of buildings in downtown area. Strongly affected by the reduction of the industrialization, the city experiences regularly problems of unemployment and housing. Collective of artists and graphists have joined the movement of”Sem Teto”, the Homeless, in order to develop a real media guerrilla whose multiplicity of aesthetic practices have reached a monstruous dimension. This analysis allows us to reflect on the constituent dimension of the productive multitude, through their aesthetic creations against the policies of gentrification in the metropolis. The fight against the Léviathan in the city of São Paulo entails the creation of other possible monsters.

The Many-Headed Hydra, par et

Cet article est la traduction de l’Introduction du livre, L’hydre aux mille têtes. L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire, à paraître aux Éd. Amsterdam en 2008. Il s’agit de l’exploration historique de la classe multi-ethnique qui forma la main-d’œuvre bon marché ayant permis l’avènement du capitalisme et de l’économie moderne transatlantique, puis mondialisée, à partir du début du XVIIe siècle. Une «foule bigarrée» (motley crowd) constituée de marchands, d’esclaves, de pirates, de travailleurs, de femmes, de soldats, de criminels déportés, de radicaux religieux, etc., développa des formes de résistance et de coopération afin de se soustraire à une exploitation forcenée (exploitation d’une main-d’œuvre dans une configuration productive qui est déjà mondialisée). Les auteurs racontent l’histoire du rôle de ces dépossédés du monde moderne, et de leur lutte pour la liberté.

This article is the introduction of the volume The Many-Headed Hydra. The Hidden History of the Revolutionary Atlantic, to be published by Amsterdam, a historical investigation of the multi-ethnique class which formed the cheap workforce which made possible the rising of capitalism and of modern transatlantic (and eventually global) economy, since the beginning of 17th century. A motley crowd made by merchants, pirates, workers, women, soldiers, convicted criminals, religious radicals, etc. developed forms of resistence and mutual cooperations, in order to escape the deep exploitation of the workforce, taking place in an economy already globalised. The authors tell the story of the role played by these wretched of modern world and of their fight for liberty.

Voltaire et les vampires, par

Dans son article «Vampires» du Dictionnaire philosophique, Voltaire évoque le phénomène de la «peste vampirique» qui a frappé l’Europe centrale des années 30 du XVIIIe siècle, aussi bien que les interprétations controversées qui en furent alors données, en France comme dans toute l’Europe. Il profite de cette occasion pour reprendre sa polémique anti-religieuse avec une ironie corrosive qui n’épargne pas même un voltairien sincère, comme Jean-Baptiste Boyer d’Argens, qui avait, avec beaucoup d’acuité, donné lui-même une interprétation du phénomène dans ses Lettres juives. Dans son texte, Voltaire choisit l’arme de la satire plutôt que celle de l’enquête scientifique. Il nous donne ainsi une approche anthropologique assez approximative en révélant par là les limites d’une raison polémique bornée à la simple idéologie.

In his article on «Vampires», in the Dictionnaire philosophique, Voltaire both evokes the phenomenon of the so-called «vampire plague» which hit Central Europe during the 1730s and recalls the controversial interpretations of this phenomenon in France and abroad. He takes advantage of the occasion to renew his anti-religious polemic, with a caustic irony that doesn’t spare even a sincere Voltairian like Jean Baptiste Boyer d’Argens, who had offered a penetrating analysis of this phenomenon in his Lettres juives. In his text, Voltaire chooses satire rather than an inquiry into causes of the phenomenon, revealing a superficial anthropological approach as well as the limits of an argument conceived as pure ideology.

34. Multitudes 34, automne 2008

L'effet-guattari - les vertiges de la crise des subprimes - l’effet guattari - philosophie des normes - inédit guattari : du postmoderne au postmédia - renée green : come closer

Pauvreté, crise du climat et agrocarburants, par et

Le développement des agrocarburants n’a pas seulement pour effet de réduire à la famine les plus démunis. Il se fait au détriment des droits sur leurs terres des communautés paysannes (pensons aux 4 millions d’hectares volés par les paramilitaires colombiens et replantés en palmiers à huile). Il se fait au détriment de la biodiversité, des dernières forêts primitives, comme en Indonésie où disparaissent les écosystèmes des orangs-outangs, des zones floristiques de l’Union européenne… Et pourtant, il y a encore deux ans, le développement des agrocarburants était présenté comme la solution miracle contre la raréfaction des réserves en pétrole et dans la lutte contre l’effet de serre. L’Union européenne surenchérissait en objectifs de plus en plus ambitieux ! Le revirement quasi unanime des positions officielles vis-à-vis des agrocarburants que l’on peut observer ces derniers mois est une première victoire. Il ne faut toutefois pas relâcher nos efforts.

Biofuel development not only condemns the poorest of the poor to famine, it also deprives peasant communities of their property rights – think of the 10 million acres of land robbed by Columbian paramilitaries for conversion into oil palm estates. Biofuel development takes place at the expense of biodiversity, it finishes off the last of the pristine rainforests, as in Indonesia where the ecosystems catering for orang-outangs are disapearing. And it also savages the floral resources within the European Union. And yet, only two years ago, biofuels were hailed as the miracle solution to dwindling petroleum reserves and to the problem of global warming, with the European Union adding one ambitious biofuel initiative to the next! The near-unanimous change of heart we have been witnessing over the past months is surely a first victory, but we should definitely not slacken in our efforts.

Philosophie et philosophie des normes chez Kant, par

Luc Vincenti part de la question de l’applicabilité qui, en matière de comportement humain, spécifie la normativité dans le champ plus large de la régularité. La philosophie pratique de Kant permet d’enraciner cette applicabilité, au-delà d’un simple sentiment de soi, dans la connaissance de sa liberté. Mais que devient ce fondement de l’obligation hors du champ moral, dans le champ juridique, où Kant se rapproche du positivisme kelsénien ? La philosophie politique kantienne est en fait à double face : mettant en question la fondation contractualiste dans le champ propre du droit, Kant retrouve la légitimité dans le rapport, finalisé, du droit à la morale : dans la capacité du droit à produire la paix en préservant la liberté. La notion kantienne d’usage public de la raison est alors tout à la fois ce qui manifeste cette fin du droit, par la liberté d’expression, et ce qui apparaît comme déploiement public d’une connaissance de la liberté par elle-même.

Luc Vincenti starts from the question of applicability which, as regards human behaviour, specifies normativity within the wider field of regularity. Kant’s practical philosophy enables this applicability to be located, beyond the mere feeling of self, in the knowledge of one’s freedom. But what happens to this foundation of obligation outside of the moral realm, in the legal realm, where Kant is closer to Kelsenian positivism ? In fact, Kant’s political philosophy is two-sided : while he questions the contractualist foundation within the properly legal realm, he returns to the idea of legitimacy in the purposive relation law has to morals, i.e., in the capacity of the law to produce peace by preserving peace. Kant’s notion of the public usage of reason then exhibits this purpose of law, through freedom of expression, and is also the public display of freedom’s knowledge of itself.

Normes de gouvernance et enrôlement des acteurs sociaux, par

L’étude des formes actuelles de la gouvernance permet de mettre en lumière les « formes d’expérimentation sociale » fondées sur l’enrôlement du collectif. Cela signifie qu’aujourd’hui la définition de l’effectivité d’un système de règles passe moins par la possibilité de réaliser une subsomption justifiant la validité interne d’une procédure que par « le pouvoir d’inférence à l’égard de la production d’une forme de vie sociale satisfaisante ». C’est pourquoi « la question de la normativité du droit se déplace de la cohérence formelle de son contenu sémantique vers son potentiel pragmatique de gouvernance comme institution sociale ». Il devient par là urgent d’inventer de nouvelles formes de coopération sociale à même de contrer « l’opportunisme » des acteurs sociaux capables de saisir les opportunités déterminées par la crise des formes institutionnelles classiques.

The study of current forms of governance sheds light on « forms of social experiment » based on collective participation. The effectiveness of a system of rules relies less on realizing a subsumption justifying the inner validity of a procedure than on the « power to infer the production of a satisfying form of social life ». This is why « the question of the law’s normativity is displaced from the formal coherence of its semantic content towards its pragmatic potential of governance as a social institution ». It is therefore urgent to invent new forms of social cooperation able to counter the agents’ « opportunism » in their attempts to seize the new opportunities opened by the crisis of classical institutions.

La dimension implicite de la norme, par

Selon l’hypothèse interprétative proposée par I. Pariente-Butterlin, le niveau des lois explicites ne peut pas représenter le paradigme de la norme. Autrement dit, la construction de la normativité fait référence à une dimension implicite permettant de mettre en lumière ce qui fonctionne à un niveau explicite. Dans ce sens, on peut admettre que la conduite ne constitue pas une expression de la loi. Une telle perspective déplace ainsi entièrement la problématique relative à la détermination d’un sens possible dans la production de conduites. En effet, « comment se fait-il que nous obéissions à des règles de droit dont nous ignorons l’existence ? » Dans la plupart de nos actions, nous ne réglons pas nos conduites sur la valeur et l’injonction de la loi. Ce qui implique que même notre rapport aux lois passe par une référence implicite à la norme. De cette manière, il devient sans doute envisageable de penser les formes de résistance ou d’acceptation des lois comme de modalités d’action ou de conduite assignées à l’horizon implicite de la normativité.

According to Pariente-Butterlin’s interpretive hypothesis, the level of explicit laws cannot represent the paradigm of the norm. In other words, the construction of normativity refers to an implicit dimension which sheds light on its explicit workings. In this sense, one can grant that conduct is not an expression of the law. This point of view completely displaces the problematic pertaining to the determination of a possible meaning in the production of conducts, for « how is it that we obey legal rules whose existence we are unaware of ? » In most of our actions, we do not regulate our conduct according to the value and injunction of the law. This implies that even our relation to laws implies an implicit reference to norms. Hence it becomes conceivable that forms of resistance or acceptance of laws be understood as modalities of action or conduct falling under the implicit horizon of normativity.

Du postmoderne au postmédia, par

Les philosophes postmodernes ont beau papillonner autour des recherches pragmatiques, ils restent fidèles à une conception structuraliste de la parole et du langage qui ne leur permettra jamais d’articuler les faits subjectifs aux formations de l’inconscient, aux problématiques esthétiques et micro-politiques. Il faudrait en revenir à une évidence simple, mais combien lourde de conséquences, à savoir que les agencements sociaux concrets mettent en cause bien d’autres choses que des performances linguistiques : des dimensions éthologiques et écologiques, des composantes sémiotiques, économiques, esthétiques, corporelles fantasmatiques, irréductibles à la sémiologie de la langue, une multitude d’univers incorporels de référence, qui ne s’insèrent pas volontiers dans les coordonnées de l’empiricité dominante.

Postmodern philosophers may flirt with pragmatics, but they remain trapped within a structuralist conception of speech and language, which prevents them from articulating subjective facts to the formations of the unconscious, to the realm of aesthetics and micropolitics. One should start again from the basic (but immensely important) fact that concrete social devices deal with much more than mere linguistic performance : they are made up of ethological and ecological dimensions, of semiotic, economic, aesthetic components, of bodily fantasies irreducible to linguistic semiology, displaying a multitude of disembodied universes of reference, which do not easily fit within the coordinates of our ruling empiricism.

Post-scriptum sur l’esthétique relationnelle : capitalisme, schizophrénie et consensus, par

Les cartes et les ritournelles d’une panthère arc-en-ciel, par

Petit à petit, Guattari a forgé un ensemble d’outils à même de soutenir chacun dans son désir d’échapper à l’injonction capitaliste, en s’appuyant sur ses passions, sur les actions auxquelles il participe, sur les universaux culturels qu’il reconnaît, et sur les flux libérés à la surface de la terre par l’aventure humaine. Le sujet, mis à distance de l’impuissance que la centralité de son moi engendrait, développe sa réflexion et la capacité d’action dans une infinité de situations différentes. Ces outils viennent de la psychothérapie institutionnelle et de la psychosociologie dans un premier temps ; puis Guattari se tourne vers des sémiotiques non limitées par l’effondrement des « lieux de parole », sensible depuis 1975 ; enfin il invente les « cartographies schizoanalytiques » et jette les bases de l’« écosophie ».

Guattari has progressively designed a set of tools capable of helping everyone escape from capitalist injunctions, finding support in affects, in participative action, in cultural universals and in the flows freed by the human adventure on the surface of the planet. The subject, distanced from the powerlessness generated by a central ego, develops her reflection and agency in infinitely diverse situations. He drew such tools, first, from institutional psychotherapy and psycho-sociology, later, from a form of semiotics not limited by the collapse of the « loci of speech », which finally led him to invent schizo-analytic mappings and to prepare the ground for « ecosophy ».

Banco sur Félix, par

Dans un tir groupé de livres publiés de 1972 à 1979, Psychanalyse et Transversalité (1972), La Révolution moléculaire (1977) et L’Inconscient machinique (1979), Guattari élaborait une typologie des systèmes sémiotiques utilisant un vocabulaire conceptuel hybridé de Peirce et Hjelmslev. En lisant ces trois livres en parallèle, je voudrais étoffer la sémiotique a-signifiante en la mettant en relation avec une ligne info-technologique sur le phylum machinique inspirée de l’un des exemples préférés de Guattari quant à la sorte de semiosis mise en jeu par les signes a-signifiants : les cartes bancaires. La nouveauté apportée par Guattari consistait à développer les signes a-signifiants dans une typologie des classes de signes mais en tenant compte du problème de la relation entre les dimensions matérielles et sémiotiques à l’ère de l’informatisation mondialisée.

In a cluster of books published originally in 1977, the two editions of La Révolution moléculaire, and L’Inconscient machinique (1979), Guattari elaborated a typology of semiotic systems framed in a Peirce-Hjelmslev hybrid conceptual vocabulary. Reading across these three books I want to flesh-out a-signifying semiotics in relation to an infotech strand on the machinic phylum inspired by one of Guattari’s favourite examples of the kind of semiosis put into play by a-signifying signs : credit and/or bank cards. Guattari’s innovation was to develop a-signifying signs in a typology of sign types but with respect to the problem of the relationship between material and semiotic dimensions in the age of planetary computerization and globalization.

Les machines désirantes de Félix Guattari, par

Lacan a manqué l’occasion de relier le concept d’objet « a » aux analyses marxistes de la production, de la reproduction et de la consommation dans l’économie politique, et scotomisé ainsi les formes possibles de l’« énonciation sociale » qui seraient susceptibles d’agir comme vecteurs de l’action politique, tout particulièrement dans les périodes de bouleversement technologique. Le capitalisme industriel, une fois mis en marche, génère des sujets déterritorialisés, et à travers une alternative constante entre déqualification et requalification professionnelle, engendre de nouvelles formes machiniques (en principe universelles) de subjectivité. Lacan avait découvert le mécanisme mais il n’avait pas su déployer ses conditions historiques et ses implications politiques. Guattari suggère que l’orientation générale des institutions sociales s’est radicalement transformée avec l’expropriation capitaliste des bénéfices de la révolution industrielle.

Lacan himself ends up missing the opportunity to relate his notion of the objet petit a to Marxist ideas about production, reproduction and consumption in political economy, and therefore scotomises the possible forms of « social enunciation » that could act as vehicles for political agency precisely during periods of technological revolution. Industrial capitalism, once set in motion, generates deterritorialised subjects, and through the very process of constant de-skilling and re-skilling, engenders new, in principle universal, machinic forms of subjectivity. Lacan had discovered the mechanism, but had not yet unfolded its historical conditions and political implications. Guattari suggests that the entire direction of social institutions has been radically transformed as a result of the capitalist expropriation of the results of the industrial revolution.

Un cavalier schizoanalytique sur le plateau du jeu d’échecs politique, par

35. Multitudes 35, hiver 2009

Amérique latine

De Guantanamo à Tarnac : un renversement de l’ordre de droit, par

La mise en scène de l’arrestation et de l’inculpation des « autonomes de Tarnac » révèle non seulement un bouleversement de l’ordre juridique, mais aussi une mutation de l’ordre symbolique de la société. Les procédures mises en place représentent un des aspects les plus significatifs de la tendance imprimée par la « lutte contre le terrorisme », à savoir qu’un individu est désigné comme terroriste, non pas parce qu’il a commis des actes déterminés, mais simplement parce qu’il est nommé comme tel par le ministère de l Intérieur. Ce qui fait de ces jeunes gens des terroristes, c’est leur mode de vie, le fait qu’ils tentent d’échapper à la machine économique et qu’ils n’adoptent pas un comportement de soumission « proactive » aux procédures de contrôle. Le discours du pouvoir devient le seul référent possible Les faits sont ainsi forclos du champ social et de l’espace du pensable. Ce faisant, cette image nous installe dans une structure psychotique.

The way the nine Tarnac proponents of a self-supporting life were arrested and charged testi- fies not only to a disruption in the order of the law but also to a deeper mutation, in the symbolic order of society. The procedures that were implemented represent one of the most telling aspects in the new trend that has developed with the « war on terror », namely a person is de fined as a terrorist not because he or she committed any specific crime, but because he or she is given that name by the Home of fice. The reason why these young people are called terrorists is the way they live, the fact they try to escape the economic machine and do not proactively submit to control procedures. The discourse of power becomes the one and only possible referent. Facts are kept out of the social field and out of th espace of what is thinkable. As a consequence, this image imprisons us in a psychotic structure.

En Bolivie, une victoire difficile, par

Les transformations de la structure de classe associée au néolibéralisme en Bolivie pourraient être, paradoxalement, les conditions de possibilité pour l’émergence de propositions plurielles et pluriculturelles. L’épuisement des promesses jamais satisfaites de la modernité eurocentrée, l’altération des hiérarchies traditionnelles aux différents niveaux géographiques (localité, région, État, international) engendrée par les formes dans lesquelles se manifeste la globalisation dans les périphéries, et le retour – volontaire et planifié – à une souveraineté étatique qui n’a jamais été qu’une aspiration créole-urbaine, ont rompu les certitudes traditionnelles : les futurs imaginables, les formes d’organisation classiques, les sujets de changement et leurs identités, les classifications géographiques et raciales.

The transformations undergone by the class structure associated with neoliberalism in Bolivia could be, paradoxically, the conditions for the possibility of an emergence of more plural and pluricultural propositions. The exhaustion of perpetually unsatis fied promises of eurocentric modernity, the alteration of traditional hierarchies at different geographical levels (local, region, state, international) engendered by the forms in which globalisation manifests itself in the peripheries, and the – voluntary and planned – return to a state sovereignty which was never more than a creole-urban aspiration, have broken traditional certainties: imaginable futures, classic forms of organisation, subjects of change and their identities, geographical and racial classi fications.

Anthropophagies, racisme et actions affirmatives, par

L’anticipation du Manifeste anthropophage (1950) d’Oswald de Andrade a consisté à saisir la dynamique brésilienne, à cheval entre l’héritage de la colonisation européenne et sa projection dans l’avenir. Oswald a vu dans le Brésil qui entrait dans la modernité un « pays du futur », non pas du point de vue de la dynamique de construction d’une trajectoire nationale de développement, mais dans la perspective du développement du rapport brésilien (indigène) à l’altérité coloniale. La révolution anthropophagique, au fur et à mesure qu’elle projetait les Indiens dans le monde, se fondait sur une théorie de la multiplicité et non de la « diversité ». L’anti-colonialisme n’était pas un nationalisme et moins encore un isolationnisme, mais une machine de guerre pour prendre à l’Europe des riches « ce qui nous intéressait ».

Oswald de Andrade’s « Cannnibal Manifesto » (1950) was anticipative in its apprehension of the Brazilian dynamic as it emerged from its European colonial heritage projecting itself towards the future. As Brasil entered modernity, what Oswald observed was « a country of the future », not from the perspective of the dynamic of a construction of a national trajectory of development, but from the perspective of the development of the indigenous Brazilian relation to colonial alterity. The anthropophagic revolution, as it projected the Indians into the world, rested on a theory of multiplicity and not of « diversity ». Anti-colonialism was not a form of nationalism, but a war machine which served to take what we wanted in the rich Europe.

36. Multitudes 36, été 2009

Google et au-delà

“Nous ne paierons pas pour votre crise” Les luttes italiennes contre la réforme de l’éducation, par

Le système d’enseignement public italien a été depuis l’été 2008 l’objet d’une série de coupes budgétaires. C’est contre cette suite de réformes que des étudiants, des travailleurs de l’enseignement et des chercheurs se sont engagés dans diverses formes de contestation, de l’occupation des rues au blocage des universités. Au-delà des frontières italiennes, des appels à un nouveau type de welfare se sont fait entendre à travers toute l’Europe, étendant ainsi les revendications corporatistes traditionnelles au contexte global de la crise économique en révélant sa double nature. L’un de ces aspects réside dans la centralité de la production de savoirs, l’indistinction entre les statuts d’étudiant et de travailleurs émergeant comme effet symptomatique de la planification néolibérale. Contre ce processus au sein duquel la puissance des savoirs vivants se voit capturée par la dynamique capitaliste de hiérarchisation et de dette, les récentes luttes désignées sous le nom de Onda anomale ont imposé les fins d’un renouveau de la coopération sociale et une pensée réactualisée de l’autonomie du savoir, sous le slogan « Nous ne paierons pas pour votre crise ! ».

«We will not pay for your crisis»
The Italian public education system has been hit by several cuts in its funding since the summer of 2008. It’s against this trend of reforms that students, university workers and researchers engaged in various protests, occupying the streets and blocking universities. Beyond Italy’s boundaries, calls for a new form of welfare have spread throughout Europe, thus extending traditional corporatist demands to the global context of the economic crisis and revealing its double-sided nature. One of these aspects is the centrality of the production of knowledge, as the indistinctness between student and worker statuses emerges as a symptomatic side-effect of the neoliberal agenda. Against this process in which the power of living knowledge is captured by capitalist dynamics of hierarchy and debt, recent struggles under the designation of «Onda Anomale» have imposed the goal of a renewal of social cooperation and a rethinking of the autonomy of knowledge, under the motto « We won’t pay for your crisis! ».

Du commun de l’autre côté des mers, par

Dans ce texte, Anne Querrien revient sur l’action du LKP. Loin de s’arrêter à un regard axé sur la seule revendication d’une augmentation de 200 euros, ou à une analyse qui arrêterait cette lutte au seul mouvement indépendantiste, l’auteur retrace cette révolte en indiquant le désir de changer les relations sociales, son aspiration à alé pli lwen, et sa quête de sortir du colonialisme et de l’exploitation. Ainsi sous sa plume, l’île re-devient espace d’utopie, de déboulé et de créole soutenu par un projet d’hybridation et de créativité dans lequel aussi tout reste à faire. Car, le liyannaj, la mise en commun, amorcée a ses faiblesses, notamment en ce qui concerne la question du Sida ou de la place des femmes. Ces points aveugles n’empêchent pas pour autant de regarder de l’autre côté des mers.

From the common to the other side of the seas
In this text, Anne Querrien revies the action of the LKP (Coalition of Civil Society Organizations of Guadeloupe). Instead of focusing on the immediate demands or to simply analyze the fight in the framework of the struggle for independence, the author recounts the revolt as a desire to change social relations, its aspiration to alé pli lwen and its quest to end colonialism and exploitation. The island is seen as an utopian space, a déboulé and a creole, supported by a hybridization and creativity in which everything remains to be done. The liyannaj, or pooling, has shown its weaknesses, particularly regarding the issue of AIDS or of women. These blind spots do not hinder the reader to look across the seas.

“Beyond Google”, par et

Ne serait-ce qu’à cause de sa puissance et de ses visées tentaculaires, Google mérite une critique radicale, mais à sa hauteur. Comprendre Google et l’importance qu’il a pris dans notre quotidien suppose un regard allant au-delà du moteur de recherche lui-même et de ses services. L’usage de Gmail et de ses publicités contextuelles comme de Google Street View et de ses rues filmées via un objectif à 360˚ (comme si nous y étions) n’est pas neutre. Sauf qu’en amont de Google, il y a nos désirs. Il y a nos sources d’information et de connaissance, chaque jour en nombre plus démentiel, et moins fiables que jamais du côté des médias classiques… En aval, alors qu’Internet devient peu à peu aussi commun et invisible que l’électricité, se posent les questions des limites des moteurs tels que Google. Et puis il y a nos détournements, nos créations, nos projets individuels ou collectifs…

Beyond Google
If only because of its power and its tentacular expansion, Google deserves a radical critique, but at its height. Understanding Google and the importance it has in our daily lives requires a look beyond the search engine itself and its services. The use of Gmail and its contextual advertising, as well as Google Street View and its streets filmed with a 360˚ angular view (as if we were there) is not neutral. Except that, before Google, our desires exist. The number of sources of information and knowledge grows insanely every day, and at the same time the mainstream media become less reliable. As the Internet becomes as ubiquitous and invisible as electricity, the limits of engines such as Google need to be questioned. And then there’s our fidelity, our creations, our individual and collective projects…

Au-delà de Google Les voies de l’intelligence collective, par

Contre l’hégémonie de Google Cultivons l’anarchisme des connaissances, par

Dans cet échange, Karlessi, membre du groupe Ippolita, souligne l’existence d’une face obscure de Google qui, à l’aide de « cookies », parvient à créer une technique de plus en plus fine de profilage des internautes. Cette somme d’informations se constitue afin de permettre la mise en relation de l’individu avec une publicité de mieux en mieux ciblée. Cette technique de saisissement de l’internaute s’accompagne aussi d’un appauvrissement des formes d’investigation de ce dernier, de plus en plus soumis au moteur de recherche et à son hégémonie sur le Net. C’est la raison pour laquelle la démarche collective d’Ippolita propose de sortir de la passivité vis-à-vis de la technologie et d’inventer d’autres formes de relation à la technique, ainsi qu’entre les êtres. Les « scookies » sont ainsi une de leurs propositions pour brouiller les pistes de ce fichage par Google, en permettant aux internautes d’échanger leurs « cookies ». Démarche tournée vers une quête : celle de faire de nous tous des poètes !

let’s promote Knowledge Anarchism
In this conversation, Karlessi, a member of the group Ippolita discusses the darker face of Google, which, with the help of cookies, finds ever finer ways to profile Internet users. The information is gathered in order to allow for a close match between advertisement and the individual targeted. This leads to an impoverishment of research in the Net, increasingly submitted to the hegemony of a single search engine. For this reason, Ippolita proposes a new form of agency through the use of « scookies », which allow Internet users to exchange their cookies and erase all the traces that allow Google to profile them. Ultimately, the intention is to make a poet out of each one of us !

Peut-on faire l’économie de Google ?, par et

Google ne nous est pas indispensable comme le frigidaire et l’eau courante. Impossible de le ramener à ce statut commode d’objet de consommation ou de service quotidien, et ainsi de le tenir à distance. Comme les réseaux sociaux, ce réseau des réseaux cognitifs s’immisce dans notre perception, dans notre ordonnancement des mots, des concepts, dans la visibilité de tout, dans notre mesure de toutes choses. Au-delà de son discours missionnaire, le meilleur allié de Google est la formation d’un nouveau type de travailleur de la connaissance, de cyber-sentant, de cyber-patient ou de cyber-réseaunnant (comme raison, réseau et résonnance). La force hégémonique de Google ne relève pas de la coercition (de son monopole ou de sa position dominante), mais de la captation de ce mode de constitution de nos subjectivités dont le moteur de recherche devient certes, le medium, puis en deuxième temps la matrice de média.

Can we do without Google ?
Google is not as essential as a refrigerator or running water. Yet, we are unable to downsize it to that convenient status of object of consumption or everyday service, and thus keep it at a safe distance. Same as social networks, this network of knowledge networks interferes in our perception, our arranging of words and concepts, in the visibility of eveyting, in our measure of all things. Besides its missionary discourse, the best ally of Google is the formation of a new type of knwledge worker, of cyber-feeling, cyber-patient or cyber-réseaunnant (from « reseau » -network- and resonance). The hegemonic power of Google is not the coercion (its monopoly or dominant position), but its coopting of our subjectivities, for which the search engine is indeed the medium, and in a second phase the matrix of media.

La mutation androïde de Google : radiographie d’un imaginaire en actes, par

Au-delà de sa technique et de ses usages, qui se veulent modestes, Google a pour carburant un imaginaire démentiel, héritier de l’intelligence artificielle forte de la fin des années 1950. Son symbole pourrait en être la « Singularity University », université d’été qu’il finance à partir de juin 2009 et qui tourne autour du concept de « singularité », développé par le techno-prophète et « transhumaniste » Ray Kurzweil. Selon ce dogme, la vie tient non à la matière mais à son organisation, donc à l’information. L’imaginaire de Google, tel que porté également par sa plate-forme open-source Android pour terminaux mobiles, aboutit à la vision, d’ici une ou deux générations, d’agents personnels d’information de l’ère « Post PC ». Ou encore à une IA Google qui « vivrait » en quelque sorte au travers de personnes robotiques, anges gardiens qui connaitraient tout de nous et pourraient devenir (sans rire) nos « meilleurs amis »…

The mutation of Google android
In addition to its technology and its uses, which are claimed to be modest, Google’s fuel is an insane imagination, heir to the artificial intelligence of the late 1950s. Its symbol could be the «Singularity University», a summer school it funds since June 2009 and which revolves around the concept of «singularity», developed by the techno-prophet and «transhumanist» Ray Kurzweil. According to this dogma, life is not about matter but about its organization, which is information. The imaginary world of Google, and also of its open-source platform for mobile devices called Android, leads to the vision of a post-PC era of personal information agents in one or two generations. Or even to an AI era where Google will « live » in some way through robotic persons, guardian angels who know all of us and could be (no pun intended) our “best friends” …

La justice environnementale, par

L’éthique des vertus et l’environnement, par

À l’heure actuelle, trois théories se disputent la prééminence en matière d’éthique normative : le déontologisme, qui considère que le critère de la correction morale réside dans une propriété intrinsèque des actes ; le conséquentialisme, qui aligne la correction morale des actes sur leur contribution à la promotion de bien non moraux ; enfin l’éthique des vertus, qui fait du caractère de l’agent le critère permettant d’apprécier ses actions. Les partisans contemporains des deux premiers types de théorie ont articulé de façon parfois assez détaillée les principes d’une éthique de l’environnement. Il s’agit pour l’auteur d’indiquer les grandes lignes d’une éthique environnementale des vertus, et de montrer que, dans ses conclusions pratiques, cette éthique se rapproche d’une forme d’environnementalisme faible.

The ethic of virtue and environment
Three different theories currently struggle for pre-eminence in the normative ethical question. Deontologism considers that the criteria for ethical correctness is within the act itself. Consequentialism considers the ethical correctness of an act to be linked to its contribution to the promotion of non-ethical goods. Finally, the virtue ethics sees the character of the actor as the criteria to appreciate his or her acts. Today the first two theories have developed the principles of environmental ethic in detail. The author points to the main features of an environmental ethic of virtue and shows that in practice such an ethic resembles a form of weak environmentalism.

Le pouvoir et la promesse de l’écoféminisme, par

La crise environnementale est la conséquence rigoureuse de la détermination rationaliste de toute chose comme objet dont l’essence est d’être à la disposition d’un sujet, qui s’assure de son propre statut de maître et de possesseur de la nature au moyen d’une batterie de schémas de pensée dualistes qui ravalent les êtres naturels inanimés, les animaux, les femmes, etc., à un rang hiérarchique inférieur. L’urgence est donc, pour l’auteure, de déconstruire les multiples « cadres conceptuels oppressifs » qui structurent la pensée occidentale, en soumettant à l’analyse le mode de pensée qui procède de façon systématique à une hiérarchie et à un dualisme des valeurs, qui multiplie les paires disjonctives, qui se réalise pleinement enfin sous la forme d’une « logique de la domination ».

The power and the promise of Ecological Feminism
The environmental crisis is the direct consequence of rationalist determination that makes everything into an object at the service of a subject, who asserts himself as master and possessor of nature by means of a battery of dualistic thinking schemes. In these schemes natural inanimate beings, animals and women are hierarchical inferior. It is urgent for the author to deconstruct these multiple “oppressive conceptual frames” that govern Western thinking. This mode of thinking evolves into a “logic of domination” by developing in a systematic way a hierarchy and a dualism of values, which multiply disjunctive pairs.

Quelques pistes pour un dialogue fécond entre féminisme et écologie, par

La critique écoféministe, en ses différentes dimensions (épistémologique, morale et sociale), vise à révéler que les conséquences de la longue prédominance masculine dans les différents champs où elle a pu s’exercer ont éminemment une signification écologique : en sciences, où les savoirs et les méthodes ont été conçus selon un modèle qui se révèle impuissant à saisir la nature des problèmes environnementaux ; en morale, où paternalisme et anthropocentrisme échangent leurs caractères ; dans les contextes sociaux, où la subordination économique et politique des femmes fait de ces dernières à la fois les premières victimes de la dégradation de l’environnement et bien souvent des actrices-clefs de la mise en œuvre des mesures de protection.

Clues for a productive dialogue between feminism and ecology
Clues for a productive dialogue between feminism and ecology
The feminist critique, in its different dimensions (epistemological, ethical and social) shows that the consequences of the long masculine predominance in the different areas haves an ecological relevance. In the sciences, where knowledge and methods have been constructed by a model that is unable to understand the nature of environmental problems. In moral theories, where paternalism and anthropocentrism are essentially the same. And also in social contexts, where economic and politic subordination of women make them the first victims of the environmental degradation and often the principal protagonists of protection measures.

Animal, mon égal Ethique et politique de l’abolition de la viande, par

Si la réflexion sur la condition animale est millénaire, il se produit bien quelque chose de singulier avec l’éthique animale, dans la mesure où une activité intellectuelle « académique » s’articule avec un mouvement social qui vise à mettre fin à toutes (ou à la plupart) des pratiques où des animaux sont utilisés pour servir des intérêts humains. Du fait des inspirations théoriques diverses, il arrive que les controverses sur les valeurs et leurs implications fassent rage à l’intérieur du mouvement animaliste. Il s’agit de montrer que, au-delà des engagements idéologiques des uns et des autres, une véritable convergence pratique se dégage sur la plupart des objectifs, dont celui d’en finir avec la viande. Au regard de ce but, les lignes de division qui se maintiennent permettent d’opposer, non pas tant des courants éthiques, que des stratégies.

Animal, my equal. Ethics and politic of the abolition of meat
The reflection about animal condition is thousands of years old, yet animal ethics has a peculiar result in that an intellectual “academic” activity connects with a social movement that aims at ending all (or most) activities where animals are used to serve human interests. Different theoretical inspirations result in controversies about values and their implications within the animal rights movement. But it is important to show that, beyond ideological differences, there is real practical convergence in objectives like the abolition of meat consumption. In light of this objective, the differences are mainly of strategies, not of ethical thinking.

37-38. Multitudes 37/38, automne 2009

Abécédaire de la Crise Politiques du care

L’éthique comme politique de l’ordinaire, par

Les éthiques du care, en proposant de valoriser des caractéristiques morales d’abord identifiées comme féminines, ont introduit des enjeux éthiques dans le politique, et mis la vulnérabilité au cœur de la réflexion morale. En cela, elles ont affaibli, par une critique de la théorie de la justice, le lien entre éthique de la justice et libéralisme politique, et rejoignent des éthiques qu’on pourrait appeler « wittgensteiniennes ». Mais elles permettent aussi, par l’attention qu’elles prônent à la vie humaine ordinaire, de créer un nouvel espace de la réflexion politique, que nous définissons ici comme une politique de l’ordinaire dans la lignée de la « philosophie analytique de la politique » que proposait Foucault. Il s’agit alors de mettre en évidence le lien entre notre manque d’attention à des réalités négligées et le manque de théorisation qui les affecte.

Ethics as politics of the ordinary
Ethics as politics of the ordinary
The ethics of care has contributed to revise a dominant conception of ethics, by valuing what has been identified as female morality and by introducing ethical stakes into politics. It has weakended, through its critique of theories of justice, the seemingly obvious link between an ethics of justice and political liberalism, in the same way as other ethical trends, e.g. Those issued from readings of Wittgenstein. They also allow, by their attentiveness to ordinary human life, to open a new space for political thought : something we call here a « politics of the ordinary », following a suggestion by Foucault in his lecture on « Analytical philosophy of politics » (1978). The aim is here to show the connection between our inattentiveness ou carelessness for neglected realities and situations, and the lack of theorization that affects them.

Domestiquer le travail, par

Cet article cherche à approfondir les possibilités offertes par l’instrument théorique de la «domestication du travail », en tant qu’il constitue une proposition conceptuelle utile pour repenser les diverses activités du care, ainsi que leur valeur sociale, et pour incorporer, en plus des aspects matériels, la dimension émotionnelle et morale. Pour cela, on réfléchit, en premier lieu, sur certaines limitations du concept de travail pour l’analyse du care. En second lieu, on révise la notion de care en tant qu’elle permet d’incorporer les trois dimensions antérieurement signalées (matérielle, émotionnelle, morale). Enfin, on propose une réflexion politique sur la valeur du care (reconnaissance).

Domestication of Work
This article proposes a reflection on the potentialities of a theoretical prism, the “domestication of work”, whereas it constitutes a useful conceptual proposal to rethink the different types of work, as well as their social value when incorporating, beside the material aspects, the emotional and moral dimensions. First, an analysis on the limitations of the concept of “work” will help us grasp the complexity and specificity of care Second, the notion of care will be explored, as regards to its including the three dimensions previously mentioned (material, moral and emotional). Finally, the model of social care is proposed as a way of reflection on the moral responsibility of care and its social value (recognition). Care allows to extend the concept of “work”, and contributes to its “domestication”.

Le temps donné dans le travail domestique et de care, par

L’article a pour objectif une analyse du milieu domestique à partir de la perspective de la sociologie du temps. Pour cela, on prend comme point de départ une investigation qualitative réalisée au Pays Basque Espagnol. La proposition développée dans le texte conceptualise le temps comme un temps donné, c’est-à-dire qui ne se vend ni ne s’offre et qui opère d’une façon distincte (non opposée) à la quantification et la mercantilisation. Le don fonctionne sur la base d’une logique qui suppose des orientations qui demeurent tacites et qui comportent une relation de réciprocité reposant sur l’obligation de donner et de rendre. Une approche du domestique depuis la notion de temps donné permet d’étendre son analyse au-delà des aspects matériels, pour approfondir la dimension morale (moralisation du temps) et relationnelle (réciprocité), à travers une conception du temps multidimensionnel.

The donated-time in domestic work and care
The donated-time in domestic work and care
The aim of this article is to analyze the domestic environment from a sociology of time perspective. A qualitative investigation made by the author in the Comunidad Autónoma de Euskadi is thus taken as starting point. The text proposes to conceptualize the time used in domestic labor and care as donated time : time that is neither given nor offered as a present and that operates in a different (not opposed) manner to quantification and market terms. Such a “don” operates by taking as its basis a reasoning that establishes guidelines that remain tacit and entail a relationship of reciprocity ; the obligation to give, receive and give back. An approach of domesticity from the time donated perspective allows to spread the analysis further than the material aspects, in order to deepen the study into the moral and the relational dimensions (moralization of time and reciprocity, respectively) using a multidimensional conception of time.

Des féministes et de leurs femmes de ménage, par

Cet article présente quelques résultats d’une recherche réalisée en 2008 auprès de femmes féministes ou dotées d’une « conscience de genre » qui emploient une femme de ménage. Le recours à une femme de ménage intervient, dans la plupart des cas évoqués, pour couper court aux querelles conjugales liées aux résistances masculines opposées au partage des tâches. Une contradiction caractérise la relation avec l’employée. D’un côté, les employeuses cherchent à tisser des relations de réciprocité et de care, de l’autre côté, elles apprécient particulièrement la discrétion, voire la transparence, des employées, ce qui donne une nouvelle vigueur au thème de la dépersonnalisation, tel qu’il a été problématisé dans les années 50 par Le Guillant à propos de la « condition de bonne à tout faire ».

Among Feminists or Women with Consciousness and Their Maids : Care Between Reciprocity and Depersonalization
This article presents results from a research conducted in 2008 among women or feminists with a « consciousness of genre » who employ maids. The use of a maid, in most cases cited, is to cut short marital quarrels related to the resistance of men opposed to the sharing of tasks. A contradiction characterizes the relationship with the employee : on the one hand, employers are seeking to establish relations of reciprocity and care, on the other hand, they appreciate the discretion, or transparency of their employees, giving a new vigor to the theme of depersonalization, that Guillant had articulated as regards to the condition of servant.

Du macrocosme au microcosme…, par

Comme sur la scène d’un théâtre politique, un drame se joue dans l’appartement parisien, drame social qui est aussi un drame moral. La situation dramatique implique trois personnages : la Nounou, l’Employeuse et le Compagnon. Bien qu’interdépendants, ces trois personnages rejouent des relations de domination sociale et, dans leur tentative pour donner du sens à leur action quotidienne, des relations de domination morale. L’employeuse est confrontée à l’épreuve de la division morale, entre éthique des droits et éthique du care. La reconnaissance de la moralité de l’autre apparaît ainsi comme un enjeu fondamental de la reconnaissance sociale ; la méconnaissance de la moralité de l’autre est le signe autant que l’instrument de la domination.

From macrocosm to the microcosm : of the wider world to the apartment in Paris, the moral life of Nounou
Like on the stage of a political theatre, a social and moral drama is being played in the Parisian home. The theatrical situation implies three characters : the Nanny, the Employer and the Companion. Although they are interdependant, these characters are engaged in social domination relashionships and moreover, as they attempt to justify their everyday action, they are engaged in a moral plot. The Employer confronts to the trial of moral division, torn between the ethics of justice and the ethics of care. Thus, the recognition of others’ morality seems to be the basic stake of social recognition ; the misappreciation of others’ morality then becoming the sign and the tool of social domination.

39. Multitudes 39, hiver 2009

Universités : Multiversitudes

40. Multitudes 40, printemps 2010

Du contrôle à la sousveillance

De la sousveillance, par

Le nouveau paradigme de la surveillance, par

Entretien

Éric Sadin évoque au cours d’un entretien en deux parties, l’apparition récente et historiquement inédite d’un « bouillon de culture » favorable à l’instauration et à l’intensification progressive de techniques dressées en vue de pénétrer les comportements. Il décrit ce composé comme étant formé – 1/d’une architecture technologique sophistiquée – 2/d’un environnement géopolitique instable qui situe désormais la collecte de données comme le socle stratégique décisif – 3/d’une science marketing qui ambitionne de deviner en amont les désirs des consommateurs grâce à l’analyse des traces numériques disséminées par nos actions quotidiennes. La portée des incidences anthropologiques, politiques, sociales, juridiques, induites par cette « maille globale » est explorée dans la spécificité de chacune de ces dimensions autant que dans leurs complexes interactions.

The New Paradigm of Surveillance and Big Brother does not Exist (although He’s Everywhere)

In an interview in two parts, Éric Sadin analyzes the new conditions which make possible the intensification of various techniques devoted to the penetration of our behaviors. These conditions are 1) a sophisticated technological architecture, 2) a geopolitical environment which provides the collection of data with crucial strategic stakes, and 3) marketing techniques which track, compute and guess consumer behaviors. The anthropological, political, social and judicial implications of this tracking, computing and guessing are countless.

Big Brother n’existe pas, il est partout, par

Éric Sadin évoque au cours d’un entretien en deux parties, l’apparition récente et historiquement inédite d’un « bouillon de culture » favorable à l’instauration et à l’intensification progressive de techniques dressées en vue de pénétrer les comportements. Il décrit ce composé comme étant formé – 1/d’une architecture technologique sophistiquée – 2/d’un environnement géopolitique instable qui situe désormais la collecte de données comme le socle stratégique décisif – 3/d’une science marketing qui ambitionne de deviner en amont les désirs des consommateurs grâce à l’analyse des traces numériques disséminées par nos actions quotidiennes. La portée des incidences anthropologiques, politiques, sociales, juridiques, induites par cette « maille globale » est explorée dans la spécificité de chacune de ces dimensions autant que dans leurs complexes interactions.

The New Paradigm of Surveillance and Big Brother does not Exist (although He’s Everywhere)

In an interview in two parts, Éric Sadin analyzes the new conditions which make possible the intensification of various techniques devoted to the penetration of our behaviors. These conditions are 1) a sophisticated technological architecture, 2) a geopolitical environment which provides the collection of data with crucial strategic stakes, and 3) marketing techniques which track, compute and guess consumer behaviors. The anthropological, political, social and judicial implications of this tracking, computing and guessing are countless.

La contestation ironique sur les murs, par

Au travers d’une logique de détournement des sources iconiques premières, les graffitis analysés pointent des problématiques très complexes de la vie sociale, politique, économique et culturelle de la Colombie. Trois arguments principaux nous permettent d’affirmer que ces graffitis-pochoirs représentent une voie privilégiée de l’opinion politique alternative : d’abord, ils encouragent la prise de position des spectateurs vis-à-vis des pouvoirs et le dépassement d’une prétendue neutralité politique. Deuxièmement, ces graffitis sont en mesure de générer des tensions et des remises en question des informations données par les médias, entourées d’une auréole de véracité quasi-religieuse. Enfin, les buts revendicatifs et le caractère militant du graffiti politique font de lui une voie de lutte contre le projet d’homogénéisation identitaire caractéristique des gouvernements de droite. Les graffitis seraient ainsi une forme d’expression symbolique des pouvoirs instituants, caractérisée par une certaine dimension de « pédagogie politique », du fait qu’ils comportent une invitation à la réflexion critique de la réalité colombienne.

Ironic Protests on the Walls

This article analyses graffiti-stencils, which embezzle their primary iconic sources, and address crucial problems of Colombia’s social, political, economic and cultural life. They represent a privileged means of expression to alternative political beliefs for at least three reasons: first, they encourage the spectators to take a stand towards the powers in place, piercing through attitudes of political neutrality. Second, they generate tensions and questionings of the information given by the media, which are surrounded with a halo of quasi-religious truthfulness. Finally, the militant character of these political graffiti allows them to fight against the project of cultural homogenization, characteristic of right-wing governments.

41. Multitudes 41 Printemps 2010

Propriétés / communs

Le copyleft et la théorie de la propriété, par

La propriété des biens immatériels, c’est-à-dire le droit pour les auteurs et leurs producteurs d’exclure les autres de leur usage au moins temporaire, semble avoir triomphé. Mais les créateurs et les utilisateurs de logiciels libres bousculent ce paysage. Si les créateurs de free software restent propriétaires de leurs produits et libres de légiférer sur leur utilisation, les utilisateurs ne sont pas libres d’exclure les suivants. Il se forme de ce fait un réseau de propriétaires-utilisateurs différencié, un commun, garanti par les différentes formes de licence Creative commons. L’auteur se fait hacker, membre d’une communauté quasi-artiste par laquelle il fait reconnaître ses élégances de programmation. Le propre et le commun ne sont plus antinomiques, et les propriétés deviennent plurielles et inclusives.

Copyleft and the theory of property

The principle of property, i.e. the (temporary) right for authors and producers to exclude others from the use of their product, seems to have succeeded in imposing itself on immaterial goods. However, creators and users of free software challenge this apparent success: while creators remain free to regulate the use of their creations, users are not in a position to exclude other users. Thus appears a multi-layered network of owners-users, a common territory, maintained through licences modulated by Creative Commons. The author is turned into a hacker, a member of a quasi-artistic community admiring the elegance of his programs. The privately owned and the common are no longer antinomic, as properties become plural and inclusive.

Droit de propriété intellectuelle, terra nullius et capitalisme cognitif, par

Le capitalisme cognitif présente deux caractéristiques principales, l’intelligence collective et l’utilisation intensive des nouvelles technologies de l’information basées sur la digitalisation des contenus et des procédures. Cela implique un défi énorme à l’application des droits de propriété intellectuelle et entraîne une crise globale des modèles économiques des industries culturelles. Le mouvement de l’open source se rapproche du principe de terra nullius qui se trouve actuellement rejeté par le droit constitutionnel, alors que les mécanismes du copyleft et des Creative Commons esquissent un nouveau système d’appropriation capable de protéger efficacement la biosphère contre la biopiraterie et la noosphère contre la prédation des externalités positives par le capitalisme cognitif.

Intellectual Property Rights, terra nullius and cognitive capitalism

Cognitive capitalism presents two main characteristics, collective intelligence and intensive use of the new technologies of information based on digitalization of contents and procedures. This creates an enormous challenge to the enforcement of intellectual property rights and produces a global crisis for the economic models of cultural industries. The open source movement is closer to the terra nullius principle, which is now rebuked by constitutional law, while Copyleft and Creative Commons stand for a new system of appropriation rules, which will efficiently protect the biosphere against biopiracy and the noosphere against predation of positive externalities by cognitive capitalism.

Les droits de propriété intellectuelle sur “la nature”, par

La Convention internationale sur la biodiversité (1992) a institué des droits de propriété privée sur la nature sauvage pour la protéger. Les accords fondant l’OMC (1994) demandent le respect des brevets sur les composants génétiques des plantes et des animaux. Ces composants génétiques sont analysés d’abord dans les pays anciennement colonisateurs détenteurs d’échantillons alors que l’usage quotidien des mêmes plantes ou animaux n’est pas reconnue comme une connaissance génétique. Les nouveaux droits de propriété intellectuelle sont sources de conflits et de négociations entre entreprises et « indigènes ». La proposition d’instituer un patrimoine génétique commun global qui serait servi par chacun localement cherche à contrecarrer la privatisation de la nature en faisant tomber ses éléments dans le domaine public. Mais il faudrait surtout que chacun apprenne qu’il est partie intégrante de la nature et cesse de vouloir en avoir la maîtrise.

The intellectual property rights on “nature”

The Convention on Biodiversity (1992) instituted property rights on nature in order to protect it. The agreement promoted by the WTO about Intellectual Property (1994) called for the enforcement of patents on genetic components in plants and animals. Such components are isolated in the ex-colonising countries on the basis of samples, while the daily use of these plants and animals in the ex-colonized countries has no legal status. The new rights in intellectual property generate conflicts and negotiations between corporations and indigenous communities. The proposal for instituting global genetic Commons, under the stewardship of local communities, resists against the privatization of nature, but the first step would consist in learning to see ourselves as parts of nature, rather than as its masters.

La terre en Nouvelle-Calédonie : pollution, appartenance et propriété intellectuelle, par

L’appartenance à un groupe autorise à en utiliser les biens communs et oblige à contribuer à les renouveler. En Kanaky des étrangers peuvent être incorporés à la communauté locale à condition de jouer le jeu de la gestion collective. L’hostilité aux compagnies minières n’est pas a priori mais elles ne comprennent pas que le rapport à la terre qui les intéresse concerne tous les groupes parlés dans le mythe de cette terre, ni que l’exploitation n’est possible qu’à condition de ne pas laisser de traces. La patrimonialisation du territoire par l’ONU ne restaure pas les autochtones dans leurs droits et réactive les conflits avec l’Etat. Lorsqu’ils donnent leurs terres, les Kanaks attendent du gouvernement et des entreprises qu’ils en fassent bon usage, qu’ils sauvegardent une terre en recréation constante, dont ils sont les garants en dernier ressort.

Pollution, belonging and intellectual property in New Caledonia

In Kanak culture, belonging to a social group entitles an individual to use its commons and obliges him to renew them. Outsiders can be assimilated in the community, as long as they play by its rules of common management. Hostility towards mining corporations does not result from a priori postures, but from the fact that these companies fail to understand and respect the fact that property issues concern all of the groups concerned in the myths related to the land, and that exploitation could only be acceptable if it left no trace. When the UN attempts to protect a portion of land by declaring it a common treasure for mankind, aboriginal rights are not respected and conflicts with the State are reactivated. When they accept to share their land with outsiders, Kanak populations expect government and corporations alike to preserve the constant recreation of this land, which they have the duty to steward.

La financiarisation de la connaissance, par

New Babylon ou le monde des communs, par

Dans les objets insolites de Constant ou dans l’oeuvre architecturale d’Aldo Van Eyck, la modernité consiste à se situer sur la frontière entre le public et le privé, en multipliant les seuils, les espaces où on s’attarde, et surtout en grimpant en hauteur sur des pylônes pour déployer une nouvelle géographie. On peut enfin habiter le monde, devenir un homo ludens, jouissant de tous les mètres carrés de la ville et les transformant par son pouvoir créatif. Mais l’action directe des mouvements des années 60 a mis fin au rêve de la New Babylon en pratiquant l’appropriation immédiate. New Moloch reproduit le capitalisme sur toute la planète, établit partout sa hiérarchie de points de vente. New Babylon articulait espace physique et espace de communication, sans centre, multipliait les points de fuite grâce à la dérive situationniste, et produisait de beaux objets.

New Babylon or the world of common

In Constant’s unusual objects or in Aldo Van Eyck’s architectural works, Modernity consisted in riding the borderline between the public and the private, in multiplying thresholds and spaces for wandering. The world could be inhabited by a homo ludens, exploring every square foot of the city and transforming it according to his creative power. Direct action by the movements of the 1960s has put an end to this dream of a New Babylon by practicing immediate appropriation. New Moloch reproduces capitalism all over the planet, reproducing everywhere its hierarchy of commercial outlets. New Babylon articulated physical spaces with communicative spaces, in a centerless multiplication of lines of flight, along its situationist drifts, producing beautiful objects.

42. Multitudes 42, automne 2010

TumulTueuses, furieuses, tordues, trans, teuff féministes aujourd’hui Entretiens, par

Non-mixité, créativité sémantique, déstabilisation du sexisme ordinaire par l’humour et l’auto-dérision, action publique médiatique… certaines pratiques évoquées dans cet entretien semblent s’inscrire dans la droite ligne de la gerbe déposée à la femme du soldat inconnu en 1970. Mais l’accent porté en 2010 sur l’articulation entre féminisme, anti-racisme, anti-capitalisme, homo, trans’ et puto phobies renvoie à des problématiques actuelles qui articulent queer, anar, punk ou post-co dans des coalitions politiques qui s’assument en rupture avec « le féminisme de l’égalité ». Les enjeux du ou plutôt des féminismes aujourd’hui se nouent, se clivent ou se déplacent autour de deux questions brûlantes : leS sexualitéS et la place des femmes voilées dans les discours et les pratiques féministes.

TumulTueuses, angry, twisted, trans’, teuff … feminists today.Five feminist activists in the battle

No-mix, creativity semantic, destabilization of ordinary sexism with humor and self-derision, activism … some practices mentioned in this interview seem to be in line with the flower for the unknown soldier’s wife1970. But the accent in 2010 on the relationship between feminism and anti-racism, anti-capitalism, gay, trans’ and puto phobies is articulated also with queer, anarchist, punk or post-co in political coalitions which are « taking a break » with the feminism of equality. Issues of feminism, or rather today are tied, cleave or move around two burning questions: sexualities and place of veiled women in the feminist discourse and practice.

Ce que l’histoire fait aux femmes, par

1970-2010 : quarante année de mouvement de libération des femmes en France, de ce mouvement dit « de la deuxième vague » par les historiennes. À l’initiative de quelques groupes et individues, l’année 2010 est donc consacrée à raviver la mémoire contemporaine, vite oublieuse du chemin qu’il leur a fallu faire, ensemble ou séparément, pour que les choses changent. Cette « libération des femmes » est trop souvent tue ou minorée, dans le discours politique français, même lorsqu’il s’agit de célébrer le bel élan de Mai 68. Mais les femmes qui l’ont traversée ne l’oublient pas. Dans les livres, les revues, se met en place, progressivement, un récit collectif souvent véhiculé par celles qui ont participé à la création du mouvement, et/ou à son maintien à travers des structures à peine perceptibles par le commun des mortels. Au fil de l’année, de nombreuses interventions ont eu lieu et vont avoir lieu, qui présentent le travail accompli ou soulèvent les questions que la société dans son ensemble, ne se pose pas à propos des femmes. Cet article cherche à retracer le parcours qui fut nécessaire pour parvenir à (nous) remémorer nos luttes et leurs échos.

What History do to Women

1970-2010: forty years of women’s liberation movement in France, this movement called « second wave » by women-historians. At the initiative of some groups and single persons, the 2010 is dedicated to reviving the memory today, quickly forgetful of how far they had to do, together or separately, for make changed the things. This « liberation of women » is too often hidden or minimized, in French political discourse, even when it comes to celebrating the great boost of May 68.But women who have endured not forget it .In books, magazines, gets up, gradually, a collective story often conveyed by those who participated in the creation of movement, and / or its maintenance through structures barely discernible to the people. Over the years, many interventions have taken place and will take place, presenting the work or raise questions that society as a whole does not arise about women.This article seeks to retrace the steps which were necessary to achieve (we) remember our struggles and their echoes.

Riot Grrrls américaines et réseaux féministes “underground” français, par

Comment évoquer, sans risquer de rendre à ce terme son acception latine de « tirer à soi », un courant féministe qui n’a de cesse d’engager des parties de cache-cache avec tout ce qui s’apparente de près ou de loin à du cadre, à du formel ? Comment saisir, sans dénaturer, l’essentiel d’un phénomène qui pratique une forme d’« auto-volatilisation » constante et présenter, sans ratures, un groupe social dont les pratiques relèvent du palimpseste ? Pourquoi chercher une cohésion, si difficile à justifier, pour parler d’un courant qui met un point d’honneur à ne pas se constituer en mouvement cohérent et qui partant de là ne nous laisse même pas un nom auquel nous aurions pu nous raccrocher. On l’aura compris, il s’agira donc ici de présenter une des nombreuses voies(x ?) permettant d’appréhender un courant par essence polyphonique.

Riot Grrrls American and feminist networks “underground” French

How to evoke, without risking to make this term the Latin meaning to «tirer à soi », a feminism which never ceases to engage in games of hide and seek with everything that is closely or remotelyto the frame, to the formal? How to enter, without altering the essence of a phenomenon that practices a form of « self-volatilization » constant and present without erasures, a social group whose practices are the palimpsest? Why search for cohesion, difficult to justify, to discuss a current that makes a point of honor not to form a coherent motion and from there we do not even leave a name which we could have hung up.It is understood, it will therefore present here one of many ways (x?) To apprehend a current essentially polyphonic.

Pauline, Panthère rose avec groupe, par

Les Panthères Roses, groupe pour qui il importe d’allier action et réflexion, réalisent une remise en question permanente du militantisme. Cet entretien est l’occasion d’explorer les motivations et le parcours singulier d’une panthère rose, Pauline, qui vient, grâce à son expérience subjective, insister sur l’enjeu de l’engagement politique non seulement pour lutter et résister, mais aussi pour rêver et penser un autre projet de société. Parlant en son nom propre, elle dessine alors les nouveaux outils possibles du féminisme qui cherche plus l’invention et la dérision aux formes traditionnelles et archaïques de faire de la politique. Tout en exposant ses propres passions, attirances et doutes, elle dévoile une des préoccupations de ce militantisme : la place laissée aux parcours singuliers, à la parole et à l’écoute, comme fondements de l’engagement.

Pauline Pink Panther with group

The Pink Panthers, a group for whom it is important to combine action and reflection, achieve a constant questioning of activism. This interview is an opportunity to explore the motivations and the singular course of a Pink Panther, Pauline, who comes through experience subjective insisted in the issue of political commitment not only to fight and resist, but also to dream and think at another project of society. Speaking in her own name, she draws the possible new tools of feminism that seeks the most inventive and derision archaic and traditional forms of doing politics. While outlining her own passions, likes and doubts, she reveals a concern of this activism: the singular path to place left, speech and listening, as the basis for commitment.

Allégories d’une nation dilacérée : le sertão de Glauber Rocha, par

43. Multitudes 43, hiver 2010

44. Multitudes 44, printemps 2011

Réduction des risques et transformation sociale, par

Une interview de Patrick BeauveriePatrick Beauverie, membre avec Anne Coppel de l’équipe de la clinique Libertés à Bagneux, retrace l’histoire de la Réduction des risques au travers de son expérience de Médecins du Monde et ouvre des perspectives : il constate l’importance de la prise en considération des mutations sociales dans l’émergence d’une pratique à risque chez les personnes les plus vulnérables, compte tenu de leur trajectoire et de leur place dans la société. En résumé pour lui et les équipes de Médecins du Monde, il s’agit de témoigner et de respecter l’identité des personnes et afficher les valeurs de l’association, malgré un environnement politique hostile. Résister, faire preuve de pédagogie et remettre au centre du débat le sujet plus que l’objet, c’est-à-dire l’homme plus que la drogue.

Reduction of Risks. Health and humanitarian Contribution to the social change

Patrick Beauverie, member, with Anne Coppel, of the team’s clinic Liberté in Bagneux, tells the history of Reduction of Risks through the experience of Medecins du Monde and gives perspectives: he notes the importance of taking in consideration the social transformations in the emergence of a risky practice among the people most vulnerable, in relasionship with their trajectories and their place in the society. In summary, for him and Médecins du Monde, he wants to testify and respect the identity of people and support
the values of the association, in a hostile political environment.

Changer de lunettes pour lire le cas afghan, par

Responsable de la mission Réduction des risques de MDM à Kaboul il décrypte le cas afghan fournissant une analyse forte, une clé de compréhension et des pistes de réflexion. Dans un État afghan délégitimé, gangrené, au plus haut niveau, par le trafic de drogues, une économie légale ne reposant que sur l’aide internationale et une économie illégale mais bien réelle, celle de la drogue, obèrent toute possibilité de reconstruction, de paix et de développement. Pour lui et son équipe à Kaboul la Réduction des risques ne se
résume pas uniquement à une approche médicale, psychologique et sociale, soucieuse du respect des droits de l’homme, mais constitue plus largement une sorte de cheval de Troie permettant de bousculer les catégories du débat sur les enjeux de la lutte anti-drogue et de « la Réduction des Risques mondiale ».

New Glasses to read the Afghan Case.

Mission Manager for the Reduction of Risk of MDM in Kabul, Olivier Maguet decrypts the Afghan case proposing an analysis, a key to understanding and some clues for thinking. In a delegitimized state, corrupted at the highest level by the drug traffic, and illegal economy, but so real, the economy of drugs, cut off any possibility of reconstruction, peace and development. For him and his team in Kabul, the Reduction of Risk is more than just a medical approach, psychological and social conscious respect for human rights, is like the Trojan horse, which make possible to shake up the categories of debate concidering the issues of anti-drug fight and “global Reduction of Risk”.

45. Multitudes 45, n°SPÉCIAL, été 2011

46. Multitudes 46, automne 2011

Quelle crédibilité économique et écologique pour la gauche en ?, par

Il est courant de douter de la capacité de la gauche à gouverner l’économie. Mais la crédibilité comptable exigée par les agences de notation plombe la société par la récession. La confiance dans des institutions financières autonomes a montré aussi ses limites. La nouvelle politique sera liée aux enjeux écologiques. Si ceux-ci sont articulés avec la justice sociale, ils mobiliseront les citoyens, y compris économiquement. Le développement de l’économie verte produira de nouveaux emplois et de nouvelles richesses, surtout si on change la manière de mesurer la richesse et qu’on devient capable de valoriser la justice sociale et l’équité environnementale. L’urbanisation des territoires rend ces enjeux partagés par de larges cercles de nos concitoyens et susceptibles de débats démocratiques, donc d’investissement généralisé.

How Ecologically and Economically Credible Can the Left Be in 2012?
Everybody does not trust the Left’s ability to govern the economy. The budgetary responsibility demanded by rating agencies leads to depression, and further deficit. The confidence given to autonomous financial institutions has also shown its limits. The new economic policy will be driven by ecological challenges. If those are linked with social justice, the Left will be able to unite citizens and capture investment. The development of a green economy will create opportunities for new jobs and new wealth, especially if we are able to change the way of measuring wealth and if we are able to give values to social justice and territorial equity. Urban development transforms these issues into shared challenges, in need of democratic debates and public investment.

47. Multitudes 47, hiver 2011

À CHAUD : EN DETTE D’EUROPE MAJEURE : ONG, MONDE, GENRE MINEURE : PROMÉTHÉE CONTRE AREVA HORS-CHAMP : LA MÉTAMORPHOSE DU CERCUEIL ICÔNES : EXTERRITORY PROJECT

Les ONG mexicaines de genre, par

Après deux décennies de globalisation politique, normative et économique, les pratiques des ONG mexicaines, ont connu un mouvement centripète puis un retour centrifuge sur le local, presque obligé. Leur projection dans des enjeux planétaires n’est pas contestable vu le nombre de militant-e-s qui ont participé aux conférences onusiennes pivotales du Caire (1994) et de Pékin (1995). Cependant elle a été suivie d’un «retour» au local brutal pour des dizaines, voire centaines d’organisations qui ont vu se tarirent la masse de grants des fondations étasuniennes et de l’USAID. Pour les grandes ONG de la capitale, il a été possible de dégager 20 à 25 % des revenus de services payants et de donner ainsi des gages de «bonne conduite» économique aux bailleurs philanthropiques. Pour l’immense majorité des ONG du pays qui participèrent à ce mouvement, le repli sur des situations précaires de sous-traitances n’a fait qu’ancrer toujours plus les militant-e-s dans les jeux politiques partisans locaux et les ont d’autant plus éloignées de l’idéal de gouvernance démocratique nord-américaine.

Mexican Gender NGOs

Following two decades of political, normative and economic globalization, the practices of Mexican NGOs went through a period of centripetal and then, almost against their will, back to centrifugal, local-centered, movement. Their role in planetary issues is undeniable, considering the number of activists who took part in the pivotal UN conferences in Cairo (1994) and Beijing (1995). But this was followed by a “return” to local affairs that was brutal for tens, or even hundreds of organizations who saw the bulk of the grants they received from American foundations and USAID dwindle. The larger NGOs, based in the capital, were able to draw 20 to 25% income from paid services and therefore give their philanthropic donors proof of “good economic behavior”. For the overwhelming majority of the country’s NGOs drawn into this movement, having to go back to precarious sub-contracting situations anchored the activists ever more in local partisan political games, and brought them even further away from the North American ideal of democratic government.

Les ONG, outils de gouvernance global, par

Les ONG ne sont-elles pas de meilleurs inoculateurs des normes globales que les États-nations ? Leurs modes d’intervention garantissent-ils à ces normes le caractère démocratique qu’elles affichent ? L’exemple d’une entreprise sociale dans le domaine de la santé au Bengladesh montre une forte tendance à réinstaurer une hiérarchie entre personnes secourues et professionnels. En Ouzbékistan post-socialiste l’importation de la démocratie qui avait séduit les élites dans un premier temps n’a pas empêché l’instauration de la dictature. En Chine les ONG enregistrées par l’État se saisissent des problèmes difficiles en utilisant des travailleurs sociaux formés dans les Universités. Un travail social bénévole est un bon point pour obtenir un emploi. Il y a aussi des ONG d’environnement en conflit avec le gouvernement à l’échelon local. Les ONG de genre émergent. Les ONG hésitent entre participation et dissidence, permise par Internet. L’État essaie de les intégrer dans une sorte de Care d’État.

NGOs as Tools of Global Government

Are NGOs not better inoculators of global norms than Nation-states? Do their means of action guarantee these norms the democratic character they claim to stand for? The example of a social company working in the health field in Bangladesh shows a strong tendency to reestablish a hierarchy between assisted people and professionals. In post-socialist Uzbekistan, the introduction of democracy that drew the elites at first was unable to prevent the establishment of a dictatorship. In China, state registered NGOs address difficult problems, using social workers training in the Universities. Volunteer social work is a plus when applying for a job. There are also environmental NGOs in conflict with the government on the local level. Gender NGOs are emerging. NGOs hesitate between participation and dissidence, made possible by the Internet. The State is attempting to integrate them into a sort of State Care.

La métamorphose du cercueil, par

Les premiers articles de Thierry Secretan consacrés aux cercueils figuratifs du Ghana remontent à 1988 (Sunday Telegraph, GEO, Life). À travers ces articles, un film documentaire puis un livre (Il fait sombre va t’en, édition Hazan, 1994, Going into Darkness, Thames&Hudson, 1995), il a révélé au monde occidental
cet art funéraire né à la fin des années 1950 au Ghana et en a établi les origines.

En 1999, Erimore, retraitée écossaise, vit deux de ces cercueils ghanéens,
une Mercedes et une pirogue, disposés sur le plateau d’une émission de télévision anglaise. Ils appartenaient à une entreprise de pompes funèbres
de Bristol à laquelle Erimore passa aussitôt commande : son cercueil serait une réplique de l’avion utilisé par les Red Arrows, la patrouille d’Angleterre. Le cercueil d’Erimore, reproduit dans toute la presse britannique fit des émules et à ce jour une douzaine de citoyens anglais ont passé commande.

L’adoption d’une coutume africaine par des Européens est en soi un fait culturel rare. Dès lors Thierry Secretan a décidé de rencontrer ces Anglais, de les interroger, puis de les photographier auprès de leur cercueil, essayant de comprendre comment ils tentent de donner un sens à leur mort.

The metamorphosis of the coffin

The first articles by Thierry Secretan concerning the figurative coffins
from Ghana appeared in 1989 in The Sunday Telegraph, GEO and Life, introducing the western world to this funeral art. Later Thierry Secretan’s documentary film and his book (Il fait sombre va t’en, Hazan, 1994, Going into Darkness, Thames & Hudson Ltd, 1995) revealed under which circumstances this art was born in Ghana at the end of the 1950’s.

In 1999, Erimore, a Scottish lady, saw two of these coffins on a British TV show. They belonged to a Bristol funeral parlour to which Erimore placed an order: her coffin would take the shape of the fighter plane used by the Red arrows, the national air team. Erimores’s coffin widely advertised in the British press provoked more orders throughout the United Kingdom.

Europeans borrowing an African custom is a rare phenomenon. Thierry Secretan decided to meet these customers, to photograph them next to their coffin and to interview them about their motivations.

Le double obscur de Prométhée, par

Le mythe d’Arachné, tel que le raconte Ovide, présente la potentialité de la vie comme inséparable du mouvement de la métamorphose. La métamorphose immanente de l’araignée (arakhné) démontre la puissance technique du corps – ou bien la tekhné en tant que sa seule puissance primitive. Ce mythe est donc beaucoup plus qu’une allégorie de la prise du pouvoir sur le corps – l’opération de fond de toute (bio) politique. Il trace les contours d’une autre opération, d’une contre-opération, l’opération de la métamorphose : le corps ne se transforme qu’à travers l’invention de nouvelles techniques par lesquelles le corps lui-même devient une nouvelle arme. Comme si le mythe d’Arachné avait complété Deleuze deux mille ans en avance : il nous faut de nouvelles armes, il nous faut donc de nouveaux corps. Telle est la leçon – et l’exemple – d’Arachné, le double obscur de Prométhée.

The dark double of Prometheus – Metamorphosis and technics

As told by Ovid, the myth of Arachnè presents the potentiality of life as inseparable from the movement of metamorphosis. The immanent metamorphosis of the spider (arakhné) proves the technical power of the body – or tekhné as its real primitive power. Thus this myth is definitely more than an allegory of the seizure of power on the body – the ground operation of every (bio)politics. It draws another operation or counter-operation, that of a metamorphosis: the body changes but through the invention of new techniques through which the body itself becomes a new weapon. As if the myth of Arachnè had complemented Deleuze with an advance of two thousand years: we need new weapons, therefore we need new bodies. That is the lesson – and the example – of Arachnè, the dark double of Prometheus.

Organiser la désappropriation, libérer le commun, par

L’humain est en crise. Il lui faut sortir de sa construction anthropocentriste du monde pour retrouver le commun qui le précède, le déborde et l’appelle à sortir de lui-même. Les prémisses de cet appel révolutionnaire, dont l’enjeu est la libération du commun, se réalisent de par le monde à travers de nouvelles luttes politiques. Leur point commun : organiser la désappropriation. Leur objectif : l’abolition de la propriété. Ainsi s’engage une politique de l’hospitalité qui accueille sans discrimination tous les êtres et expressions de la nature, en-deçà d’une conception de la propriété et du propre comme motifs identitaires de l’humanisme et sources de l’exclusion et de la domination de ce qui existe, persiste, se meut hors de lui, sans lui.

Organizing the Disappropriation, Liberating the Common

Human being is in crisis. He has to escape the anthropocentric construction of the world, in order to recover the Common that precedes and goes beyond him. Premises of this revolutionary call, whose aim is the liberation of the Common, happe through the world via some new political struggles. Their common feature: organizing the dis-appropriation. Their goal: the abolition of property. That’s how a politics of hospitality is at stake, capable to accommodate every being and expression of nature, without any kind of discrimination, below a conception of property which lies at the core of humanism and is the origin of exclusion and domination of what exists, persists, moves out of human, without him.

48. Multitudes 48 (mars 2012)

Majeure Contre-fictions politiques Dossier coordonné par Pascal Houba Campagnes publicitaires, propagandes soft et discours politiques auraient aujourd’hui pour ambition de nous raconter des histoires pour inciter à l’achat, au vote, à la conduite recherchée. Après l’âge du marketing, ce storytelling n’est-il qu’un instrument au service de politiques indifféremment réactionnaires ou émancipatrices ? Ou s’agit-il d’une technique inévitablement manipulatrice ? Et si nous vivons sous l’influence de fictions dominantes, venant de l’industrie du divertissement ou prenant la figure du storytelling pour permettre aux pouvoirs de garder le troupeau, ne devons-nous pas trouver ou créer nos propres contre-fictions pour leur opposer de jolis coups de colère ou de beaux éclats de rire ? Ce dossier cherche à définir ces « contrefictions », récits fictifs dont l’objet serait de transformer la réalité actuelle dans un projet de lutte contre la reproduction d’un donné perçu comme mutilant. Du spectacle vivant aux nouveaux univers de l’Internet, quelles sont les contre-fictions qui circulent ou qui pourraient circuler autour de nous ? Comment la production de fictions peut-elle être mobilisée pour faire advenir un autre monde ? Pourquoi recourir à la fiction pour lutter contre les mécanismes de pouvoir qui obturent notre horizon ? Quels rôles nouveaux les fictions jouent-elles au sein des sociétés de contrôle, et comment peut-on les détourner vers des nouvelles pratiques de résistance créatrice ? - Des contre-fictions pour répondre à nos fictions dominantes ? - « Méfiez-vous du rêve de l’autre » : modulations et modélisations des désirs populaires, par Pascal Houba. - Contre-fictions : trois modes de combat, par Yves Citton. - L’imagination crépusculaire : fictions, mythes et hallucinations, par Frédéric Neyrat. - Charismes du réel : l’oeuvre d’art à l’époque du marketing et du spectacle, par Pierangelo Di Vittorio. - Fictions et contre-fictions numériques de l’âge du cyborg, par Ariel Kyrou. - Contr(ôl)e-fiction, par Frédéric Claisse. - Et de courts articles ou récit littéraires qui interrogent la notion de contre-fiction à partir d’objets culturels d’aujourd’hui, de jeux vidéo indépendants au « contre storytelling » des activistes de StartMeme… Mineure Japon, avant et après Fukushima Survivre à la finance et au nucléaire Dossier coordonné par Sandra Laugier, Anne Querrien & Thierry Ribault Des choses importantes, pas toutes connues, se sont passées au Japon avant et après le 11 mars 2011. Que connaissons-nous de l’opposition victorieuse à la loi interdisant la vente d’occasion en 2007, de l’essaimage de petites scènes musicales dans les grandes villes, des campements à demeure dans les parcs publics, de l’autogestion des mesures contre la radioactivité ? De nouvelles manières de vivre au Japon s’opposent à la chaîne des catastrophes, et nous avons beaucoup à en apprendre. Cette Mineure comprendra des interviews de la figure de proue Matsumoto Hijame, gérant d’un magasin de recyclage du marché aux puces de Tokyo, d’Iwata Wataru, qui anime l’action sur le nucléaire à Fukushima ou encore de campeurs des parcs. Réalisés par Thierry Ribault, chercheur en résidence à la Maison Franco-Japonaise à Tokyo, ces entretiens seront complétés par les propos de Sébastien Lechevalier, directeur du Centre de recherche sur le Japon de l’École des hautes études en sciences sociales, sur l’état des relations sociales après vingt années de politiques néolibérales. Des réflexions sur le film Shiroto kan, réalisé pendant le mouvement de 2007, sur des vidéos postées sur le net et suivies par Tetsuaki Shigemitsu, mais aussi un retour par Nicolas Prignot en lien avec Maurizio Lazzarato et Masaaki Sugimura sur les pistes ouvertes par Félix Guattari en 1992 compléteront le dossier. Hors-champ Éloge intempestif de la dette Vive les dettes qui libèrent, ne payons pas celles qui asservissent ! À qui, à quoi sert ce consensus sur le coupable tout trouvé à la crise que nous évoquons avec délice et frisson ? En ces temps de bigoterie financière, Multitudes fait l’éloge de la bonne dette pour se débarrasser de la mauvaise. Car réclamer aujourd’hui simultanément de garantir les dettes jusque-là très juteuses des banques et d’épargner en apportant à ces mêmes banques du liquide obtenu par plus de travail, n’est-ce pas nous prendre pour des imbéciles ? Cet article, aussi approfondi que polémique, reprend et commente la dette telle que vantée par Rabelais, démontre la valeur de celle qui naît de l’économie contributive, des moratoires ou des banqueroutes, mais souligne paradoxalement la nécessité pour l’Humanité de payer sa dette la plus lourde : la dette écologique. Icônes Ezaokup, Thomas Hirschhorn, Emmanuelle Lainé Quand la sculpture devient vraiment sociale… La rubrique Icônes du numéro 48 de Multitudes interroge la notion de « sculpture sociale » au travers des interventions de trois artistes venant d’horizons très différents. Tous trois partagent un même désir « social », de présence au coeur de l’espace public, voire de dialogue avec les citoyens… Mais tous trois, par leurs oeuvres et leurs réflexions parfois renversantes, mettent en formes et en images les ambiguïtés de cette figure de l’artiste créateur de lien social. De ce trio improvisé, Thomas Hirschhorn est le plus connu au niveau international pour ses « sculptures sociales ». À son portfolio répondront en échos ceux du collectif Ezaokup entre Bruxelles et Kinshasa ainsi que d’Emmanuelle Lainé, autour de son projet avec le Parc Saint Léger et le Centre hospitalier spécialisé de la Nièvre.

Contre-fictions de soi : résister à la modélisation et à la modulation de la vie psychique, par

Charismes du réel, par

L’oeuvre d’art à l’époque du marketing et du spectacleLe monde qui semble aujourd’hui s’imposer dans sa vérité est celui qui se donne, en même temps, avec un surplus de réalité (de proximité, de vie ordinaire, de banalité) et un surplus de fiction (de spectacle, de lueur médiatique, d’évasion onirique). Dans ce régime de vérité hybride, la réalité
est essentielle, car seule la proximité mimétique avec l’homme ordinaire donne à l’acte culturel toute sa force de séduction ; mais la réalité n’arrive à séduire que si – grâce à son exposition médiatique – elle se déréalise en quelque sorte, en se revêtant d’une certaine « aura ». Le problème est que ce charisme de la réalité, effet de la mise en spectacle industrielle de la réalité elle-même, se présente aujourd’hui comme une exigence propre tant à l’homme de la politique qu’à l’homme de la culture. Comme le montre l’exemple de l’Italie, la convergence obscure d’un populisme spécifiquement politique et d’un populisme plus généralement culturel rend le problème actuel du populisme d’autant plus profond et redoutable.

Charismas of the Real

The Work of Art in the Age of Marketing and Spectacle

Today’s world imposes itself with a surplus of reality (proximity, ordinary life, banality) and with a surplus of fiction (spectacle, mediatic light, dreamlike entertainment). In this regime of hybrid truth, reality is essential, since only the proximity with ordinary life provides cultural action with its force of seduction; but reality can please only when de-realized by its mediatic exposure and supplemented by a certain “aura”. This charisma
of reality imposes itself to political as well as cultural agents. The case of Italy shows the obscure convergence between a political and a cultural form of populism, making it all the more formidable.

49. Multitudes 49 (juin 2012)

Majeure Transmigrants ! Les discours traditionnels sur l’immigration ne sont plus en phase avec la réalité. Les vingt dernières années ont vu apparaître la catégorie des transmigrants : cette population vit de manière transversale par rapport aux diverses frontières et aux découpages en zones « développées », « émergentes » ou « en développement ». Elle est en premier lieu formée de migrants en tournées internationales, de chez eux à chez eux, pour la vente de produits ou de services. Diasporas entrepreneuriales chinoises et turques, passages multiples entre l’Afrique et l’Europe, enclaves de prostitution est-européenne en Catalogne : ce dossier étudie quelques figures de ces transmigrants, qui ne sont ni des émigrés ni des immigrants. Mineure : La dette a bon dos. En son nom les attaques les plus basses contre la base commune de notre bien-être et de notre intelligence collective sont justifiées. Elle sert d’excuse à la plus frontale des luttes de classes de la part de ceux qui pompent le travail et se plaignent des assistés et des pauvres. Ce dossier entend démonter le pouvoir intimidant de cette dette. Du micro-crédit à la dette étudiante et à la dette écologique, toutes les dettes ne se valent pas. L’impératif de remboursement est un attrape-nigaud, des dispositifs nous aident déjà à y échapper, la dette elle-même relève largement d’une cécité comptable. Le faux calcul des coûts cache la vraie nature des coups : apprenons à les rendre, à être intelligents au lieu de pleurer la servitude. Hors-champ Multiversités créatives Exposition présentée au Centre Pompidou du 3 mai au 6 août 2012 Comment visualiser les big data produits par nos nouvelles capacités de numérisation ? Comment faire pour contrôler, plutôt que subir, l’intelligence qui sensibilise les nouveaux matériaux sortant de nos laboratoires ? Voilà le type de questions auxquelles essaie de répondre l’exposition Multiversités créatives, organisée par le Centre Pompidou au printemps 2012. En guise de catalogue à cet événement, ce Hors-Champ réunit trois contributions qui poursuivent la réflexion sur le renouveau des significations entraîné par la visualisation des données et par la production d’objets intelligents. Icônes Occupy Rio, ville vivante L’année 2011 a été marquée par toute sorte d’« occupations » dans le monde et la version carioca de cette année Occupy a été nommée OcupaRio. Ces nouvelles occupations, non seulement des lieux de travail mais surtout des lieux de vie commune, mélangent vieilles et nouvelles formes de luttes. Dans les années à venir Rio de Janeiro accueillera toute une série de méga-événements – Rio+20 en 2012, Journées Mondiales de la Jeunesse en 2013, Coupe du Monde de football en 2014, Jeux Olympiques en 2016, entre autres – afin de s’insérer dans le circuit des « villes créatives ». Si la ville post-industrielle peut être moins cloisonnée, de nouvelles formes de contrôle des territoires et des réseaux se mettent en place. Face à cela un étonnant foisonnement culturel et artistique lutte contre ces occupations sécuritaires, spéculatives et spectaculaires pour affirmer Rio comme une « ville vivante ».

Circulation migratoire des transmigrants, par

50. Multitudes 50, numéro spécial soulèvement (automne 2012)

Spécial soulèvements Pour son 50e numéro et ses 12 ans d’existence, Multitudes a ouvert ses pages à une multiplicité de collectifs en actes dont les dénominateurs communs sont la colère, la révolte et le passage à l’acte révolutionnaire : le Soulèvement. Contre un gouvernement tyrannique, en Syrie. Contre les inégalités et les folies de la finance, en Espagne. Contre des politiques d’austérité, en Grèce. Contre un blocus asphyxiant, en Palestine. Contre la corruption autocratique, en Russie. Contre les barrages, en Inde et au Brésil. Contre le TGV, en Italie. Contre la privatisation de l’éducation, au Chili et au Canada. Contre l’étouffement néolibéral, en Roumanie, en Israël. Contre la domination masculine et les discriminations sexuelles, en Chine, en France et ailleurs. Enfin, contre la répression sécuritaire, omniprésente. Partout. Partout, on se soulève. Mais partout selon des modalités, avec des intentions et des motivations différentes. Ce sont à la fois ces fortes particularités et ce qui peut les réunir à travers leurs différences mêmes que ce numéro essaiera de déployer.

« Soulèvements des estomacs », marches sur les frontières, occupations, par

51. Multitudes 51 (printemps 2013)

Majeure : Envoûtements médiatiques On ne peut plus penser nos sociétés comme composées d’« individus » communiquant des « informations » à travers des « médias ». À l’âge des « profils » numériques, on ne peut raisonner en termes de « masses » indistinctes ballottées par de grands manipulateurs. Ce qu’il faut apprendre à voir et à expliquer, ce sont les médiums multiples et superposés qui nous immergent, nous font respirer, inspirer, expirer nos idées et désirs singuliers. Yves Citton, Frédéric Neyrat et Dominique Quessada proposent de rassembler des contributions pour une majeure consacrée à la puissance médiumnique des médias à l’ère de la biopolitique. Mineure : Musiques-f(r)ictions De l’afrobeat de Féla Kuti à la mythologie de Sun Ra sur ses origines saturniennes, vraie tactique de lutte, de la star Lady Gaga à Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle en passant par le révolutionnaire du jazz Anthony Braxton, ce dossier analysera des exemples emblématiques de musiques fortement politiques, qu’elles s’affirment comme telles ou pas…

Le Pharaon contre-attaque, par

52. Multitudes 52. Printemps 2013

Majeure Territoires et communautés apprenantes Certaines communes, certains territoires, ne se sont pas pliés à l’injonction de banalisation qui accompagne l’intervention des marchés financiers. Elles ou ils se sont appuyés sur l’histoire locale pour développer des proces- sus d’apprentissage collectifs aidés par les nouvelles technologies de communication et pour créer des modèles de développement local originaux dans lesquels le volontarisme s’allie à l’écologie. Les efforts de Loos en Gohelle viennent d’être reconnus par l’inscription du bassin minier au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mineure : Capitalisme émotionnel Le capitalisme ne produit pas seulement des biens et des services, mais des émotions et des formes de relations où l’affectivité s’intrique avec le marchand. Nous consommons des émotions, et nos émotions sont consommées, classifiées et mesurables. Leur marchandisation leur imprime des formes nouvelles, elles aussi segmentées et spécialisées. Au-delà d’un point de vue nécessairement critique, ou pour l’argumenter, il est important de se demander quels types de relations nouvelles se nouent entre les gens qui délivrent du travail émotionnel et ceux qui en reçoivent, dans quelle mesure cela altère leur authenticité des relations ou à l’inverse fait reconnaître des dimensions et redéfinitions méconnues du service…

Séduction et dépendance marchande
, par

« Be happy ! »
, par

Se fondant sur le constat que la psychanalyse est une pratique de la société bourgeoise capitaliste occidentale, l’auteure propose d’instruire la place de l’argent dans la circulation pulsionnelle. Pour elle, la pratique de la psychanalyse est un rapport marchand dont l’argent est au centre des échanges et continuer à faire semblant de l’ignorer serait une erreur non seulement politique mais aussi technique. Dans une deuxième partie, elle rend compte de ce qu’elle entend dans les consultations « travail » qu’on lui adresse. Elle montre que leurs plaintes désespérées ou enragées masquent mal des malhonnêtetés, des mensonges, des arnaques en tous genres dont ils ne réussissaient plus à être dupes. Elle prétend qu’une analyse économico-politique de leur trajet avec l’aide d’un clinicien est le meilleur moyen de transformer cette angoisse en embarras afin que leur vie redevienne vivable.

« Be happy! »
Assuming the fact that psychoanalysis is a Western capitalistic bourgeois social practice, the A. proposes to study the status of money in pulsional circulation. Analytic practice is a merchandized relation, where the exchanges are focused on the money, and to ignore this fact is a mistake, both politically and technically. The A. further gives an account of the hearings at her « work » referred consultations, showing how the patients’ desperate or angry complaints are only a cover for various dishonesties, lies, and scams they won’t accept anymore. He claimis that an economico-political analysis of their career with the help of a clinicist is the best way to turn anxiety into mere embarrassment in order to make their lives livable again.

Soin de l’apparence, travail émotionnel et service au client
, par

autour du travail émotionnel des professionnel-le-s de la coiffure et de la manucure, à partir d’une enquête réalisée à Bogotá (Colombie). L’article examine certains des effets de la commercialisation et de la professionnalisation du soin de l’apparence tels que la configuration d’une division sexuelle des occupations qui place au sommet de la hiérarchie la coiffure de prestige réalisée par des hommes de diverses orientations sexuelles, et à la base, la manucure, assumée entièrement par des femmes. Il montre les contrastes du travail émotionnel dans ce secteur où il varie en fonction de la position sociale de la clientèle, le degré de formalisation des règles émotionnelles et l’impératif managérial du service au client.

Appearance care, emotion work and customer service
The article proposes some reflections on emotion work accomplished by men and women who work as hair dressers and nail dressers in Bogotá (Colombia). Placed between ornamentation and hygiene, professional work on hair and nails can be associated with care as much as it deals with people’s bodies and well-being. The article examines how the commodification and professionalization of appearance care have an effect on the sexual division of labor in this branch, placing on the top prestigious hair dressing performed by men (of any sexual orientation) and at the bottom nail dressing, performed almost exclusively by women. It shows some of the contrasts that characterize emotional work in these occupations, exposing how it overlaps with managerial ideology of customer service and how it differs according to client social position and specific emotional rules.

Les plis du capitalisme cognitif
, par

Émotions privées, émotions publiques
, par

L’article examine le privilège accordé par les principales analyses sociologiques des émotions aux émotions et sentiments « collectifs », ou rattachables à des règles sociales de cadrage ou d’interprétation des situations. Il soutient que la pertinence sociologique des émotions réside aussi dans l’identification et la compréhension de ces émotions et sentiments dits « particuliers », « individuels », « personnels », « privés », en décalage avec « la situation ». Les travaux sur les émotions issus de perspectives féministes reconsidèrent ces qualifications – « particulières », « personnelles » – comme un produit de relations sociales, i.e. de domination. Une analyse des émotions, à partir d’une position subordonnée ou dominée, emprunte d’autres chemins dégageant une dimension politique des émotions. Une vision restrictive de la moralité et une vision extensive et conformiste du social font obstacle à un compte rendu sociologiquement acceptable de la moralité des émotions.

Emotions, public and private
Mainstream sociological analysis deals mainly with collective emotions. In this perspective, “individual”, “personal”, “partial” or “private” emotions are devoided of social significance. This paper argues that such a conception misses the sociological relevance of these phenomena. Differentiating emotions along the collective/individual line, seeing the former as socially meaningful and the latter as “particular”, “private”, or “personal” can also be understood as a product of power relationships. An alternative –feminist and gendered– analysis of emotions could be developped, shedding light on a political dimension of emotional phenomena, and the complex morality of emotions.

53. Multitudes 53. Automne 2013

Majeure. Histoires afropolitaines de l’art Depuis la fin des années 1980, un mouvement d’internationalisation des échanges culturels a dessiné les contours d’une nouvelle géographie culturelle mondiale. La mise en lumière croissante d’artistes contemporains d’origine africaine − longtemps négligés − s’est accompagnée d’une exaltation d’un multiculturalisme et d’un art globalisé. La réception du travail de ces artistes est souvent allée de pair, et en France tout particulièrement, avec les lacunes dans la réception et la traduction de ressources discursives et pensées théoriques sur l’art, venues d’Afrique. Ce premier volet d’un chantier de traductions choisit de s’intéresser à l’émergence d’un « nouveau discours africain sur l’art » survenu dans les années 1990. Mineure. Ecodesign Le champ du design est en pleine transformation. Les designers remettent en question les modalités actuelles de production et de consommation, et leurs conséquences néfastes sur la subjectivité individuelle et collective, ainsi que sur l’environnement. Ils retrouvent les origines du design qui avec William Morris avait placé dans les « arts décoratifs » l’espoir d’une révolution sociale capable de soustraire l’homme à la misère des tâches répétitives et des formes standardisées de la société industrielle. Aujourd’hui il s’agit d’élaborer de nouvelles machines capables de fabriquer des biens de consommation courante en sortant du circuit traditionnel de la marchandise et d’aller vers une nouvelle « fabrique du sensible ».

X. et Y. c/préfet de… Plaidoirie pour une jurisprudence d’Olive Martin et Patrick Bernier, par

La critique d’art et l’Afrique – Pensées pour un nouveau siècle, par

« À l’époque, j’avais pris ce que beaucoup considèrent comme une position pure et dure, intransigeante, en faisant valoir que les questions de l’état de la critique d’art en Afrique devaient être laissées aux Africains. Je pensais également que cette entreprise devrait être menée, idéalement, en Afrique. Alors, l’idée même de discuter de la critique d’art et de l’Afrique, à Londres ou à New York, ne me semblait pas particulièrement appropriée. Elle ne me le semble toujours pas. » Cette conférence prononcée en 1996 par l’artiste, historien de l’art et commissaire nigérian Olu Oguibe, devant la Conférence de l’Association Internationale des Critiques d’Art, à Londres, esquisse un état des lieux prospectif pour la critique d’art africaine.

Art Criticism and Africa
Thoughts toward
a New Century

“At the time, I had taken what many saw as a hardline, uncompromising position in arguing that the business of the state of art criticism in Africa should be left with the Africans. It was my opinion, too, that this business is one that ideally should be conducted in Africa. The very idea of discussing art criticism and Africa in London or New York did not seem particularly appropriate to me then. Neither does it now. It is, I believe, a reflection of the sad state of that continent and its leaders that five years on it has fallen on us again to speak about art criticism and Africa outside the continent.” Olu Oguibe. Keynote speech delivered at the International Association of Art Critics Conference, Courtauld Institute, London, November 1996.

« Enraciné dans, mais pas limité par » Les black artistes contemporains et l’évolution des conditions de la représentation, par

La Blackness a été et est toujours en vogue au début du xixe siècle, non seulement dans la culture populaire, mais aussi dans les arts, qui reproduisent de façon synchronique des stéréotypes classiques sur le corps Noir. Cet article vise à explorer les difficultés et les subtilités d’un art « post-black », introduit comme concept curatorial en 2001. Le « Post-black » est intrinsèquement lié à l’Expérience Noire, qui n’est pas seulement limitée à des revendications politiques mais offre une perspective élargie des pratiques esthétiques qui n’ont pas été prises en compte dans la vision dominante et étriquée sur l’art des artistes Noirs. Le « Post-black » décrirait donc un autre genre de blackness que celle qui était représentée auparavant, une différente performance de la différence au sein d’une « multiplicité de multiplicités ». Nana Adusei propose ainsi d’envisager la création d’une différence différente qui a toujours fait partie de la discussion sur la blackness depuis les origines de la réflexion intellectuelle Noire.

“Rooted in, but not restricted by”
Contemporary Black Artists and the Changing Conditions of Representation

Blackness was and is still en vogue in the beginning of the 21st century, not only in popular culture but also in the arts, which synchronically reproduces classical stereotypes about the Black body and challenges Black artists and scholars not to fall into already established counter-discourses but rather expand the repertoires of representations. This article thus aims to explore the difficulties and intricacies of the idea of post-black art and its curatorial legacy, which was introduced as a curatorial concept in 2001. Additionally, it examines the option of opening up the debate into a wider discourse of identity politics, their various meanings, limitations and promises for the contemporary. The article is framed by a series of questions that are fundamental to understanding the complexity of the idea of post-black. Nana Adusei-Poku foregrounds the discussion with the general considerations “What is post-black art?” and “What is meant by ’black’in post-black art?”

L’image théorique ou l’artiste face à l’Histoire, par

Ce texte entend démontrer la dimension théorique de l’œuvre d’art en prenant appui sur le Butcher boys de Jane Alexander. L’indétermination formelle que suscite cette œuvre est mise en rapport avec l’ambivalence telle qu’envisagée par Homi Bhabha dans la théorie déconstructionniste. Après avoir montré l’influence du poststructuralisme sur le postcolonialisme, l’auteur s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle la problématique de l’ambivalence et la critique de la temporalité sont les deux points d’ancrage qui placent Butcher boys au centre du discours deconstructionniste postcolonial. C’est ainsi que l’œuvre est analysée par rapport au Temps, à la Mémoire et à l’Histoire et mise en relation avec les événements historiques déterminants de l’Afrique du Sud. L’auteur dégage ce qu’il nomme une corporéité de la mémoire comme support d’une écriture de l’histoire.

Theoretical image or the Artist facing history
This paper attempts to demonstrate the theoretical nature of artwork from Jane Alexander’s Butcher boys. The formal indeterminacy of this artwork is related to the ambivalence as mentioned by Homi Bhabha about deconstructionist theory. The author underlines the influence of poststructuralist theory on postcolonial discourse and considers the hypothesis that the problem of ambivalence and the critic of temporality are the main ideas that get Butcher boys in the center of postcolonial deconstructionism. From this point of view, the artwork is analyzed in relation to Time, Memory and History in view of South Africa’s historical events. The author demonstrates what he names the corporeity of memory as the support of making history.

Malaise dans l’authenticité – Écrire les histoires « africaines » et « moyen-orientales » de l’art moderniste, par

Sandy Prita Meier examine les chevauchements et les divergences qui ont façonné le modernisme « africain » et « moyen-oriental » au sein de la discipline de l’histoire de l’art. Elle analyse les multiples façons dont les curateurs, critiques et universitaires ont fait un usage de la catégorie de « modernité » au cours des deux dernières décennies. Meier met en évidence le modèle des « modernités multiples » comme position stratégique à la fois pour « exciser l’inquiétude continue à propos de la catégorie d’“ authenticité” » et dépasser la dichotomie « particularisme et universalisme » à laquelle l’enquête historiographique de l’art est trop étroitement mariée.

Authenticity and Its Discontents
Making Modernist Art Histories “African” and “Middle Eastern”
In her article, Sandy Prita Meier establishes some of the central theoretical concerns that frame this issue, particularly noting the overlaps and divergences that have shaped “African” and “Middle Eastern” modernisms within the discipline of art history. She rereads the multiple ways in which, curators, critics, and scholars have contended with questions surrounding the “modern” over the last two decades. Meier highlights the “multiple modernities” model as a strategic position for both excising the continued anxiety about “authenticity” and moving beyond the “particularism and universalism” to which art historical inquiry is all too closely wedded to.

L’Art Society et la construction du modernisme postcolonial au Nigeria, par

Cet article se concentre sur le travail de l’Art Society, groupe artistique formé au Nigeria (1957-1961), comme première manifestation significative d’un modernisme postcolonial, envisagé comme ensemble d’attitudes formelles et critiques adoptées par les artistes africains et noirs à l’aube de l’Indépendance politique du Nigeria. L’Art Society a souligné l’importance des ressources artistiques locales dans la réalisation d’un travail résolument moderniste, modèle esthétique qu’il a théorisé sous le nom de synthèse naturelle. La logique sous-jacente à la synthèse naturelle était basée sur la notion dialectique de réconciliation entre deux esthétiques opposées (les traditions de l’art africain et de l’art occidental). Quoique typique de l’avant-garde du début du xxe siècle, la synthèse naturelle n’était ni un appel à une rupture totale avec la tradition coloniale, ni une déclaration de rejet par l’artiste de la modernité occidentalisée en retournant à une culture indigène authentique et imaginaire.

The Art Society and the Making of Postcolonial Modernism in Nigeria
This essay focuses on the work of the Art Society – a group formed by art students at the Nigerian College of Art, Science, and Technology, Zaria (1957-61) – and suggests that the work of its key members in the 1960s was the first significant manifestation of postcolonial modernism in Nigeria. Postcolonial modernism, the essay argues, refers to a set of formal and critical attitudes adopted by African and black artists at the dawn of political independence as a countermeasure against the threat of loss of self in the maelstrom unleashed by Western cultural imperialism and its aftermath. In defining their relationship with European and African artistic heritages, the Art Society and other postcolonial artists emphasized the importance of local and indigenous artistic resources in the making of their decidedly modernist work. The essay details the convening of the postcolonial literary and artistic avant-garde at the Mbari Artists and Writers Club, Ibadan, Nigeria, in the early 1960s and claims that their modernism was directly linked to the practice and rhetoric of political and cultural decolonization and sovereignty.

Historiographie de l’art, depuis l’Afrique, par et

Depuis la fin des années 1980, la reconnaissance croissante, sur les scènes « globales » de l’art, d’artistes contemporains d’origine africaine, longtemps négligés, a largement été coupée – en France particulièrement – de la réception de ressources discursives et pensées théoriques sur l’art, venues d’Afrique. Cet article s’intéresse à l’émergence dans les années 1990, d’un « nouveau discours africain » porté par une génération de commissaires, historiens et théoriciens de l’art, qui aura choisi, en premier lieu, de réévaluer les modernités artistiques africaines. Il met en relief la géographie paradoxale de cet « espace discursif africain », où plusieurs spatialités se superposent (celles de discours très mobiles – portés par des revues d’histoire et théorie de l’art, plateformes curatoriales ou éducationnelles nomades, basées dans les métropoles de la diaspora ou implantées sur le continent le temps d’une biennale – et de revues, institutions académiques, centres d’art, musées continentaux plus enracinés).

Art Historiographies from Africa
Since the late 1980s, the growing recognition, on the global art scene, of long neglected contemporary artists of African origin went hand in hand with an exaltation of multiculturalism, erasing the borders which divide the art world. The reception granted to these artists, in particular in France, was severed from the reception of the theoretical resources which reframed art from an African perspective. This article introduces a wider project of translation of historiographic discourses and African views on art, documenting the emergence, in the 1990s, of a “New African discourse” on art, carried by a generation of curators, historians and theorists who chose to reevaluate the various trends of modern African art.

54. Multitudes 53-54. Automne 2013

De l’exploitation à l’exploit, par

Le face-à-face citadins/nature, par

Entretien avec François Godement (Asia Centre), par et

Les questions ouvertes par vos correspondants ont été refermées depuis la fin de 2012. Le Parti et l’État sont parvenus à mettre la conjoncture économique sous contrôle au prix d’un renforcement de la censure, d’un étouffement des mouvements sociaux et d’un semblant de redistribution. Mais pour la Chine, l’essentiel, ce sont les marchés extérieurs. Une économie dans laquelle les ménages épargnent la moitié de leurs gains n’est pas fondée sur la consommation de masse. C’est l’État qui a su gérer la formidable augmentation des investissements dans les infrastructures et le bâtiment, dont profite surtout l’élite. La question de l’environnement est nouvelle et fait peur ; elle est traitée en termes de responsabilité individuelle.

Interview with François Godement
The questions raised by the previous contributions have been closed to public debate since the end of 2012. The Party and the State manage to keep their grip on the economic situation thanks to a strengthening of censorship, repression on social movements and an appearance of redistribution. What is essential for China, however, are the foreign markets. An economy where households save half of their income is not based on mass consumption. The State was successful in managing the tremendous expansion of investments in infrastructure and real estate, to the advantage of a small elite. Environmental issues are new and generate many fears, mostly to be treated on the basis of individual responsibility.

La protection sociale en Chine Nouveau Grand Bond en avant, par

55. Multitudes 55. Printemps 2014

Majeure Politiques romantiques Amoureux de sa terre natale, solitaire, loin de toute réalité : tel serait le personnage romantique. Contre ce cliché à la peau tenace, ce numéro de Multitudes fait du romantisme une aventure collective risquée, un intensificateur politique capable de nous faire traverser l’hiver afin que naissent mille Printemps. Mineure - Nouvelles énonciations collectives Qui parvient aujourd’hui à parler sous la forme d’un nous collectif plutôt que d’un moi singulier ? Quels principes faut-il respecter pour que des voix différentes ne se sentent pas trahies par ce(ux) qui les relaie(nt) ? Comment faire en sorte que des décisions soient prises à partir de dissensus plutôt qu’en les occultant ? On trouvera ici quatre propositions à partir d’angles, d’échelles et de présupposés diff

L’invention démocratique dans les pratiques minoritaires, par

Défaire l’image De l’art contemporain, par

À mi-chemin entre l’art et la philosophie, Défaire l’image esthétique de l’art est appréhendé, non pas « d’après » mais après Deleuze et Guattari, sous l’idée de régime, d’agencement ou de « pensée diagrammatique ». Indissociable du déplacement de l’analyse à partir des œuvres et des pratiques (de création et de réception), la recherche donne lieu à une multiplicité d’essais proposant autant d’expériences de pensée par l’art contemporain. La Pensée-Matisse et la Pensée-Duchamp sont ainsi mises en tension d’un champ de forces « rechargé », depuis les années 1960, par les options micropolitiques dont relève la problématisation critique et clinique de l’art. Le mode d’emploi passe par Daniel Buren, Gordon Matta-Clark et Günter Brus, avec la lignée brésilienne de Hélio Oiticica à Ernesto Neto.

Undoing the Image
Of Contemporary Art
Halfway between art and philosophy, this attempt to Undo the aesthetic image of art is less “drawn from” than “taken after” Deleuze and Guattari, in terms of regimes, assemblages and diagrams. Linked to a displacement of works and practices (of creation and reception), this research provides a multiplicity of thought-experiences generated by and through contemporary art. Matisse-thinking and Duchamp-thinking constitute a field of forces recharged, from the 1960s on, with micropolitical options in critical and clinical problematizations of art. A User’s Manual would include Daniel Buren, Gordon Matta-Clark and Günter Brus, along with a Brazilian line of artists going from Hélio Oiticica to Ernesto Neto.

William Morris, romantique révolutionnaire, par

ment of incompatibility. Only cosmic politics can host the excess of the sensible and the always-new experience of the Unknown.

Frédéric Bisson
Mahler prophète
À la fois grandiose et ironique, la Troisième Symphonie de Gustav Mahler incarne tous les paradoxes du postromantisme. Bâti sur le contraste stylistique entre « haute » musique et musique vulgaire, le premier mouvement indique la perspective depuis laquelle la mégalomanie romantique peut devenir authentiquement révolutionnaire : la perspective minoritaire. La Symphonie donne ainsi une image de la « grande politique » dont notre temps serait capable.

Mahler as a Prophet
Both grandiose and ironic, Gustav Mahler’s Third Symphony epitomizes all the paradoxes of post-romanticism. Build on the stylistic contrast between “high” music and common one, the first movement of the Symphony points out the perspective from which the romantic megalomania can become something really revolutionary : the minority-perspective. Thus the Symphony shows how “grand politics” is nowadays still possible.
Michael Löwy
William Morris, romantique révolutionnaire
La caractéristique centrale du romantisme comme vision du monde est la protestation culturelle contre la civilisation industrielle capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé. Le socialiste anglais William Morris (1834-1896), artiste, écrivain, penseur politique, auteur du célèbre roman utopique Nouvelles de nulle part, est un des plus éminents représentants de la variante révolutionnaire du romantisme.

William Morris, a Revolutionary Romanticist
The central trait of romanticism as a worldview is the cultural protest against the modern industrial capitalist civilization in the name of certain values from the past. The English socialist William Morris (1834-1896), artist, writer, political thinker, author of the utopian novel News from Nowhere, is one of the most distinguished representatives of the revolutionary form of romanticism.

Vous avez dit « Démocratie réelle » ?, par

La vague de mouvements sociaux et citoyens apparus en 2011-12 dans plusieurs pays d’Europe et de l’Amérique latine, prenaient souvent comme cible majeure la « sacro-sainte » démocratie représentative et manifestaient une défiance à l’égard du système des partis. Prétendant donner la parole au peuple, la démocratie représentative rend les citoyens passifs, et consigne le pouvoir citoyen à des représentants susceptibles d’être influencés par des partis et, indirectement par les oligarchies dominantes. L’auteur passe en revue différentes pratiques démocratiques en analysant les avantages relatifs qu’elles apportent : démocratie directe, démocratie participative, démocratie délibérative, contrôle citoyen, tirage au sort, et plaide pour une combinaison de ces modalités, récupérant le rôle actif des citoyens. Une version plus développée de ce texte (30 p.) peut être trouvée dans le blog Changement & Société : albanocordeiro@wordpress.com
Did You say “Real Democracy”?
The wave of social and citizen movements observed in Europe and Latin America, in 2011-2012, took, as one of the main targets, the representative democracy, venerated as the democracy by excellence, as well as the party’s system being distrusted. In the name of the people voice, the representative democracy makes citizens passive, and therefore it becomes possible for the dominant forces to influence political activities in order to prevent Alternative. Other democratic practices are possible (direct-participative democracy, “tirage au sort”, citizen control…). The author pleads for a combination of these practices in a way citizens can have an active rule in a stable political structure.

Les territoires du Forum social mondial de Tunis, par

Bien qu’elle n’ait pas vu s’opérer la fusion des divers mouvements sociaux en une même multitude, l’édition tunisienne du Forum Social Mondial (FSM) de mars 2013 permit à la communauté altermondialiste d’occuper un certain nombre de territoires tant matériels (fragments d’espaces publics) qu’immatériels (fragments d’espaces digitaux). Pour les participants, la fréquentation conjointe de ces territoires permit une certaine forme de ressourcement, de renouvellement des énergies, de réconfort et d’encouragement mutuels (Ermunterung). En démultipliant les formes d’association affective avec le FSM, les nouvelles technologies de l’information et de la communication jouèrent un rôle important dans les processus de territorialisation et d’Ermunterung de la communauté altermondialiste.

The territories of the Global Social Forum in Tunis
A member’s notebook
Although it did not witness the merger of the various social movements into a single multitude, the Tunis edition of the World Social Forum (WSF) held in March 2013 was the occasion for the alter-globalization community to occupy a number of territories both material (fragments of public spaces) and immaterial (fragments of digital spaces). For the participants involved, the joint frequenting of these territories allowed to stock up and renew energies as well as to comfort and encourage each other (Ermunterung). Since they multiply the possibilities for emotional attachment with the WSF, new technologies of information and communication played an important role in the processes of territorialisation and of Ermunterung of the alter-globalization community.

56. Multitudes 56

Majeure - Devenir-Brésil post-Lula Les mouvements de transformation sociale en Amérique latine ne peuvent être dissociés des combats des pauvres, des luttes indigènes et des problématiques des migrants. Ce sont toutes ces luttes qui se sont agglutinées en juin 2013, dans le moment constituant de la multitude brésilienne, qu’on ne saurait rabattre, comme le font les médias et la police, sur la contestation des grands travaux et des méga-événements sportifs. En témoigne la poétique du mouvement de juin, haut-parleur de la résistance des pauvres dans la ville de Rio. L’affirmation d’une jeune manifestante – « je ne suis personne » – désigne le caractère irreprésentable d’une multitude composée par la coopération entre subjectivités quelconques. Mineure - Plèbes et multitudes en Amérique latine Le centre de recherche canadien dirigé par André Corten préfère dire plèbe plutôt que multitude, à la différence de Toni Negri et Michel Hardt, pour parler des soulèvements très localisés et très violents en Amérique latine qui ne vont pas jusqu’à remettre en cause le pouvoir central, ni le système économique. Il s’agit d’obtenir des bénéfices concrets, dans des pays où la rente foncière ou industrielle permet aux dominants de jeter du lest. La notion de multitude renvoie plutôt à une nouvelle composition de classe, à l’expansion du capitalisme cognitif, à un projet révolutionnaire.

Le tumulte plébéien Ou la part du dés-ordre en politique, par et

Le tumulte plébéien
Ou la part du dés-ordre en politique
L’interpellation plébéienne est un concept visant à nommer la force politique des soulèvements populaires et des actions directes spontanées. En modifiant le concept althussérien d’interpellation et en le combinant à celui d’expérience plébéienne (Breaugh, 2007), il s’agit de rendre compte de l’auto-interpellation des « sans-part » (Rancière, 1990) par laquelle ils se donnent leurs propres conditions de possibilité dans des actions collectives. Le propre de ces actions est précisément de surgir en dehors des formes ritualisées de constitution de l’espace public. Elles sont intraitables dans ce qu’elles refusent toute catégorisation mais également dans ce qu’elles débordent toute représentation de « vivre-ensemble » de l’ordre politique. Cette forme « sauvage » d’interpellation se manifeste dans des moments de révolte ou de « sécession », d’interruption du cours normal de la reproduction du social. La plèbe doit être saisie pour ce qu’elle est, dans le tumulte vif de sa manifestation.

The plebeian turmoil
Or the share of dis-order in politics
The concept “plebeian interpellation” describes the political strength of popular uprisings and spontaneous direct actions. By modifying the Althusserian concept of “interpellation” and combining it with that of “plebeian experience” (Breaugh, 2007), we wish to offer an account of the self-affirmation of the “those without part” (Rancière, 1990) by which they give themselves their own conditions of possibility through collective action. Such actions arise outside the ritualized forms of the constitution of public space. At the same time, they arise beyond any representation of the political order. This untamed form of interpellation occurs in the context of rebellion or “secessions” that are as many interruptions of the normal course of social reproduction. Yet the plebs must be understood for what it is, in the great tumult of its manifestation.

La plèbe, la multitude et la rente, par

La plèbe, la multitude
et la rente
Le retour de la catégorie de plèbe, qu’on croyait liée à l’empire romain ou aux luttes populaires de l’époque de la Renaissance, tient à la difficulté de catégoriser en termes marxistes, liés à la production, des alliances transversales entre groupes émergents et exclus. La plèbe qui cherche à accaparer les surplus ressemble à la multitude décrite par Toni Negri et Michael Hardt comme surgissant dans les villes pour profiter de la rente urbaine. Ce que décrivent Corten et ses amis n’est-il pas la classe antagoniste du capitalisme cognitif en constitution ? L’image du devenir-plèbe de la multitude, et de la régression vers le capitalisme agro-industriel, programmée avec le Mondial de foot et les Jeux Olympiques, semble très écornée.

Plebeian Politics, Multitude and Rent
The return of the notion of “plebs”, which was mostly used to refer to the Roman Empire or to popular uprisings in the Renaissance, is probably due to the fact that it is very difficult to explain in Marxist terms (based on relations of production) the new transversal alliances between emergent and excluded social groups. In its effort to capture various forms of rent, the plebs is somewhat similar to Hardt and Negri’s multitude jumping out of the cities in order to capture the urban rent. What is described by Corten and his friends as the plebs may be the antagonist class to cognitive capitalism. The image of a becoming-plebs of the multitude, and of a regression towards agro-industrial capitalism, as programed by the World Football Tournament and the Olympic Games, deserves a debate.

57. Multitudes 57. Automne 2014

Ce numéro spécial 57 de Multitudes intitulé Art cent valeurs résulte d’une « joint-venture » entre la revue et le laboratoire de recherche Valuations − Mécanismes de légitimation de la valeur. Dans ce numéro sont plus spécifiquement étudiés les mécanismes de valorisation à l’oeuvre dans le domaine de l’art, pris ici dans son acception la plus large. En art plus particulièrement, la question de l’évaluation, plus que toute autre, risque en effet de renvoyer à un face-à-face entre créateurs et diffuseurs, lequel, sous couvert de spécialisations réciproques, retirerait à l’artiste tout pouvoir de contrôle intellectuel et financier. Plutôt que d’imaginer une addition de modèles existants, dont les uns (productions d’oeuvres) seraient mis en critique et évalués par les autres (marché, publications, expositions), nous avons préféré jouer le double principe de la jointventure institutionnelle et de l’aventure intellectuelle conjointe entre Multitudes et Valuations qui, mieux encore que la collaboration, nous permet d’affronter les réseaux de ce « commerce extérieur » des idées et des restitutions. Avec le partenariat de l’École Nationale Supérieure d’Art de Nancy (ENSA Nancy), du Centre national édition art image (Cneai), de l’École offshore de Shanghai ou encore de la Emily Harvey Foundation, plusieurs réseaux de contributeurs multiculturels ont ainsi eu la possibilité de restituer une pensée sous des formes libres et variées, qui prennent source dans le domaine économique et financier pour traverser les pratiques sociales et poétiques, afin d’étudier la notion de valeur à l’oeuvre dans les processus symboliques. L’ensemble des contributions montre que la question de l’évaluation en art s’organise selon une série d’équations paradoxales mettant en jeux la valeur financière, académique, médiatique et symbolique de l’oeuvre dans un contexte artistique qui s’adapte aux mutations contemporaines et invente des nouvelles formes de partage et de création de valeur. Conformément aux partis pris fondateurs de Multitudes, ce dossier favorise une prise à revers du traitement habituellement universitaire de la thématique, tout en s’efforçant d’en tirer des argumentaires pertinents, mis en regard d’interventions volontairement inclassables. Les contributions sont largement internationales et délibérément variées, issues d’artistes (Ludovic Chemarin©, le programme de recherche CCC de la HEAD, DeYi Studio, Christophe Jacquet, Seth Price, Pierre Vanni, W.A.G.E.), d’écrivains (Antoine Dufeu, Anne Kawala, Marc Perrin) ou de théoriciens – qu’ils soient économistes, architectes, curateurs ou philosophes (Sylvie Boulanger, Yves Citton, Jac Fol, Georg Franck, Marcel Hénaff, Ariel Kyrou, Gaëtane Lamarche-Vadel, Yann Moulier-Boutang, Werner Moron, Martial Poirson, Anne Querrien, Peter Szendy, Fabien Vallos, Jean-Louis Violeau). Il n’échappera cependant à personne que ces catégories sont perverties par les pratiques mixtes des auteur(e)s – qui jouent chacun et chacune, tour à tour, les rôles d’artistes, de curateurs, de graphic designers, d’éditeurs, d’enseignants, d’étudiants ou de chercheurs. Les rubriques traditionnelles de Multitudes ne pouvaient que s’en trouver implosées : les mineures taquinent ici les majeurs de l’intérieur, pendant que les à-chaud s’insèrent dans les hors-champs – le tout scandé par des cahiers Icônes démultipliés, avec pour résultat un numéro d’un tiers plus gros qu’à l’habitude2. Les activités de Valuations n’en sont qu’à leurs débuts. Elles se prolongent au-delà de ce numéro de Multitudes pour donner lieu à des formes exposées ou performées, des conférences, des séminaires, des publications, des workshops et des programmes d’étude qu’il est possible de suivre à l’adresse suivante : http://valuations-recherche.tumblr.com.

L’intangible et l’inestimable Les biens immatériels, le marché et le sans prix, par

L’intangible et l’inestimable
Les biens immatériels,
le marché et le sans prix
Tandis que les biens matériels sont relativement aisés à évaluer parce qu’ils sont tangibles et quantifiables, les biens immatériels (ou « intangibles ») demandent une méthode plus complexe d’évaluation. Ainsi en va-t-il des savoirs, des services, des productions de l’esprit et de la culture en général. Il existe en effet un marché de tels biens et cela depuis qu’il existe des échanges marchands. Trois opérations le permettent : l’évaluation par unités mesure, le formatage des activités, l’échange ou le partage de ces biens. Mais au-delà de ces biens immatériels évaluables sur un marché, il y a des biens ou plutôt des valeurs qui ne le sont pas et ne le seront jamais ; ils ont rapport au talent, au don, à la confiance, à la dignité – bref à l’inestimable.

The Intangible and the Priceless
Immaterial Goods, Market and the Beyond-Pricing
Whereas the value of physical goods is relatively easy to assess, because they are tangible and quantifiable, intangible goods require a more complex mode of assessment. This is the case of forms of knowledge, services, intellectual products, and culture in general. There is a market for such goods, one as old as are commercial exchanges. Three operations make this possible: assessment through the use of units of measurement, the formatting of activities, and the exchange or sharing of the goods involved. Yet, beyond those intangible goods whose valued can be assessed in a marketplace, there are other goods−or rather values−that can never be assessed. They have to do with talent, giving, trust, dignity−that which is priceless.

Le Wall Street de nos désirs et de nos désillusions Une poésie comptable, par

Le Wall Street de nos désirs et de nos désillusions
Une poésie comptable
Tant que l’art fera partie du luxe, c’est-à-dire tant qu’il organisera sa rareté par l’effet de sa spéculation intellectuelle, il vivra une croissance infinie. Pour cela, il ne faut pas qu’il y ait d’inflation, c’est-à-dire qu’il faut respecter un certain numerus clausus d’artistes et d’œuvres. Le Wall Street de nos désirs et nos désillusions, c’est justement l’organisation de cette inflation, c’est – dans la continuité de Beuys – affirmer que chacun d’entre nous est capable d’être un artiste. Nous allons bombarder le réel qui nous est fait de tous les réels qui vivent logés en nous pour en faire Le Wall Street de nos désirs et de nos désillusions, une bourse de nos valeurs inscrites dans une symbolique, jouée à la hausse et à la baisse dans un jeu qui va faire monter votre désir et donc armer une révolution dans le sens des saisons.

The Wall Street of our desires and disillusions
Accounting Poetry
As long as art belongs to luxury, organizing its scarcity through intellectual speculation, it will enjoy endless growth. Doing so requires to prevent inflation, to respect a certain numerus clausus of works and artists. The Wall Street of our Desires and Disillusions attempts to organize this inflation, calling for everyone to be an artist. We will bomb the reality made for us with all the realities that live within us, The Wall Street of our Desires and Disillusions will provide a stock exchange where our symbolic values, climbing and falling in turns, will raise your desires and arm a revolution.

58. Multitudes 58. Printemps 2015

Majeure 58 - Nouvelle robotique, nouveaux vivants Le développement de la robotique autonome, dans tous les espaces de l’existence, relance l’intelligence artificielle et transforme la question de la vie – celle de la mort aussi, avec les drones tueurs. La question est de savoir si, en compagnie de ces artefacts, nous pouvons rester des humains comme les autres – et jusqu’où le vivant peut être « contaminé » par eux. L’humain augmenté, la robotisation des tâches à l’usine ne sont pas pour le futur, ils sont déjà là. Que deviennent des sociétés où une minorité d’humains travaillent, l’essentiel des tâches étant effectuées par des robots ? La robotisation apporte de profondes transformations du travail et en général de l’agentivité, et impose à l’humanité d’ouvrir de nouveaux espaces de création et de jouissance. (Sylvie Allouche, Sandra Laugier & Dominique Lestel) Mineure 58 - Le care des robots La présence croissante d’artefacts humanoïdes ou animaloïdes dans les espaces privés, et en particulier la maison, constitue un phénomène transformateur de nos formes de vie, au sens social et biologique. Le Japon et la Corée sont en tête de telles innovations pour les robots-compagnons qui veillent aux plaisirs et à la santé des humains. Quelles interactions pourrons-nous développer avec ces compagnons de vie ? Quels affects et attachements ? Et réciproquement : s’ils s’occupent de nous, qu’advient-il de leur relation au genre humain – dès lors que les robots chirurgiens, pharmaciens et compagnons s’occupent de pérenniser la vie ? (Sylvie Allouche, Sandra Laugier & Dominique Lestel )

L’usage de la vie, par et

L’usage de la vie

Nous faisons usage de machines, de chaussures, de cartes, en vue de notre vie, de sa conservation et de son développement. Mais c’est la vie elle-même qui est avant tout “usable”, et pour laquelle machines, chaussures, cartes sont utilisées. L’usage de soi, de son existence, est le présupposé et la poutre maîtresse de tous les autres usages. Or l’usage de soi se fonde sur le détachement de soi. Est utilisée une existence à laquelle on ne peut pas toujours s’identifier, qui ne se possède pas entièrement et qui, sans être vraiment étrangère, n’est pas non plus complètement familière. Autrement dit, l’usage de la vie concerne l’espèce qui, en plus de vivre, doit rendre sa vie possible. Le jeu de scène théâtral récapitule et amplifie les procédés par lesquels l’être humain se sert de son existence. L’activité de l’acteur est un modèle incomparable de l’usage de la vie et du souci de soi. Pour reconstituer avec précision les “technologies du soi”, il convient de regarder de près les écrits de Stanislavski, Mejerchol’d, Brecht et Grotowski.

The Use of Life

We make use of machines, shoes, maps, for our life, its conservation and its development. But it is life itself that is primary usable – in view of which machines, shoes, maps are used. The use of oneself, of one’s existence, is both the premise and the cornerstone of all other uses. The use of oneself is based on the detachment of self. The existence which comes to be used is one with which one cannot always identify, one that is not fully possessed, and that is not completely familiar, while also not being really strange. In other words, the use of life relates to the species which, in addition to living, must make its life possible. The theatrical stage recapitulates and amplifies the processes by which the human being makes use of its existence. Acting is an incomparable life’s use and care of the self model. In order to reconstitute with precision the “technologies of self”, it is advisable to take a close look at the writings of Stanislavski, Mejerchol’d, Brecht and Grotowski.

Les robots oscillent entre vivant et inerte, par

Les robots oscillent entre vivant et inerte

Il est impossible d’ouvrir un dossier consacré à la robotique sans rencontrer de multiples prophéties annonçant dans un futur proche que nous vivrons entourés de robots anthropomorphes ou zoomorphes et que nous nous machinerons par des voies que nous ne pouvons pour le moment qu’entrevoir. Peut-on envisager une approche de la robotique un peu moins prophétique et donc décevante, un peu plus pragmatique et donc plus surprenante, un peu plus réflexive et donc habitée par un principe de précaution ? Faut-il continuer à faire passer les machines pour autre chose que ce qu’elles sont ou doit-on arrêter de les prendre pour ce qu’elles ne sont pas (des animaux, des humains) ? Faut-il considérer qu’elles constituent un « règne » à part entière, à côté du minéral et du végétal, ou bien faut-il continuer de les reléguer dans l’instrumental, ce grand bazar ? Ce « manifeste » reprend quelques-unes des observations faites par ceux qui, dans le champ de l’anthropologie principalement, observent la « révolution robotique », suivent ses essais d’expérimentation/implémentation et abordent la diversité des interactions homme-machine avec les outils de l’enquête de terrain.

Robots Oscillate Between the Inert and the Living

Impossible to discuss about robotics without stiring many prophecies announcing that we will live surrounded by zoomorphic or anthropomorphic robots and transform ourselves in ways we can not yet imagine. Is it possible to adopt a slightly less prophetic approach, a little more pragmatic and therefore more surprising, a bit more reflective and thus inhabited by a precautionary principle? Should we continue comparing or assimilating machines with other kinds of beings (animals, humans) ? Should we accept that they are a « reign » in itself, next to the mineral, the vegetal or should we continue to relegate them into the instrumental, this big bazaar ? This manifesto summarises some of the observations made by anthropologists who observe the « robot revolution » with ethnographic tools, following experimental processes/implementation tests and the very concrete situations of interaction in which robots can be experienced.

Le Cobot, la coopération entre l’utilisateur et la machine, par

Le Cobot, 
la coopération entre l’utilisateur et la machine

En 1996, le terme de « cobot », 
contraction de « robotique collaborative », apparut sous la plume de deux chercheurs américains travaillant pour l’industrie automobile. Il s’applique aujourd’hui à un nouveau champ de la recherche en robotique, la « cobotique », qui s’attache à concevoir des machines asservies ou pseudo-autonomes susceptibles d’être utilisées au sein d’un environnement humain. Le cobot se différencie donc essentiellement du robot par son absence d’autonomie puisque, par définition, il ne peut pas fonctionner sans l’action d’un opérateur. L’approche collaborative, tout en dépassant la simple « utilisation » qui pourrait être faite d’un outil, valorise le travail de l’humain et laisse présager d’une meilleure acceptabilité sociale du cobot, qui n’aurait pas pour vocation de remplacer l’homme, mais de l’épauler.

The Cobot : a New Form of Human-Machine Interaction

An abbreviation for « Collaborative Robotics », the term cobot was coined in 1996 by two American researchers working for the car industry. It refers to a new field of research – cobotics – which designs pseudo-autonomous or servant machines to be used in human environment. A cobot differs from a robot insofar as it cannot function without the action of a human operator. This collaborative approach goes beyond the mere « use » to be made of a tool : it valorizes human labor and makes the cobot a more acceptable partner, since it does not lead to the replacement of the human, but to his assistance.

Réguler les robots-tueurs, plutôt que les interdire, par et

Réguler les robots tueurs, plutôt que les interdire

Les futurs systèmes d’armes létales autonomes (LAWS selon leur acronyme anglais), aussi appelés « robots tueurs », seront-ils une menace pour l’humanité ? Dans cet article de proposition prescriptive, nous soutenons qu’ils ne privent pas les humains de leurs responsabilités. Au contraire, ils augmentent notre capacité à leur faire rendre des comptes de leurs crimes de guerre, même si leur diffusion et leur utilisation doivent impérativement être réglementées par des organisations étatiques et internationales. Le moment actuel est crucial pour mettre en place un accord international sur leurs réglementations, alors même que le développement et les applications de ces technologies font débats. La peur largement partagée que suscitent ces robots tueurs est à nos yeux infondée: il faut plutôt considérer leur arrivée comme une bonne nouvelle.

Regulate Killer Robots instead 
of Banning Them

Will future lethal autonomous weapon systems (LAWS), or « killer robots », be a threat to humanity ? In this policy paper, we argue that they do not take responsibility away from humans ; in fact they increase the ability to hold humans accountable for war crimes – though their distribution and use must be regulated by state and international agencies. We argue that now is a crucial time to ensure an agreement on regulation, while development, application and use of these technologies are under debate. The widespread fear of killer robots is unfounded : they are probably good news.

Les robots sont des personnes comme les autres. Changer notre regard pour ne pas subir l’automatisation, par

Les robots sont des personnes comme les autres

Tout un symbole : Vital est le sixième membre du conseil d’administration de la société hongkongaise Deep Knowledge Ventures, alors qu’il n’est qu’un simple algorithme. Qu’il s’agisse de logiciels et d’objets dits intelligents ou de robots humanoïdes comme Pepper, Romeo et Nao, nous allons devoir apprendre à travailler bien sûr, nous amuser, être soignés mais aussi dialoguer avec ce genre de machines. Gare à ne pas les sous-estimer ! Qu’elles aient été conçues par un être d’os et de chair ne les empêchent pas d’être nos interlocuteurs. Certaines d’entre elles ne devraient-elles pas être considérées demain comme de vraies « personnes non humaines », selon le terme auquel a droit, depuis un procès de fin décembre 2014, l’orang-outan Sandra du zoo de Buenos Aires ?

Robots are People like You and Me

Vital, an algorithm, was elected as the sixth board member of the Honk Kong firm Deep Knowledge Ventures. Software, « intelligent objects », humanoid robots like pepper, Romeo and Nao: we will have to learn to work, talk and play with them, but also to be treated and cared for by this new type of machine. Let’s not underestimate them ! The may have been designed by humans, but they are nevertheless called to become our daily partners – and some of them may have to be considered as true « non-human persons », following the legal category crafted in 2014 for Sandra, the orangutan living in Buenos Aires zoo.

République et pseudojihad, par

L’automation intellectuelle, la mort de l’emploi et le revenu de pollinisation, par

L’automation intellectuelle,
 la mort de l’emploi et le revenu 
de pollinisation

Les discours lénifiants promettant de résoudre tous les problèmes sociaux et écologiques par une « reprise de la croissance », synonyme de « retour au plein emploi », sonnent de plus en plus creux. Nous vivons une deuxième vague de déploiement du capitalisme cognitif, caractérisée par l’automatisation de tâches intellectuelles bien plus complexes, dont les études les plus sérieuses montrent qu’elle annonce une explosion spectaculaire des chiffres du chômage (jusqu’au sein des classes les mieux éduquées). Les leçons de la première vague d’industrialisation du début du XIXe siècle enseignent que seuls des combats idéologiques et politiques peuvent conduire les logiques économiques à s’adapter à ces nouvelles dynamiques. Les mesures préconisées depuis 15 ans par Multitudes (revenu universel garanti, taxe pollen, réforme de l’éducation) sont plus urgentes que jamais.

Intellectual Automation, Death of Employment and Pollination Income


« Back to growth » and « Back to full employment » mantras have lost all traction on our economic realities. We are in the middle of a second wave of cognitive capitalism, which automatizes much higher forms of intellectual work. Analysts forecast massive increases in unemployment, especially among highly educated segments of the population. Lessons drawn from the first industrialization, at the beginning of the 19th century, show that only ideological and political struggles can push the economy to adapt to such new dynamics. The measures promoted by Multitudes over the last 15 years (universal guaranteed income, pollen tax, reformation of the educational systems) appear more urgent than ever.

59. Multitudes 59. Été 2015

Majeure 59 Décoloniser la laïcité ? Penser après les événements parisiens de janvier 2015 suppose de comprendre ce qu’il y eut avant 2015. « Laïcité », « islam », ou même « religion » sont des constructions politiques qui ne font sens qu’en situation historique. C’est un renversement idéologique qui, de la fin des années 80 à aujourd’hui, a transporté de tels mots sur le devant de la scène médiatique. Les idéaux modernistes qui alimentaient encore l’antiracisme traditionnel servent une nouvelle forme de discrimination –un nouveau racisme ?– dont le stigmate se nomme non plus « classe » ou« race » mais bien « religion ». Ce dossier essaie de comprendre comment c’est en construisant le « problème musulman » qu’on a permis à la droite de se proclamer « laïque ». Il tente de penser « à chaud », à travers une démarche collective et transdisciplinaire. Mineure 59 Humanités numériques 3.0 On commence à parler beaucoup d’« humanités numériques » pour désigner la façon dont la recherche en lettres, langues, philosophie, arts, histoire et autres sciences humaines utilise les nouvelles technologies numériques et étudie leur impact social et culturel. Ce dossier rassemble quatre contributions qui tentent de replacer ces questions et ces pratiques dans un cadre médiapolitique plus large : en distinguant trois strates au sein des humanités numériques ; en proposant un manifeste qui appelle les humanités à jouer un rôle actif dans le design, la mise en œuvre, le questionnement et la subversion des nouvelles technologies ; en repensant l’université autour de pratiques critiques de nos subjectivités en passe de devenir computationnelles ; en s’inspirant de l’archéologie des media pour proposer de nouveaux croisements entre recherche, arts et politique.

Humanités numériques. Une médiapolitique des savoirs encore à inventer, par

Humanités numériques
Une médiapolitique des savoirs encore à inventer

Cet article essaie de distinguer trois strates au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « humanités numériques » (hum num) ou « humanités digitales ». Les hum num 1.0 font le travail concret de numérisation, balisage, reformatage, design d’interfaces en reprenant le plus souvent des corpus déjà identifiés et circonscrits. Les hum num 2.0 tirent de ce travail de numérisation l’opportunité de constituer de nouveaux corpus et d’expérimenter de nouvelles procédures et de nouvelles formes de collaboration, qui débordent et érodent les frontières entre les disciplines, comme entre l’université et ses dehors. Les hum num 3.0 essaient de comprendre comment les pratiques et savoirs constitués depuis des siècles autour des humanités peuvent nous aider à comprendre et à nous repérer dans les façons dont le numérique informe de plus en plus profondément nos modes de subjectivation.

Digital Humanities
Three Strata of a Mediapolitical Approach

This article attempts to articulate a mediapolitical approach of Digital Humanities (DH), based on three different (but complementary) layers. DH1 digitalizes pre-defined corpuses inherited from the traditional disciplines. DH2 takes advantage of the digitalization to generate new corpuses, new forms of analysis and of collaborations which erode the borders between pre-existing disciplines, as well as between academia and the outside world. DH3 mobilizes the Humanities to better understand and reappropriate the computational subjectivations induced by the digital media.

Manifeste pour des humanités numériques 2.0, par

Manifeste pour des humanités numériques 2.0

Le but visé par ce manifeste, assemblé en 2008 par Jeffrey Schnapp, Todd Presner, Peter Lunenfeld et Johanna Drucker, est d’alimenter le débat sur ce que les humanités peuvent et doivent faire au XXIe siècle, en particulier dans le domaine des luttes culturelles qui sont aujourd’hui largement menées (et gagnées) par les intérêts capitalistes. C’est un appel à affirmer la pertinence et la nécessité des humanités en une époque de coupes budgétaires, alors qu’elles sont plus nécessaires que jamais pour orienter la migration de notre héritage culturel vers des supports numériques, tandis que notre relation aux savoirs et à l’information se transforme d’une façon profonde et imprévisible. Les humanités numériques étudient l’impact social et culturel des nouvelles technologies et jouent un rôle actif dans le design, la mise en œuvre, le questionnement et la subversion de ces technologies.

Digital Humanities Manifesto 2.0

The purpose of this manifesto, assembled by Jeffrey Schnapp, Todd Presner, Peter Lunenfeld and Johanna Drucker in 2008, is to arouse debate about what the Humanities can and should be doing in the 21st century, particularly concerning the digital culture wars, which are, by and large, being fought and won by corporate interests. It is also a call to assert the relevance and necessity of the Humanities in a time of downsizing and persistent requiems of their death. The Humanities are more necessary than ever as our cultural heritage as a species migrates to digital formats. Our relationship to knowledge and information is changing in profound and unpredictable ways. Digital Humanities studies the cultural and social impact of new technologies as well as takes an active role in the design, implementation, interrogation, and subversion of these technologies

Subjectivités computationnelles, par

Subjectivités computationnelles

Nous commençons à mesurer l’importance culturelle du numérique comme nouvelle idée unificatrice d’une université totalement redimensionnée. Au-delà d’une simple question de littéracie informatique ou informationnelle, les humanités numériques nous offrent l’occasion de développer une approche critique de l’écriture numérique conçue comme une forme d’alphabétisation et de littérature, de façon à développer une culture numérique partagée comme une nouvelle forme de Bildung. Tandis que les technologies numériques produisent de nouvelles formes de subjectivités computationnelles, les humanités numériques peuvent nous aider à aller au-delà d’un rapport consumériste aux nouveaux gadgets et à casser ces boîtes noires qui, à la fois comme objets techniques et comme métaphores, absorbent aujourd’hui une si grande partie de notre attention.

Computational Subjectivities

We are beginning to see the cultural importance of the digital as the unifying idea of a redesigned and reconfigured university. Beyond a mere issue of “information literacy” or “digital literacy”, the digital humanities provide us with an opportunity to develop a critical understanding of the literature of the digital, and through that develop a shared digital culture through a form of digital Bildung. As the digital technologies are producing new forms of computational subjectivities, the digital humanities can help us move beyond the commodity layer and open these so-called black boxes, as both technologies and metaphors, that so demand our attention today.

1905 : quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France, par

1905 : Quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France

L’islam est souvent présenté comme la dernière religion implantée sur le territoire français. Elle aurait été de ce fait absente du paysage religieux français au moment de l’adoption de la loi sur la séparation des Églises et de l’État. Cet article entend battre en brèche ce récit et propose de montrer que la religion musulmane fut largement représentée en France, notamment à travers ses départements algériens, et que des débats eurent bien lieu dès 1905 à propos de l’application de la loi à cette religion. D’ailleurs, là où l’islam était la religion majoritaire dans les territoires de l’Empire colonial, l’État a soit opté pour la solution de l’inapplication de la loi, soit, lorsque la contrainte légale et la discipline républicaine étaient trop fortes, imaginé un régime d’exception exorbitant permettant la poursuite du contrôle de la religion musulmane.

1905: When Islam was (already) the Second Religion in France

Islam is often presented as a new religion in France. This article highlights the presence of Islam in 1905 France, notably in French Algeria, during the debates and the vote of this law. In the colonies where Islam was the dominant religion, the French colonial State decided to exclude it from the new legal framework. In Algeria, three French departments, an exception to French secularism (laïcité) was created in order to maintain state’s control of Islam.

« Doit-on réformer l’islam ? ». Brève histoire d’une injonction, par

Penser le sécularisme, par

Penser le sécularisme

Ce texte, écrit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, tente de redéfinir les notions de laïcité et de sécularisme en marge des grands récits de sécularisation. La modernité laïque n’est ni la simple séparation du politique et du religieux, ni ce qui reste lorsque la religion décline ou s’efface. Dès lors que le concept de « religion » renvoie lui-même à une construction historique qui diffère selon les espaces politiques, l’on doit affirmer que la modernité laïque est la production d’un nouveau partage entre le religieux et le politique, d’une redéfinition de ce qu’est censé être la « religion » et, avec elle, l’éthique et la politique. Le texte discute ensuite le libéralisme politique de Charles Taylor de façon critique. L’unité de la modernité politique n’est pas factuelle, c’est l’unité d’un projet moderne : elle a un but politique dont l’hégémonie se lit dans le fait que les peuples extra-européens sont perpétuellement invités à s’y mesurer. Cette analyse dessine enfin la voie d’une anthropologie du sécularisme défini comme une doctrine qui cherche à émanciper la sphère publique d’un religieux oppressif, mais aussi et surtout comme une forme de vie laïque : un ensemble d’attitudes spécifiques, un certain rapport au corps et à la souffrance ainsi qu’un modèle de subjectivité.

Thinking about secularism

The text was written at the aftermath of 9/11. It tries to redefine secularism without presupposing any narrative of the decline of religion. Secular modernity is neither the mere separation of politics and religion nor what remains after religion has withered away. Insofar that the concept of “religion” is itself a historical construction, secularism can be seen as the production of a new binary division between the secular and the religious, as a redefinition of what religion, ethics and politics are supposed to be. The text critically engages with Charles Taylor’s political liberalism. It then asserts that modernity is a hegemonic political project forcing non-European people to measure themselves to it. It eventually paves the way for an anthropology of secularism defined as both a political doctrine and a form of life – a set of attitudes, a specific relationship to the body and pain, and a mode of subjectivity.

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?, par

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?

Pour mieux analyser les implications et conséquences des événements de janvier 2015, il faut parler du regard public sur l’islam et les musulmans, ce qui renvoie à l’idée d’une scène publique sur laquelle controverses, discussions polémiques et délibérations collectives se déploient, où émergent et se constituent des problèmes publics. L’irruption de la violence politique accélère potentiellement l’institutionnalisation de politiques du soupçon et de la méfiance vis-à-vis des populations musulmanes de France en convoquant des répertoires juridico-administratifs inadaptés. Les réactions politiques françaises, en particulier le choix de répondre aux attentats par une injection de laïcité dans l’école publique, sont préoccupantes en ce qu’elles contribuent à instituer un espace public dont le « monolinguisme » nationalo-laïque menace de s’avérer délétère.

After January 7, 2015, What Is the Place for Muslim Citizens in a Liberal Secular Context?

In order to understand the stakes and consequences of the Jan 2015 events in Paris, it is important to observe how public attention on Islam and Muslims generates a certain stage and a certain construction of public issues identified with religion. The irruption of political violence accelerates the institutionalization of suspicion towards Muslim populations in France. So far, political, legal and administrative reactions attempted to inject a more rigorous laicism in the French schools and public spaces have reinforced a tendency towards a mono-linguistic national-secularist public space, which doesn’t bode well for the future.

Une République du XXIe siècle, par et

Une République du XXIe siècle

La vision de la République que diffusent ses idéologues contemporains n’est plus celle qu’en donnait Durkheim à l’époque du combat contre l’Église. Une des grandes différences tient à ce qu’elle institue un droit d’entrée à la citoyenneté : ne peuvent prétendre au titre de « vrais » citoyens que ceux qui adoptent et se plient sincèrement aux valeurs de la « nation ». Au contraire de cette définition exclusionniste de la République, accomplir la démocratie, c’est avoir le courage de refuser de n’exclure aucune des multiples voix qui s’expriment – même les plus odieuses. Cela implique aussi de comprendre la nature des phénomènes de domination envers des « minorités », bien au-delà de la seule question « post-coloniale ».

A Republic for the 21st Century

What is currently promoted as the Republican ideal has only little left to do with what Durkheim had in mind when fighting against the grip of the Catholic Church. Today’s advocates of the Republic institute a right of entry to citizenship: the only “true” citizens are those who fully adopt the values of the “Republic”. Against this exclusionist conception of the Republic, democracy can be defined by the courage not to exclude any of the multiple voices expressed in society—even the most disturbing ones. More importantly, this requires us to understand the many forms of domination imposed upon “minorities” which cannot be reduced to mere “post-colonial” issues.

La laïcité répressive. Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus, par et

La laïcité répressive
Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus

Cet article interroge les conditions du renversement actuel des principes libéraux et anti-discriminatoires de la laïcité en leur application répressive : un « méta-laïcisme », au sens où l’on a pu parler d’un métaracisme, avec lequel il a partie liée. Plutôt que dans les instrumentalisations tactiques hétéroclites faites du discours de la laïcité – qui sont une dimension du problème plutôt que son explication –, on interroge ce renversement à partir des conditions historico-politiques d’une constitution matérielle laïque, du développement inégal qui marque sa synthèse historique, et des effets résultants de la crise de son hégémonie. L’issue qui s’en dessine n’est pas seulement hypothétique, mais doublement hyperbolique, appelant un surcroît de luttes émancipatrices égalitaires, mais sur fond d’un non moins nécessaire surcroît de libéralisme politique pour accepter de reconnaître dans les cultures de l’Islam les ressources de forces idéologiques ayant droit de cité dans le champ des affrontements idéologico-politiques.

Repressive Laicism
Anthropology and Geopolitics of Homo Laïcus

This text deals with conditions of the present reversal of the liberal and anti-discriminatory principles of laïcité into their repressive application in the French context : a “meta-laicism”, as one speaks of a meta-racism (they are linked together by the way). I ponder such a reversal, not from the heterogeneous tactical instrumentalizations of the laic discourse (which is more an aspect of the problem than an element of its explanation), but from the historico-political conditions of a laic material constitution, from the unequal development which characterizes its historical synthesis, and from the resulting effects of the crisis of its hegemony. The outcome I suggest here is not merely hypothetical, but doubly hyperbolical : it claims an increase of egalitarian and emancipatory struggles, but on the background of an increase of political liberalism until cultures of Islam would be to recognized as resources for ideological forces having a legitimate place in the field of ideological and political confrontations.

La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante. L’exemple espagnol, par et

La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante
L’exemple espagnol

L’exemple espagnol de Podemos montre comment sortir positivement des limites de l’horizontalité du mouvement, à la fois si riche et infructueuse, et comment agencer un geste politique d’autoconstitution, d’organisation et de représentation. Ce passage de l’horizontalité à la verticalité, de l’agitation et de la résistance du mouvement vers le travail de gouvernement pose non seulement des questions de spatialité, mais surtout des questions de temporalité, de durée. L’important passe par la (re)création d’un flux de mouvement politique, un système ouvert de gouvernance depuis le bas qui maintient unis mouvement et gouvernement – par le débat constituant constant et par une extension de ce débat aux citoyens.

Today’s Democracy is Wild and Constituent
The Spanish Case

The Spanish example of Podemos shows how to escape from the limits of the horizontal politics of movement, however rich but too often fruitless, towards the vertical politics of government. This gesture of auto-constitution, organization and representation raises not only issues of spatiality, but also issues of temporality: how to make it strong and lasting? What really matters is the (re)creation of a flow of political movement, an open system of governance from below which maintains together movement and government—through constant constituent debates and through the extension of these debates to all citizens.

6. Liens

60. Multitudes 60. Automne 2015

Majeure 60 Parler nature Comment et pourquoi parler de « la nature » aujourd’hui (plutôt que d’« environnements » et d’« écosystèmes ») ? À quelles occasions quelque chose comme la nature parle-t-elle en nous ou à travers nous ? Ce dossier traque de tels moments où des troubles dans l’énonciation témoignent des limites dans notre maîtrise sur la nature et de notre implication dans la nature. Peut-être que penser écologiquement commence par un effort pour parler nature. Mineure 60 Le Caire, cultures indociles Les révolutions soulèvent des élans de sympathie, bénéficient d’accompagnement médiatique, même de promesses d’aides plus substantielles lorsqu’elles ont lieu, puis quand la tension retombe parce qu’une équipe d’anciens ou nouveaux dirigeants reprend les rênes du pouvoir et écrase le mouvement, le silence à l’extérieur se conjugue avec la répression à l’intérieur. C’est ce qui s’est passé, se passe en Égypte. Cependant des projets résistent encore et se développent. Ce sont quelques-uns d’entre eux que cette mineure sur les Indociles du Caire, principalement, a souhaité faire connaître en publiant des articles écrits par des Égyptiens et Égyptiennes militant-e-s, activistes ou pas.

Conversations dans l’urgence, par

De la révolution de janvier à Sissi. Comment et pourquoi ?, par

De la révolution de janvier à Sissi
Comment et pourquoi ?

Cet article tente de montrer que la révolution qui s’est produite en Égypte était porteuse d’un projet politique libéral-démocrate. Les groupes révolutionnaires et les opposants au régime de Moubarak ont réussi à mobiliser des couches sociales substantielles en 2011 en demandant le respect des droits humains de base et la représentation de la volonté du peuple. La forte présence d’ouvriers mécontents, de classes moyennes appauvries et de populations urbaines défavorisées dans le mouvement de protestation n’a jamais débouché sur un projet politique visant un changement économique et social. Leurs revendications sont restées figées dans une économie morale nassériste où les revendications économiques et sociales sont en grande partie apolitiques et totalement dissociées de la démocratisation des relations entre la société et l’État. L’absence de projet de changement socio-politique a privé le processus révolutionnaire d’une large et solide coalition sociale.

From the January revolution to Sisi
How and why?

The argument this article attempts to develop is that the revolution in Egypt had a relatively clear liberal democratic political project. Revolutionary groups and political opponents to the Mubarak regime managed to mobilize substantial social strata in 2011 asking for the respect of basic human rights and for the representation of the will of the people. The strong presence of disaffected laborers, impoverished middle classes and urban poor in the protest movement never evolved into a political project aiming at social and economic change. Their demands conversely remained by and large stuck in the Nasserist moral economy, where economic and social demands are largely apolitical and definitely dissociated from the democratization of society-state relations. The absence of a project of socio-political change deprived the revolutionary process of a solid and broad social coalition.

From the January revolution to Sisi. How and why? (English version), par

De la révolution de janvier à Sissi
Comment et pourquoi ?

Cet article tente de montrer que la révolution qui s’est produite en Égypte était porteuse d’un projet politique libéral-démocrate. Les groupes révolutionnaires et les opposants au régime de Moubarak ont réussi à mobiliser des couches sociales substantielles en 2011 en demandant le respect des droits humains de base et la représentation de la volonté du peuple. La forte présence d’ouvriers mécontents, de classes moyennes appauvries et de populations urbaines défavorisées dans le mouvement de protestation n’a jamais débouché sur un projet politique visant un changement économique et social. Leurs revendications sont restées figées dans une économie morale nassériste où les revendications économiques et sociales sont en grande partie apolitiques et totalement dissociées de la démocratisation des relations entre la société et l’État. L’absence de projet de changement socio-politique a privé le processus révolutionnaire d’une large et solide coalition sociale.

From the January revolution to Sisi
How and why?

The argument this article attempts to develop is that the revolution in Egypt had a relatively clear liberal democratic political project. Revolutionary groups and political opponents to the Mubarak regime managed to mobilize substantial social strata in 2011 asking for the respect of basic human rights and for the representation of the will of the people. The strong presence of disaffected laborers, impoverished middle classes and urban poor in the protest movement never evolved into a political project aiming at social and economic change. Their demands conversely remained by and large stuck in the Nasserist moral economy, where economic and social demands are largely apolitical and definitely dissociated from the democratization of society-state relations. The absence of a project of socio-political change deprived the revolutionary process of a solid and broad social coalition.

Le Caire, ville rebelle ? Recomposition de l’action urbaine après l’épisode révolutionnaire, par et

Le Caire, ville rebelle ?
Recomposition de l’action urbaine après l’épisode révolutionnaire

Le processus révolutionnaire de 2011 a fourni les conditions nécessaires à l’émergence d’une forme particulière d’activisme ayant pour objet principal le territoire urbain. L’activisme urbain égyptien milite pour l’abandon des instruments de la planification urbaine rationnelle et dénonce les dérives des pratiques gouvernementales et des actions des agences de développement internationales calquées sur celles de l’entreprise privée. En renouant avec les grandes lignes des politiques néolibérales du régime de Moubarak qui ont échoué à résorber la pauvreté urbaine, la politique de grands projets lancée par Sissi remet en question les quelques avancées observées depuis la révolution de 2011 dans le champ de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.

Cairo, rebel city?
The recomposition of urban action after the revolutionary period

The 2011 revolution has opened a path for a specific form of activism which has focused mainly on urban territory. The Egyptian urban activism pleads for dropping out the rational urban planification’s mechanisms and condemns the way the government and the international development agencies have based their practices and actions on the private companies models. Going back to the neo liberal politics outlined by Mubarak which failed to reduce urban poverty, the large-scaled projects initiated by Sisi has cut down the progress that has been observed since the revolution in the field of urbanism and urban development.

Ard-el-Lewa, par et

Ard-el-Lewa

Entretien avec Hamdy Reda, artiste qui a créé un lieu d’art, Art-el-Lewa, dans le quartier informel très densément peuplé d’Ard-el-Lewa, situé entre deux autres grands quartiers informels Imbiba and Boulak El Dakrour. Art-el-Lewa est un espace de mise en œuvre de dialogue entre artistes et société. Cet espace indépendant aide les projets artistiques à se réaliser, offre des workshops aux membres de la communauté et aux artistes émergents ; il organise des expositions et reçoit des artistes en résidence ; il encourage les projets qui enrichissent la vie civique et culturelle d’Ard-el-Lewa ; il utilise l’art pour faire avancer les questions d’environnement. Hamdy Reda nous raconte pourquoi et comment il a ouvert cet espace, et quels projets le lieu a hébergés.

Ard-el-Lewa

Interview with Hamdy Reda, an artist who created an art space, Art-el-Lewa, in an informal densely populated area, Ard-el-Lewa, located between two of Cairo’s largest informal areas, Imbiba and Boulak El Dakrour. Art-el-Lewa is a space for the formation and activation of dialogue between artists and society. This independant agency facilitates artists projects, offers workshops for community members and emerging artists, exhibits art and hosts artists-in-residence in addition to providing special projects to enrich the civic and cultural life in Ard-el-Lewa, and using art to improve the urban environment. Hamdy Reda tells us why and how he opened this space what projects Art-el-Lewa hosted.

Ard-el-Lewa (English version), par et

Ard-el-Lewa

Entretien avec Hamdy Reda, artiste qui a créé un lieu d’art, Art-el-Lewa, dans le quartier informel très densément peuplé d’Ard-el-Lewa, situé entre deux autres grands quartiers informels Imbiba and Boulak El Dakrour. Art-el-Lewa est un espace de mise en œuvre de dialogue entre artistes et société. Cet espace indépendant aide les projets artistiques à se réaliser, offre des workshops aux membres de la communauté et aux artistes émergents ; il organise des expositions et reçoit des artistes en résidence ; il encourage les projets qui enrichissent la vie civique et culturelle d’Ard-el-Lewa ; il utilise l’art pour faire avancer les questions d’environnement. Hamdy Reda nous raconte pourquoi et comment il a ouvert cet espace, et quels projets le lieu a hébergés.

Ard-el-Lewa

Interview with Hamdy Reda, an artist who created an art space, Art-el-Lewa, in an informal densely populated area, Ard-el-Lewa, located between two of Cairo’s largest informal areas, Imbiba and Boulak El Dakrour. Art-el-Lewa is a space for the formation and activation of dialogue between artists and society. This independant agency facilitates artists projects, offers workshops for community members and emerging artists, exhibits art and hosts artists-in-residence in addition to providing special projects to enrich the civic and cultural life in Ard-el-Lewa, and using art to improve the urban environment. Hamdy Reda tells us why and how he opened this space what projects Art-el-Lewa hosted.

La Cimathèque, centre alternatif du film, par

La Cimathèque, centre alternatif du film

La Cimathèque, un centre alternatif du film, situé dans le centre du Caire a ouvert ses portes le 3 juin 2015. Elle est née d’abord du désir de jeunes cinéastes de créer une société de production indépendante. Avec la révolution le projet s’est étoffé, et la Cimathèque est devenue un lieu de rencontre, de projection, de production, de digitalisation, d’archivage, de débats à l’adresse de tous les cinéphiles. L’Égypte possède une longue tradition cinématographique, interrompue par des années de négligence, de corruption et un manque d’ambition pour un art profondément aimé par la population. La question de l’archivage du patrimoine cinématographique mais aussi des productions contemporaines sur divers supports est centrale dans le projet de la Cimathèque, surtout dans une époque de déconstruction du sens de l’histoire collective.

Cimatheque, Alternative Film Center

Cimatheque – Alternative Film Centre is a multi-purpose venue located in the heart of downtown Cairo. It opened its doors to the public on June 3 2015. It came from the wish of young filmmakers to create an independent production agency. Following the revolution, the scope of the project expanded, bringing about the idea to build an analogue hand-processing lab, the only one of its kind in the country, in the hopes of reviving a lost art form that capitulated in recent years to the cost-effectiveness of digital filmmaking. And because everything that was being implemented in Cimatheque till this point arose from a desire to at once respect legacies and collective histories, while deconstructing their meanings in the current political and social climate, the idea of devoting a room or two to film archives came into being. This concern is central to the way in which Cimatheque’s team approaches programming based on film history and archiving, with the hope that it can give voice and expression to peripheral memories, and material made on the margins of society.

Cimatheque, Alternative Film Center (English version), par

La Cimathèque, centre alternatif du film

La Cimathèque, un centre alternatif du film, situé dans le centre du Caire a ouvert ses portes le 3 juin 2015. Elle est née d’abord du désir de jeunes cinéastes de créer une société de production indépendante. Avec la révolution le projet s’est étoffé, et la Cimathèque est devenue un lieu de rencontre, de projection, de production, de digitalisation, d’archivage, de débats à l’adresse de tous les cinéphiles. L’Égypte possède une longue tradition cinématographique, interrompue par des années de négligence, de corruption et un manque d’ambition pour un art profondément aimé par la population. La question de l’archivage du patrimoine cinématographique mais aussi des productions contemporaines sur divers supports est centrale dans le projet de la Cimathèque, surtout dans une époque de déconstruction du sens de l’histoire collective.

Cimatheque, Alternative Film Center

Cimatheque – Alternative Film Centre is a multi-purpose venue located in the heart of downtown Cairo. It opened its doors to the public on June 3 2015. It came from the wish of young filmmakers to create an independent production agency. Following the revolution, the scope of the project expanded, bringing about the idea to build an analogue hand-processing lab, the only one of its kind in the country, in the hopes of reviving a lost art form that capitulated in recent years to the cost-effectiveness of digital filmmaking. And because everything that was being implemented in Cimatheque till this point arose from a desire to at once respect legacies and collective histories, while deconstructing their meanings in the current political and social climate, the idea of devoting a room or two to film archives came into being. This concern is central to the way in which Cimatheque’s team approaches programming based on film history and archiving, with the hope that it can give voice and expression to peripheral memories, and material made on the margins of society.

Le féminisme islamique et l’ambiguïté de l’engagement politique. « Le beau est affreux et l’affreux est beau », par

Le féminisme islamique et l’ambiguïté de l’engagement politique
« Le beau est affreux et l’affreux est beau »

L’ascension et la chute récentes de la loi islamiste en Égypte appellent une réflexion, non seulement sur le rôle social des idées féministes islamiques, mais aussi sur les raisons des changements politiques, ainsi que sur les questions d’opposition éthique et de principe. Mon approche de ce sujet ne reprend pas l’opposition habituelle entre laïc et islamique, ni la critique du libéralisme laïc, mais propose une critique de tout mouvement féministe, qu’il soit laïc ou islamique, qui s’autorise de lui-même à coopérer ou à être réduit au silence par des régimes politiques corrompus. La première partie de l’article traite de la question des relations fragiles entre les féministes et l’État plus particulièrement dans le contexte égyptien contemporain. La deuxième partie examine les ambiguïtés morales des positions du féminisme islamique.

Islamic feminism and the Equivocation of Political Engagement
“Fair is foul, and foul is fair”

The recent rise and fall of the Islamist rule in Egypt calls for reflection, not just on the role of Islamic feminist ideas in society, but also on the shifting political grounds and questions of ethical and principled opposition. The presentation of this subject does not take the approach of the usual secular/Islamist binary or a criticism of secular liberalism, but is rather focused on a critique of any feminist movement, be it secular or Islamic, that allows itself to be co-opted and silenced by corrupt political regimes. This article, in its first part, discusses the general issue of the precarious relationship between feminists and the state, especially in the modern Egyptian context, and, in its second part, looks into the moral ambiguities associated with Islamic feminism’s political stands.

Islamic Feminism and the Equivocation of Political Engagement. ‘Fair is foul, and foul is fair’ (English version), par

Le féminisme islamique et l’ambiguïté de l’engagement politique
« Le beau est affreux et l’affreux est beau »

L’ascension et la chute récentes de la loi islamiste en Égypte appellent une réflexion, non seulement sur le rôle social des idées féministes islamiques, mais aussi sur les raisons des changements politiques, ainsi que sur les questions d’opposition éthique et de principe. Mon approche de ce sujet ne reprend pas l’opposition habituelle entre laïc et islamique, ni la critique du libéralisme laïc, mais propose une critique de tout mouvement féministe, qu’il soit laïc ou islamique, qui s’autorise de lui-même à coopérer ou à être réduit au silence par des régimes politiques corrompus. La première partie de l’article traite de la question des relations fragiles entre les féministes et l’État plus particulièrement dans le contexte égyptien contemporain. La deuxième partie examine les ambiguïtés morales des positions du féminisme islamique.

Islamic feminism and the Equivocation of Political Engagement
“Fair is foul, and foul is fair”

The recent rise and fall of the Islamist rule in Egypt calls for reflection, not just on the role of Islamic feminist ideas in society, but also on the shifting political grounds and questions of ethical and principled opposition. The presentation of this subject does not take the approach of the usual secular/Islamist binary or a criticism of secular liberalism, but is rather focused on a critique of any feminist movement, be it secular or Islamic, that allows itself to be co-opted and silenced by corrupt political regimes. This article, in its first part, discusses the general issue of the precarious relationship between feminists and the state, especially in the modern Egyptian context, and, in its second part, looks into the moral ambiguities associated with Islamic feminism’s political stands.

61. Multitudes 61. Hiver 2015

Majeure 61. Populismes - Mineure 61. Écopolitiques du cinéma documentaire

62. Multitudes 62. Printemps 2016

Subjectivations computationnelles à l’erre numérique, par

Décomposition et recombinaison à l’âge de la précarité, par

Décomposition et recombinaison à l’âge de la précarité

Cet article analyse l’« automation cognitive », c’est-à-dire l’uniformisation des procédures de perception, d’imagination et d’énonciation. La transformation digitale de l’info-travail est une condition de la précarisation finale, et l’info-travail est ainsi le point d’arrivée d’un processus d’abstraction de l’activité humaine cognitive dé-singularisée et dé-corporalisée. Le temps dé-singularisé et la cognition dé-personnalisée sont les agents ultimes du processus de valorisation : ils ne tombent pas malades, n’ont pas de revendication syndicale ni de droit politique ; ils sont là, pulsatoires et disponibles, comme une étendue cérébrale jamais hors d’atteinte. Des cellules de temps productif pré-formaté peuvent ainsi être mobilisées et recombinées grâce à la sonnerie du smartphone, qui permet d’agencer le cerveau individuel selon les flux du réseau.

Decomposition and Recombination in the Age of Precariousness

This paper analyzes « cognitive automation », i.e., the uniformization of the processes of perception, imagination and enunciation. The digital transformation of info-labor is a condition of its final precarization, as info-work is the point of arrival of a process of abstraction of human cognitive activity, after it has been de-singularized and dis-embodied. De-singularized time and de-personalized cognition are the ultimate agents in the process of valorization : they never fall sick, do not resist through trade unions nor claim political rights ; they are there available, as a cerebral openness out of reach. Cells of pre-formatted productive time can be mobilized and recombined through the tone of a smartphone, re-assembling the individual brains according to the flows in the network.

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées, par

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées

Cet article revient sur la notion de « subjectivité computationnelle » formulée par David M. Berry visant à développer une approche critique des technologies numériques. Afin de comprendre les implications philosophiques d’un tel rapprochement entre « subjectivation » et « computation », nous revenons tout d’abord, via Leibniz et Hannah Arendt, sur l’émergence des sciences modernes qui visent à faire du « sujet » classique une entité calculante. Nous voyons ensuite comment les sciences « comportementales » ont influencé la conception des ordinateurs en substituant à la raison humaine des modélisations rationnelles déléguées à des machines. Pour sortir de l’impasse d’une déshumanisation annoncée dès la fin des années 1970 par des auteurs comme Ivan Illich ou Gilles Deleuze, nous envisageons enfin la « subjectivation » comme un processus qui ne nécessite pas qu’il y ait sujet. Le concept d’« appareil », tel que le propose Pierre-Damien Huyghe à propos de la photographie et du cinéma, peut ainsi être étendu aux machines computationnelles pour penser de possibles « consciences appareillées ».

Computational Subjectivities and Apparatus-Consciousness

In continuation with David M. Berry’s considerations on “computational subjectivities”, this paper goes back to the emergence of modern science, via Leibniz to Arendt, questioning the attempt to see the classical “subject” as a calculating machine. After behaviorism had greatly influenced computer science, after Ivan Illich or Gilles Deleuze’s redefinition of the subject, we can now envisage processes of subjectivation without a subject. The concept of apparatus, as theorized by Pierre-Damien Huyghe’s analysis of the photographic camera, can be extended to computation and help us conceive of “apparatus-consciousness”.

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable

La cognition algorithmique joue un rôle central dans le capitalisme contemporain. Depuis la rationalisation du travail industriel et des relations sociales jusqu’à la finance, les algorithmes fondent un nouveau mode de pensée et de contrôle. Dans cette phase du tout-machinique dans l’évolution du capitalisme numérique, il ne suffit plus de se mettre du côté de la théorie critique pour accuser la computation de réduire la pensée humaine à des opérations mécaniques. Comme le théoricien de l’information Gregory Chaitin l’a démontré ; l’incomputabilité et l’aléatoire doivent être conçus comme les conditions de bases de la computation. Si le technocapitalisme est contaminé par l’aléatoire computationnel et le chaos, la critique traditionnelle de la rationalité instrumentale doit elle aussi être remise en question : l’incomputable ne pleut plus être réduit au statut de contraire de la raison.

Instrumental Reason, Algorithmic Capitalism, and the Incomputable

Algorithmic cognition is central to today’s capitalism. From the rationalization of labor and social relations to the financial sector, algorithms are grounding a new mode of thought and control. Within the context of this all-machine phase transition of digital capitalism, it is no longer sufficient to side with the critical theory that accuses computation to be reducing human thought to mere mechanical operations. As information theorist Gregory Chaitin has demonstrated, incomputability and randomness are to be conceived as very condition of computation. If technocapitalism is infected by computational randomness and chaos, the traditional critique of instrumental rationality therefore also has to be put into question: the incomputable cannot be simply understood as being opposed to reason.

L’algorithmique a ses comportements que le comportement ne connaît pas, par

L’algorithmique a ses comportements que le comportement ne connaît pas

La présente contribution cherche à reconceptualiser certains enjeux fondamentaux du machine-learning en problématisant la question du « comportement » à l’aune de la théorie du cycle de l’image de Gilbert Simondon. En prenant au sérieux les positions théoriques et les ambitions techniques dans le domaine des algorithmes auto-apprenants, nous proposons de rendre compte de certaines transformations de l’algorithmique en la qualifiant de deux idéaux-types : mécanique et comportementale. Sans suggérer une quelconque opposition binaire, nous proposons plutôt de voir ces deux pôles comme des structurations successives, des phases d’existence qui transforment la nature du problème à résoudre, qui opèrent un passage de structure en structure. À la suite de Simondon, ce passage est requalifié de transductif, de façon à esquisser une image du comportement appelant une réinvention de nos cadres politiques et éthiques. Et si la question était : quel est le collectif qui advient, et que nous désirons voir advenir, quand nous nous comportons avec des algorithmes ?

Algorithms Have Reasons Behavior Ignores

The present contribution seeks to reconsider some of the fundamental stakes underlying machine-learning. The question of « behavior » will be problematized in light of Gilbert Simondon’s theory of the image cycle. By taking theoretical positions and technical ambi-tions in the field of machine-learning seriously, we suggest to frame the transformations of algorithmics in terms of two ideal-types: mechanical and behavioral. While taking care to avoid any binary opposition, we treat these two poles as successive structurations, phases of existence that transform the nature of the problem to be resolved, that operate a passage from one structure to another. Following Simondon, we qualify this passage as transductive so as to sketch an image of behavior that calls for a reinventing of our political and ethical frameworks. What if the question were: what collective is eventuated, or do we wish to eventuate, when we behave with algorithms?

Quelle souveraineté monétaire ?, par

Quelle souveraineté monétaire ?

Les grandes difficultés que rencontre aujourd’hui la politique européenne, aussi bien dans ses sommets institutionnels que dans les expériences des mouvements sociaux, sont liées principalement à une incapacité à affronter la crise en posant la nécessité de réformer le système monétaire dans une perspective bottom up. Cela devrait conduire 1) à s’interroger sur le sens de la souveraineté monétaire en Europe et 2) à comprendre ce que signifie « partir d’en bas » lorsqu’il s’agit d’instituer une monnaie. Pour affronter ces problèmes l’article retrace les différentes étapes qui ont mené de la crise financière américaine de 2007 à la crise européenne, en construisant un dialogue entre les thèses avancées par Christian Marazzi dans La Brutalité financière et les analyses produites par des économistes hétérodoxes français (A. Orléan, F. Chesnais, les économistes atterrés).

What Type of Monetary Sovereignty?

The current problems faced by European economic policies, as seen both in European summit and in social movements, result from an incapacity to reform the financial system through a bottom-up approach. This should lead to 1) questioning the meaning of European monetary sovereignty and to 2) understand what a “bottom-up” approach means in terms of monetary institutionalization. This paper discusses the recent financial events, from the subprime crisis in the USA to the European crisis, by confronting the propositions and analyses made by Christian Marazzi in his book on Financial Brutality, and by French heterodox economists like André Orléan, François Chesnais and the Économistes atterrés).

Inconscient technologique et connaissances positionnelles, par

Inconscient technologique et connaissances positionnelles

Cet article donne une première description de notre « inconscient technologique », terme qui désigne les formes basiques de positionnement et de juxtapositionnement qui rendent possible la « structure atomique » de base de la vie contemporaine en Amérique du Nord et en Europe. Il montre comment, au cours des dernières années, la mise en pratique de ces grilles de repérage ont évolué au fil d’une standardisation considérable de nos espaces, standardisation qui a conduit graduellement à la cristallisation d’un nouveau type d’inconscient technologique. L’article analyse l’émergence de quelques-uns des appareils à travers lesquels cet « inconscient technologique » structure aujourd’hui notre expérience du quotidien : l’adressage postal, le code-barres, la carte SIM, la puce RFID.

The Technological Unconscious

This paper provides a description and preliminary analysis of the current “technological unconscious”. I use this term to signify the basic forms of positioning and juxtapositioning which make up the basic “atomic structure” of contemporary Euro-American life. I argue that in recent years the practice of these templates has been changing as a full-blown standardisation of space has taken hold. This standardisation is gradually leading to the crystallisation of a new kind of technological unconscious. I further argue that the traces of this new kind of unconscious are taking hold in social theory as well, leading to the assumption of a quite different event horizon which can be thought of as a different kind of materiality.

63. Multitudes 63. Été 2016

Majeure - Les nouvelles frontières du revenu d’existence. Mineure - Les complications de la présence.

Pour un revenu d’existence de pollinisation contributive. Financé par une taxe pollen, par

Le revenu contributif et le revenu universel, par et

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention, par

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention

Un revenu inconditionnel d’existence devrait être envisagé au sein d’une pluralité de formes de revenus, basés sur des logiques hétérogènes. Parmi ces justifications, la prise en compte des dynamiques de l’économie de l’attention (dont Google et Facebook tirent d’ores et déjà des revenus énormes) pourrait jouer un rôle central. Un revenu d’existence apparaîtrait alors comme un investissement social permettant à chacun(e) de diriger son attention vers ce qui lui semble le plus important. Mais cela impliquerait de passer d’une économie restreinte à une économie générale, dans laquelle le moment de l’attention réflexive ne serait pas considéré comme un luxe inutile, mais comme un besoin d’avenir.

Universal Basic Income within a General Attention Economy

A Basic Universal Income (UBI) should be considered among a plurality of heterogeneous logics for rewards and incentives. Taking into consideration the attention economy (which already provides enormous incomes to Google and Facebook) could play a central role in such argu-ments. The UBI would then be seen as a form of investment allowing each recipient to direct his or her attention where
s/he judges would be more needed. This would require us, however, to evolve from a restricted economy to a general economy, where reflexive attention would no longer be considered as a wasteful luxury, but as a growing need for the future.

La réalité du revenu d’existence dans le Brésil post-Lula, par et

La réalité du revenu d’existence dans le Brésil post-Lula

Cet article vise à évaluer la portée des politiques sociales réellement existantes dans le Brésil de la période Lula, du point de vue du débat général sur le revenu d’existence. Soit deux questions : ces politiques sociales – notamment les transferts monétaires – ont-elles été pensées dans la perspective d’un revenu d’existence ? Le revenu d’existence pourrait-il fonctionner comme angle privilégié de réorganisation et d’intégration de ces politiques sociales ? L’histoire de Bolsa Família, instauré dans le Brésil de Lula, montre qu’il est d’origine néolibérale et que le véritable enjeu est d’appréhender les lignes de conflit qui séparent sa précaire existence empirique actuelle de sa constitution comme base d’une nouvelle démocratie.

The Realities of Basic Income Policies in Post-Lula Brazil

This paper evaluates the realities of the social policies set in place during under Lula govern-ments. It raises two questions about the implementation of the basic income scheme entitled Bolsa Familia : was is really devised as a form of basic income ? Could it provide leverage to a reorganization of social policies ? The study tends to show that Bolsa familia originated as a neoliberal reform and that the deeper stakes of its implementation raise the question of a depar-ture from its current form towards another conception of a new form of democracy.

La mendicité comme moyen de revendication. L’exemple des femmes balayeuses de rue à Abidjan, par

La mendicité comme moyen de revendication
L’exemple des femmes balayeuses de rue à Abidjan

La mendicité, un phénomène très ancien, a connu au fil du temps une évolution et a pris des formes très diverses. Plusieurs études ont été menées sur la mendicité. Celles-ci ont présenté la mendicité comme un phénomène religieux et aussi comme un moyen de survie. Abidjan, la capi-tale économique de la Côte d’Ivoire n’est pas exempte de ce phénomène. Au-delà des mendiants ordinaires, cette ville connaît une catégorie de mendiantes dont des balayeuses de rue qui susci-tent l’intérêt de cette étude. Leur particularité est qu’elles sont des employées d’une entreprise de ramassage d’ordures ménagères. Elles sont donc des salariées. Ainsi, se pose la question du sens de leur mendicité. L’objectif de cette étude est de comprendre le sens de la mendicité prati-quée par ces employées. Les analyses nous montrent que la mendicité apparaît comme un moyen de pression ou de revendication dans un conflit entre employeur et employés.

Begging as a means to claim
The example of women street sweepers in Abidjan

Begging, a very old phenomenon experienced over time a change and took many forms. Several studies have been conducted on begging. They presented begging as a religious phenomenon and also as a means of survival. Abidjan, the economic capital of Cote d’Ivoire is not exempt from this phenomenon. Beyond ordinary beggars, the city knows a category of beggars with street sweepers that appeal of this study. Their peculiarity is that they are employees of a company the collection of household waste. They are therefore salaried. Thus, arises the question of the meaning of their begging. The objective of this study is to understand the meaning of begging practiced by these employees. Analyses show that begging is a means of pressure or claim in a dispute between em-ployer and employees.

64. Multitudes 64. Automne 2016

Majeure - Migrants/Habitants : urbanités en construction. Mineure - Le génocide des Amérindiens ?

Stratégies amérindiennes en Guyane française, par

Racisme et terrorisme environnemental au Maranhão, par

Racisme et terrorisme environnemental au Maranhão
Les provocations violentes des forestiers contre les autochtones se sont multipliées en 2010 sur la frontière orientale de la forêt amazonienne. Le gouvernement a envoyé la police et l’armée rétablir l’ordre en 2013. La mise sous tutelle politico-administrative des autochtones favorise la discrimination par l’ensemble des institutions. Fin 2015, l’élection d’un gouverneur de l’état communiste, donc développementiste, autorise la reprise des violences contre les autochtones et le redémarrage des feux de forêt. Plus que de développementisme, il faut parler de croissancisme, de passion de faire croître l’exploitation à toutes les échelles, notamment par de grands projets subordonnant l’action de l’État aux intérêts privés.

Racism and Environment Terrorism in Maranhão
Violent provocation by forest developers against native populations have significantly increased in 2010 on the East border of the Amazonian forest. The government sent the police and the army to restore order in 2013. The legal status granted to native population maintains them under political-administrative tutelage, which favors widespread discrimination. At the end of 2015; the election of a communist, hence developmentalist, governor has led to a new wave of violence against natives and to the start of new forest fires. More than developmentalism, one should speak of “growthism”, a furious passion to see exploitation grow at all levels, most notably through large scale project aligning State intervention with private interests.

Le développement régional détruit les territoires des peuples autochtones, par

Les Britanniques à Calais, par

Les Britanniques à Calais
La solidarité européenne à l’échelle locale dans une ville frontière

Comment fonctionnent ceux qu’on appelle les Anglais dans le camp de Calais ? Les volontaires internationaux ont remplacé peu à peu les touristes dans l’animation de la ville, à partir de 2013 ; à partir de fin 2015, la mobilisation est plus forte mais toujours peu organisée. La préoccupation est de rendre le camp plus habitable, de construire avec les migrants des lieux de vie pour les femmes et les enfants, pour les repas, pour le théâtre, pour la bibliothèque. Ces hauts lieux seront épargnés de la destruction par la justice. Mais cette nouvelle urbanité n’est pas exempte de rapports de pouvoir. L’aide britannique se restructure à partir du Hangar, hors du camp, pour pratiquer l’aide sur un mode quasi-industriel par son efficacité. Les volontaires deviennent plus distants des migrants, et leur vie se déroule plutôt hors du camp. Français et Britanniques se rejoignent cependant dans le traitement des mineurs isolés et le conseil juridique.

Britons in Calais
European Solidarity at the Local Level in a Bordertown

How do those referred to as “les Anglais” operate in Calais? International volunteers have progressively replaced tourists in the animation of the city, starting from 2013. Since the last months of 2015, the mobilization is still strong but little organized. Efforts concentrate on making the camp more hospitable, on constructing with the migrants a better place for women and children, improving meals, establishing a theater, a library — these sites being spared the destruction waged by the authorities. This new urbanity is not free from relations of power, however. British aid was restructured around the “Hangar”, away from the camp, on a quasi-industrial mode of management geared towards efficiency. The volunteers have become more distant towards the migrants, as their life is now located outside of the camp. French and British volunteers, however, are in tune concerning the help brought to isolated children and legal counseling.

Les routes euro-méditerranéennes discrètes de l’exode moyen-oriental, par

Le rêve mondial d’un univers urbain sans « bidonvilles », par

Le rêve mondial d’un univers urbain sans « bidonvilles »
Discours, mobilisations et mythe

Près de la moitié de la croissance urbaine, due à l’exode rural et aux migrations, se fait de façon informelle dans des « bidonvilles ». Alors qu’ils sont détruits dans les pays riches, ils sont réhabilités, « urbanisés », dans les pays du Sud, non sans déplacement des habitants comme le montre l’exemple du Maroc. Les opérations-phares cachent l’insuffisance des investissements dédiés et la poursuite des évictions, malgré les déclarations des sommets Habitat de l’ONU qui se succèdent depuis 1976. L’article souligne les inégalités de traitement entre ces quartiers selon les populations ciblées. La sécurisation foncière demandée par tous les acteurs pourrait être un préalable à la mise sur le marché ou à la mise en place d’un financement plus solidaire de l’urbain.

The Global Dream of a Slumless Urban Universe
Discourse, Mobilisations and Myths

About half of urban growth, due to movements from the countryside to towns and due to migrations, ends up in informal slums. While those are destroyed in wealthy countries, they are rehabilited and “urbanized” in the South, often by displacing populations, as illustrated by the example of Morocco. High-visibility operations fail to hide the lack of investments and the persistent policies of eviction, in spite of the official declarations periodically reiterated during UN Summits on Habitat since 1976. This article addresses the inequality of treatment between the neighborhoods, depending on the targeted populations. Real-estate securization demanded by all actors could be a first step towards the marketization of housing or towards the establishment of more socially-oriented forms of financing.

Droits fondamentaux et hospitalité, par

Droits fondamentaux et hospitalité
L’accueil des migrants et réfugiés montre que dire la loi n’est plus ouvrir des droits. De nouvelles attitudes sont à développer chez les militants de l’hospitalité : la désobéissance civile, la défense des droits premiers que sont la dignité, la circulation et l’établissement, qui sont hiérarchiquement supérieurs au droit de propriété. Il faut chercher à développer les capabilités des personnes accueillies et se soucier de l’effectivité des droits reconnus. Cela implique de chercher à développer le « bien vivre ensemble ». Il n’y a pas à distinguer de motifs économiques, politiques, climatiques de migration. Les pratiques d’hospitalité qui se font jour un peu partout concernent toutes les victimes de l’exclusion sociale, y compris locales.

Fundamental Rights and Hospitality
Our dealings with migrants and refugees reveal that promulgating laws no longer entails the opening of rights. New attitudes must be developed by militants for hospitality: civil disobedience, defense of basic rights such as dignity, circulation and establishment, which are hierarchically superior to property rights. The capabilities of the incoming people must be developed and established rights must be enforced. This leads towards an effort for “living well together”. It is pointless to make distinctions between economic, political or climatic motives for migrations. The practices of hospitality emerging from all sides address all victims of social exclusion, including among the local populations.

Camp et campements, par , , et

Camps et campements
Des économies aux principes opposés

Les camps fournissent du travail forcé aux pouvoirs qui les constituent alors que les campements autogèrent des opportunités et des hasards productifs. L’article recense plusieurs cas actuels de camps de travail forcé dans le monde et plusieurs cas historiques d’enfermement de main-d’œuvre qualifiée, utilisée dans l’économie locale. Le recours actuel à l’internement de masse pour contrôler les migrations implique des grandes entreprises et des associations qui en emportent les marchés. Dans les campements au contraire les ressources matérielles mobilisées et monétaires sont limitées mais l’installation est dépendante de ressources sociales et relationnelles suffisantes. Les frontières entre les formes camp et campement, économie formelle et économie informelle sont poreuses, comme l’illustrent quelques exemples en région Île de France.

Camps and Encampments
Two Economies with Contrary Principles

Camps provide forced labor to the powers that institute them, while encampments self-manage productive opportunities and chance meetings. This article surveys several current cases of forced labor camps around the world, as well as several historical examples of locking up qualified workforce, exploited within a local economy. The current management of migrations by mass incarceration involves large firms and associations struggling to win new markets. In encampments, on the other hand, the material and monetary resources mobilized are limited, but the installation depends on available social and relational resources. The distinction between camps and encampments, formal and informal economies, are porous, as illustrated, with a few examples from the Paris region.

Considérant ce qui s’affirme, par

Considérant ce qui s’affirme
Sciences et politiques dissidentes du PEROU dans les camps, bidonvilles et refuges de France

Dans cet entretien avec Luc Gwadzinzky, Sébastien Thiery, coordonnateur du PEROU, affirme chercher au contact des migrants et des exclus les formes émergentes de la ville de demain, celle qui fera place à tous ceux qu’exclut la métropolisation. Il s’agit de déplacer le regard, d’englober migrants et habitants dans une même question. La démarche se déplace de site en site, en faisant jurisprudence à partir de chaque cas, en produisant fictions et créations avec migrants, habitants et artistes, en reconnaissant les pratiques d’hospitalité et l’immensité des ressources potentielles qu’elles mobilisent. Un programme de recherche et de formation, l’École des situations, est en préparation.

Considering What Asserts Itself
Dissident Sciences and Politics by Perou in French Slums and Camps

In this interview with Luc Gwadzinzky, Sébastien Thiery, coordinator of the PEROU collective, explains how working with migrants and castaways helps understanding the emergent features of tomorrow’s cities, which will have to find room for all those excluded by our current metropolis. In order to displace our point of view and to develop a common perspective between migrants and locals, their work goes from site to site, generating jurisprudence based on singular cases, producing fictions and creations shared by migrants, locals and artists, documenting the incredibly resourceful wealth of hospitality and solidarity. A research program entitled the School of Situations is in preparation.

Prises de position autochtones, par , , et

Prises de position autochtones
Journalistes et anthropologues conjuguent leurs efforts pour attirer l’attention sur la valeur des modes de vie des Autochtones et sur les violences qu’ils subissent. Comment s’expriment ces derniers face aux autorités brésiliennes et au monde entier ? Quatre textes ont été choisis pour en donner un aperçu : une lettre d’adieu du Mouvement Xingu à Dilma Roussef, initiatrice du barrage de Belo Monte qui a détruit leur territoire ; une lettre ouverte de leaders du peuple Tupinamba aux autorités brésiliennes et mondiales contre la spoliation de leur territoire par un projet d’aménagement du littoral ; un ensemble de conseils de comportements écologiques et respectueux par l’alliance des peuples autochtones, « gardiens de mère nature », publiés à l’occasion de la conférence du climat à Paris en décembre 2015 ; une méditation sur les conditions d’une résistance efficace aux nouvelles formes de violence par un membre de l’association Kirapalan du village Altamira.

Native Claims
Journalists and anthropologists both invite us to pay more attention to the value of native ways of life and to the violence they face. What are native people telling the Brazilian and worldwide leaders? Four texts were selected as a sample: a farewell letter addressed by the Xingu Movement to Dilma Roussef, who initiated the Belo Monte dam which destroyed their land; an open letter by the leaders of the Tupinamba people to the Brazilian and world leaders against the looting of their territory; a list of advice for respectful and ecological forms of behavior published by an alliance of native people, caring for Mother Nature, during the 2015 Paris Conference on climate change; a meditation by a member of the Kirapalan association from the Altamira village on an efficient form of resistance against new forms of violence.

65. Multitudes 65. Hiver 2016

Majeure 65. Matières pensantes - Mineure 65. La sensibilité urbaine des images filmiques

Debout avec la terre. Cosmopolitiques aborigènes et solidarités autochtones., par

Debout avec la terre
Cosmopolitiques aborigènes et solidarités autochtones
De plus en plus de mouvements activistes luttant contre la destruction des milieux de vie, notamment par les industries extractives qui précipitent les transformations climatiques et empoisonnent les eaux et l’air, cherchent des alliances et des sources d’inspiration auprès de peuples autochtones, tels les Aborigènes d’Australie, qui n’ont pas la même vision de la Terre que celle consistant à nier la nature sous prétexte qu’elle aurait succombé aux technologies humaines. Il est proposé ici de répondre à la réduction des ontologies en anthropologie par une « slow anthropology » qui soit « Debout avec la terre », fondée sur une expérience de terrain écosophiquement inspirée des visions et de la créativité des peuples autochtones et de leurs alliés en passant par la SF selon Haraway, Stengers et Meillassoux.

Standing with the Earth
Aboriginal Cosmopolitics and Autochthon Solidarities
More and more activist movements struggling against the destruction of their living environments – especially because of the extractive industries that accelerate the climate change and poison the water and the air, – look for alliance and inspiration in the autochthon people, such as the Aborigines of Australia, whose vision of the Earth is not to deny nature on the pretext that it would have succumbed to human technologies. This article proposes to respond to the reduction of ontologies in anthropology with a “slow anthropology” that would be “standing with the Earth”, a slow anthropology based on a field experience, ecosophically inspired by visions and creativity of the autochthon people and of their allies, and by the Science Fiction according to Haraway, Stengers and Meillassoux.

La grandeur de l’infinitésimal. Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant, par

La grandeur de l’infinitésimal
Nuages de champignons, écologies du néant, et topologies étranges de l’espacetempsmatérialisant
Comment considérer l’unité de l’espace, du temps, et de la matière ? Comme « espacetempsmatérialisant ». Ce terme étrange a été fondu par l’éclair d’Hiroshima. Comme l’anthropologue Joe Masco nous y exhorte, « nous avons besoin d’examiner les effets de la bombe, non seulement au niveau de l’État-nation, mais aussi au niveau de l’écosystème local, de l’organisme, et, finalement, de la cellule ». Dès lors, quels outils d’analyse peut-on utiliser pour comprendre non seulement les enchevêtrements de phénomènes qui traversent les échelles, mais aussi la très itérative (re)constitution et sédimentation des configurations spécifiques de l’espace, du temps, et de la matière ? Comment finir pas comprendre qu’il n’y a pas de séparation entre le niveau micro et le niveau macro, qu’il n’y a pas de petite matière, que l’infinitésimal est grand, que le néant nous presse ?

No Small Matter
Mushroom Clouds, Ecologies of Nothingness, and Strange Topologies of Spacetimemattering
How can we consider the unity of space, time, and matter ? As “spacetimemattering”. This weird word melted when Hiroshima bomb detonated. As anthropologist Joseph Masco urges, “we need to examine the effects of the bomb not only at the level of the nation-state but also at the level of the local ecosystem, the organism, and ultimately, the cell”. Then, what analytical tools might we use to understand not merely the entanglements of phenomena across scales but the very iterative (re)constituting and sedimenting of specific configurations of space, time, and matter ? When and how will we understand that there is no separation between the micro level and the macro level, that there is not any small matter, that an infinitesimal is big, and that nothingness presses us ?

Excursus XI (Modelage de vie), par

Reza Negarestani
Excursus XI (Modelage de vie)
Après une brève présentation de l’artiste et philosophe iranien Reza Negarestani et de la réception de son livre Cyclonopedia : Complicity with Anonymous Materials (re.press, 2008) dans la nébuleuse du réalisme spéculatif, S. Labrecque présente la première traduction française de l’un des nombreux « excursus » de cet ouvrage. Le court texte intitulé « Modelage de vie » propose une conception à la fois séduisante et horrifiante de la « créativité lépreuse », qui demeure inassignable au divin comme à l’humain puisqu’elle concerne précisément l’affaissement, voire le pourrissement et le mélange boueux de ces deux plans qu’on tente parfois de distinguer sous les noms de transcendance et d’immanence, ou d’idéalité et de matérialité.

Excursus XI (Life Modeling)
After a short presentation of Iranian artist and philosopher Reza Negarestani and the reception of his book
Cyclonopedia: Complicity with Anonymous Materials (re.press, 2008) linked to the speculative realism nebula, we present the first French translation of one of the many “excursus” of this work. The short text entitled “Life Modeling” proposes a seductive and horrifying conception of “leper creativity”, which remains unassignable to the divine as to the human since it concerns precisely the collapse – even the rotting and the mixture – of these two planes that we sometimes try to differentiate under the names of transcendence and immanence, or of ideality and materiality.

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66. Multitudes 66. Elections 2017

67. Multitudes 67. Été 2017

Prévention, dissuasion, préemption. Changements de logiques de la menace, par

Prévention, dissuasion, préemption
Changements de logiques de la menace
Après avoir distingué trois types de stratégies visant à neutraliser une menace – la prévention, la dissuasion, la préemption – Brian Massumi analyse le fonctionnement et les implications de cette dernière, dans la façon dont l’administration de G.W. Bush l’a théorisée et implémentée dans sa « guerre contre le terrorisme ». À la fois épistémologie et ontologie à tendance auto-propulsive, la préemption est une logique opératoire du pouvoir qui définit notre époque politique de manière aussi insidieusement infiltrante et infiniment extensive que la logique de la « dissuasion » qui a défini l’époque de la Guerre froide. Cette analyse est de la plus grande actualité pour comprendre à quoi nous engagent les politiques menées désormais en France et en Europe au nom de la même « guerre contre le terrorisme ».

Prevention, Deterrence, Preemption
Transformations
in the Logics of Threat
After distinguishing three different strategies aiming at neutralizing threats—prevention, deterrence, preemption—Brian Massumi analyses the latter in its theorization and implementation during the G.W. Bush era. Both an epistemology and an ontology endowed with a self-propelling tendency, preemption is an operative logic of power defining a political epoch in as infinitely space-filling and insidiously infiltrating a way as the logic of deterrence defined the Cold War era. Such an analysis is extremely timely in order to understand the implications of the “War on Terror” currently waged by the French and many other European governments.

Effets disciplinaires du dossier informatisé dans l’accompagnement social de la précarité, par

Les défis méthodologiques de l’observation sociale, par

Les défis méthodologiques de l’observation sociale
Alors que plusieurs textes réglementaires de l’action sanitaire et sociale font référence à l’observation sociale, cette démarche reste peu mise en œuvre par les professionnel-le-s du travail social. L’institution joue un rôle essentiel dans l’impulsion et le soutien, sur le temps long, de cette démarche qui représente un enjeu important en termes de connaissances des publics concernés, mais aussi de revalorisation et de reconnaissance des savoirs des professionnel-le-s du travail social. Dès lors que l’observation sociale s’inscrit dans une démarche de co-production des savoirs, cette approche implique pour les travailleur-se-s sociaux de s’interroger non seulement sur leurs outils méthodologiques, mais aussi sur la nouvelle posture qu’il-elle-s devront négocier sur le « terrain ».

Methodological Challenges of Social Observation
While several official rules relative to sanitary and social work prescribe social observation, it is rarely mobilized by the professionals in the field. The institution plays a crucial role in promoting and supporting such studies in the long run, with important consequences in terms of knowledge, valorization and recognition of professional skills. As social observation implies procedures of co-production of knowledge, it engages social workers into a questioning of their methodological tools, as well as of the new attitudes they will have to negotiate in their fieldwork.

68. Multitudes 68. Automne 2017

Vers une politique du dividualisme, par

Vers une politique du dividualisme
L’individu de la gouvernance néolibérale mérite d’être envisagé comme un « dividuel » secoué par les rassemblements turbulents de tendances hétérogènes, divisé entre elles dans sa relation à soi. Du fait des urgences et des surcharges attentionnelles auxquelles il est soumis, l’intuition se substitue souvent chez lui au choix réfléchi et délibéré. C’est à des dividuels que s’adressent les techniques de priming (amorçage) par lesquelles les logiques néolibérales restructurent nos comportements. Comment parvenir à y identifier un contre-ontopouvoir immanent ? Comment en faire émerger une politique du dividualisme ? C’est dans une catalyse activiste qu’il faut reconnaître aujourd’hui un art affectif de la politique.

Towards a Politics of Dividualism
The individual produced by neoliberal governance ought to be identified as a “dividual”, set in tensions by a turbulence of heterogeneous tendencies, divided between them in his relation to himself. Because of the emergency and attentional overload to which he is exposed, intuition often substitutes for deliberate choice. Techniques of priming are addressed to such dividuals, in their attempt to restructure our behaviors along neoliberal injunctions. How can one identify immanent forms of counter-ontopower in such a situation? How can one help the emergence of a politics of dividualism? An activist catalysis may pave the way for an affective art of politics.

La Nouvelle-Calédonie fantôme, par

La Nouvelle-Calédonie fantôme
La Nouvelle-Calédonie se présente comme un territoire hétérogène marqué par le déploiement de contre-emplacements disciplinaires tels que le bagne, la réserve et la mine. Le présent article entend retrouver, à travers la formation de ces hétérotopies, ce qui module les identités, corrélativement au rapport à la terre, par le jeu insidieux des normes disciplinaires et régulatrices. Par-delà l’ethnologie qui s’attache à rendre compte de la primitivité du peuple kanak, on propose ici une mise à plat des préjugés, en revenant à la formation des identités colonisées. Le kanak n’est pas le contemporain de l’européen. C’est là une asymétrie temporelle qui s’apparie à une asymétrie spatiale pour dominer un peuple d’insoumis et lui prêter les traits du sauvage et du délinquant. Ce peuple et son territoire n’ont pas à être émancipés par la voie de la « modernisation » : ils appartiennent au présent et à l’avenir, n’en déplaise à ses détracteurs.

Ghostly New Caledonia
New Caledonia is a heterogeneous territory haunted by disciplinary counter-spaces like the penal colony, the reservation and the mine. This article attempts to retrieve, through such heterotopias, that which modulates identities, in correlation with the land, through the insidious play of disciplinary and regulating norms. An ethnological approach of the “primitiveness” of the Kanak people fights prejudices by revisiting colonized identities. The Kanak is not contemporaneous of the European. This temporary asymmetry parallels a spatial asymmetry staged to dominate this unsubjugated people in order to portray it as savage and delinquent. This people and its territory do not need to be emancipated by modernization; they belong to the present and the past, like it or not.

Politiser la jeunesse kanak, par

Existe-t-il des territoires kanak ?, par

Existe-t-il des territoires kanak ?
Depuis plusieurs décennies, la relation fusionnelle des Kanaks avec leur terre ancestrale a été mise en lumière par les sciences humaines. Mais s’agit-il pour autant de territoires, définis d’un point de vue occidental comme des espaces agis, appropriés et délimités par des frontières ? Dans la culture et les langues kanak, le terme de territoire n’existe pas selon cette acception. De la période pré-coloniale, où ils étaient apparentés à un réseau de lieux, de chemins et de géosymboles, jusqu’à la période coloniale, où l’administration a voulu les transformer en réserves, les territoires kanak ont subi de profondes recompositions, qui rendent nécessaires de nouveaux outils conceptuels : ceux de territorialité et de territorialisation.

Are There Such Things as Kanak Territories ?
Social sciences have studied for many decades the fusional relation Kanak people maintain with their ancestral land. But is it really accurate to talk about “territories”, in the Western definition of spaces structured, appropriated and limited by borders ? In the Kanak culture and languages, there is no word to designate territories according to this definition. From the pre-colonial period, when they were perceived as networks of places, paths and geosymbols, to the colonial times, where the Western administration attempted to transform them into reservations, Kanak territories have gone through major recompositions, which call for new concepts, like territoriality and territorialization.

Quand la mine transforme la territorialité kanak & réciproquement, par

Quand la mine transforme la territorialité kanak & réciproquement
La mine (le nickel) est devenue, en Nouvelle-Calédonie, un « fait social total ». Elle représente la première source de revenus du Caillou après les transferts sociaux de l’État. Si la mobilisation du lien à la terre reste le ressort privilégié des revendications qui émergent à l’interface du développement des activités minières, elle met en avant de plus en plus nettement la nature comme enjeu identitaire. Les contestations qui ont entouré la mise en œuvre du projet minier de Goro-Nickel se sont appuyées sur le droit international des peuples autochtones dans la protection de l’environnement pour contraindre l’industriel à mieux tenir compte des populations vivant à proximité des projets miniers. Ainsi, le fort développement économique lié à l’activité minière ces vingt dernières années n’a pas seulement contribué à transformer les pratiques de la territorialité kanak mais aussi à donner plus de visibilité à des revendications sur la place du monde kanak dans la pratique de la démocratie en Nouvelle-Calédonie.

When Mining Transforms Kanak Territoriality
& Reciprocally
Nickel mining in New Caledonia constitutes a total social fact. It is the first source of revenue after social redistribution by the State. If the mobilization of the relation to the land continues to play a fundamental role in the political claims raised around the development of the mining industries, nature increasingly appears as a crucial reference in terms of identity. The polemics raised by the Goro-Nickel project found support in the rights of indigenous people promulgated by International Law, and manage to force the company to pay attention to the needs of the populations living in the proximity of mining projects. The strong development of industrial mining during the last 20 years not only contributed to transform the practices of Kanak territoriality : they also increased the visibility of the claims concerning the place to be granted to Kanak people in the practice of democracy in New Caledonia.

Le débat sur le « moral bioenhancement » entre dressage & perfectionnement, par

Le débat sur le « moral bioenhancement » entre dressage & perfectionnement
Les discours et pratiques relevant de l’augmentation de notre volonté morale (moral enhancement) par voie médicamenteuse illustrent un cas où la volonté de réussir pousse la volonté à reconnaître ses limites physiologiques. Dès lors que nos choix résultent, entre autres choses, de certains taux de neurotransmetteurs dans nos cerveaux, l’absorption de certaines substances chimiques peut nous aider à « mieux vouloir », c’est-à-dire à choisir ce que nous ne choisissons pas spontanément, mais que nous devrions vouloir choisir, si notre désir (subjectif) pouvait s’aligner sur notre intérêt (objectif). Cette morale médicamentée prétend court-circuiter notre volonté spontanée pour imposer cet alignement par la force irrésistible de la chimie.

The Debate on Moral Bioenhancement between Taming and Perfectionism
The recourse to medication in order to enhance our moral will is displays an exemplary case wherein our will to succeed drives our will to face its physiological limits. Insofar as our choices result, among other factors, from the relative rates of neurotransmitters present in our brain, absorbing certain chemical substances can help us to “improve our will”, i.e., to choose what we would not spontaneously choose, but that we ought to choose if our (subjective) desire could align itself with our (objective) interest. This pharmaceutical brand of moralizing intends to short-circuit our spontaneous will in order to impose such an alignment through the irresistible force of chemistry.

Les media du XXIe siècle. Sensibilité mondaine & bouclages projectifs, par

Les media du XXIe siècle
Sensibilité mondaine & bouclages projectifs
Un nouveau type de media, propres au XXIe siècle, ne s’adresse plus à nos consciences, ni même à nos perceptions, mais vise à connecter automatiquement différents points de sensibilité du monde (y compris au sein de notre propre corps), sans plus s’adresser à des « sujets » humains. L’internet des objets a pour vocation de fonctionner tout seul, sans se laisser entraver par l’erratisme des volontés subjectives, ni ralentir par les aléas de délibérations collectives – comme une vaste architecture de choix agencés pour notre bien, mais par des programmes. C’est bien un nouveau type de médialité qu’il faut reconnaître ici, appelant de nouveaux types d’interventions.

21st-Century Media
Worldly Sensibility and Feed-Forward Agency
A new type of media, specific to the 21st Century, no longer address themselves to our awareness, nor to our perceptions, but aim at automatically connecting various points of sensitivity in the world (as well as in our bodies), short-circuiting the will and attention we have come to identify with our subjective self. The internet of things is designed to work by itself, without being disturbed by our erratic subjective wills and without being delayed by the unpredictable outcomes of collective deliberation. 21st-century media set in place a vast architecture of choices, reputed to be run by algorithms for our own good. This new type of mediality calls for new modes of understanding and political action.

69. Multitudes 69. Hiver 2017

E la nave va…
Notes sur la nature de la démocratie européenne, par

E la nave va…
Notes sur la nature de la démocratie européenne
L’Union Européenne vit sous un régime de démocratie représentative de type fédéral dont la particularité est d’être en vigueur dans un État qui n’est pas fédéral. Les critiques qui l’accablent aujourd’hui sont en grande partie liées aux ambiguïtés et aux impasses qu’engendre l’enchevêtrement, pas toujours très clair, des pouvoirs actuellement exercés par le Parlement, la Commission et le Conseil. Une autre partie de la critique est plus tranchante : elle récuse le principe même de la construction européenne en l’accusant d’instituer un déni de démocratie. Trois arguments étayent ce réquisitoire : le premier pointe la perte de souveraineté nationale ; le second le manque de représentativité des élus ; le troisième le déficit de légitimité des autorités en place. Des révisions apportées à chacun de ces trois facteurs permettraient-elles de conforter la démocratie dans le cadre européen ?

E la nave va…
Notes on the Nature of the European Democracy
The European Union lives under a federal system of representative democracy, the particularity of which is that it operates in a non-federal state. Much of the criticism levelled at it is related to the ambiguities and impasses created by the not always clear tangle of powers currently exercised by the Parliament, the Commission and the Council. Another part of the criticism is more trenchant: it challenges the very principle of European integration, accusing it of instituting a denial of democracy. Three arguments underpin this indictment: the first points to the loss of national sovereignty; the second to the lack of representativeness of elected representatives; and the third to the lack of legitimacy of the authorities in place. Would revisions to each of these three factors make it possible to strengthen democracy in the European context?

Externalités africaines, par et

Externalités africaines
Cet article d’ouverture donne les clés de la métaphore de l’externalité qui résume les formes et forces de la réinvention de l’Afrique contemporaine. Elle s’élabore par des techniques politiques, financières, juridiques, numériques, socio-culturelles particulières, innovantes ou régressives, qui relèvent tout à la fois de la sédimentation historique et de la projection dans le futur. L’extraction coloniale, l’extraversion mondiale riment avec le désir d’externalité des multitudes africaines pour se projeter vers l’extérieur, pour s’exiler vers l’ailleurs et l’au-delà et pour conquérir l’autonomie, l’émancipation et la liberté. Alors le politique devient en Afrique un champ d’expérimentation où se mêlent douloureusement l’imaginaire et le concret, la mémoire et le progrès, le local et le transnational, l’État et le coutumier, le pré-colonial et le numérique.

African Externalities
This introductory article provides the keys to the metaphor of externality which summarizes the forms and forces of reinvention in contemporary Africa. This reinvention comes through political, financial, judicial, digital and socio-cultural techniques, innovating or regressive, which simultaneously illustrate historical sedimentations and projections in the future. Colonial extraction and global extraversion accompany a desire for externality among African multitudes eager to project themselves outwards, in direction of exile, to coquer autonomy, emancipation and freedom. In Africa, politics becomes a field of experimentation where the imaginary and concrete reality, the local and the transnational, the State and common law, the pre-colonial and the digital painfully intermingle.

L’État et le coutumier au nord du Mozambique, par

L’État et le coutumier au nord du Mozambique
Rémanences
Cet article décrit la nouvelle articulation entre l’appareil d’État et le domaine du « coutumier » dans le nord du Mozambique à partir de deux événements concomitants : un rituel funéraire en l’honneur d’un ancien chef et un rallie électoral du FRELIMO. La reconnaissance de la chefferie et du coutumier par l’État, demandée par les donateurs internationaux, met fin à des décades d’exclusion des autorités indigènes. Pourtant celles-ci demeurent, et leur ascendant local sur les populations semble pouvoir être mis au service de l’État, malgré leur compromission dans les violences passées.
The State and the Customary in North Mozambique
Remanence
This essay presents a history of articulations between the state apparatus and the realm of the “customary” in northern Mozambique, throughout periods of colonial rule, socialism, civil war, and postcolonial democratic regimes. The analysis pivots around the ethnographic study of magico-religious rituals combined with postsocialist political rallies. In Mozambique, current recognition of chieftaincy and the “customary” by the state, supported by international donors, reverses decades of postcolonial ban on indigenous authority and practice. This peculiar case presents a paradigmatic perspective on the complex trajectory of indigeneity in postcolonial Africa, where local autochthonous structures and identities are entangled within a history of colonial violence, political oppression, and recent harsh conflict.

Précarité africaine, par

Précarité africaine
Pour une généalogie et une critique
La norme du travail salarié à plein temps n’a jamais réussi à s’imposer en Afrique, pas plus que l’éthique du consumérisme fondée sur l’épargne à long terme. Elle sert pourtant de référence aux projections économiques des leaders nationalistes et aux gouvernements postcoloniaux, ainsi qu’aux politiques d’ajustement structurel de la Banque Mondiale. Il en résulte un maintien des modalités d’exploitation coloniale et une incapacité à proposer une vision de l’économie originale, fondée sur les réalités du continent. La précarité représente de ce point de vue une modalité de résistance, une fuite potentiellement émancipatrice. Cependant, la récente théorisation de la précarité en Europe échoue à proposer un modèle alternatif parce qu’elle s’ancre dans l’impératif du travail. Seuls les discours religieux autorisent d’autres représentations et ils sont dès lors largement mobilisés en Afrique.

African Precariousness
For a Genealogy and a Critique
The norm of full-time wage labor never imposed itself on Africa, nor did a consumer esthics based on long-term savings. It remains nevertheless as the main reference within economic projections of African political leaders, postcolonial governments and structural adjustment policies promoted by the World Bank. The result is a continuation of colonial modes of exploitation and an incapacity to envisage a vision of economics truthful to African realities. Precariousness can thus be seen as a mode of resistance, a potentially emancipatory line of flight. However, the European theorizations of precariousness fail to propose a truly alternative model, since they hang on to the imperative of wage labor. Only religious discourses foster alternative representations, and they are massively mobilized in Africa.

La logique de Nuremberg ne s’applique pas à l’Afrique, par

La logique de Nuremberg ne s’applique pas en Afrique
Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, les vainqueurs ont voulu punir les responsables de l’Holocauste et s’assurer par là du non-retour des violences de masse. Les procès se tenaient au nom des victimes mais celles-ci s’étaient vu donner un territoire propre, Israël, où elles pouvaient se tenir à l’écart de leurs bourreaux. En Afrique, les puissances occidentales ont prétendu tenir le même discours avec la Cour pénale internationale, mais elles attaquaient en même temps militairement ce qui restait des milices armées. Surtout, victimes et bourreaux furent condamnés à continuer de vivre ensemble, à reconnaître leurs fautes et à aménager leurs droits et devoirs respectifs, ce à quoi s’est consacré la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (CODESA) avant même la libération de Mandela, la fin officielle de l’Apartheid et la mise en place de la Commission de Vérité et de Réconciliation. Elle eut donc un rôle politique pionnier.
The Logic of Nuremberg Does Not Apply in Africa
The nations who won World War II made sure the perpetrators of the Holocaust would be punished and their victims protected, and given a voice during a trial. A safe and distant territory, Israel, was provided so that they could escape their oppressors. In Africa, the West pretended to do the same with the International Court of Justice, while they were attacking what was left of the armed militias. But victims and perpetrators were bound to live together, to acknowledge their crimes, to devise duties and rights, as hammered out by the Convention for a Democratic South Africa (CODESA) even before the freeing of Nelson Mandela, before the end of apartheid and before the Truth and Reconciliation Commission. It played a truly pioneering political rôle.

Afrocomputation, par et

Afrocomputation
L’explosion des usages des techniques de communication en Afrique puise ses racines dans l’imaginaire pré-colonial, qui portait sur l’extension du monde au-delà du perceptible, du corporel, du conscient. Dans cette cosmogonie, les objets techniques et artefacts étaient doués d’une vitalité qui en faisaient des interfaces, des seuils à transgresser pour accéder aux horizons infinis de l’univers, dans une sorte de transmutation. Le téléphone portable et Internet parlent à l’inconscient archaïque et aux mémoires techniques des sociétés africaines, leur permettant de passer sans transition de l’âge de pierre à l’âge numérique. L’Afrique était déjà numérique à une époque pré-numérique, car les sociétés africaines se sont constituées par la circulation et le mouvement, inscrits dans les mythes africains de l’origine. Qui dit migration dit expérience de la nouveauté, plasticité permanente, extension du possible. Cette souplesse et cette aptitude à l’innovation constante, c’est aussi l’esprit d’Internet et du numérique.

Afrocomputation
The explosion of uses of communication techniques throughout Africa has roots that go deep into the pre-colonial imaginary, which extended its world beyond the perceptible, the corporeal, the conscious. In this cosmogony, technical objects and artefacts were endowed with a vitality generating interfaces, thresholds to transgress in order to reach the universe’s infinite horizons. Smartphones and the Internet speak to this archaic unconscious as well as to the technical memories of African societies, allowing them to move without transition from the stone age to the digital age.Africa was digital before the digital age, as African societies were constituted by circulation and movement, written in the myths of origins. Migration means a readiness to experience novelty, permanent plasticity, extension of the possible. This subtle aptitude constantly to innovate also animates the spirit of the Internet and of the digital.

L’intermédiation algorithmique, pourquoi maintenant ?, par et

L’intermédiation algorithmique, pourquoi maintenant ?
L’adoption des technologies numériques accroît la densité du réseau de communication entre humains, appareils et institutions. Le numérique contribue à l’émergence de nouvelles temporalités et de nouveaux modes d’organisation, facilitant les échanges directs entre acteurs ainsi qu’une utilisation frugale des ressources. Cette transformation est contemporaine de la fin de l’abondance, avec des ressources naturelles essentielles qui deviennent rares. Est-ce une coïncidence? Dans les écosystèmes naturels, la pénurie des ressources favorise la reproduction sexuée, augmentant ainsi la complexité du réseau d’interactions, faisant écho aux interdépendances croissantes du monde numérique. La rareté des ressources pourrait-elle favoriser la montée en puissance des plateformes numériques, dans une boucle de rétroaction positive.

Algorithmic Intermediation, why now ?
The adoption of digital technologies increases the density of the communication network between humans, machines and institutions. The digital contributes to the emergence of new temporalities and new modes of organization, facilitating direct exchanges between actors and a potentially frugal use of resources. This transformation is contemporary with the end of abundance, with essential natural resources becoming scarce. Is this a coincidence? In natural ecosystems, scarcity of resources promotes sexual reproduction, thus increasing the complexity of the network of interactions, echoing the growing interdependencies of the digital world. Could scarcity of resources support the rise of digital platforms in a positive feedback loop?

Le stade esthétique de la production / consommation et la révolution du temps choisi, par

Le stade esthétique de la production /consommation et la révolution du temps choisi
À partir d’une relecture de quelques textes de Jean Baudrillard, l’article retrace les étapes de l’élargissement du paradigme du travail au temps prétendument « libre » des loisirs, devenu un pilier essentiel de l’économie contemporaine et du « capitalisme artiste ». Après une discussion de L’esthétisation du monde de Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, la lecture d’André Gorz permet d’envisager une sortie des paradoxes et de l’appauvrissement de l’expérience entraînés par le lien indissociable entre « temps de travail » et « temps des loisirs » (tous les deux contraints), dans la perspective utopique (mais désormais concrètement réalisable) d’une « révolution du temps choisi ».

The Aesthetical Stage of Production /Consumption and the Revolution of Chosen Time
Starting from a re-reading of some of Jean Baudrillard’s texts, the paper redraws the stages of the extension of paradigm of the work to the allegedly “free” time of leisure activities, which is becoming an essential pillar of the contemporary economy and of “artist capitalism”. After a discussion of Gilles Lipovetsky and Jean Serroy’s “Aesthetization of the World”, a reading of André Gorz’s work allows us to envisage an exit of the paradoxes and impoverishment of the experience pulled by the inseparable link between “working time” and “leisure time”, in the utopian prospect (but from now on concretely achievable) of a “revolution of chosen time”.

De la douceur musicale comme faux positif du présentisme contemporain, par

Les involontaires de la patrie, par

Les involontaires de la patrie
À rebours des politiques indigénistes, ce manifeste appelle à la résistance/rexistence de tous les indigènes du Brésil, qu’ils soient indiens ou non, de tous les pauvres et opprimés natifs de cette terre qui en ont été lentement et sûrement dépossédés par l’État pour en faire des « citoyens » assujetis, exploités, surveillés, assistés. Car pour l’auteur, appartenir à la terre au lieu d’en être propriétaire est ce qui définit l’indigène. Alors, le processus de brésilianisation, qui a commencé par la « désindinisation » des Indiens, n’a eu de cesse de séparer tous les indigènes de leur relation organique à la terre, le sol d’un baraquement de favela ou le jardin d’une arrière-cour, pour en faire des travailleurs ou des soldats. C’est pourquoi la lutte des Indiens est celle de tous les indigènes brésiliens, qu’ils soient pauvres, blancs, noirs, métis, LGBT ou femmes.

The Un-Volunteers of the Fatherland
To the opposite of indigenist politics, this manifesto calls for the resistance/rexistence of all indigenous people living in Brazil, Indian or not, of all the poor and oppressed natives who have been dispossessed of this land by the State, so that they would become submissive « citizens », exploited, watched-over, assisted. According to the author, being indigenous means belonging to a place, rather than owning it. The process of Brazilianization, which started with the dis-indianization of Indians, has persistently separated the indigenous from their relation to their territory, from the floor of their favela shack or from the garden of their backyard, in order to tranform them into workers and soldiers. That is why the Indians’ struggle is the struggle of all of Brazil’s indigenous people, whether they are white, black, mixed-blood, LGBT or women.

L’avenir est un champ de bataille, par et

L’avenir est un champ de bataille
Réflexion sur une forme spécifique de conflictualité sociale
Cette contribution, à l’interface de la sociologie et de la philosophie politique, s’interroge sur le type de conflictualité sociale dont le temps, et plus particulièrement l’imagination du futur, peut être l’opérateur. Nous vivons, en effet, à une époque de remise en cause radicale, dans l’ordre de la pensée et de la pratique conflictuelle, du slogan tant philosophique que politique TINA (There Is No Alternative). Or une telle remise en cause, dont Nuit debout est une manifestation organique, en ce qu’il a conduit des milliers de citoyens ordinaires à s’interroger sur le type de futur démocratique dont ils voulaient être les acteurs, a sa propre histoire. Cet article en ponctue quelques jalons, entre la philosophie (Bloch, Benjamin) et la sociologie (Elias), en montrant en quoi cette archéologie du « possible » permet de comprendre les usages contestataires du temps qui ont vu le jour sur la Place de la République entre avril et juillet 2016.

The Future is a Battlefield
Reflection on a Specific Form of Conflictuality
This contribution, at the interface of sociology and political philosophy, questions the type of social conflictuality revolving around time, and more particularly around the imagination of the future. We live, indeed, in a age of radical questioning of the philosophical and political slogan “There is no alternative”. But such a questioning – of which Nuit debout was an organic manifestation, inofar as it led thousands of ordinary citizens to put into question the type of democratic future of which they wanted to be the actors – has its own history. This article revisits some milestones of this history, between philosophy (Bloch, Benjamin) and sociology (Elias), showing how this archeology of the “possible” helps to understand the contesting uses of time that have come to light on the Place de la République between April and July 2016.

Les politiques publiques locales à l’épreuve des disjonctions temporelles, par

Les politiques publiques locales à l’épreuve des disjonctions temporelles
Cette contribution analyse le décalage croissant entre la montée des désynchronisations temporelles en France et la faible prise en compte de ce phénomène au sein des politiques publiques locales. Quelques données statistiques soulignent l’aggravation des inégalités entre individus pour maîtriser les rythmes individuels et collectifs engendrés par l’accélération des activités professionnelles et personnelles. L’article analyse ce décalage sous deux angles : d’une part, une insuffisante prise en compte des « espaces-temps » dilatés par le monde politique ; d’autre part, une insuffisante prise en compte des propositions des citoyens qui, en s’appuyant sur leurs capacités d’articulation des usages quotidiens de leurs territoires, peuvent enrichir des politiques locales en s’appuyant sur des interfaces tels que les Bureaux des Temps.

Local Public Policies Put to the Test of Temporal Disjunctions
This paper analyzes the increasing discrepancy between the higher levels of desynchronization observed across France and the insufficient responses to this phenomenon at the level of local public policies. Statistical data stress the worsening of inequalities when dealing with the collective and individual rhythms generated by the acceleration of professional and personal activities. The paper analyzes this discrepancy from two points of view : first, an insufficient taking into account of the dilated “spaces-times” on the part of political agents ; then, the insufficient taking into account of propositions made by the people themselves who based on their daily use of their territory, can improve local policies with interfaces such as the Offices of Time.

Politisations du temps à l’ère de l’instabilité, par

Politisation du temps à l’ère de l’instabilité
L’accélération de l’instabilité du monde est patente. Elle concerne aussi bien la désorganisation croissante des échelles du vivant, la raréfaction des ressources, la numérisation de nos moyens et conditions d’existences, un nouvel âge géologique communément dit « Anthropocène » – quelque critique soit l’emploi de ce terme qui convertit l’approche chronotopique en stade paradigmatique, millénariste, alors que la manière dont nous voyons le monde, nous mêlons à lui, est déjà le signe d’une hybridation entre technosphère et biosphère. Cet essai porte sur les manières de répondre aux instabilités dans un monde qui semble s’être accéléré, mais qui s’est avant tout pluralisé. Cependant, cette pluralité ne doit pas faire oublier la destruction accélérée des mondes sociaux-environnementaux, et la grande difficulté de la construction de résistances.

The Politization of Time in the Age of Instability
The acceleration of the instability of the world is obvious. It concerns the increasing disorganization of life-scales, the scarcity of resources, the digitization of our means and conditions of existence, a new geological age commonly known as the “Anthropocene”, a problematic term which converts the chronotopic approach in a paradigmatic, millenarian stage, whereas the way we see the world and mingle with it is already the sign of a hybridization between technosphere and biosphere. This essay focuses on various ways to respond to instabilities in a world that seems to have accelerated, but which has become more pluralistic. However, this plurality must not blind us to the accelerated destruction of the social-environmental worlds, nor to the great difficulty of the construction of resistances.

Économie & discordance des temps, par et

70. Multitudes 70. Printemps 2018

Hawad, le Mage des déserts, par

Hawad,
Le Mage des  déserts
Furigraphie
Ce texte sur la poésie de l’Amazigh (i.e. « berbère ») nigérien Hawad (Prix international Argana 2017 de la poésie, Maroc) dissémine, pour la reconfigurer, une épistémologie déterritorialisée des « extrémités de la douleur ». « La douleur d’être déplacés. Déplacés par la force dans le cas des Noirs d’Amérique. On les a arrachés à eux-mêmes. L’ogre, qui avait besoin de leur chair, les a amenés dans son centre, dans son cadre, pour bien les manger. C’est la même chose pour les nomades ». Les dits, les écrits et la peinture d’Hawad donnent à voir le degré atteint par la dépossession tous azimuts des puissances processuelles de la condition amazighe et, par ricochet, de l’Afrique actuelle et de ses diasporas. La poésie d’Hawad arrache les multitudes humaines dites « autochtones » ou « indigènes » à leur réduction « subalternisante ».

Hawad, The Deserts’ Wise Man
Furigraphie
This text about the poetry of the Amazigh Nigerien writer Hawad (who won the 2017 Argana International Prize for Poetry in Morrocco) disseminates a deterritorialized epistemology of “extreme pains”, in order to reconfigure it. “The pain of being displaced. Displaced by violence in the case of African-Americans. They have been torn from themselves. The Oger, which needed their flesh, brought them to his center, into his frame, better to eat them. The same thing affects the nomads.” Hawad’s words, writings and paintings display the high degree of disposession of the processual powers of the Amazigh condition, which can be extended to contemporary Africa at large, as well as to its diasporas. Hawad’s poetry pulls the so-called “indigeneous” human multitudes away from their reduction to mere “subalterns”.

Et si ce n’était même plus du capitalisme, mais quelque chose d’encore bien pire ?, par

Et si ce n’était même plus du capitalisme, mais quelque chose d’encore bien pire ?
Le capital a pensé trouver le moyen d’esquiver la confrontation avec les travailleurs en se fiant au vecteur d’information. La mondialisation, la désindustrialisation et la sous-traitance permettraient de s’affranchir du pouvoir dont disposaient les travailleurs pour bloquer les flux de la production. Il est temps, toutefois, de se demander si ce qui est apparu en plus et au-dessus du mode de production capitaliste ne serait pas quelque chose de qualitativement différent, qui se trouve en train de générer de nouvelles formes de domination de classe, de nouvelles formes d’extraction de plus-value, voire même de nouveaux types de formation de classe. De même que le capital a dominé la propriété foncière, subsumant son contrôle sur la terre dans une forme de propriété plus abstraite et fongible, de même la classe vectorialiste a subsumé et débordé le capital en s’appuyant sur une forme plus abstraite de valorisation.

What if this is not even capitalism any more, but something  worse?
Capital thought it found it by escaping from labor along the information vector. Globalization, deindustrialization, and outsourcing would enable it to be free from the power of labor to block the flows of production. We should now ask whether what has emerged, in addition to and on top of a capitalist mode of production, is something qualitatively different, but which generates new forms of class domination, new forms of the extraction of surplus, even new kinds of class formation. Just as capital came to dominate landed property, subsuming its control over land in a more abstract and fungible property form, so too the vectoralist class has subsumed and outflanked capital in a more abstract form.

La construction du commun comme politique post capitaliste, par

La construction du  commun comme politique post‑ capitaliste
Aujourd’hui la planète est confrontée à l’absence de gestion de communs vitaux tels que l’air, le climat, l’eau. Il importe de construire des modalités collectives de gestion de ces communs, impliquant le maximum de parties prenantes. Pour cela, il faut sortir du capitalocentrisme, parallèle au phallocentrisme dénoncé par les féministes, pour lequel le commun serait engendré inévitablement par les contradictions du capitalisme. Il vaut mieux analyser la manière dont le commun se construit progressivement en mettant une ressource en commun quel que soit le régime de propriété. Trois exemples sont donnés : la qualité de l’air dans une ville australienne jouxtant une mine de charbon, où habitants et industriels ont reconnu peu à peu la nécessité de prévenir la pollution ; la menace sur la couche d’ozone qui a été conjurée à la fois par le Protocole de Montréal de 1985 et par une multitude d’actions en ce sens ; le développement des installations solaires domestiques par les citoyens australiens. À chaque fois une communauté d’acteurs s’est formée transversalement aux lignes de clivages de classe, et c’est une prolifération de ces communautés qui peut mettre l’énergie, l’atmosphère et d’autres ressources planétaires en commun. Il faudrait cependant que cette politique ait un nom, pour lequel l’article propose « La construction du commun ».

Commoning as a postcapitalist politics
Today the planet faces a genuine tragedy of the unmanaged “commons” (like air, climate, water). In this article, we explore how the process of commoning offers a politics for the Anthropocene. To reveal the political potential of commoning, however, we need to step outside of the capitalocentric ways that the commons have generally been understood, and that feminist thinkers have denounced as parallel to phallocentrism. We argue that commons can be conceived of as a process—commoning—that is applicable to any form of property, whether private, or state-owned, or open access. We turn to three examples from the past and the present that provide insights into ways of commoning the atmosphere (air quality in an Australian town, the international response to the threat on the ozone layer, the development of domestic solar energy by Australien citizens). We reveal how a politics of commoning has been enacted through assemblages comprised of social movements, technological advances, institutional arrangements and non-human “others.”

Géopolitique des masses, par

L’hétéromation, par et

L’hétéromation
La numérisation de l’économie –  comme de la vie quotidienne  – a transformé la division du travail entre humains et machines, versant beaucoup de gens dans du travail qui est à la fois caché, mal payé ou accepté comme incombant à « l’usager » de la technologie digitale. À travers clics, balayages, connexions, profils, emails et courriers, nous sommes les participants plus ou moins volontaires à des pratiques digitales dont la valeur profite à d’autres, mais peu ou pas à nous. Hamid Ekbia et Bonnie Nardi nomment hétéromation ce type de participation : l’extraction de valeur économique au moyen de travail pas cher ou gratuit caché sous des apparences d’automation algorithmique. Ils explorent ici les processus sociaux et technologiques par lesquels la valeur est extraite du travail numérisé.

Heteromation
The computerization of the economy—and everyday life—has transformed the division of labor between humans and machines, shifting many people into work that is hidden, poorly compensated, or accepted as part of being a “user” of digital technology. Through our clicks and swipes, logins and profiles, emails and posts, we are, more or less willingly, participating in digital activities that yield economic value to others but little or no return to us. Hamid Ekbia and Bonnie Nardi call this kind of participation—the extraction of economic value from low-cost or free labor in computer-mediated networks—“heteromation.”

L’hétérarchie de l’intellect général, par

L’hétérarchie de l’intellect général
Cet article élabore le problème de la structure de l’Intellect Général, dont la théorie se développe dans le mouvement intellectuel post-opéraiste. Synonyme de la capacité cognitive de la société, qui peut soit ouvrir la voie d’une libération, soit être exploité par le capitalisme, l’Intellect Général est à la fois une capacité de la société à analyser, à poser des objectifs et à produire, et un corps virtuel composé topologiquement par les connexions sociales entre « la multitude de singularités corporelles ». Ici l’Intellect Général est analysé comme une propriété de cette structure de connexion sociale, nommée comme l’hétérarchie. L’hétérarchie est un ensemble, dont les différentes parties se lient comme autant d’ensembles singuliers et contribuent à ses changements, sans pouvoir être réduites à un système de valeurs unique, transitif et cohérent. L’argument principal de cet article est que, si l’Intellect Général peut dénoter la capacité auto-organisationnelle de la société, il est impossible de l’identifier avec une organisation institutionnelle unique ou avec un régime politique cohérent et englobant.

The Heterarchy of the General Intellect
This paper explores the problem of the structure of General Intellect. Given as a synonym of the cognitive capacity of a society, a capacity which may either provide liberation from capitalism or be exploited by the capitalistic organisation of society, General Intellect is analyzed as a property of a social connection structure, named here as heterarchy. As a connection structure, heterarchy forms different kinds of singularities: aggregations made by statistical repetitions of relations and individual egos making values through their goal setting and other intellectual activity. The main argument of the article is that, though to some extent General Intellect may denote capacity for the self-organization of society, it is nevertheless difficult to identify it with only one particular institutional organisation or political regime. General Intellect appears in any type of social structuring through self-organizing processes.

Le travail des lignes, par et

Le travail des lignes
Cet article est à la fois l’aboutissement de quelques lignes de réflexion sur la mondialisation et l’ébauche encore précaire d’un projet plus ambitieux de recherche sur le travail des lignes. La question centrale est celle du travail des lignes. Dans une première partie on discute les lignes mobilisées par Carl Schmitt pour saisir le nomos de la terre. À partir des lignes du souverain, on déplace l’attention sur les lignes non étatiques dessinées par la liberté des mers et la liberté des commerces maritimes. Cela nous amène aux lignes mouvantes de déterritorialisation et de reterritorialisation pour appréhender le nomos obscur qui perce toute sorte de murs, un désert qui se propage à l’intérieur du nomos dominant. Pour terminer, on revient sur les dynamiques de la globalisation pour mettre en son centre non plus les océans d’eaux, mais le novissimo nomos de la terre déterritorialisée qui gouverne les océans d’argent. Les lignes de ce novissimo nomos se dessinent entre l’émergence incontournable de la Chine et le rythme des algorithmes.

The labour of lines
This article is both the culmination of some lines of reflection on globalization and the still precarious draft of a more ambitious project of research on the labour of the lines. The central question is that of the labour of the lines. In a first part we discuss the lines mobilized by Carl Schmitt to seize the nomos of the earth. From the lines of the sovereign, attention is shifted to the non-state lines drawn by the freedom of the seas and the freedom of the maritime trades. This brings us to the moving lines of deterritorialization and reterritorialization to apprehend the obscure nomos that pierces all kinds of walls, a desert that spreads within the dominant nomos. Finally, we return to the dynamics of globalization to put in its center no longer the oceans of waters but the novissimo nomos of the deterritorialized land which governs the oceans of money. The lines of this novissimo nomos are drawn between the inevitable emergence of China and the rythm of the algorithms.

Il faut danser, en dansant, par et

Il faut danser, en dansant
Essai de fabulation spéculative
En cherchant à suivre la vie des lignes, et en les considérant comme des processus de correspondence (Tim Inglod), cet article propose de tisser ces lignes avec quelques autres lancées par Donna Haraway et Isabelle Stengers. Dessins, peintures, films et animations sont quelques-unes des façons avec lesquelles est tentée une anthropologie graphique ou une anthropologie « à travers le design », selon Ingold. Dans cet essai de fabulation spéculative, qui prend appui sur l’œuvre d’Ilana Paterman Brasil et sa rencontre avec Maria Eni Moreira, membre d’un terreiro dans la zone nord de Rio, les lignes sont abordées comme des alliances ou des pratiques de correspondance. L’artiste articule art, design, cinéma, animation et observation participante pour animer les danses traditionnelles de candomblé. Avec ce travail, les auteures revendiquent la possibilité de réaliser d’autres modes de recherche en design, en lien avec l’anthropologie mais aussi en lien avec celles et ceux que l’université a tenu à mettre de côté et oublier.

It is necessary to dance, while dancing
Essay of speculative fabulation
By following the life of lines and considering them, like Tim Ingold, as practices of correspondence, this article proposes to weave these lines with a few others, launched by Donna Haraway and Isabelle Stengers. Drawings, paintings, films and animations are some of the means by which is rehearsed a graphic anthropology or anthropology “by means of design”, as proposed by Ingold. In this essay of speculative fabulation, taking as a starting point the work of Ilana Paterman Brasil and her meeting with Maria Eni Moreira, a member of a “terreiro” at the north suburnban area of Rio, line are considered as alliances or practices of correspondence. The artist articulates art, design, film, motion graphics and participant observation to animate traditional dances of candomblé. Within this work, the authors reclaim the necessity to experiment other means for design research, with both anthropology and those who the university aims to move away and forget.

71. Multitudes 71. Spécial mai 2018

La démocratie comme enquête et comme forme de vie, par

La démocratie comme enquête et comme forme de vie
La notion de forme de vie se retrouve aujourd’hui dans des contextes théoriques divers – Théorie critique, Wittgenstein, biopolitique, étude des styles et anthropologies de la vie. Elle permet de penser de nouvelles formes de critique et d’éthique dans un monde touché par le changement global et la radicalisation des inégalités sociales, sanitaires et environnementales. Au-delà de la vulnérabilité des formes de (la) vie humaine, apparue en situations de désastre ou de dénuement, le concept de formes de vie s’est également développé à l’articulation du social et de la vie pour décrire les diverses façons de faire inventivité et créer de nouvelles formes de vie. Cette présentation vise à rendre compte de la transformation en cours que signale cet usage dans des domaines tels le travail, la critique sociale ou l’innovation démocratique et les lieux où s’expérimentent de nouvelles formes de vie démocratique.

Democracy as an investigation and a form of life
The notion of form of life is actually found in various theoretical contexts – Critical Theory, Wittgenstein, biopolitics, study of styles of life and anthropology of life. It makes possible to think of new forms of criticism and ethics in a world affected by global change and radicalization of social, health and environmental inequalities. Beyond the vulnerability of the forms of (the) human life, sprung in situations of disaster or bareness, the concept of forms of life has also developed at the articulation of the social and the life, to describe the various ways of doing inventiveness and creating new forms of life. The purpose of this presentation is to report on the ongoing transformation of the use of this concept in areas such as work, social criticism or social innovation, as well as place where new forms of democratic life are experimenting.

La question démocratique., par

La question démocratique
Politique et forme de vie
Si le système de gouvernement représentatif a perdu une grande part de sa légitimité, c’est que les personnes qui font l’expérience des manières ordinaires d’exercer les droits et devoirs attachés à leur statut de citoyen ont développé une conception du politique qui leur permet de porter des jugements sur l’action des pouvoirs publics, de contester la façon dont ceux-ci assurent le bien commun, et de revendiquer de nouveaux droits. Au lieu de considérer la disparition du consentement aveugle des gouvernés comme une preuve d’infantilisme ou d’irrationalité, il faut y voir l’extension de la vigilance des citoyen.ne.s à l’égard de ceux et celles qui les représentent. Cette vigilance tient sa légitimité de l’idée de démocratie comme forme de vie. La question démocratique, telle qu’elle se pose aujourd’hui, est celle de la reconnaissance de la capacité politique pleine et entière des citoyen.ne.s, à laquelle la pensée de l’antidémocratie s’oppose de façon obstinée. C’est à cette pensée qu’il faut donc renoncer.

The democratic question
Politics and life form
If the system of representative
government has lost much of its
legitimacy, it is because people who experience ordinary ways of exercising the rights and duties attached to their citizenship have developed a conception of politics that makes it possible to make judgements about the action of public authorities, to dispute the way in which they insure the common good and to claim new rights. Instead of considering the disappearance of the blind consent of the governed as a proof of infantilism or irrationality, it must be seen as an extension of the vigilance of citizens towards those who represent them. This vigilance derives its legitimacy from the idea of democracy as a form of life. The democratic question, as it is posed today, is that of the recognition of the full political capacity of the citizens, to which anti democracy thinking stubbornly opposes. It is to this thought that we must renounce.

Faire advenir des vies possibles, par

Fondations liquides., par

Fondations liquides
L’abstraction financière
au risque de la fuite des investis
Cet article cherche à comprendre ce qui arrive lorsque les investis – ceux qui ont contracté une dette immobilière ou un crédit – se désinvestissent du contrat déontologique implicite de l’endettement. Que se passe-t-il lorsque ceux qui ont emprunté pour consommer choisissent le défaut de paiement comme une stratégie plus rentable que le remboursement ? Lorsque des incertitudes liées aux contrats ou aux titres de propriété conduisent à des transgressions massives d’attentes de re-paiement ? Lorsque ceux qui sont chargés d’une dette étudiante préfèrent disparaître et se cacher plutôt que faire face à leurs obligations irrémissibles ? Voilà quelques-unes des stratégies auxquelles ont eu recours, en masse, des investis au lendemain de la crise financière de 2008. Cet article tente de montrer que la vision dominante des marchés financiers, une vision monologique, doit être remplacée par une compréhension dialogique des relations entre investisseurs et investis, au sein de laquelle le consensus ne peut plus être traité comme acquis.
The Strategy of Default
Liquid Foundations in the House of Finance
This article investigates what happens when personal investors disinvest from the implicit deontic contract of indebtedness. What happens, when consumer debtors begin to default strategically, before due time? When the uncertainty of contract, title and ownership leads to mass trespass? When student debtors decide to abscond rather than pay off loans that cannot be discharged in bankruptcy? These are some of the strategies that personal debtors have resorted to, en masse, in the “aftermath” of the financial crisis. This article argues that the monological vision of financial markets needs to be replaced by a dialogic understanding of debtor and creditor relations which does not treat consensus as a given.

Le revenu universel, condition d’une finance post-capitaliste, par

Le revenu universel, condition d’une finance post‑capitaliste
À la lecture de l’ensemble des contributions de cette majeure, Dériver la finance, quelques questions se posent. La blockchain qui consigne toutes les transactions au sein d’une communauté délocalisée de hackers, dit « mineurs », est-elle utilisable plus largement ? La recherche d’un surplus systématique peut-elle alimenter une multiplicité de valeurs ? Un revenu universel n’est-il pas une condition de base pour cet investissement tous azimuts dans la cyber-économie ? Comment se partage la formation nécessaire pour y participer ? Que permettent les nouvelles technologies par rapport à des tentatives plus anciennes de remise en cause de la valeur travail ? Comment ces nouvelles tentatives traitent-elles la valeur égalité présente au cœur de leurs ainées ?

Universal income, a condition for post-capitalist finance
In reading all the contributions of this Major, Deriving Finance, some questions arise. The blockchain that record all transactions within a community of hackers, called “minors”, is it usable more widely? Can the search for a systematic surplus feed a multiplicity of values? Is not a universal income a basic condition for this all-round investment in the cyber economy? How to share the training necessity to participate? What do new technologies allow compared to older attempts to question the value of work? How do these new attempts treat the value of equality, which is at the heart of their elders?

72. Multitudes 72. Automne 2018

Inséparer, par

Inséparer
« Nous sommes embarqués », certainement ; le tout est de savoir comment. On peut bien invoquer une condition commune, qui est celle des habitants d’une planète exposée aux risques de transformations soudaines. Mais cela ne nous autorise pas à dire que cette condition est celle de l’inséparation. Ce qu’il y a d’inséparé entre les êtres est toujours localisé. Il correspond à ce que Gilbert Simondon appelle le « transindividuel ». L’inséparé, qui existe localement entre quelques êtres, est l’enjeu d’un travail dialectique – un travail d’inséparation. Un travail qui se reconnaît à ceci qu’il permet d’abriter l’expérience d’un temps commun. L’existence même du temps commun est l’enjeu essentiel de la politique aujourd’hui, et la condition d’une action à la mesure de la situation. Car ce qu’impose avant tout l’ennemi aujourd’hui, c’est bien une certaine forme du temps, qu’il s’agit de briser.

Inseparating
“We are all onboard the same ship”, certainly. The problem is to understand how. One can of course refer to a common condition, that of dwellers of a planet exposed to threats of sudden transformations. But this does not authorize us to claim that this condition is one of inseparation. What is inseparated among beings is always localized. It corresponds to what Gilbert Simondon called the “transindividual”. The inseparated which exists locally between beings is a matter of dialectic work—a work of inseparation. This work is characterized by its capacity to provide a space for experiencing a common time. The existence of such a common time is crucially at stake in what we call “politics” today, it is the precondition to acting in face of a certain situation. For what is imposed by our enemy today is first and foremost a certain form of time, which needs to be broken.

Résurgence holocénique contre plantation anthropocénique, par

Résurgence holocénique contre plantation anthropocénique
La « soutenabilité » est le rêve de transmettre une terre habitable aux générations futures, humaines et non-humaines. Cet article soutient qu’une soutenabilité digne de ce nom exige la résurgence d’un modèle multi-espèces, en résistance aux tendances de la colonisation capitaliste qui transforme tout en plantations de monoculture. Pour affronter les défis de l’Anthropocène, nous devons faire davantage attention aux socialités qui se trament entre les espèces, socialités dont nous dépendons tous. Aussi longtemps que nous maintenons une séparation imperméable entre nous et tout ce qui n’est pas humain, nous faisons de la soutenabilité un concept cruel relevant de l’esprit de clocher. Nous perdons de vue le tramage commun qui rend possible la vie sur Terre des humains avec les non-humains. De toutes façons, maintenir cette séparation ne fonctionne pas : les efforts des investisseurs pour réduire tous les autres êtres au statut d’actifs ont généré de terrifiantes écologies, que je qualifie ici de proliférations anthropocéniques.

Holocene 
Resurgence Against Anthropocene Plantation
This article has argues that sustainability is a multispecies affair. If we have any dreams of handing a livable world to our descendants, we will need to fight for the possibilities of resurgence. The biggest threat to resurgence is the simplification of the living world as a set of assets for future investments. As the world becomes a plantation, virulent pathogens proliferate, killing even common plants and animals. To appreciate Anthropocene challenges, we need to pay more attention to the cross-species socialities on which we all depend. As long as we block out everything that is not human, we make sustainability a mean and parochial concept; we lose track of the common work that it takes to live on earth for both humans and nonhumans.

Du don à l’investissement, par

Le don, une force morale administrée, par et

Le don, une force morale administrée
L’économie du don (de temps ou d’argent) précède la contrainte, et la dote d’un surplus. Les dons financent et font fonctionner les associations qui conseillent le pouvoir et développent de nouveaux services. L’État apprécie leur dévouement pour l’intérêt général par des dégrèvements fiscaux, mais interdit la rémunération de leurs dirigeants. L’économie sociale et solidaire joue un rôle majeur dans l’insertion par l’emploi. Le caractère non lucratif assumé se retrouve dans la gestion des mutuelles de santé, ou d’assurances. Aujourd’hui, secteur privé et « entreprises sociales » proposent d’assurer des missions équivalentes, par une rationalisation managériale qui ferait fi de ce troisième secteur de l’économie.

The Gift: an Administrated Moral Force
The gift economy (whether one offers time or money) takes place before one is compelled to act, and generates a surplus. Gifts sustain the associations which advise political power and provide new services. The State appreciates their contribution to the general interest and allows for tax deductions, but forbids their administrators to be waged for their work. The principle of “non-profit” is also active among health and other insurers, organized under “mutuality” management. Nowadays, the private sector and companies eager to claim their “social mission”offer similar services, imposing a managerial rationalization that undermines this third sector of the economy.

Le boum de la philanthropie, par

Le boum de la philanthropie
À la suite des États-Unis, où le don a été façonné par les milliardaires comme produit financier de rêve et acte de satisfaction morale, les classes moyennes françaises donnent de plus en plus à des associations d’intérêt général. Le financement privé par le mécénat populaire connait un véritable succès de marketing, que l’on peut qualifier de « marketing social ». Mais, parallèlement au développement du mouvement associatif, on assiste, depuis les années 90, à l’émergence de nouveaux samaritains, véritables despotes éclairés : les fondations. À côté des donateurs charitables de la société civile, le donateur philanthropique se positionne entre l’action de l’État-providence et les organismes paritaires chargés de porter l’intérêt général. Leur puissance leur permet de redéfinir cet intérêt général à leur profit. Le boum de la philanthropie est donc lié à une certaine incapacité de l’État-providence, grand redistributeur central, à étendre sa couverture à tous les citoyens, et surtout, aux causes lointaines. Un avenir radieux est donc promis à la philanthropie.

The Boom of Philanthropy
Following the United-States, where philanthropy was shaped by billionaires as a dream financial product and an act of moral satisfaction, the French middle classes increasingly donate to associations of general interest. Private sponsorship through popular philanthropy is a marketing success, which can be described as “social marketing”. But, parallel to the development of the associative movement, we have witnessed, since the 90s, the emergence of new Samaritans, real enlightened despots: the foundations. Next to the charitable donors of civil society, the philanthropic donor is positioned between the policies of the Welfare State and the joint bodies in charge of the general interest. Their power allows them to redefine this general interest to their advantage. The boom of philanthropy is thus linked to a certain incapacity of the Welfare State, the great central redistributor, to extend its coverage to all citizens, and especially to distant causes. A bright future is promised to philanthropy.

Une offre morale plastique, par

Une offre morale plastique
L’offensive 
de l’ONG World Vision au Liban
Depuis quinze ans, le monde arabe, en particulier le Liban, est le théâtre d’une campagne dynamique d’évangélisation, lancée par le protestantisme évangélique, qui accorde une place prépondérante à la conversion. L’organisation non gouvernementale (ONG) est la structure privilégiée des évangélistes. Elle s’adapte parfaitement aux caractères d’une mouvance qui fonctionne en réseau, au plan transnational, et investit de larges pans du social et de l’économique. Dans cet article, on questionne les valeurs dont se réclame une ONG évangélique particulière, World Vision, et la manière dont elles sont reçues par les convertis. En analysant les parcours de deux protagonistes, Melkon et Mona, on tente de montrer que les valeurs morales alléguées par l’ONG permettent aux individus de donner sens et cohérence à leurs parcours conversionnels. Si World Vision travaille à la valorisation des individus et met en relief les manquements de la société libanaise en matière de solidarité, l’ONG participe paradoxalement à fragiliser la cohésion familiale.

A Flexible 
Moral Offer
The Offensive 
of the NGO World Vision in Lebanon
For fifteen years, the Arab world, in particular Lebanon, has experienced a dynamic campaign of evangelization, launched by evangelical Protestantism, which gives a preponderant place to conversion. NGOs are the privileged structures of the Evangelists. They perfectly adapt to the characteristics of a transnational movement that operates as a network and invests large parts of the social and economic spheres. This article questions the values ​​of a particular evangelical NGO, World Vision, and their reception by converts. By analyzing the trajectories of two protagonists, Melkon and Mona, we try to show that the moral values ​​alleged by the NGO allow individuals to give meaning and coherence to their conversion paths. While World Vision works to promote individuals and highlights the failings of Lebanese society in terms of solidarity, the NGO paradoxically contributes to weaken family cohesion.

L’entreprise à mission et ses partenaires, par

L’entreprise à mission et ses partenaires
La crise de 2008 est une crise de gouvernance des entreprises, notamment des banques, qui, pour faire des profits élevés, sont allées jusqu’à compromettre leur existence. Comment faire en sorte que l’entreprise ne soit pas seulement préoccupée de maximiser le cours de l’action, alors que jusque dans les sciences sociales, elle est réduite à cela ? L’entreprise est apparue à la fin du XIXe siècle pour révolutionner la vie quotidienne grâce aux découvertes scientifiques. L’entreprise est une association de partenaires dans une création collective de modes de vie, dont les partenaires financiers, mais aussi les ingénieurs, les consommateurs, le personnel. Il faut refonder l’entreprise et qu’elle se donne une mission qui exprime son projet à long terme et à laquelle souscrivent les actionnaires.

The Mission-based Company and its Partners
The 2008 crisis was a crisis in company governance, most notably banks which, lured by the hope of high profits, went as far as risking their very existence. How can companies be made to set other ends for themselves than the mere maximization of their shares, when everything reduces them to that sole objective, including within the social sciences? From the end of the 19th century, they emerged to revolutionize daily life thanks to scientific discoveries. They consist in an association of partners within a collective creation of new modes of life. They need to be re-conceived around a mission that expresses their long-term project in agreement with their shareholders.

73. Multitudes 73. Hiver 2018

Logistique de la « dématérialisation », par

Mad Marx. Extinction, interruption, reproduction, par et

Mad Marx
Extinction, interruption, reproduction
Comment les interruptions des logiques capitalistes peuvent-elles devenir immédiatement des sites de reproduction, de sorte que nos tentatives pour réagir à la destruction capitaliste soient simultanément des pratiques de care capables de durer ? Quelles tactiques et quels espaces, quelles relations sociales et écologiques doivent être sauvées du passé et reconnues comme capables d’agir au présent, alors que le capitalisme se reproduit en détruisant les conditions de la reproduction du vivant, de la vie psychique, culturelle, et écologique ? Si la nostalgie tend à caractériser la dialectique entre production et parti, hégémonie et pouvoir d’État, alors quelles empathies, quels deuils et quelles fureurs, doivent être trouvées et promues sur le terrain où s’expriment la violence directe et l’expropriation définissant notre présent ? Un communisme intempéré se cherche dans cet article, pour donner forme à la conjuration politique des intempéries qui menacent notre existence terrestre.


Mad Marx
Extinction, Interruption, Reproduction
Can the interruption of capital become a site of reproduction and such that our responses to capitalist destruction are become practices of caretaking ? What tactics and spaces, social and ecological relations must both be redeemed from the past and recognized in the present, in order to attend to the double bind of reproduction under capitalism ? If nostalgia tends to characterize the dialectic between production and party, hegemony and the state, then, what empathies, mournings, and rages are to be found on the terrain of direct violence and expropriation that defines the present ? Addressing these questions, this article gestures towards an intemperate communism commensurate to the hellish reproduction of capitalist social-ecological disasters.

Le pipeline et le blocus, par et

Le pipeline et le blocus
Le Michigan est le site de trois pipelines : pétrole, plomb et marchandises. Cet essai retrace les crises de ces pipelines et les possibilités de lutte contre leur établissement. En examinant les limites et les potentiels du blocage propre à « l’action éco-directe », nous pouvons dégager certaines leçons qui pourraient être généralisées à d’autres luttes. En particulier, dans une phase capitaliste de circulation, une tactique consistant à arrêter les flux peut être utile dans des scénarios impliquant d’aller au-delà du simple arrêt de la construction d’un oléoduc. Mais, si une interruption peut ralentir la reproduction du capital, elle pose des défis à la reproduction du social. Ces défis peuvent être surmontés par des blocages qui cherchent non seulement à mettre fin à la situation génératrice du conflit, mais également à créer de nouveaux rapports sociaux.

The Pipeline and the Blockade
Michigan is the site of three pipelines: oil, lead, commodities. This essay traces the crises of these pipelines and the possibilities for struggle against them. By examining the limits and potentials of the “eco-direct action” blockade, we can discern certain lessons that might be generalized onto other struggles. In particular, in a capitalist phase of circulation, a tactic associated with halting flows can be of use in scenarios beyond just stopping construction of an oil pipeline. But, while interruption may slow the reproduction of capital, it poses challenges for the reproduction of the social. These challenges may yet be overcome by blockades that seek not only to halt, but also to create new social relations.

Le vampire et le propriétaire, par

Le vampire et le propriétaire
Le capitalisme n’est pas d’abord un vampire. Pour sucer le sang de ce qu’il exploite en tant que « force de travail », il doit tout d’abord s’être approprié non seulement cette force de travail, mais tout ce qui la rend possible, c’est-à-dire l’ensemble de ses conditions d’existence – tout ce qui permet sa « reproduction ». Cette appropriation est le lieu d’un combat, dont l’enjeu est le refus de la mise au travail généralisée, des humains et des non-humains, opérée par le capital. Un tel combat suppose une clarté sur ce que sont les points de métastabilité de la politique du capital, ou ce que l’on a longtemps appelé ses « contradictions objectives ». Mais il suppose aussi que la subjectivité qui connaît ces contradictions prenne sur elle, en quelque sorte, cette nécessité que l’ancien marxisme voulait trouver dans le mouvement de l’Histoire et dans le développement de ses contradictions. Il y a une contingence radicale des initiatives politiques, mais il y a bien une nécessité subjective à répondre à la disparition des conditions de vie sur la planète.

The Vampire and the Owner
Capitalism is not primarily a vampire. To suck the blood of what it exploits as “labor power”, it first must have appropriated not only that labor power, but also all that makes it possible, that is to say, all its conditions of existence—all that enables its “reproduction”. This appropriation is the site of a political struggle, the stake of which is the refusal of the generalized work of humans and non-humans, operated by capitalism. Such a struggle presupposes a clarity about the points of metastability of the politics of capital, or what has long been called its “objective contradictions”. But it also supposes that the subjectivity that knows these contradictions deals with the objective necessity that the old Marxism found in the movement of History and in the development of its contradictions. There is a radical contingency of political initiatives, but there is a subjective need to respond to the disappearance of living conditions on the planet.

Sous les pavés, le sillage, par

74. Multitudes 74. Printemps 2019

L’Europe dans les strates du monde numérique, par

L’Europe dans les strates du monde numérique
Les différentes institutions européennes sont nées pour résoudre les problèmes de la production du stade avancé du capitaliste ainsi que de son armature géopolitique. Plus qu’un régime d’accumulation, c’est d’abord une infrastructure – au sens marxiste vulgaire – qui permettait une production et une consommation industrielles en Europe et un commerce inégal avec le Sud. Mais que se passe-t-il si ce n’est même plus du capitalisme, mais un nouveau mode de production? Celui qui extrude hors de lui-même une infrastructure très différente, à une échelle planétaire? La question se pose alors de savoir si les anciennes infrastructures institutionnelles de l’Europe peuvent être adaptées à cette nouvelle réalité économique et politique, celle d’un Stack informationnel caractéristique du capitalisme de plateformes.

The European Stack
The various institutions of Europe came into existence to resolve the problems of late-stage capitalist production and its geopolitical armature. More than a polity, it became an infrastructure—in the vulgar Marxist sense—that made possible industrial production and consumption within Europe and unequal trade with the global South. But what if this isn’t even capitalism any more, but a new mode of production? One that is extruding a very different infrastructure out of itself on a planetary scale? The question then becomes as to whether the old infrastructures of Europe can be adapted to a new political economic reality—the Stack theorized by Benjamin Bratton as the “accidental megastructure” of digital globalization.

Écologie politique en Europe, après un automne prometteur, par

Écologie politique en Europe, après un automne prometteur
Les élections en Bavière, dans la Hesse, en Belgique, au Luxembourg ont vu les partis écologistes consolider leurs positions à l’automne 2018. Ils faisaient déjà partie des coalitions gouvernementales en place, et avaient su faire apprécier leur pertinence. Ils ont accepté de faire reconnaître des figures de leaders et n’ont pas pratiqué un égalitarisme qui prive les électeurs de repères. Le succès des Verts est moindre dans les pays où ils sont divisés et ne participent pas aux coalitions gouvernementales. Les élections européennes à la proportionnelle risquent de voir percer les populistes et le succès des Verts d’être empêché par les pays où ils sont faibles. En France, les Verts doivent porter, outre la transition écologique et la justice sociale, l’exigence démocratique et la poursuite de la construction européenne.

Political ecology in Europe, after a promising autumn
The elections in Bavaria, Hesse, Belgium and Luxembourg saw the ecologist parties consolidate their positions in the autumn of 2018. They were already part of the government coalitions in place, and had been able to assess their relevance. They agreed to recognize leaders and did not practice a form of egalitarianism that deprives voters of landmarks. The Greens had less success in countries where they are divided and do not participate in government coalitions. The European proportional elections are likely to see populist breakthroughs and the success of the Greens are likely to be prevented by countries where they are weak. In France, the Greens must carry, in addition to the ecological transition and social justice, democratic demands and the continuation of the European construction.

Quels droits pour les outre-mer(s) européens ?, par

Quels droits pour les outre-mer(s) européens ?
Avec le Brexit, la France est devenue le pays européen qui possède le plus d’héritages coloniaux sur la planète: 6 pays d’outre-mer (PTOM) dont la Polynésie, où Oscar Temaru (indépendantiste élu 6 fois président) vient d’accuser la France à la Cour Pénale internationale de crime contre l’humanité pour les 193 essais nucléaires (de 1960 à 1996) ; et 6 régions ultra-périphériques (RUP) dont la Guyane qui, depuis le mouvement social de 2017, connaît un débat citoyen pour un changement de statut ainsi qu’une forte mobilisation contre les forages de Total et le consortium russo-canadien de la Montagne d’or, soutenue par le candidat amérindien d’Europe Écologie-les Verts.

What rights for European overseas territories?
With Brexit, France has become the European country with the largest colonial legacy on the planet: 6 Overseas Countries (OSCs), including Polynesia, where Oscar Temaru (independentist elected 6 times President) has just accused France at the International Criminal Court of Crimes Against Humanity for the 193 nuclear tests (from 1960 to 1996); and 6 Ultra-Peripheral Regions (UPRs), including Guyana, which, since the social movement of 2017, is experiencing a citizen debate for a change of status and a strong mobilization against the drilling of Total and the Russo-Canadian consortium of the Golden Mountain, a mobilization supported by the Amerindian candidate of Europe Ecology the Greens French party.

L’Europe et les nouvelles échelles de la transition énergétique, par

L’Europe et les nouvelles échelles de la transition énergétique
Après avoir passé en revue la diversité des politiques nationales en matière de transition énergétique, cet entretien fait le point sur ce que l’Union européenne a déjà pu et pourra apporter aux multiples redimensionnements en cours. Alors que les politiques nationales restent obnubilées par une conception centralisatrice de la production énergétique, le nouveau monde de la parité-réseau et des consommateurs-producteurs redistribue les cartes selon des échelles sensiblement différentes. Une coordination européenne entre initiatives locales peut devenir un atout, pour autant que des mesures de redistribution sachent prévenir une nouvelle « lutte des classes énergétiques » qu’exaspèrent nos inégalités actuelles.

Europe and the new scales of energy policies in transition
After reviewing the diversity of national policies addressing energy issues, this interview considers what the EU has done, and what it will be in a position to do, to the current re-dimensioning of our energy policies. While national agendas remain deeply tied to a centralizing conception of energy production through massive powerplants, the new world of prosumers and parity grid reshuffles the cards along a multiplicity of heterogeneous scales. This is where a European-wide coordination can become a major asset, as long as redistributive policies prevent the new “energy class struggles” currently exacerbated by growing social inequalities.

L’Europe, une économie sociale à affirmer, par et

rrien & Francois Rosso
L’Europe, une économie sociale à affirmer
Il existe dans tous les pays européens des initiatives citoyennes à but non lucratif et à portée économique. Elles répondent à des besoins sociaux non satisfaits par le marché. Depuis quelques années, l’Union européenne a proposé que des entreprises sociales lucratives s’organisent pour répondre aux mêmes besoins, et que pour ces missions sociales, elles bénéficient des mêmes avantages que les organismes à but non lucratif. À l’inverse, les organismes à but non lucratif sont soumis de plus en plus à la même fiscalité que les entreprises ordinaires, ce qui a pour effet d’en empêcher le développement. Ces problèmes n’intéressent guère les nouveaux membres de l’Union, ce qui a empêché d’élaborer les statuts d’une mutuelle et d’une association européennes.

Europe, reclaiming a social economy
There are non-profit and economic initiatives in all European countries. They respond to social needs not met by the market. In recent years, the European Union has proposed that lucrative social enterprises organize themselves to meet the same needs, and enjoy the same benefits, for these social missions, as non-profit organizations. On the other hand, non-profit organizations are increasingly subject to the same taxation as ordinary businesses, with the effect of preventing their development. These problems are of little interest to the new members of the Union, a fact which has prevented the drawing up of the statutes of a European mutual society and association.

75. Multitudes 75. Été 2019

Le fonctionnement de l’attention dans le travail du cartographe, par

Le fonctionnement de l’attention dans le travail du cartographe
La cartographie est une méthode proposée par Gilles Deleuze et Félix Guattari actuellement développée et utilisée dans des recherches de terrain tournées vers l’étude de la subjectivité.  Cet  article aborde le problème du fonctionnement de l’attention à l’étape initiale du travail du cartographe. Il a pour base les concepts d’attention flottante  de Sigmund Freud, celui de  reconnaissance attentive  de Henri Bergson et les contributions  de la phénoménologie aux sciences cognitives contemporaines. L’attention cartographique est définie comme concentrée et ouverte  au plan collectif  des  forces et  des  affects, étant constituée de quatre qualités attentionnelles:  l’acte de tracer, le toucher, l’atterrissage et la reconnaissance attentive.

The operation of attention in the work of the cartographer
Cartography is a method proposed by Gilles Deleuze and Félix Guattari, which is currently being developed and used in field research focused on the study of subjectivity. This article addresses the problem of the operation of attention at the initial stage of the cartographer’s work. It is based on Sigmund Freud’s concepts of fluttering attention, Henri Bergson’s attentive recognition and the contributions of phenomenology to contemporary cognitive science. Cartographic attention is defined as concentrated and opened to the collective plane of forces and affects, made of four attentional qualities: the act of tracing, touching, landing, and attentive recognition.

La clinique est morte, vive la clinique !, par

La clinique est morte, vive la clinique !
La médecine clinique fut longtemps considérée comme morte. On la croyait disparue dans l’émergence technologique des I.A. et des big data. Mais ses meurtriers ont oublié que la clinique est une pratique théorique qui se différencie dans le regard et la décision de chaque médecin comme de chaque patient. La clinique ne s’est-elle pas dès lors transformée au gré du temps et des technologies ? C’est ce que l’article interroge. Mais dès lors qu’elle renaît, quelles pourraient être ses perspectives d’avenir ? Produisant des observations, des décisions thérapeutiques et des résultats de traitement, la clinique fournit une masse de données au système de santé. Elle représente une source inestimable de big data pour la médecine. Elle ouvre la voie pour intégrer les I.A. à la décision. Mais c’est l’autogestion de ces données par la relation clinique qui doit pouvoir dessiner les perspectives éthiques et politiques d’une médecine garantissant les biens communs dans l’avancée technologique actuelle.

Clinical medicine
is dead, long live
the clinical !
Clinical medicine was long considered dead. It was thought to have disappeared in the technological emergence of A.I. and big data. But its murderers have forgotten that the clinical is a theoretical practice that differs in the look and decision of each doctor and each patient. Has the clinical not changed with time and technology? This is what the article questions. Now it is born again, what could be its future prospects? Producing observations, therapeutic decisions and treatment results, the clinical provides a mass of data to the health system. It represents an invaluable source of big data for medicine. It paves the way for the integration of A.I. into the decision. But it is the self-management of these data by the clinical relation which must be in a position to draw the ethical and political perspectives for a medicine guaranteeing the common good in the current technological advance.

Le hasard clinique ou la crise de la rationalité médicale, par

Le hasard clinique ou la crise de la rationalité médicale
L’application médicale de la loi des grands nombres a longtemps effrayé les cliniciens pour sa potentialité à réduire le médecin à n’être « qu’une machine arithmétique » et le patient à n’être « qu’un individu pathologique moyen ». Les enjeux de la prise de décision clinique, qui répondent depuis le xixe siècle à une double exigence de soin et de connaissance ont ainsi engendré une crise de la rationalité médicale. La médecine clinique, en s’efforçant de rendre le hasard positif, a ainsi opposé l’art à la science. En considérant ce conflit dans l’histoire longue de la médecine, cet article en vient à questionner la numérisation de la décision médicale effectuée au moyen de l’I.A. et des big data, d’un point de vue épistémologique comme éthique.

Clinical probabilities or the crisis of medical rationality
The medical application of the law of large numbers has long frightened clinicians for its potential to reduce the physician to be “just an arithmetic machine” and the patient to be “only an average pathological individual”. The issues of clinical decision-making that have responded since the 19th century to a dual requirement of care and knowledge have thus generated a crisis of medical rationality. Clinical medicine, by striving to render chance positive, has thus opposed art to science. By considering this conflict in the long history of medicine, the article comes to question the digitization of the medical decision made by means of A.I. and big data, from an epistemological as well as ethical point of view.

La technique qui donne confiance, par

La technique qui donne confiance
L’exemple de
l’imagerie médicale
Faut-il craindre la technique comme un monstre qui dévorerait notre être et qui nous éloignerait du souci de nous-mêmes, en nous réduisant à ne plus être que ses objets ? Faut-il la craindre tout particulièrement pour la médecine qui se donne en confiance aux appareils et aux calculs, sans toujours imaginer à quelle opération de réduction, elle risque, ce faisant, de livrer malades et maladies ? Mais la technique n’est-elle pas d’abord un geste de notre part, un geste provisoire que nous faisons vers nous-mêmes, aussi maladroit puisse-t-il paraître ? Ce geste, l’avons-nous achevé ? Sommes-nous sûrs du sens et de la suite que nous voulons lui donner ? Parmi tous les lieux de technique en médecine qui appellent à réenvisager ces questions, il y en a un emblématique, celui de l’imagerie cérébrale, avec sa prétention à dire notre intimité, sa réalité de faiseuse d’images et notre jouissance à en nourrir notre imaginaire. Devons-nous être dupes ? Ne pouvons-nous voir la technique comme un moyen, non de nous figer, mais de nous chercher et de nous dépasser ? Un moyen de nous révéler, une confiance que nous nous donnons pour cette entreprise ?

The technique that builds confidence
The example
of medical imaging
Should we fear technique as a monster that devours our being and moves us away from our concern for ourselves, reducing ourselves to be nothing more than its objects? Should we fear it especially in the case of medicine, when it puts its trust in devices and calculations, without always imagining which operation of reduction it risks, doing so, to impose upon patients and diseases? But is not the technique first of all a gesture on our part, a temporary gesture that we make towards ourselves, as awkward as it may seem? This gesture, did we finish it? Are we confident about the meaning and the result we want to give it? Among all the places of technical medicine that call for a re-examination of these questions, there is one emblematic domain, that of brain imaging, with its claim to map our intimacy, its image-making reality, and our enjoyment to nourish our imagination with such representations. Should we be fooled? Can we not see technique as a means, not to freeze ourselves, but to seek and overcome ourselves? A way to reveal ourselves, a confidence we give ourselves for this company?

De la médecine personnalisée à l’exposomique, par

De la médecine personnalisée
à l’exposomique
Environnement et santé
à l’ère des big data
Depuis une vingtaine d’années, le concept de « médecine personnalisée » désigne la possibilité d’adapter finement les diagnostics et thérapies au profil biologique, en particulier génétique, de chaque patient·e. L’article traite d’un aspect spécifique de la médecine personnalisée, celui du statut qu’y acquiert « l’environnement ». Il est unanimement admis que les gènes n’expliquent qu’un faible pourcentage des phénotypes pathologiques, l’environnement en constituant le principal facteur explicatif. Les efforts pour identifier et caractériser ces facteurs environnementaux sont aujourd’hui rassemblés sous une nouvelle étiquette, l’exposomique. Elle connaît deux orientations. L’une conduit à une vision industrielle, orientée vers la recherche de cibles susceptibles d’intervention technique. L’autre vise la critique des choix politiques et sociaux en matière de santé publique. L’article porte sur cette croisée des chemins dans la manière d’appréhender les rapports entre santé et environnement.

From personalized medicine
to exposomics
Environment and health in the era of
big data
For about twenty years, the concept of “personalized medicine” refers to the possibility of fine-tuning diagnoses and therapies to the biological (in particular genetic) profile of each patient. The article deals with a specific aspect of personalized medicine, that of the status of the environment. It is widely accepted that genes account for only a small percentage of pathological phenotypes, while the environment remains the main explanatory factor. Efforts to identify and characterize these environmental factors are today brought together under a new label, the exposomic. It follows two directions. One leads to an industrial vision, oriented towards the search for targets susceptible of technical intervention. The other aims towards a critique of political and social choices in public health. The article focuses on this crossroads in the way of understanding the relationship between health and environment.

La mort aux trousses, par

La mort aux trousses
Médecine personnalisée et maintenance prédictive, trousse médicale
et trousse à outils
Dans le milieu aéronautique, il n’est pas impossible qu’un jour la médecine personnalisée soit utilisée pour évaluer la fiabilité des pilotes. La maintenance prédictive, sa sœur jumelle dans l’univers des objets, repose déjà sur le recueil et le traitement des données multiples des avions et des organisations. Médecine personnalisée et maintenance prédictive apparaissent comme des pratiques sociales participant à un double mouvement de rationalisation technique : celui du social entendu comme résultat d’une construction de soi et des autres, et celui du monde vécu sous l’effet de la « désintégrité » des humains. Le facteur humain deviendrait-il alors le critère dominant d’une société sécurisée ?

Prevention kits
Personalized medicine and predictive maintenance, medical kit and toolkit
In the aviation industry, it is not impossible that one day personalized medicine will be used to assess the reliability of pilots. Predictive maintenance, its twin sister in the world of objects, is already based on the collection and processing of multiple data of aircrafts and organizations. Personalized medicine and predictive maintenance appear as social practices participating in a double movement of technical rationalization: that of the social understood as a result of a construction of oneself and others, and that of the lived world under the effect of the « disintegrity » of humans. Would the human factor then become the dominant criterion of a secure society?

Evidence-Based Medicine et expertise clinique, par

Evidence-Based Medicine
et expertise clinique
L’Evidence-Based Medicine (EBM) est définie comme « l’utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient ». L’EBM met en œuvre des standards de qualité du plus haut niveau par le tri actif de toutes les études cliniques disponibles. D’un côté, elle remet en question le fondement des savoirs pratiques basé sur l’intuition, l’expérience clinique et le mécanisme des maladies. D’un autre, elle refuse l’autorité des experts et leurs recommandations. Si l’intention de l’EBM d’améliorer la pratique clinique est louable, elle ne peut résoudre la question cruciale de l’expertise clinique. En se concentrant sur les études cliniques, l’EBM oublie que le savoir clinique nécessite de rassembler plusieurs formes de savoirs. Dès lors, il manque à l’EBM une connaissance tacite, non formalisable, qu’elle rejette pour son absence supposée d’objectivité. L’expertise clinique comme incorporation de gestes à la fois intellectuels et techniques nécessite un travail de synthèse entre les connaissances implicites et explicites afin de revenir à son but : le soin au patient dans sa particularité.

Evidence-Based Medicine and Clinical Expertise
Evidence-Based Medicine (EBM) is defined as “the conscientious and judicious use of the best current data of clinical research in the personalized care of each patient”. EBM implements quality standards of the highest level by active sorting of all available clinical studies. On the one hand, it challenges the foundation of practical knowledge based on intuition, clinical experience and the mechanism of disease. On the other hand, it refuses the authority of the experts and their recommendations. While EBM’s intention to improve clinical practice is commendable, it cannot solve the crucial question of clinical expertise. By focusing on clinical studies, the EBM forgets that clinical knowledge requires bringing together several forms of knowledge. Therefore, the EBM lacks a tacit, non-formalizable knowledge, which it rejects for its supposed lack of objectivity. Clinical expertise as an incorporation of both intellectual and technical gestures requires a synthesis between implicit and explicit knowledge in order to return to its purpose: the care of the patient in his particularity.

De la vision médiate en clinique : l’échostéthoscopie, par

De la vision médiate en clinique
L’échostéthoscopie
La clinique est ce rapport singulier d’un malade qui se plaint et d’un médecin qui l’écoute, pour le soulager, le guérir. Mais elle traverse une période de crise. On annonce même sa mort prochaine ! Étrangement, des progrès technologiques viennent aujourd’hui à son aide, l’incitant à rebondir. Deux cents ans après le stéthoscope, la vision médiate par échographie portable devient réalité et entre en scène pour sonder le corps malade « à son chevet ». Ce visible virtuel émanant de l’examen clinique se fait ainsi visible pour le clinicien, les médecins et malades en général, parce que les images peuvent se partager. C’est pour le clinicien prendre possession d’un espace jusque-là imperméable : la vision ne connaît plus d’interdit, mais n’affirme sa puissance que si elle pénétrée par une belle clinique.

Mediated vision
in the clinical gaze
Echostethoscopy
The clinical relation is the singular encounter between a patient who complains and a doctor who listens, in order to relieve and cure. But it is going through a period of crisis. One even announces his impending death! Strangely, technological advances are now coming to its rescue, prompting it to bounce back. Two hundred years after the stethoscope, the mediated vision by portable ultrasound becomes reality and enters the stage to probe the sick body “at his bedside”. This virtual visible from the clinical examination becomes thus visible to the clinician, doctors and patients in general, because the images can be shared. That means for the clinician to take possession of space that was impermeable until there: the vision penetrates beyond old barriers, but it will only assert its full power if it is permeated by a clinical relation restored to its true beauty.

Vue d’ensemble des conflits de distribution écologique en Inde, par

Vue d’ensemble des conflits de justice environnementale
en Inde
Cet article présente une revue des mouvements de justice environnementale en Inde, à partir d’une combinaison d’informations provenant de l’Atlas de la justice environnementale (EJAtlas), de travaux de terrain et d’une analyse de la littérature secondaire. L’auteur souligne ici l’intensité des conflits, les armes judiciaires qui confortent les manifestations et le changement des slogans avec le temps, ainsi que les synergies et les alliances anciennes et actuelles entre ces mouvements indiens. Pour l’analyse sont combinés l’utilisation de statistiques descriptives et quelques exemples concrets. Enfin, il est proposé un débat sur la signification du terme « succès» appliqué à la justice environnementale, sujet sur lequel des recherches plus approfondies s’avèrent nécessaires.

Global perspective on ecological distribution conflicts in India
This article offers a review of environmental justice movements in India, combining information from the Environmental Justice Atlas (EJAtlas), fieldwork, and an analysis of secondary literature. The author emphasizes the intensity of the conflicts, the judicial weapons which reinforce the protests and the changes occurred in the slogans, as well as synergies, old and current alliances between these Indian movements. The analysis supplements the use of descriptive statistics with some concrete examples. Finally, there is a debate on the meaning of the term “success” applied to ecological justice, a subject on which further research is needed.

Extractivisme prédateur et conflits de distribution écologique, par

L’impact environnemental et social des politiques publiques de développement sur les communautés autochtones, par

L’impact environnemental et social des politiques publiques de développement sur les communautés autochtones
Les Dongria Kondh en Inde
Les réformes économiques néolibérales, suite à la crise financière de 1991, ont provoqué des mutations dans l’économie indienne, son développement industriel et agricole. Celles-ci ont touché l’ensemble de la population mais particulièrement, les groupes sociaux classés comme les plus vulnérables, telles que les communautés autochtones adivasi. Du point de vue des politiques publiques, ce qui caractérise les Adivasis, c’est leur désavantage économique et social. Ils font donc partie d’une catégorie sociale ciblée par différents programmes nationaux de développement et de réduction de la pauvreté, notamment par l’intermédiaire du Dongria Kondh Development Agency (DKDA pour son acronyme anglais), département gouvernemental de médiation entre le gouvernement central indien et le groupe autochtone Dongria Kondh. C’est sur ce groupe que porte notre enquête anthropologique. Le présent article, dont les résultats s’appuient sur neuf mois de travail sur le terrain entre 2011 et 2015, vise à mettre en évidence la manière dont les politiques publiques nationales visant les communautés de dongria ont des impacts environnementaux et sociaux significatifs.
The environmental and social impact of public policies of development on indigenous communities
The Dongria Kondh in India
The neoliberal economic reforms, following the financial crisis of 1991, caused changes in the Indian economy, in its industrial and agricultural development. These changes affected the entire population, and especially the vulnerable social groups, such as the indigenous adivasi communities. From the point of view of public policies, the Adivasi are characterized by their economic and social inferiority. They are therefore part of a social category targeted by different national programs of development and poverty reduction, including the Dongria Kondh Development Agency (DKDA), the governmental department of mediation between the central government of India and the indigenous Dongria Kondh group. This group is the focus of our anthropological inquiry. This article, which is based on nine months of field work between 2011 and 2015, aims to highlight how national public policies targeting dongria communities have significant environmental and social impacts.

Aménagement hydroélectrique et droits communautaires dans l’Himalaya oriental, par

Aménagement hydroélectrique et droits des communautés
dans l’Himalaya oriental
Le cas de l’Arunachal Pradesh
Avec plus de cent soixante mémorandums d’accords signés avec des constructeurs de barrages, l’Etat d’Arunashal Pradesh, situé dans l’Himalaya, dans une région nord-orientale de l’Inde faisant limite avec la Chine, le Boutant et le Myanmar, occupe une place de choix dans les plans d’aménagement hydroélectrique de l’Inde. Cet état est le foyer d’environ vingt-cinq communautés autochtones, chacune avec ses différentes traditions culturelles et institutionnelles pour l’administration des propriétés collectives, comme les terres agricoles et les forêts. À l’Arunachal Pradesh, à la différence de nombreuses autres communautés de l’Inde, les droits de la communauté sur la terre et les forêts sont protégés par la loi. Malgré cela, avec le boom de l’énergie hydroélectrique, les contradictions entre les droits collectifs et les prérequis institutionnels du modèle de croissance néolibéral ont aiguisé les conflits dans cette région frontalière.

Hydroelectric development and community rights in the eastern Himalayas
The case of Arunachal Pradesh
With over one hundred and sixty memoranda of understanding signed with dam builders, the state of Arunashal Pradesh, located in the Himalayas, in a northeastern region of India bordering China, Bhutan and Myanmar, occupies a prominent place in the hydropower plans of India. This state is home to about twenty-five indigenous communities, each with its different cultural and institutional traditions for the administration of communal property, such as farmland and forests. In Arunachal Pradesh, unlike many other communities in India, community rights concerning land and forests are protected by law. Despite this, with the boom in hydroelectric power, the contradictions between collective rights and the institutional prerequisites of the neoliberal growth model have sharpened conflicts in this border region.

Face à la croissance verte, par et

Face à la croissance verte
Visions du « commun » du collectif Timbaktu dans l’Andhra Pradesh
L’utilisation des énergies renouvelables en Inde est en train de modifier (ou de maintenir) le modèle de croissance et de développement inégal qui la caractérise comme « économie émergente ». Nous mettons l’accent sur deux processus contrastés que connait l’Anantapuramu, un district rural marqué par des indices de pauvreté et de vulnérabilité climatique élevés. D’un côté, le développement de méga-infrastructures d’énergie éolienne déclenche une transformation régionale en faveur de « l’industrialisation verte ». De l’autre, la résistance du Collectif Timbaktu, une organisation de base qui travaille à la régénération des terres communales « improductives », promeut la gestion collective des ressources et renforce les relations de coopération au sein des communautés locales. Cette perspective contrastée permet de mettre à jour les différentes façons de comprendre la durabilité et ses implications politiques dans les dynamiques écologiques, sociales et spatiales des territoires concrets.

Facing green growth
Visions of the “common” of the Timbaktu Collective in Andhra Pradesh
The use of renewable energies in India is changing (or maintaining) the unequal growth and development model that characterizes an “emerging economy”. We contrast two processes currently unfolding in Anantapuramu, a rural district marked by high rates of poverty and climatic vulnerability. On the one hand, the progressive expansion of mega-infrastructures of wind energy acts like a trigger for a regional transformation in favor of « green industrialization ». On the other, the resistance of the Timbaktu Collective, a basic organization that works on regeneration of “unproductive” communal lands, promotes the collective management of resources and strengthens cooperative relationships within local communities. This contrasted perspective sheds light on different ways of understanding sustainability, as well as its political implications in ecological, social and spatial dynamics of concrete territories.

L’oppression des communautés autochtones hindoues au Pakistan, par et

L’oppression des communautés autochtones hindoues au Pakistan
Le projet d’extraction de charbon de Thar
Le mégaprojet de centrale au charbon Thar (Thar Coal Mega Power Project) est l’un des plus ambitieux du Pakistan. Il affectera directement les communautés du désert de Thar sur une superficie d’environ neuf mille kilomètres carrés. Plus de deux cent cinquante villages seront évacués pour assurer son succès économique. Le projet a d’ores et déjà provoqué des migrations, des spéculations sur le sol, l’usurpation de pâturages communs et le rejet des communautés. Les conflits dans la région revêtent deux faces. D’abord, on constate des conflits entre les communautés autochtones, l’État et les fonctionnaires de la Sindh Engro Coal Mining Company (SECMC). Ensuite, les problèmes intracommunautaires se sont transformés en conflits religieux entre musulmans et hindous, bien que les causes sous-jacentes soient environnementales. Cet article fournit une description critique des conflits, de l’usurpation de la terre, des processus de spéculation et d’accumulation dans la zone du projet.

The oppression of indigenous communities in Pakistan
The Thar coal
mining project
The Thar Coal Mega Power Project is one of the most ambitious projects in Pakistan. It will directly affect the communities of the Thar Desert over an area of ​​about nine thousand square kilometers. More than two hundred and fifty villages will be evacuated to ensure its economic success. The project has already caused migration, speculation on the ground, usurpation of common pastures and rejection of communities. Conflicts in the region take two sides. First, there are conflicts between indigenous communities, the state, and officials of the Sindh Engro Coal Mining Company (SECMC). Second, intra-community problems have turned into religious conflicts between Muslims and Hindus, although the underlying causes are environmental. This article provides a critical description of conflicts, land spoofing, speculation and accumulation processes in the project area.

Sri Lanka : Conflits socio-environnementaux et projets de développement, par

Sri Lanka : Conflits socio-environnementaux et projets de développement
Cet article analyse les situations d’injustice environnementale au Sri Lanka, en comparant vingt-six conflits socio-environnementaux identifiés dans l’Atlas mondial de la justice environnementale. Ils sont été compilés par l’auteur, en collaboration avec des activistes du Center for Environmental Justice (CEJ) du Sri Lanka. En nous appuyant sur différentes sources (rapports d’ONG, journaux, blogs, sources gouvernementales, déclarations commerciales et articles universitaires), et en privilégiant une approche d’écologie politique, nous analysons quelles sont les activités économiques qui génèrent des affrontements, quels acteurs y participent et de quelle manière les différents groupes se sont mobilisés contre des projets d’investissement.

Sri Lanka. Socio-environmental conflicts and development projects
This article analyzes situations of environmental injustice in Sri Lanka, comparing twenty-six socio-environmental conflicts identified in the Global Atlas of Environmental Justice. They have been compiled by the author, in collaboration with activists from Sri Lanka’s Center for Environmental Justice (CEJ). By nudging different sources (NGO reports, newspapers, blogs, government sources, commercial statements, academic articles), and focusing on an approach of political ecology, we analyze what are the economic activities that generate confrontations, which actors participate, and how different groups have mobilized against investment projects.

Écologie versus développement, par

Écologie versus développement
Le mouvement « Sauvez les Sundarbans » au Bangladesh
Un mouvement environnemental sans précédent a pris forme lorsque le gouvernement du Bangladesh a projeté la construction d’une centrale à charbon à 14 km des Sundarbans, la plus grande mangrove du monde. Plusieurs experts, dont certains de l’Unesco, ont indiqué que les déchets et la fumée de la centrale menaceraient la forêt et sa biodiversité. Malgré cela, le gouvernement persiste dans son intention de mener à bien le projet en fonction des intérêts de certains groupes au pouvoir. Le mouvement a débuté discrètement en 2012 et est devenu massif par la suite. En 2017, il a réussi à mobiliser la mouvance du militantisme écologique et certaines organisations internationales. Il s’agissait de faire pression sur le gouvernement pour qu’il abandonne le projet d’usine. Cet article décrit l’évolution du mouvement, ses principaux acteurs, sa portée mondiale ainsi que sa situation actuelle.

Ecology versus development
The “Save the Sundarbans” movement in Bangladesh
An unprecedented environmental movement took shape when the Bangladesh government planned to build a coal-fired power plant 14 km from the Sundarbans, the world’s largest mangrove forest. Several experts, including some from Unesco, have indicated that the waste and smoke from the plant would threaten the forest and its biodiversity. Despite this, the government persists in its intention to carry out the project according to the interests of certain groups in power. The movement began quietly in 2012 and became massive thereafter. In 2017, it managed to mobilize the movement of ecological activism and some international organizations in order to pressure the government to abandon the factory project. This article describes the evolution of the movement, its main actors, its global reach as well as its current situation.

76. Multitudes 76. Automne 2019

Est-il trop tard pour l’effondrement ?, par , et

Est-il trop tard
pour l’effondrement ?
Cette introduction invite à décadrer et à recadrer la thématique de l’effondrement, popularisée et médiatisée par la théorie dite « collapsologie », vers le plan des acteurs, des terrains, des temporalités, et des régimes d’énonciation. Nous appelons à documenter empiriquement ce que fait l’effondrement, et ce qu’en font celles et ceux à qui cette idée « fait » quelque chose. En effet, l’effondrisme pose la question des façons de se positionner non pas uniquement par rapport à une théorie, mais également par rapport à des expériences individuelles et collectives. Le dossier vise à comprendre comment la réception de la « collapsologie » donne lieu à des jeux complexes entre désemparement et capacités d’agir. L’atterrissage sur un sol anthropocénique de plus en plus critique mérite une décisive discussion collective. L’hypothèse de cette majeure est que les expériences effondristes ont une valeur d’expérimentation à cet égard, notamment en créant un zone discursive et praxique où des cultures et des expériences politiques différentes sont amenées à se rencontrer et à collaborer.

Is it too late for collapse?
This introduction invites the reader to displace and reframe the theme of collapse—which currently receives heavy media coverage—towards a sociological approach to the actors, the places, the temporalities and the regimes of discourse. We claim the need empirically to document what collapse does to people, what people do with it, once they are touched by this idea. Collapsology calls for people to position themselves not only in relation to a theory but, more importantly, in relation to individual and collective experiences. This issue attempts to understand how the reception of collapsology provides a location for complex interplays of disarray and empowerment. Landing on an and ever more critical Anthropocenic ground deserves collective discussion. This issue promotes the hypothesis that collapsological experiences provide occasions for experimentations, by creating discursive and practical zones where different political cultures and practices can meet and collaborate.

La « civilisation écologique » contrôlée par le numérique en Chine, par

La « civilisation écologique » controlée par le numérique en Chine
Le concept de « civilisation écologique » a initialement été développé par des intellectuels chinois, à la fin des années 1980, comme une critique de la modernité industrielle et du système capitaliste face à la catastrophe écologique planétaire en cours. À partir du milieu des années 2000, et suite à l’accentuation des contestations environnementales dans les grandes villes du pays, le Parti Communiste Chinois (PCC) a décidé de faire de cette notion un de ses slogans politiques phares, mais au prix de vider ce concept de sa dimension critique pour l’instrumentaliser au service de la propagande d’État, de la croissance verte et du contrôle numérique des écosystèmes. La Chine serait-elle en train d’inventer de nouvelles normes de gouvernance ?

Digital Control as a Environmental Policy according to the Chinese Communist Party
The concept of «ecological civilization» was initially developed by Chinese intellectuals in the late 1980s as a critique of industrial modernity and the capitalist system, in the face of the ongoing global ecological catastrophe. Starting in the mid-2000s, and following the intensification of environmental challenges in the country’s major cities, the Chinese Communist Party (CCP) decided to make this notion one of its flagship political slogans, but at the price of emptying this concept of its critical dimension, to use it in the service of State propaganda, green growth and digital control of ecosystems. Is China inventing new standards of governance?

Lire et vivre dans les ruines : Tsing et Sebald, par

Lire et vivre dans les ruines : Tsing et Sebald
À partir du Champignon de la fin du monde d’Anna Tsing, ce texte interroge l’imaginaire résolument optimiste de découverte et de reconquête nourrie par l’attention à ce qui échappe à la destruction, propre à plusieurs travaux récents. Revenant sur la position du chercheur avide de nouveaux récits, soucieux également de ne pas les écraser sous des jugements déterminant a priori ce qui compte et ne compte pas, au risque de les étouffer, l’article invite cependant à ne pas négliger la dimension de perte associée aux catastrophes passées et en cours. À cet égard, il convoque d’autres voix, en dehors des sciences sociales, en particulier celle de l’écrivant allemand W.G. Sebald, lequel accorde une place très importante aux ruines et à la remémoration des mondes perdus, de ce qui a compté pour les disparus, tel l’inlassable effort caractérisant la vie au sein des milieux fragiles.

Reading and Living in the Ruins: Tsing and Sebald
Musing from Anna Tsing’s Mushroom of the End of the World, this article questions the resolutely optimistic imagination of discovery and reconquest nourished by the “arts of attention” to what escapes the destruction, promoted in many recent works. Returning to the position of the researcher eager for new stories, also anxious not to crush or stifle them under judgments determining a priori what should or should not count, the article invites us not to neglect the dimension of loss associated with past and ongoing disasters. In this regard, it calls in other voices, outside the social sciences, especially that of the German writer WG Sebald, who gives a very important place to the ruins and the remembrance of the lost worlds, of what counted for the disappeared, as a tireless effort characterizing life in fragile environments.

De la pluralité des fins du monde : les voies de la science-fiction, par et

De la pluralité des fins du monde :
les voies de
la science-fiction
Des effondrements, la science-fiction en recèle de nombreuses formes et pour une large variété de mondes. Considérer ces immenses productions de romans et de nouvelles, de films, de séries télévisées ou de jeux vidéo comme une simple manifestation d’anxiété ou de désespoir face à notre avenir serait très réducteur. Elles nous familiarisent avec l’éventualité du pire, dans la tradition des « dystopies » ou utopies négatives, mais elles nous permettent surtout d’accorder une visibilité aux conditions d’organisation de collectifs, aux dilemmes moraux pouvant résulter de certaines situations d’effondrement. Le genre SF propose des prototypes et prototopes du futur – de l’ordre de l’exercice de pensée, du dispositif expérimental nous plongeant, via des personnages, décors et situations inventées, dans les si humaines complexités de mondes potentiels de notre « à venir ».

Experiencing the Collapsological Plurality of Science-Fiction
Science-fiction contains many forms of collapsing, relative to a wide variety of worlds. To consider this immense production of novels and short stories, movies, television series or video games as a simple manifestation of anxiety or despair in the face of our future would be very reductive. They familiarize us with the possibility of the worst, in the tradition of «dystopias» or negative utopias, but they also allow to give visibility to the organizational conditions of collectives, to elaborate on moral dilemmas that may result from certain situations of collapse. The SciFi genre proposes prototypes and “prototopes” of the future—as thought-experiments, by plunging us, through characters, sets and invented situations, into the human complexities of potential worlds of our yet to come.

Penser l’iconotexte de l’effondrement : une image de l’imminence, par et

Penser l’iconotexte de l’effondrement
Comment figurer visuellement les effets des bouleversements qui marquent notre entrée collective dans l’Anthropocène ? Comment saisir l’imminence de ces transformations, sans verser dans une forme de voyeurisme de la catastrophe qui, en se soumettant aux formes du spectaculaire, stérilise toute forme d’action efficace au lieu de la favoriser ? Peut-être en cherchant des images en creux, des images inquiètes, incomplètes, qui suscitent l’interrogation et l’exercice projectif de la pensée et de l’imagination : des images qui ne représentent pas les effets des bouleversements, mais les laissent flotter à la lisière de la représentation. On voudrait ainsi définir les contours possibles d’un iconotexte de l’effondrement qui constitue un nouveau régime d’articulation du visible et du lisible, propre à l’imminence des transformations qui nous guettent.

Thinking Through the Iconotext of Collapse
How can one visualize the effects of the upheavals that mark our collective entry into the Anthropocene? How can one grasp the imminence of these transformations, without falling into the traps of a voyeurism which, by submitting itself to the forms of the spectacular, would sterilize any form of effective action, instead of favoring it? Perhaps by searching for hollow images—worried, disquieting, incomplete images that provoke the interrogation and the projective exercise of thought and imagination: images that do not represent the effects of the upheavals, but leave them floating at the edge of representation. We would like to define the possible contours of an iconotext of collapse which could constitute a new system of articulation between the visible and the legible, peculiar to the imminence of the transformations which are ahead of us.

Brève chronologie de la médiatisation de la collapsologie en France (2015-2019), par

Agir avant et après la fin du monde, dans l’infinité des milieux en interaction, par et

Agir avant et après la fin du monde, dans l’infinité des milieux en interaction
Suivant une perspective de sociologie pragmatique des transformations, cet article explore, à travers l’engagement discursif et pratique des figures de l’irréversibilité, une diversité de formes de bifurcations et d’ouvertures d’avenir qui prennent corps dans des micromondes. Il plaide pour la nécessité de rendre intelligible la manière dont s’élaborent, en contexte, de nouvelles prises individuelles et collectives sur des mondes constamment en train de se refaire. L’enquête sociologique s’ouvre à de nouvelles cosmologies moins exclusives où se jouent les capacités de reconfiguration, de rebondissement ou de rupture, ainsi qu’à un agir démocratique qui se forme et se réforme dans ces interstices qui hantent les régimes autoritaires et défient les prophéties déterministes.

Acting Before and After the End of the World Within Infinite Milieus of Interaction
Following a perspective of pragmatic sociology of transformations, this article explores, through the discursive and practical engagement of the figures of irreversibility, a diversity of forms of bifurcations and openings for the future that take shape in microworlds. It argues for the need to make intelligible the way in which are elaborated, in context, new individual and collective affordances on worlds that are constantly being rebuilt. The sociological inquiry opens up new and less exclusive cosmologies empowering our capacities for reconfiguration, rebounding or rupture, as well as for democratic actions that are formed and reformed in these interstices that haunt authoritarian regimes and challenge deterministic prophecies.

Faut-il « avertir de la fin des temps pour exiger la fin des touillettes » ?, par

Faut-il « avertir de la fin des temps pour exiger la fin des touillettes » ? Les ressorts de l’engagement écocitoyen
À partir d’une incursion sur les forums électroniques d’« effondrés », cet article se penche sur ce que l’idée d’effondrement fait à celle et ceux qui y adhèrent. En décalage avec des questionnements sous l’angle des risques de démobilisation ou de dépolitisation, on voit que cette idée, en stimulant l’exploration en commun des relations concrètes et situées, peut favoriser une radicalisation du rapport au réel. Au contraire d’une fabrique de l’ignorance et du désemparement, les groupes Facebook des « effondrés » apparaissent comme des espaces d’exploration partagée, où les prises et les pistes le disputent sans cesse au désarroi. On peut alors voir, dans la fortune du terme effondrement, l’indice d’une multiplication des enquêtes lancées pour retrouver une terre où atterrir en expérimentant de nouveaux détachements-attachements.

Are Apocalyptic Threats Necessary to Recycle Plastic Spoons? On the Dynamics of EcoPolitical Involvement
Based on an incursion into the electronic forums of collapsonauts, this article looks at what the idea of ​​collapse does to those who adhere to it. At odds with the denunciations about the risks of demobilization or depoliticization, we can see that collapsology, by stimulating the joint exploration of concrete and situated relations, can encourage a radicalization of the relation to reality. Far from being a fabric of ignorance and distress, Facebook groups of collapsonauts appear as spaces of shared exploration, where the emergence of affordances and new paths prevail over dismay. We can thus see, in the fortunes of the term collapse, the index of a multiplication of investigations launched to find place where Earthbounds can land by experimenting with new modes of detachments-attachments.

77. Multitudes 77. Hiver 2019

Transformations énergétiques sous contrainte écologique forte, par et

Transformations énergétiques sous contrainte écologique forte
L’idée d’une « transition » énergétique, processus pilotable dans un monde relativement stable et anticipable, semble arriver à son terme. Même le GIEC en appelle désormais à des « transformations » énergétiques rapides et radicales. Toutefois, malgré la prise de conscience de l’urgence climatique et de la perte dramatique de biodiversité, qui s’actualise notamment dans une série de manifestations et de luttes, la question du climat est trop rarement articulée à la question de l’énergie. Dans cette Majeure, nous explorons ce que pourraient vouloir dire ces transformations énergétiques et partons à la recherche des bonnes échelles pour agir et des récits pertinents pour inspirer les collectifs.

Energy transformations under strong ecological constraint
The idea of an energy “transition”, a process that can be controlled in a relatively stable and predictable world, seems to be coming to an end. Even the IPCC now calls for fast and radical energy “transformations”. However, despite the awareness of the climatic urgency and the dramatic loss of biodiversity, which is actualized in particular in a series of demonstrations and struggles, the climate issue is too rarely linked to the issue of energy. In this Majeure, we explore what these energetic transformations could mean, as we look for the right scales to take action and narratives that are relevant to inspiring collectives.
Gordon Walker

Rythmanalyse des relations énergie-société-climat, par

Rythmanalyse des relations énergie-société-climat
Partant de la rythmanalyse de Lefebvre, j’examine l’énergétique et la constitution spatio-temporelle du rythme et la manière dont cela met en évidence l’enchevêtrement polyrythmique des flux d’énergie dans la vie quotidienne, ainsi que la relation entre la techno-énergie « artificielle » des systèmes énergétiques et les échanges énergétiques « naturels » des mouvements planétaires, des systèmes écologiques et du fonctionnement des organismes (y compris humains). Je développe une compréhension thermodynamique et matérialiste de l’énergie et du rythme, afin de présenter un certain nombre de propositions et d’explorer les implications pour la poursuite de stratégies de transformation à faible intensité de carbone à l’intérieur et à l’extérieur des systèmes d’énergie.

Rythmanalysis of  energy-societey-climate relationships
Drawing inspiration from Lefebvre’s rhythmanalysis, I consider the energetic as well as the spatiotemporal constitution of rhythm and how this brings into view the polyrhythmic interweaving of energy flows in everyday life, as well as the relationship between the “artificial” techno-energy of energy systems and the “natural” energetic exchanges of planetary movements, ecological systems and organisms (including humans). I follow a thermodynamic, materialist understanding of the energy and of rhythm, in order to outline a number of propositions about energy-rhythm relations and co-dependencies, and in order to explore implications that follow for pursuing strategies of low carbon transformation within and outside of energy systems.

La « part récupérable »
Entre les « mailles » du programme bioéconomique, par

La « part récupérable »
Entre les « mailles » du programme bioéconomique
La pensée de Nicholas Georgescu-Roegen adresse une question forte aux processus contemporains de transition énergétique. En quoi contribuent-ils à ralentir la « marche de l’entropie » ? Comment faire la différence entre les développements qui prolongent un modèle extractiviste, à fort impact sur l’environnement et le climat, et ceux qui contribuent à renouveler notre rapport aux ressources et à la terre ? L’article invite à poursuivre un geste théorique, engagé par Georgescu-Roegen, qui consiste à raisonner conjointement les liens entre énergie, matière et espace. Pour cela, il tire partie de l’idée simondonienne selon laquelle la mise au point des objets techniques procède moins par « rupture » que par récupération et réexploration d’états antérieurs. Cela attire l’attention sur la façon dont les expériences contemporaines de transition trouvent leurs appuis au travers d’échelles et d’héritages sociospatiaux multiples, et confèrent aux énergies investies par le passé un nouvel élan. De la même façon, tout n’aura pas été perdu si l’on sait retirer des aventures technologiques contemporaines vers les énergies renouvelables les éléments d’une nouvelle culture sociotechnique, qui concrétise un autre rapport aux techniques comme à la terre.

The “recoverable part”
Between the “meshes” of  the  bioeconomic program
The contemporary processes of energy transition are deeply challenged by Nicholas Georgescu-Roegen’s thought. Do these processes contribute or not to slow down the physical process of entropy ? How can we make the difference between the processes of transition that generate new impacts on the environment and the climate, and the ones that effectively contribute to reshape our relationships to the Earth and its resources ? The paper’s proposal is to continue, in the wake of a theoretical effort engaged by Georgescu-Roegen, thinking altogether the relationships between energy, matter and space. To do so, it gets inspiration from Simondon’s approach of the process of technical innovation, which last is less ruled by technological breakthrough but efforts to invent new developments from previous outdated technological assemblages and socio-geographical heritages. From this point of view, all the energies and materialities invested in the current processes of energy transition are not lost if we learn from their uncertain developements some lessons to steer the next experiments ones and make ourselves more conscious of our interrelations with Earth.

Transitions énergétiques à Istanbul et Le Cap
À propos de transformations plurielles, par
, et

Transitions énergétiques à Istanbul et Le Cap
À propos de  transformations plurielles
Cet article propose d’élargir le débat sur la transition énergétique au-delà du contexte occidental. Partant d’études de cas situées dans deux métropoles des Suds, la réflexion invite à nuancer les scénarios normatifs et supposés universels de transformation des systèmes énergétiques pour confronter les transitions aux singularités des sociétés et des territoires dans lesquels elles prennent forme. Ainsi s’aperçoit-on que les discours sur le changement climatique global ont bien moins d’effets d’entraînement sur les trajectoires énergétiques d’Istanbul et du Cap que l’impact de crises écologiques plus locales ou que l’évolution de compromis socio-politiques, toujours fragiles et dépendants d’héritages historiques nationaux.

Energy Transitions in Istanbul and  Cape  Town
About Plural Transformations
The present article aims at widening the debate on energy transition beyond the Western context. Based on two metropolitan case studies from the “Global South”, it suggests to move away from normative and supposedly universal scenarios of energy changes and to confront transitions with the singularities of the societies and territories in which they take shape. It is then apparent that discourses on global climate change have far less impact on Istanbul and Cap Town energy trajectories than local ecological crisis or changes in socio-political compromises, always fragile and dependent on national historical legacies.

Le voyage chamanique au  tambour
Des traditions mongoles aux  thérapies du  troisième  millénaire, par

Le voyage chamanique au tambour
Des traditions mongoles aux thérapies du troisième millénaire
Dans le chamanisme occidental, riche de multiples cosmologies syncrétiques, hybrides et multiculturelles, l’apprenti construit sa propre cosmologie par une succession d’interprétations de ses expériences cognitives et perceptuelles qui le constituent en tant que « chamane ». Les stages, initiations et diverses expériences tendent à la fabrication de ce corps chamanique capable de se mettre en contact et d’interagir, dans une relation volontaire et maîtrisée avec les autres mondes, qu’ils soient vécus comme extérieurs ou intérieurs à soi, mondes autres, parallèles ou faisant partie d’une intériorité élargie. Cet article propose une anthropologie des ressentis et des images intérieures associée à une analyse des techniques du corps dans le champ des études sur le chamanisme.

The shamanic drum journey
From Mongolian traditions to therapies of the third millennium
In western shamanism, rich in multiple syncretic, hybrid and multicultural cosmologies, the learner builds his own cosmology through a succession of interpretations of his cognitive and perceptual experiences that constitute him as a “shaman”. The internships, initiations and various experiences tend to the fabrication of this shamanic body able to get in contact and to interact, in a voluntary and controlled relationship with the other worlds, whether experienced as external or internal to oneself, other worlds, parallel or part of an enlarged interiority. This article proposes an anthropology of feelings and inner images associated with an analysis of body techniques in the field of studies on shamanism.

Les morts sont des gens comme les autres, par

Les morts sont des gens comme les autres
« Les morts sont des gens comme les autres ». Cette constatation m’a été faite par Philippe, médium dans le groupement spirite de la ville où j’habite, lors d’un entretien que nous avons mené avec sa mère Michèle, et lui. Je leur avais demandé de m’expliquer comment ils entraient en communication avec les défunts – qu’est-ce qu’entendre, sentir ou voir signifient dans pareil cas ? Nous avons évoqué leur histoire, leurs destins peu communs, avec ces épreuves, ces mises en danger du corps et ces démêlés avec la mort, ces sentiments de présence et ces surprenants rêves prémonitoires. Des destins que ces personnes ont réussi à socialiser et su transformer en destinée. Le fait que les morts soient des gens comme les autres a de multiples conséquences, et notamment celle d’une obligation à prendre soin d’eux. Et à prendre soin, en leur nom et à leur demande, de ceux qui restent. Les séances au cours desquels ils sont convoqués deviennent dès lors de véritables dispositifs thérapeutiques, dans lesquels et par lesquels, les habitants de deux mondes apprennent, les uns avec les autres et les uns pour les autres à réactiver des liens, des élans de vie et de joie.

The dead are people like the others
“The dead are people like the others”. This observation was made to me by Philippe, a medium in the Spiritist group of the city where I live, during an interview with him and Michèle, his mother. I had asked them to explain to me how they communicated with the dead – what does hearing, feeling or seeing mean in such a case? We have evoked their story, their unusual destinies, with these trials, endangerments of the body and trouble with death, these feelings of presence and these surprising premonitory dreams. Destinies that these people have managed to socialize and transform into destiny. The fact that the dead are people like the others has multiple consequences, including the obligation to take care of them. And to take care, on their behalf and at their request, of those who remain. The sessions in which they are summoned thus become true therapeutic devices, in which and by which, the inhabitants of two worlds learn, with each other and for each other, to reactivate bonds, impulses of life and of joy.

Des génies accueillants  au Laos, par

Des génies accueillants au Laos
Au Laos, pays majoritairement bouddhiste, toujours dirigé par un État-parti communiste rigide et répressif, les cultes aux génies continuent à se développer et se transforment, en réponse aux contraintes vécues par la population et à ses désirs d’y échapper. La dimension de refuge des cultes et en même temps, d’échappement imaginaire par le haut à des oppressions de toutes sortes, en est un trait récurrent, manifeste en particulier dans les années quatre-vingt-dix dans l’exaltation des figures royales, opposées aux cadres politiques rendus impuissants de l’État-parti communiste. Aujourd’hui les homosexuels masculins trouvent désormais dans les cultes aux génies, en perpétuel remaniement tant au plan des pratiques que des élaborations des personnages mythiques, une atmosphère accueillante, très séduisante en regard des barrières auxquels ils se heurtent dans la vie quotidienne. Les cérémonies se présentent alors, en résonance avec les images en provenance de Thaïlande, comme des dépassements possibles en phase avec un contexte de globalisation idéologique où les plateaux LGBT rayonnent de leurs potentialités libératoires.

Welcoming geniuses in Laos
In Laos, a predominantly Buddhist country, still run by a rigid and repressive communist party-state, cults devoted to genius continue to develop and transform in response to the constraints faced by the population and their desire to escape. The shelter dimension of the cults and, at the same time, an imaginary escape from the top to oppressions of all kinds, is a recurring feature, manifested particularly in the nineties in the exaltation of the royal figures, opposed to the impotent political frameworks of the communist party-state. Today, male homosexuals find in cults to geniuses, in perpetual shuffling both in terms of practices and elaborations of mythical characters, a welcoming atmosphere, very attractive compared to the barriers they face in everyday life. The ceremonies present themselves, in resonance with the images coming from Thailand, as possible overtaking in phase with a context of ideological globalization where the LGBT plateaux radiate their liberating potentialities.

78. Multitudes 78. Printemps 2020

Pour une culture critique de l’IA, par , et

Compétition symbolique entre les espèces
Animaux / Humains / IA, par

Compétition symbolique entre  espèces
Animaux / Humains / IA
Comprendre le traitement médiatique, les discours de rêve ou de cauchemar qui accompagnent l’intelligence artificielle, suppose une analyse au prisme de la « triade animalité, humanité, machinité », à même de mettre à jour les projections ontologiques humaines à l’endroit des IA et de ce qui fait souvent figure de contraire dans notre imaginaire : les animaux. Le robot comme figure imaginaire y est un vecteur de dévoilement de l’implicite. Les fantasmes et craintes suscitées par les IA, si élevés et subtils puissent-ils paraître d’un point de vue de bipèdes supérieurs, ne sont peut-être « que » de malines réactions animales face à ce qu’on imagine être un prédateur. Il s’agit simplement d’identifier la menace, or bien souvent elle est humaine. Les humains ne sont-ils pas les meilleurs prédateurs pour eux-mêmes ? Et pour sortir de la métaphore de l’annihilation des humains par les robots, ne se comportent-ils pas envers les animaux de la même façon que ce qu’ils craignent et condamnent dans leur fantasme d’une machine aveugle, sans capacité de réflexion, d’éthique ou de sentiments ?

Symbolic competition between species
Animals / Humans / AI
Understanding the media treatment, the dream or nightmare speeches that accompany artificial intelligence, presupposes an analysis through the prism of the “triad animality, humanity, machinity”, capable of updating the human ontological projections towards the AI and what is often the opposite in our imagination: animals. The robot as an imaginary figure is a vector for the unveiling of the implicit. The AIs ​​fantasies and fears, however lofty and subtle they may seem from a superior bipedal point of view, are perhaps “only” clever animal reactions to what we imagine to be a predator. It’s just a matter of identifying the threat, but very often it’s human. Aren’t humans the best predators for themselves? And to get out of the metaphor of the annihilation of humans by robots, do they not behave towards animals in the same way as what they fear and condemn in their fantasy of a blind machine, without capacity for reflection, ethics or feelings?

Le troisième âge de l’intelligence augmentée, dite artificielle, par

Le troisième âge de l’intelligence augmentée, dite  artificielle
Le constat que faisait Herbert Simon, Prix Nobel d’économie 1978, comme quoi l’IA est très éloignée de l’intelligence humaine naviguant dans un monde incertain, reste plus juste que jamais en 2020. D’abord, l’IA manque de rigueur méthodologique sur la constitution et le traitement des données. Pire : après avoir privilégié le modèle de l’intelligence symbolique, qui a trouvé ses limites, elle prend désormais pour modèle l’intelligence intuitive de l’enfant de moins de 6 ans, qui plus est de façon caricaturale. Ne faudrait-il pas plutôt tenter d’aller vers un troisième âge de l’IA, augmentant nos capacités plutôt que les singeant, et s’appuyant sur tous les ressorts de l’intelligence ?

The third age of augmented intelligence, known as artificial intelligence
The observation made by Herbert Simon, 1978 Nobel Prize in economics, that AI is far removed from human intelligence navigating in an uncertain world, remains more correct than ever in 2020. First, AI lacks methodological rigor on the constitution and processing of data. Worse: after having privileged the symbolic intelligence model, which has found its limits, it now takes as its model the intuitive intelligence of children under 6, what is more in a very crude and cartoonish way. Shouldn’t we rather try to go towards a third age of AI, increasing our capacities rather than mimicking them, and relying on all the springs of intelligence?

De la loi des grands nombres aux grands nombres qui font la loi
IA, Jeu de l’imitation et vote démocratique, par

De la loi des  grands nombres aux grands nombres qui  font  la  loi
IA, jeu de l’imitation et  vote  démocratique
Les affaires de Facebook et de Cambridge Analytica ont révélé aux démocraties la toute-puissance de la manipulation algorithmique. Les IA influencent dorénavant de manière drastique jusqu’au sacro-saint scrutin majoritaire. En ciblant nos affects et les failles de notre jugement, les IA attisent la tyrannie de la majorité. Sommes-nous pour autant condamnés à voir un choix individuel peu assuré dissout dans un choix collectif douteux ? Pour initier une réponse réjouissante qui redonnerait tout son sens au vote, l’article propose de revoir non sans dérision les règles du jeu : Et si les capacités de simulation des IA, au lieu de nous berner, nous aidaient au contraire dans notre jugement de citoyen ? Et si, en dégourdissant la pensée humaine plutôt qu’en la numérisant au moyen de l’IA, la simulation d’un candidat artificiel éveillait une intelligence collective permettant de prémunir les citoyens contre la tyrannie des moyennes ?


From the law of  large numbers to  the  large numbers that  make  the law
AI, imitation game and  democratic voting
Facebook and Cambridge Analytica affairs have exposed democracies to the power of algorithmic manipulation. AI now drastically influences the sacrosanct majority vote. By targeting our affects and the flaws in our judgment, AI fuels the tyranny of the majority. Are we therefore condemned to see an individual choice with little assurance dissolved in a questionable collective choice? To initiate a pleasing response that would restore all meaning to the vote, the article proposes to review not without derision the rules of the game: and if the AI simulation capabilities, instead of fooling us, instead helped us in our judgment of citizen? What if, by stretching human thought rather than digitizing it by means of AI, the simulation of an artificial candidate awakened a collective intelligence making it possible to protect citizens against the tyranny of the average?

Pour un design alternatif de l’IA ?, par , et

Restitutions de basse intensité, par , et

Restitutions de basse intensité
Le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain a provoqué controverses et crispations. Quels peuvent être les critères de restitution des objets ? Les modes d’acquisition, les usages dans le contexte culturel d’origine, les modalités de retour en Afrique ? Il s’agit ici de faire un pas de côté par rapport au débat sur le devenir des musées détenteurs de collections coloniales, particulièrement euro centré. La restitution n’est pas seulement le déplacement physique d’un artefact d’un musée à un autre, elle est un geste symbolique. Ainsi, dans les angles morts de la restitution formelle, cette Mineure recherche des formes alternatives de restitution de basse intensité, à partir desquels pourrait s’ouvrir de nouveaux horizons d’appropriation.

Low-intensity restitutions
The Sarr-Savoy report on the restitution of African heritage has caused controversy and tension. What can be the criteria for the restitution of objects? Modes of acquisition, uses in the original cultural context, modalities of return to Africa? The aim is here to take a step aside from the debate on the future of museums holding colonial collections, particularly Euro-centred. Restitution is not just the physical movement of an artefact from one museum to another, it is a symbolic gesture. Thus, in the blind spots of formal restitution, this Mineure seeks alternative forms of low-intensity restitution, from which new horizons of appropriation could open up.

Zone de contact autour d’histoires d’objets mal acquis, par

Zone de contact autour d’histoires d’objets mal acquis
L’association Alter Natives a voulu mobiliser autour des enjeux de la restitution d’objets africains des personnes peu enclines à fréquenter les musées qui les conservent. L’expérience se nomme Zone de contact/Objets d’ailleurs. Il s’agit pour des jeunes franciliens d’entrer dans les réserves des musées, de choisir certains objets d’origine non européenne, d’enquêter sur leur biographie pour savoir d’où ils viennent et d’être en mesure d’expliquer leur parcours au reste de la population. Dans ce projet de long terme, ancré sur des territoires divers, la restitution des objets mal acquis n’est donc pas le mobile principal. Ces actions permettent de tester des outils pour établir un autre type de rapport aux savoirs et développer une relation directe avec les populations dont sont issues ces objets, dans leurs pays d’origine, d’Afrique essentiellement.

Contact zone around stories of
ill-gotten objects
The Alter Natives association wanted to mobilize people who are reluctant to visit the museums that preserve them around the issues of the restitution of African objects. The experience is called Contact zone/Objects from elsewhere. It involves young people from the Ile-de-France region entering museum reserves, selecting objects of non-European origin, investigating their biography to find out where they come from and being able to explain their journey to the rest of the population. In this long-term project, anchored in various territories, the restitution of ill-gotten objects is therefore not the main motive. These actions make it possible to test tools to establish another type of relationship with knowledge and to develop a direct relationship with the populations from which these objects come, in their countries of origin, mainly in Africa.

Formes rapides de restitution, par

Formes rapides de restitution
La restitution des artefacts pillés lors des conquêtes coloniales ou abritées dans les musées « coloniaux » suscite des réactions antagoniques. Faut-il « tuer » le modèle du musée ethnographique, comme le préconise le président du Mali, ou bien purifier les collections témoins de pratiques génocidaires, en les radiographiant ou les cachant dans les réserves muséales, à l’abri des regards critiques ? La complicité entre le pouvoir académique et le principe d’inaliénabilité de la propriété muséologique rendent le processus de restitution particulièrement lent. Pour éviter que la restitution soit récupérée, des réponses rapides ont été conçues pour mieux correspondre aux imaginaires et pratiques de la jeunesse africaine: musée numérique, muséologie critique, institutions de culture populaire et restitution « en mode rapide ». Plutôt que de se focaliser sur des objets iconiques, la restitution en mode rapide cherche à revisiter l’ingéniosité traditionnelle précoloniale pour développer de nouvelles techniques, de nouvelles œuvres d’art et de nouveaux objets à finalité sociale et spirituelle.

Rapid response to restitution
The restitution of artefacts looted during the colonial conquests or housed in “colonial” museums provokes antagonistic reactions. Should the model of the ethnographic museum be “killed”, as advocated by the President of Mali, or should the collections that bear witness to genocidal practices be purified by X-raying them or hiding them in museum reserves, away from critical eyes? The complicity between academic power and principle of inalienability of museological property makes the restitution process particularly slow. In order to prevent restitution from being retrieved, rapid responses have been designed to better correspond to the imaginaries and practices of African youth: digital museums, critical museology, popular culture institutions and “rapid response”restitution. Rather than focusing on iconic objects, rapid mode restitution seeks to revisit traditional pre-colonial ingenuity to develop new techniques, new works of art and new objects with social and spiritual purposes.

L’affaire des « pouces coupés »
De la désuétude du musée moderne pour raconter le monde d’aujourd’hui, par

L’affaire des « pouces coupés »
Dispositif non pas d’exposition mais de communication, la « Konkomba Memory Box » est présentée simultanément dans une localité konkomba, à Nawaré au Togo, et au Rautenstrauch-Joest Museum à Cologne, dans le cadre de l’exposition « Resist – Die Kunst des Widerstands (L’art de la résistance) », du 6 novembre 2020 au 14 avril 2021. Ce cadre muséal hors-les-murs n’est pas simplement le réceptacle des informations collectées au cours d’une enquête sur l’actualité du passé colonial, et notamment de sa violence, mais il est aussi l’outil d’une exploration, dont la forme est élaborée, appropriée, discutée et recomposée par l’ensemble des participants, et surtout, par ceux qui aujourd’hui, font leur ce récit. L’affaire des « pouces coupés » illustre bien cette démarche. Il s’agit du débat sur la restitution d’un membre fantôme, celui du pouce de la main droite des archers konkomba dont les descendants actuels affirment qu’il a été amputé par les milices coloniales allemandes (Von Massow) puis françaises (Massu).

The case of the “severed thumbs”
The “Konkomba Memory Box” is not an exhibition but a communication device. It is presented simultaneously in a Konkomba locality in Nawaré, Togo, and at the Rautenstrauch-Joest Museum in Cologne, as part of the exhibition “Resist – Die Kunst des Widerstands (The Art of Resistance)”, from November 6, 2020 to April 14, 2021. This off-the-wall museum setting is not simply a receptacle for information gathered in the course of an investigation into the current events of the colonial past, and in particular its violence, but is the very tool of an exploration whose form is elaborated, appropriated, discussed and recomposed by all the participants, and above all, by those who, today, make this narrative their own. The “severed thumbs” case is a good illustration of this approach. It concerns the debate on the restitution of a phantom limb, that of the thumb of the right hand of the Konkomba archers whose current descendants claim that it was amputated by the German (Von Massow) and then French (Massu) colonial militias.

De la conServation à  la  conVersation
Le pari de la carte blanche, par

De la conServation à la conVersation
Le pari de la carte blanche
Nanette Snoep, alors directrice du Grassi Museum für Völkerkunde zu Leipzig (2015-2019) et aujourd’hui à la tête du Rautenstrauch Joest Museum – Kulturen der Welt à Cologne, revient dans cet article sur l’exposition « Megalopolis – Les voix de Kinshasa » (2018) qu’elle accueillit à Leipzig, et sur la manière dont son organisation fut conçue pour donner carte blanche aux commissaires Eddy Ekete et Freddy Tsimba, artistes plasticiens congolais. Les difficultés inhérentes à l’organisation encore dominante aujourd’hui du musée ethnographique, la nécessaire et urgente participation d’acteurs culturels issus des pays d’où proviennent les collections ethnographiques invite à revisiter structurellement son fonctionnement. Comment les musées peuvent-ils devenir des lieux effectifs de décolonisation du savoir et des narrations ? Qui parle et qui parle à qui ? Et comment ? Au lieu d’être un musée confiné à l’exclusive conServation, il devrait se dédier davantage à la conVersation, dans un forum où les objets nous parlent et où les gens se parlent.

From conServation to conVersation
The bet of the carte blanche 
Nanette Snoep, then director of the Grassi Museum für Völkerkunde zu Leipzig (2015-2019) and now head of the Rautenstrauch-Joest Museum – Kulturen der Welt in Cologne, looks back in this article on the exhibition “Megalopolis – Voices from Kinshasa”(2018) that she hosted in Leipzig and how its organisation was designed to give curators Eddy Ekete and Freddy Tsimba carte blanche. The difficulties inherent in the ethnographic museum’s organization, which is still dominant today, and the necessary and urgent participation of cultural actors from the countries from which the ethnographic collections originate, call for a structural revision of its functioning. How can museums become effective places for the decolonization of knowledge and narratives? Who speaks and who speaks to whom? And how? Instead of being a museum confined to exclusive conServation, it should be more dedicated to conVersation, in a forum where objects speak to us and people speak to each other.

Les Européens se jouent-ils à nouveau des  Africains ?, par

Les Européens se jouent-ils à nouveau des Africains ?
Les Européens semblent se jouer à nouveau des Africains, mais avec des armes différentes des fusils utilisés pendant conquêtes et colonisations. L’ambigüité entretenue autour du terme « restitution » par les musées européens, en particulier allemands et britanniques, en constitue un exemple frappant. Par restitution, ils entendent souvent prêts temporaires ou permanents d’objets d’art africains. Car, admettre la restitution définitive de ces objets revient à reconnaître la réalité des raids et pillages coloniaux ainsi que le génocide de certains peuples. Des excuses juridiques sont également avancées. Kwame Opoku considère qu’il n’y a pas de difficulté juridique s’il y a volonté de faire.

Are the Europeans outmanoeuvring Africans again?
The Europeans seem to outmanoeuver the Africans again, but with different weapons from the rifles used during conquests and colonization. The ambiguity surrounding the term “restitution” in European museums, particularly German and British museums, is a striking example of this. By restitution, they often mean temporary or permanent loans of African artefacts. For to admit the definitive restitution of these objects is tantamount to acknowledging the reality of colonial raids and looting as well as the genocide of certain peoples. Legal excuses are also put forward. Kwame Opoku considers that there is no legal difficulty if there is a will to do so.

79. Multitudes 79. Eté 2020

Une approche psychologique du  patriarcat ?, par

#MeToologies ou les  ciseaux de Vanessa  Springora, par

Lire en ligne
La démocratie d’Aung San Suu Kyi
Persistance d’un système ethnonationaliste et militariste en Birmanie, par

80. Introduction

Pour célébrer ses vingt ans d’existence, la revue Multitudes a entièrement confié la rédaction de son numéro quatre-vingt à Cora Novirus, une intellectuelle collective apparue à Bologne en 1977, une deuxième fois à Seattle en 1999, puis à Porto Alegre en 2001, à Tunis en 2011, et en d’innombrables autres endroits du monde depuis comme auparavant. Cora a choisi de rédiger un abécédaire des bifurcations pour sonder les multiples façons dont, en cette année anniversaire 2020, une entité minuscule et invisible, nommée Sars Cov2 ou Covid-19, a rappelé la nécessité de résister au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à l’emballement économique, sous peine de mort. Les gouvernements ne semblent pas enclins à renaître sous une autre forme. Cora s’est sentie appelée à revenir. Entre poids du passé et multiplicité des futurs, elle s’efforce de repérer des bifurcations, des effets de cliquet, des points de non retour, qui empêcheront demain de renaître comme hier. Elle en a fait autant d’entrées d’un abécédaire, dont le ton alterne entre l’espoir et l’espièglerie, entre la proposition programmatique et le décalage ironique, en jouant davantage le jeu des renvois que celui des définitions formelles. Cora ne se complaît ni dans les « journaux du confinement », ni dans les prédictions sur « l’après ». Elle ne regrette pas davantage le monde d’avant qu’elle ne craint l’effondrement à venir. Elle tente de comprendre l’aujourd’hui de bifurcations en train de se faire – des bifurcations qui ont parfois commencé depuis longtemps, ou qui commencent à peine à pouvoir s’envisager. Cora sait que ces bifurcations ne se feront pas toutes seules : elles ont besoin de nous pour prendre de bonnes directions. Avec son abécédaire, Cora nous appelle à prendre la mesure de ces bifurcations, à en rejeter les impasses, à en soutenir les initiatives. Avec : Thierry Bardini, Thierry Baudouin, Romain Bigé, Nathalie Blanc, Frédéric Brun, David Christoffel, Yves Citton, Michèle Collin, Priscilla De Roo, Léna Dormeau, Giuseppe Cocco, Alexandre Gefen, Maël Guesdon, Luc Gwiazdzinski, Aliocha Imhof, Stéphane Jouan, Ariel Kyrou, Gaëtane Lamarche Vadel, Sandra Laugier, Erin Manning, Brian Massumi, Alexandre Mendes, Anna Louise Milne, Pascale Molinier, Yann Moulier Boutang, Kab Niang, Julie Peghini, Léo Pinguet, Anne Querrien, Ulysse Rabaté, Philippe Rahm, Jacopo Rasmi, Barbara Szaniecki, Monique Selim, Myriam Suchet, Peter Szendy, Sébastien Thiéry, Thomas Vauthier, Patrice Yengo Icônes, artistes invités : ACBE, Louis Bec, Giovanni Bosco, Szabolcs Bozó, Alberto Jorge Cadi, Janko Domsic, José Manuel Egea, Guo Fengyi, Johann Hauser, Davood Koochaki, Dwight Mackintosh, Óscar Fernando Morales, Mihai Zgondoiu

80. Multitudes 80. Automne 2020

Le numéro 80 de Multitudes, rédigé, pour son vingtième anniversaire, par l’intellectuelle collective Cora Novirus, recense les points de bifurcation et les effets de cliquet apparus pendant la crise de la Covid-19.

81. Multitudes 81. Hiver 2020

Depuis plusieurs décennies, une scène artistique intense, plurielle secoue la République démocratique du Congo et sa diaspora. Des centres d’art, des collectifs (à Lubumbashi, Goma, Kisangani, Kinshasa etc.), des biennales (Lubumbashi, Kinshasa) donnent corps à la pluralité des formes et des engagements sociaux, artistiques, politiques et théoriques qui la traversent.

Le capital de l’imaginaire
Ce qu’il y a et ce qui n’est pas, par

Le capital de l’imaginaire
Ce qu’il y a et ce qui n’est pas
Le romancier et plasticien Sinzo Aanza interroge la place de l’artiste face au pouvoir depuis l’époque précoloniale jusqu’à nos jours dans le Congo contemporain. Ce qu’il appelle le « capital de l’imaginaire » se déploie avec et contre le pouvoir sur le marché de la valeur : tandis que les vendeurs de masques sont asservis par des discours d’authenticité fantasmée sur de l’art rituel, d’autres artistes s’attachent à dire l’expérience coloniale, l’exploitation des corps et des terres, dont les prédations minières contemporaines sont la continuation. C’est le rôle du poète et de l’artiste congolais qui est analysé en définitive, eux qui sont porteurs d’imaginaires tournés vers le futur et le monde.

The Capital of the Imaginary
What is and What is not
The novelist and visual artist Sinzo Aanza questions the place of the artist in the face of power, from pre-colonial times to contemporary Congo. What he calls the “capital of the imaginary” unfolds with and against power on the market of value: while mask sellers are enslaved by fantasized speeches of authenticity about ritual art, other artists focus on the colonial experience, the exploitation of bodies and land, of which contemporary mining predators are the continuation. It is the role of the poet and the Congolese artist that is ultimately analyzed, they who are bearers of imaginaries turned towards the future and the world.

Le Congo et Cuba
Pour une ré-existence des latitudes, par

Le Congo et Cuba
Pour une ré-existence des latitudes
Revisitant le voyage peu connu de Ernesto Che Guevara au Congo en 1965 à partir de son Journal du Congo, l’article propose une lecture décoloniale de la coopération entre Cuba et le Congo. Considérée comme un « échec » militaire, cette mission de soutien témoigne tout à la fois d’une alliance des pays du tiers-monde et d’une volonté anticoloniale et anti-impériale d’imaginer des possibles politiques alternatifs. Elle montre aussi les difficultés de faire front commun et d’implanter au Congo l’idéal marxiste cubain de « l’homme nouveau ». Malgré cette situation ambivalente, analysée à partir du journal du Che et de photographies, cette expérience militaire a été un premier jalon tiers-mondiste d’affirmation de « modernités multiples », qui ne sont pas assujetties aux seules modernités occidentales, comme en témoigne une description de l’exposition artistique du Sud Global de La Havane en 1989, conçue par l’auteure comme en étroite filiation avec le rêve du Che.

Congo and Cuba
For a Re-Existence of Latitudes
Revisiting Ernesto Che Guevara’s little-known 1965 trip to the Congo from his Congo Diary, the article offers a decolonial reading of cooperation between Cuba and the Congo. Considered a military “failure”, this mission of support testifies both to an alliance of Third World countries, and to an anti-colonial and anti-imperial will to imagine possible alternative policies. It shows also the difficulties of making a common front and implanting in the Congo the Cuban Marxist ideal of the “new man”. In spite of this ambivalent situation, analyzed from Che’s diary and photographs, this military experience was a first Third World milestone in the affirmation of “multiple modernities”, which would not be subjected only to Western modernities, as shown in a description of the artistic exhibition of the Global South in Havana in 1989, conceived by the author as being closely related to Che’s dream.

Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés, par

Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés
La photographe, vidéaste, plasticienne et dessinatrice Michèle Magema analyse sa pratique artistique, marquée par l’exil et l’appartenance à des territoires multiples. La métamorphose, le Tout-Monde, l’état de postcolonie, la monstration du corps féminin : autant de motifs de son travail artistique. Oyé Oyé est une installation mêlant images de défilés du temps de Mobutu et reconstitution par l’artiste des codes gestuels imposés aux écoliers sous la dictature. Under The Landscape reproduit et interroge les frontières politiques du Congo. Evolve revient sur la catégorie coloniale d’« évolué ». Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés interroge le « retour au pays natal » de l’artiste, après plus de trente ans d’absence. Michèle Magema définit son travail comme une création de fiction, une exploration des relations entre le Congo, la France et la Belgique, une étude des effets politiques du monde globalisé sur les individus.

Remind Me Not to Forget Our Dreamed Territories
Photographer, video artist, visual artist and cartoonist Michèle Magema analyzes her artistic practice, marked by exile and belonging to multiple territories. Metamorphosis, the All-World, the state of postcolony, the monstration of the female body: these are the motifs of her artistic work. Oyé Oyé is an installation mixing images of Mobutu’s parades and reconstitution by the artist of the gestural codes imposed on schoolchildren under the dictatorship. Under The Landscape reproduces and questions the political borders of the Congo. Evolve returns to the colonial category of “the evolved”. Remind me not to forget our dreamed territories questions the artist’s “return to the native country” after more than thirty years of absence. Michèle Magema defines her work as a creation of fiction, an exploration of the relations between the Congo, France and Belgium, a study of the political consequences of the globalized world on individuals.

Tanina ntoto !
Grand-maternités politiques, par

Tanina Ntoto !
Grand-maternités politiques
L’article entend constituer la grand-mère comme figure centrale de transmission, comme personnage politique radical : figure de récit, figure de continuité mémorielle là où la colonisation a sapé l’autorité des lignées paternelles. Se décalant d’un récit qui pense la colonisation comme une castration symbolique des pères, l’auteure interroge les lignées féminines et leur pouvoir de transmission de trames narratives et mémorielles. La grand-mère est érigée en force politique, capable de défaire l’autorité patriarcale et de recréer des liens défaits. La force des « petites histoires » racontées par les grand-mères face aux défaites de la « grande histoire » des pères : tel est le pouvoir des fabulations politiques de soi qui s’inventent au-delà ou contre les identités normatives et produisent de nouveaux imaginaires politiques.

Tanina Ntoto!
Political Grandmotheroods
The article intends to constitute the grandmother as a central figure of transmission, as a radical political figure: a figure of narrative, a figure of continuity of memory where colonization has undermined the authority of paternal lineages. Moving away from a narrative that thinks of colonization as a symbolic castration of fathers, the author questions female lineages and their power of transmission of narrative and memory frames. The grandmother is set up as a political force, capable of undoing patriarchal authority and recreating broken ties. The strength of the “little stories” told by grandmothers in the face of the defeats of the “big story” of fathers: such is the power of political self-fabulations that invent themselves beyond or against normative identities, and produce new political imaginaries.

Congo
Arbres fertiles près de la source, par

Congo
Arbres fertiles près de la source
L’artiste Sarah Ndele mêle une réflexion sur sa propre pratique, nourrie de l’art Yombé, à un plaidoyer en faveur du renouvellement de l’enseignement artistique au Congo qui intègrerait une histoire de l’art classique africain. Sarah Ndele explique comment ses propres créations de masques interrogent la fracture héritée de la colonisation qui est venue rompre les transmissions intergénérationnelles, produisant des « trous » de mémoire. Dans son œuvre, le plastique a remplacé le bois et les matières végétales des masques d’autrefois ; la fonte des matières plastiques récupérées forme des « larmes », qu’elle agence avec la volonté de se recomposer soi-même par son art. Les performances, réalisées au sein d’un collectif d’artistes kinois, investissent la rue et l’espace public pour interpeller les passants sur des sujets politiques parfois sensibles. Cette pratique collective de la performance est rattachée à tout un héritage culturel africain, défendu par l’artiste.

Congo
Fertile Trees Near the Source
Artist Sarah Ndele mixes a reflection on her own practice, nourished by Yombé art, with a plea for the renewal of art education in the Congo that would include a history of classical African art. Sarah Ndele explains how her own mask creations question the fracture inherited from colonization, which broke down intergenerational transmissions, producing “gaps” in memory. In her work, plastic has replaced wood and the vegetable materials of the masks of yesteryears; the melting of recovered plastic forms “tears”, which she combines with the desire to recompose herself through her art. The performances, realized within a collective of Kinshasa artists, invest the street and the public space to question the passers-by on sometimes sensitive political issues. This collective practice of performance is linked to a whole African cultural heritage, defended by the artist.

Champ politique et champ musical populaire
Parallèle entre deux espaces de compétition à Kinshasa, par

Champ politique et champ musical populaire
Parallèle entre deux espaces de compétition à Kinshasa
Le politique et le chanteur : deux figures qui semblent bien éloignées mais que l’auteur rassemble en partant de la scène kinoise. Stratégie de subversion, culte de la personnalité, culture du clash, soutien de supporters, fonctionnement en factions : avec humour, l’auteur dresse des parallèles entre les univers musicaux et politiques pour, d’une part, souligner combien la musique porte une large part de politique et pour, d’autre part, déconstruire l’autorité du champ politique par la dérision. La dictature est ainsi lue comme le plébiscite, par les masses, d’hommes de scènes, passés maîtres dans la gestion des slogans et des bonnes répliques. Les stars de la chanson, de leur côté, sont partie prenante des campagnes électorales et participent aux stratégies de marketing de la scène politique. Au-delà des jeux de rapprochement, l’article interroge la fabrication des élites, l’espace médiatique, la création des « stars » et l’usage de la parole politique.

The Political Field and the Popular Music Field
Parallel between Two Competitive Spaces in Kinshasa
The politician and the singer: two figures who seem quite distant but whom the author brings together from the Kinshasa scene. Strategy of subversion, cult of personality, culture of clash, supporters’ spirit, faction dynamics: with humor, the author draws parallels between the musical and political worlds in order, on the one hand, to underline how much music carries a large part of politics but also, on the other hand, in order to deconstruct the authority of the political field through derision. The dictatorship is thus read as the plebiscite, by the masses, of showmen who have become masters in the management of slogans and punchlines. The music stars are part of the electoral campaigns and participate in the marketing strategies of the political scene. Beyond the parallels, the article questions the fabrication of elites, the media space, the manufacture of celebrity, the use of political speech.

Lubumbashi et l’idée de mémoire orale, par

Lubumbashi et l’idée de mémoire orale
Le projet Mémoires de Lubumbashi, créé en 2000, a pour objectif de collecter des sources orales sur l’histoire de cette ville minière (deuxième ville du Congo et capitale du Katanga), ainsi que des sources picturales et des objets. L’objectif est de fournir un contre-point aux sources écrites coloniales pour venir dessiner une histoire plurielle de la ville, en proposant une démarche participative et inclusive aux habitants. Des récits de vie des travailleurs de l’Union Minière du Haut-Katanga pendant la période coloniale, des récits également de leurs compagnes et de leurs filles, trop souvent oubliées des enquêtes historiques, des photographies familiales, des créations de théâtre populaire en kiswahili (surtout de la troupe Mufwankolo) qui évoquent le quotidien de la colonisation, des répertoires de chansons populaires sont autant d’exemples de cette large collecte. C’est à une conception de l’histoire en lien avec les citoyens que l’auteur nous invite, attaché à écrire les vies quotidiennes des « sans voix ».

Lubumbashi and the Idea of Oral Memory
The Memories of Lubumbashi project, created in 2000, with the aims at collecting oral sources on the history of this mining city (the second largest city in Congo and capital of Katanga) as well as pictorial sources and objects. The objective is to provide a counterpoint to written colonial sources, in order to draw a plural history of the city, by proposing a participatory and inclusive approach to the inhabitants. Life stories of the workers of the Mining Union of Haut-Katanga during the colonial period, stories also of their companions and their daughters, too often forgotten in historical investigations, family photographs, popular theater creations in Kiswahili (especially from the Mufwankolo troupe) that evoke the daily life of colonization, repertoires of popular songs are all examples of this large collection. The author invites us to a conception of history in connection with the citizens, attached to writing the daily lives of the “voiceless”.

Covid 19
Oxymores des totems et des signes de vie à Kinshasa, par

Covid‑19
Oxymores des totems et des signes de vie à Kinshasa
L’auteur analyse les signes verbaux, non-verbaux, les rituels intégrés dans les discours dominants et dans les discours communs en réponse à la pandémie de Covid‑19 à Kinshasa, entre mars et mai 2020. « Masque », « geste barrière », « confinement » sont tour à tours lus à travers leurs résonnances en lingala ou au sein de l’histoire récente du Congo. L’auteur montre comment ils se chargent d’« oxymores », où des significations antithétiques viennent se greffer sur le discours officiel, venant le contredire ou en tout cas le biaiser. L’auteur revient également sur les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie, le confinement impossible de Kinshasa, la hausse des prix, les mises en scène médiatisées des hommes politiques et des hommes d’églises, les conséquences sociales dramatiques pour les plus pauvres. C’est finalement à un « éloge de la lenteur » que nous convie l’auteur, ainsi qu’à une politique du « care » et de l’accompagnement : dernière positivité paradoxale du virus.

Covid‑19
Oxymora of Totems and Signs of Life in Kinshasa
The author analyzes the verbal and non-verbal signs, as well as the rituals integrated into dominant and common discourses in response to the Covid‑19 pandemic in Kinshasa, between March and May 2020. “Mask”, “barrier-gesture”, “lockdown” are read in turn through their resonances in Lingala or within the recent history of Congo. The author shows their oxymoronic uses, where antithetical meanings are grafted onto the official discourse, contradicting or in any case twisting it. The author also discusses the measures taken by the government to fight the pandemic, the impossible lockdown of Kinshasa, the rise in prices, the high-profile media coverage of politicians and churchmen, and the dramatic social consequences for the poorest. Finally, the author invites us to a “praise of slowness” and to a “policy of care”: the last paradoxical positivity of the virus.

Ré-enchanter l’Afrique, par et

Ré-enchanter l’Afrique
Au cours de cet entretien mené par Yala Kisukidi, Achille Mbembe revient sur les thèmes clés de son ouvrage Brutalisme (2020) : la définition de l’idée d’« Afrique », la nécessité de sortir d’une « histoire de la prédation » et de réinvestir des utopies par le « ré-enchantement », la revalorisation d’une « politique du soin » tandis que la terre est endommagée, la création d’un espace africain de libre circulation sont évoquées tour à tour. Convoquant les écrivains Amos Tutuola et Sony Labou Tansi, Mbembe souligne le rôle de l’imaginaire, et singulièrement de la littérature, dans la fabrique des utopies de demain. L’art, entendu comme réserve de vie et de possibles, constitue une ressource pour penser les migrations contemporaines et imaginer d’autres modèles alternatifs au modèle actuel néolibéral. Face à la criminalisation des circulations, le pillage des ressources, la violence du « brutalisme » contemporain, Mbembe en appelle à une « politique du soin » capable d’inclure, depuis l’Afrique, la question du commun et du partage de la Terre.

Re-Enchanting Africa
During this interview conducted by Yala Kisukidi, Achille Mbembe returns to the key themes of his book Brutalism (2020): the definition of the idea of “Africa”, the need to get out of a “history of predation” and to reinvest utopias through “re-enchantment”, the revaluation of a “policy of care” in our damaged lands, the creation of an african space of free movement, all these themes are discussed in turn. Convening the writers Amos Tutuola and Sony Labou Tansi, Mbembe underlines the role of the imaginary, and particularly of literature, in the making of tomorrow’s utopias. Art, understood as a reserve of life and possibilities, constitutes a resource for thinking about contemporary migrations and imagining alternative models to the current neo-liberal model. Faced with the criminalization of circulation, the plundering of resources, the violence of contemporary “brutalism”, Mbembe calls for a “politics of care” capable of including, from Africa, the question of the common and the sharing of the Earth.

« A » comme Amérique, Amazonie et abeilles, par

« A » comme Amérique, Amazonie et abeilles
« Amérique latine » est un nom empreint d’un passé colonial qui ne correspond aucunement à la diversité de ce vaste continent. Oser un redesign de l’Amérique latine signifie ici ouvrir des possibilités… plutôt que conclure des projets. Cela implique de revoir en traits rapides l’histoire de la formation des États-nations et les conséquences récentes du national-développementisme. Ensuite, de présenter quelques initiatives biopolitiques dans les enchevêtrements d’une biozone partagée par plusieurs nations latino-américaines. Enfin, de suivre les « abeilles sans dard » de la forêt jusqu’en ville pour, au bout du chemin, grâce à leurs pollinisations et essaimages, percevoir les contours d’une ZAD amazonienne en formation.

“A” for America, Amazonia and Bees
“Latin America” is a name with a colonial past that does not reflect the diversity of this huge continent. Daring to redesign Latin America here means opening up possibilities rather than concluding projects. It envolves revisiting in quick lines the history of the formation of nation-states and the recent consequences of national-developmentalism. Secondly, presenting some biopolitical initiatives in the tangle of a biozone shared by several Latin American nations. Finally, following the “stingless bees” from the forest to the city and, at the end of the road, thanks to their pollination and swarming, perceiving the contours of an Amazonian ZAD in formation.

Généalogie du gouvernement Bolsonaro
Les deux hélicoptères de la guerre brésilienne, par

Généalogie du gouvernement Bolsonaro
Les deux hélicoptères de la guerre brésilienne
L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil a eu lieu dans l’affirmation d’un nouveau warfare : une guerre diffuse où la distinction entre l’ami et l’ennemi devient floue. C’est un double dispositif qui s’est mis en place. D’une part, le retour aux affaires de l’armée brésilienne dans le cadre des missions de paix menées pendant les gouvernements de la gauche, en Haïti et dans les favelas de Rio de Janeiro. D’autre part, la polarisation par Lula et la gauche a préparé la mobilisation d’une nouvelle extrême droite. Avec la crise du Covid, grâce à la mise en place d’un revenu de base, le « lulismo » se transmute en « bolsonarismo ».

Genealogy of the Bolsonaro Government
The Two Helicopters of the Brazilian War
Jair Bolsonaro’s arrival to power in Brazil has taken place in the affirmation of a new warfare : a diffuse war in which the distinction between friend and enemy becomes blurred. A double mechanism has been put in place. On the one hand, the Brazilian army’s return to business as part of the peace missions carried out during the leftist governments, in Haiti and in the favelas of Rio de Janeiro. On the other hand, the polarisation by Lula and the left prepared the mobilisation of a new extreme right. With the Covid crisis, thanks to the establishment of a basic income, “lulismo” was transmuted into “bolsonarismo”.

Radiographie du commandantisme vénézuélien
Du « chavisme » au « madurisme », par

Amazonie Sentinelle, par

Amazonie Sentinelle
Cet article met en lumière une forme particulière de pouvoir dans le processus de colonisation de l’Amérique du Sud. Les expéditions des bandeirantes se distinguaient du pouvoir pastoral des missions jésuites ainsi que de l’exploitation minière ou de l’occupation territoriale en établissant un régime de chasse dont les cibles principales étaient les peuples indigènes. Ce régime servait de contrepoids au pouvoir souverain et à l’humanisme occidental. Aujourd’hui, la dimension technologique de la biopolitique donne lieu à une sémiotique de la chasse (capture de signes). L’auteur souligne l’importance de la forêt amazonienne comme réservoir de signes, et la position que certaines institutions et mouvements exercent, en tant que sentinelles de la démocratie, en opposition au populisme autoritaire et prédateur de Bolsonaro.

Amazonia Sentinel
This article highlights a particular form of power in the process of colonisation of South America. The expeditions of the bandeirantes differed from the pastoral power of the Jesuit missions as well as from mining or territorial occupation by establishing a hunting regime whose main targets were the indigenous peoples. It served as a counterweight to sovereign power and Western humanism. Today, the technological dimension of biopolitics gives rise to a semiotics of hunting (capture of signs). The author underlines the importance of the Amazonian forest as a reservoir of signs, and the position that certain institutions and movements exercise, as sentinels of democracy, in opposition to Bolsonaro’s authoritarian and predatory populism.

La stratégie de la multitude au Chili
Entre biopolitique de l’hibernation et nécropolitique, par

La stratégie de la multitude au Chili
Entre biopolitique de l’hibernation et nécropolitique
Le printemps austral au Chili a été le théâtre d’un grand soulèvement qui a mis fin à la politique néolibérale de Piñera tout en critiquant le cadre constitutionnel, héritage de l’époque Pinochet. Au départ, le mouvement était une grève métropolitaine contre l’augmentation du prix du ticket des transports publics. Face à la répression qui a suivi la grève s’est transformée en un soulèvement des multitudes pour la démocratie et un nouveau système de protection sociale. Même les tentatives de médiation institutionnelles ne semblent ne pas avoir de succès pour bloquer le mouvement qui tout de même rentre en hibernation à cause de la pandémie. Mais le résultat du plébiscite pour une nouvelle constituante qui montre que le pays s’émancipe du cadre pinochetiste.

The Strategy of the Multitude in Chile
Between the Bio-Politics of Hibernation and Necopolitics
The southern spring in Chile was the scene of a great uprising that put an end to Piñera’s neoliberal policy while criticizing the constitutional framework, a legacy of the Pinochet era. Initially, the movement was a metropolitan strike against the increase in the price of public transport tickets. In the face of the repression that followed the strike, it turned into an uprising of the multitudes for democracy and a new system of social protection. Even institutional attempts at mediation do not seem to be successful in blocking the movement, which nevertheless went into hibernation because of the pandemic. But the result of the plebiscite for a new constituent shows that the country is emancipating itself from the Pinochetist framework.

82. Multitudes 82. Printemps 2021

Dans le domaine esthétique aussi, l’asymétrie entre des expressions globales hégémoniques et des arts en circuits courts locaux pourrait tourner à l’opposition binaire et simpliste. C’est plutôt dans l’emboitement et les frottements entre les échelles qu’émergent des pratiques esthétiques originales.

Le  mythe de la  charge  maximale
Migrations mondiales et  « capacité  d’accueil » de  l’État  nation, par

Le mythe de  la  charge maximale
Migration mondiale et  « capacité d’accueil » de  l’État‑ nation
Cet article propose la critique d’un concept relativement nouveau en jeu dans la détention et l’exclusion des migrants « irréguliers », à savoir que l’État-nation a une « capacité d’accueil » limitée et objective quant à l’accueil des étrangers –  une capacité qui, lorsqu’elle est dépassée, justifie une défense militarisée. Distincte des rationalités gouvernementales plus explicitement racistes qui ont sous-tendu les premiers quotas d’immigration aux États-Unis, la notion de « capacité d’accueil » nationale a une logique propre dans laquelle écologie et économie sont rendues fatalement inextricables. L’expression « charge maximale » d’un territoire donné s’est développée dans le contexte de l’environnementalisme américain comme moyen de régulation des populations de gibier non humain et s’est ensuite transformée en un langage pour évaluer le potentiel des marchés émergents. La théorie de Freud sur les blessures psychiques commence par postuler par contre une « capacité de réception » infinie [Aufnahmefähigkeit] propre au système perceptif humain –  une capacité illimitée à accueillir ce qui est extérieur, qui est à la fois la condition d’origine de la vie incarnée et ce qui doit être géré et régulé pour survivre. Les spéculations de Freud dans Au-delà du principe de plaisir aident à dissoudre une conception mythopoétique de la Vie qui est depuis devenue centrale dans l’imaginaire racial anti-immigrant.

The Myth of What We  Can Take In
Global Migration and the “Receptive Capacity” of  the  Nation-State
This article offers a critique of a relatively new concept that works to sanction the detention and exclusion of “irregular” migrants — namely, that the nation-state has a finite and objective “receptive capacity” for taking in foreigners, which, when surpassed, warrants militarized defense. Distinct from the more explicitly racist governmental rationalities that underwrote the inaugural immigration quotas in the United States, the notion of a national “receptive capacity” has a logic of its own in which ecology and economy are made fatally inextricable. Conceptions of a given territory’s “carrying capacity” developed in the context of American environmentalism as a means of regulating nonhuman game populations and subsequently transformed into a language for assessing the potential of emerging markets. Freud’s theory of psychic injury begins by postulating an infinite “receptive capacity”[Aufnahmefähigkeit] proper to the human perceptual system — an unbounded ability to take in what is external that is both the originary condition of embodied life and that which must be managed and regulated in order to survive. Freud’s speculations in Beyond the Pleasure Principle index and help to dissolve a mythopoetic conception of Life that has since become central to the anti-immigrant racial imaginary.

La révolution poursuivie par la fuite, par

Vers une théorie de la non-scalabilité, par

Vers une théorie de  la  non-scalabilité
Peut-on changer d’échelle sans changer de nature ? Sans doute quantité de phénomènes sont altérés quand on étend leur domaine d’exercice : il y a plus qu’une différence de taille entre un jardin de quelques mètres carrés et un alignement de serres sur plusieurs hectares. La modernité coloniale s’est distinguée par cette sorte de foi en la « scalabilité » de la production. Son modèle est la plantation esclavagiste : un système fondé sur l’exploitation de vivants humains et non-humains qu’on coupe de leur racine et de leur environnement natif. La logique des « économies d’échelle », la logique de l’expansion emprunte son idéologie à cette histoire et c’est pourquoi il est nécessaire de lui opposer un antidote : la description et l’invention de mondes non-scalables, où les agents ne sont pas interchangeables, où les réseaux de dépendance sont locaux, situés, et mutuellement transformateurs pour ceux qui y vivent et ceux qui en bénéficient.

Towards a Theory of  Non-Scalability
Is it possible to change the scale of an activity without changing its nature? There is no doubt that a lot of phenomena change when we change their domain of extension. There is more than a difference of size between a garden of a few square meters and the alignment of greenhouses in a field of several hectars. Colonial modernity was remarkable in its desire for the scalability of production, and its model was the slavery-based Plantation: a system founded on the exploitation of human and non-human beings that are cut from their roots and their native environments in order to be extractible. The logic of economies of scale, the logic of expansion borrows its ideology to this history, and it is one of the reason it is necessary to oppose an antidote to it: the description and invention of non-scalable worlds, where agents are not interchangeable, where networks of dependance are local, situated and transformative for those who live in them and those who benefit from them.

Des « vices de recirculation » des sons et des appareils, par

Des « vices de  recirculation » des  sons et  des  appareils
Qu’est-ce que la circulation mondialisée des biens et des personnes fait à la musique ? Deux choses apparemment contradictoires : l’uniformisation des styles et des moyens se conjugue avec leur renouvellement constant, les effets de contagion planétaire avec la multiplication des réappropriations locales. Autrement dit ce qui uniformise peut être aussi ce qui singularise. Ce paradoxe nous conduit à dérouler quelques fils, à suivre de proche en proche des « objets » circulants –  un appareil numérique, un style musical, un groupe de pratiques  – de manière à saisir les modalités concrètes de leur circulation. Pour que ça circule, il faut que ça se connecte, ce qui ne va pas sans heurts, disputes, larsens, frottements, qui tous affectent voire transforment l’« objet » circulant. Point de circulation sans frictions et boucles de rétroaction et sans une multitude d’agents qui font que ça passe : nous croisons en cheminant des musiciens noise, mais aussi des benders, des shifters, des makers, des repairers. Ces figures de l’interconnexion globale sont également celles qui se glissent dans ses failles et amplifient ses différences.

Music in the Age of  Circulation
What does the globalized circulation of goods and people do to music? Two things, which are apparently contradictory: the uniformization of styles and means of production, on one side, and their constant renewal, on the other — an effect of the planetary contagion of sounds and the multiplication of local revisitings. In other words, the very movement that uniforms can sometimes be that which singularizes. This paradox leads us to unravel some threads, tracking different circulating objects — a digital device, a musical style, a group of practices — in order to seize the concrete modalities of their circulation. For circulation to occur, there is a need for connection, and connection doesn’t go without conflicts, feedbacks, rubbings and shriekings which all affect the circulating object. There is no circulation without friction, without feedback loop, and without a multitude of agents that allow for the transmission: we encounter the paths of noise musicians, and benders, shifters, makers, and repairers. These figures of global interconnectivity are also those who learn to slip into its cracks and amplify its differences.

Pas de pétrole, mais de l’Auto-Tune !, par et

Pas de pétrole, mais  de l’Auto-Tune !
Cher, T-Pain, Saez, Châton, Booba, Benjamin Biolay, Bon Iver, Yung Beef, Lady Gaga, Neil Young ou encore PNL, tous ces artistes ont en commun l’usage de l’Auto-Tune. Ce dernier désigne un logiciel permettant d’ajuster, de corriger la voix à la suite d’un enregistrement ou durant une performance. Si initialement, l’Auto-Tune permet de chanter juste, cela est également utilisé pour produire des modulations sonores donnant un caractère artificiel, robotique, non linéaire à la voix humaine. Le premier titre avec une présence marquée de l’Auto-Tune est « Believe » de Cher sorti en 1998 qui connaît un succès retentissant. Depuis, si quelques artistes –  à l’image de Jay-Z et son titre D.O.A. pour « Death of Auto-Tune » (2009)  – dénoncent cette pratique, l’Auto-Tune a conquis l’industrie musicale et serait utilisé dans la quasi-totalité des productions (Reynolds, 2019), toutes les esthétiques confondues. Malgré cette diffusion, encore peu de recherches académiques abordent cette question. Quels sont les enjeux liés à l’Auto-Tune ?

No Oil,
Just Auto-Tune !
Cher, T-Pain, Saez, Châton, Booba, Benjamin Biolay, Bon Iver, Yung Beef, Lady Gaga, Neil Young, and PNL: these artists share a common practice — the use of Auto-Tune, a software that permits the adjustment or correction of the voice after its recording or performance. If initially Auto-Tune was used to correct the pitch, it now is also used to produce sound modulations that give a robotic, artificial, non-linear character to the human voice. The first recording to use Auto-Tune was Cher’s “Believe” in 1998: a direct hit. Since then, if some artists — like Jay-Z and its record D.O.A. for “Death of the Auto-Tune” (2009) — criticize the practice, Auto-Tune has conquered the music industry and is said to be used in most of the musical productions of today (Reynolds 2019) regardless of their aesthetic leanings. In spite of this broad circulation, there are few academic papers tackling its implications. What is at stake in Auto-Tune?

Copier/Varier
Standards, critiques, et contre emplois des logiciels de création, par

Copier/Varier
Standards, critiques, et  contre-emplois des  logiciels de  création
À rebours d’un progrès technique consistant à voir les logiciels de CAO/PAO (« Conception/Publication Assistée par Ordinateur ») comme une « augmentation » mécanique des possibilités créatives, nous proposons de considérer ce processus comme une accélération –  voire comme une automatisation  – de façons de faire traditionnelles. Alors que les designers utilisent au quotidien les mêmes logiciels, ont-ils pleinement conscience de leur histoire et de leurs implications ? Comment cette tendance à la normalisation s’inscrit-elle dans l’histoire des transformations techniques induites par le développement de la computation ? Pour traiter ces enjeux, nous invitons à parcourir sous forme de courtes notices une série d’objets techniques (logiciels de création, machines,  etc.), classés du plus standardisant au plus ouvert. Chacun de ces items comprend trois sous-parties : une description de son caractère standardisant, une critique des valeurs qu’il embarque, et des contre-emplois (antérieurs ou postérieurs) en art et en design.

Copy/Vary
Standards, Critiques and  Oblique Uses of  Creation Software
Against the technological progressivist view that would construe CAD/DTP (Computer Aided Design/Desktop Publishing) as providing a simple mechanical supplement to creative possibilities, this paper proposes to understand CAD/DTP as accelerations — or even automations — of traditional crafts. Every day, designers use the same softwares, but do they know their histories and implications? How is this normalizing tendency inscribed in the history of the technical transformations induced by the development of computation? To envisage this, this paper provides a textual commentary of the leaflets accompanying some technical objects (from creation softwares to machines) going from the more standardizing to the most open. Each of these analyses is comprised of three subparts: a description of the standardizing aspect of the leaflet, a critique of the values it embeds, and its potential counter-uses in art and design.

Contradictions idéologiques dans les écoles supérieures d’art en France, par

Contradictions idéologiques
dans les  écoles supérieures
d’art  en  France
Comment la mondialisation artistique et la globalisation esthétique sont interprétées dans les écoles supérieures d’art ? Par une réflexion sur la normalisation des pratiques artistiques du fait de la prédominance de certains modèles de réussites, par des conflits autour des traditions théoriques (pensées antiracistes, postcoloniales et décoloniales) et par une interrogation quant à la libéralisation du secteur éducatif. Cet article propose également un cadrage historique de l’arrivée de ces vocabulaires dans les écoles et de leur inscription dans débats idéologiques contradictoires. Il évoque les effets concrets des savoirs tacites en éducation artistique sur l’évaluation des jeunes artistes en écoles. Comment éviter le double écueil d’une assignation racialisante des étudiant·es ou bien de son contraire, une politique de recrutement aveugle au racisme structurel.

Ideological Conflicts in French Art Schools
Artistic and aesthetic globalizations have various effects in the context of French art schools: they bring about debates concerning the normalization of artistic practices by the models of artistic achievement, they spur conflicts around new theoretical traditions — specifically antiracist, postcolonial, and decolonial studies — and they multiply interrogations concerning the neoliberal transformation of higher education. This paper offers a historical framing of the import of these new terminologies in art schools and a rendering of the ideological debates they provoke. What are the concrete effects of tacit systems of belief in art education and especially in the evaluation of young artists? Is it possible to avoid the double pitfall of, on the one hand, racializing art students or, on the other, of following a color-blind politics of recruiting that ignores the effects of structural racism?

Écrire à l’hôpital, une petite guérilla…, par

Écrire à l’hôpital, une  petite guérilla…
Face à la sidération provoquée par la pandémie, devant l’incertitude des lendemains et un avenir anxiogène, il est nécessaire plus que jamais de mettre en valeur l’importance de nos affects, de nos émotions, et de retrouver du lien. Les ateliers d’écriture à l’hôpital et en Ehpad sont emblématiques de la place cruciale l’artiste, de l’écrivain, dans les lieux où résident les populations vulnérables. Il ne s’agit pas de saupoudrer une activité vaguement socio culturelle, afin de légitimer la place de l’art dans la cité grâce à des intervenants bienveillants… mais d’inventer de véritables situations à l’intérieur desquelles prendra forme une communauté de dialogue. Le quatuor formé par le soignant, le patient, le parent (en pédiatrie), et l’auteure, instaure une dimension sensible qui viendra adoucir, transformer la médecine traditionnelle fondée sur le diagnostic et les traitements.

Writing Within the  Hospital: A  Discrete Guerilla…
The sideration, the uncertainty, and the anxiety provoked by the pandemic makes it more necessary today than ever to value the importance of our affects and our emotions, to allow for renewed ways of making connections with each other. Writing workshops in hospitals and retirement homes are emblems of the crucial role of the artist, of the writer, in places of residence for vulnerable populations. They are not a simple sprinkling of a vaguely sociocultural activity that helps legitimize the place of the arts in our society through benevolent “social workers”… they are opportunities to invent actual situations within which a community of dialog can emerge. The quartet formed by the caregiver, the patient, the parent and the author provides the context for a sensitive relationship that can soften or even transform traditional medicine and its diagnostical and pharmalogical basis.

Actualités de l’entre-nous, par

Actualités
de l’entre-nous
« Un coworking sans communauté n’existe pas. » Qu’est-ce qui sépare les nous du tiers-lieu de ceux de la start-up (plus ou moins nationalisée) ? Qu’est-ce qui distingue les bretelles (d’un nous relativement dilaté, diffracté ou bifurquant) des autoroutes (du je au cœur du développement personnel comme du nous des team buildings et atelier de we design) ? L’auto-affectation d’un soi mis au pluriel tente, par un simple jeu pronominal, de cacher son intention de relier tout le monde. À travers les reflets de ces belles âmes dans leurs variations esthétiques, cet article se propose de penser les réactualisations de la standardisation psychique mondiale en montrant comme elles brouillent de quel entre-nous ça parle. On part d’une série de citations des stars de la république des lettres. Direct, on multiplie les formes de déterritorialisations énonciatives comme autant de traversées d’un nous attaché à son incertitude d’échelle et excité par ses anachronismes : expérience originelle de l’autre comme soi, atelier alter-constructiviste, méditation auto-décentrante, réunion anti-facilitatrice, contre-point sur la situation actuelle.

News From the Segregated We
“There is no co-working without a community.” What is separating the we of the third spaces from the we of the start-up (more or less nationalized)? Is it possible to distinguish the off-ramps (of the dilated, of the diffracted, of the bifurcating we) from the highway (of the I of personal development, but also of this other we of team building and we designs)? The auto-affection of the pluralized self is an attempt, by a substitution of pronouns, to hide a not-so-secret intention to connect everybody to everybody. Investigating the reflections of these globalized “beautiful souls” in their aesthetic variations, this paper intends to think the reactualizations of world-integrated psychic standardization, in showing how they blur the we they refer themselves to. The starting point is a series of quotes from stars of the republic of letters. And it immediately shifts to forms of enunciatory deterritorializations, ways of coursing through a we attached to its own scalar uncertainty and excited by its own anachronisms: an original experience of the other as self, an alter-constructivist workshop, a self-decentering meditation, an anti-facilitating reunion, a counterpoint to the now.

Désidentifiées, par

Désidentifiées
« Nous savons que nous voulons nous retrouver. Tout ce dont nous avons besoin, c’est des cérémonies qui nous rassembleront » écrit la poétesse afro-féministe Alexis Pauline Gumbs. Les noms que nous utilisons pour nous dire font parfois office de cérémonies : un nom nous appelle, et nous répondons à son invocation. Ce peut être un cri de ralliement « Not GAY as in Happy but QUEER as in Fuck You ! », mais même les collectifs les plus émeutiers et les plus retors à l’identification courent le risque, en se nommant, de se voir réassigner à résidence par l’interpellation policière (« hé toi, là-bas ! »). Comment éviter les pièges de l’identité ? Les études queer ont élaboré le concept de désidentification pour décrire la tentative fugitive d’échapper aux marquages policiers des identités. Ce texte tente de détailler les enjeux politiques de ce refus d’identification en le situant dans les allers-retours franco-états-uniens des études et des activismes queer.

Disidentified
“We know that we want to gather. All we have to find is the ceremony,” writes afro-feminist poet Alexis Pauline Gumbs The names that we use to say ourselves are sometimes our ceremonies: a name calls us, and we respond to its calling. It can be a rallying cry (“Not GAY as in Happy but QUEER as in Fuck You!”), but even the most riotous collectives, even the most reticent to identification run the risk, in naming themselves, the house-arrest of police hailing (“hey you, there!”) How to steer away from the traps of identity? Anglophone queer studies have elaborated the concept of disidentification to describe the fugitive attempt to escape the police-made markings of identities. This text details the political stakes of this refusal to identifiy and the potential alliances it invites.

TransMatérialités
Trans*/Matière/Réalités et  imaginaires politiques queer, par

Trans*/Matière/Réalités et imaginaires politiques queer
La catégorie du « naturel » a mauvaise réputation quand il est question de genre et de sexualité : elle est bien souvent utilisée pour essentialiser et valoriser les « bons » comportements et rejeter les « mauvais genres » du côté des monstres et du contre-nature. Mais si la « Nature » elle-même était déviante ? Et si la matière elle-même était faite d’êtres qui défient la logique ? Dans cet article, la physicienne et philosophe des sciences Karen Barad propose une lecture oblique de la physique quantique et de ses réceptions, à la recherche de créatures (des éclairs, des électrons, du vide, un monstre de Frankenstein…) aux côtés desquelles toustes celleux qu’on a désignées comme contre-nature pourraient trouver compagnie.

Transmaterealities
Imagination and Queer Politics
The category of the “natural” has a bad reputation when it comes to gender and sexuality : it is more often than not used to essentialise and value the “good” behaviors and to reject the “bad” kinds into the motley crew of antinatural monsters. But what if “nature”was itself deviant? What if matter itself was made of beings that defy logic? In this paper, physicist and science philosopher Karen Barad offers an oblique reading of quantum physics and its reception, looking for critters (lightning, electrons, frogs, the Frankenstein monster…) amongst which all of those who have been designated as non-natural might find company.

L’art queer de ne pas réussir, par

L’art queer de ne pas réussir
Passant du cinéma d’animation pour enfants (en suivant les exemples de films comme Chicken
Run
et Le monde de Nemo) aux artistes queer contemporaines qui ont embrassé l’échec comme un style à part entière, Jack Halberstam part à la recherche de modèles de parentés, d’alliances et de communautés pour faire alternative au monde néo-libéral et à l’idéologie du succès qui en façonne les subjectivités. Cette idéologie se déploie notamment au travers des multiples injonctions à « réussir » dans les différents aspects de la vie sociale : il faut produire, accumuler et se reproduire – autant de maillons dans la chaîne de (re)production du capital. Dans The Queer Art of Failure, Halberstam propose une méthode de déviance joyeuse par rapport à cette idéologie du succès : « d’abord, résister à la maîtrise » ; « ensuite, privilégier la naïveté et l’absurdité (la stupidité) ».

The Queer Art of Failure
Going from animated films for children like
Chicken Run and Finding Nemo to those queer contemporary artists and writers that have embraced failure as a style, Jack Halberstam is in the look out for models of kinships, alliances and communities that would provide an alternative to the neoliberal world and to the ideology of success that shape its subjectivities. This ideology unfolds through multiple injonctions to “success” in different aspects of social life : we must produce, accumulate and reproduce in order to satisfy the (re)productive obsessions of capital. In The Queer Art of Failure, Halberstam proposes a method of joyful deviance from sucess: “first, resist mastery”; “second, priviledge the naive and nonsensical (stupidity).

83. Multitudes 83. Eté 2021

Contradictoire, l’Iran est partie prenante de la mondialisation de l’économie capitaliste, alors que son anti-impérialisme l’isole. À l’opposé des ondes de choc provoquées par les armes, les frappes aériennes, les assassinats et la nucléarisation de l’énergie sous contrôle occidental, les populations subissent à bas bruit des restrictions économiques et des prescriptions idéologiques dont on ne connaît l’ampleur et la gravité que lorsque les révoltes grondent et que les médias s’en font le relais. Ces multiples formes de résistance que la population invente pour vivre et survivre, et dont ce dossier se veut être l’écho, affirment l’irréductibilité de la société iranienne aux diktats de la République islamique.

Consulter les œuvres de Ruedi Baur, par

La réislamisation de la société bengladeshi, par

La réislamisation de la société bengladeshi
L’histoire politique du Bangladesh, complexe et contradictoire, démonte tous les fantasmes entretenus aujourd’hui sur l’islam, érigé en ennemi global prenant la suite du défunt communisme. Le pays est devenu indépendant en 1971 après une guerre de libération meurtrière qui a vu sa population musulmane s’affronter au Pakistan, créé par l’ex-colonisateur anglais de l’Inde comme nation musulmane. Son gouvernement s’affirme d’abord laïc avant de décréter l’islam religion d’État et d’entamer une profonde réislamisation de la société. Aujourd’hui cette dictature militaire islamique avec à sa tête la Ligue Awami, l’ancien parti indépendantiste, a liquidé régulièrement toutes ses oppositions politiques au nom de la lutte anti-terroriste mondiale.

The Re-Islamization of Bangladeshi Society
The political history of Bangladesh, complex and contradictory, dismantles all the fantasies held today about Islam, erected as a global enemy taking over from defunct communism. The country became independent in 1971 after a deadly liberation war that saw its Muslim population clash from Pakistan, created by the British ex-colonizer of India as a Muslim nation. Its government claimed to be secular before promoting Islam as the State religion and initiating a deep re-Islamization of society. Today this Islamic military dictatorship headed by the Awami League, the former independence party, has regularly liquidated all its political oppositions in the name of the global anti-terrorist fight.

L’Iran et sa (mal) représentation, par

L’Iran et sa (mal) représentation
L’Iran (notamment post-révolutionnaire) souffre deux fois de sa mal-représentation. Non seulement, à l’intérieur des frontières, le décalage entre la diversité sociale et l’État islamique installé depuis la révolution de 79 s’est creusé, mais également, dans sa perception à l’extérieur, cette révolution a réactivé des lectures culturalistes. Nous mobilisons dans cet article le concept de « représentation », qui implique des significations politiques et esthétiques, afin de dessiner un autre tableau des tensions entre la société iranienne et son État. Le blocage de la représentativité démocratique par le gouvernement a conduit la société iranienne, en quête de son image, à se tourner vers des modalités de plus en plus esthétiques. Ces sensibilités influencent le paysage politique, de même que les représentations esthétiques sont toujours susceptibles de prendre un sens politique. C’est à ce conflit des images dans le contexte iranien que nous nous intéressons.

Iran and its (Mis) Representation
Iran (especially post-revolutionary Iran) suffers twice from its misrepresentation. Not only has the gap widened within its borders between social diversity and the Islamic Republic installed since the revolution of 1979. In its perception outside, this revolution has also reactivated culturalist readings. In this article, we mobilize the concept of “representation”, in its political and aesthetic meanings, in order to draw another picture of the tensions between Iranian society and its State. The government’s blockage of democratic
representation has led Iranian society, in search of its image, to turn to increasingly aesthetic modalities. These sensibilities influence the political landscape, just as aesthetic representations are always susceptible to receive and carry political meaning. It is this conflict of images in the Iranian context that we are interested in.

Intégration et isolement
Les deux faces de la révolution iranienne, par

Intégration et isolement 
Les deux faces de la révolution iranienne
La révolution iranienne de 1979 et ses conséquences devraient être analysées à l’aide des concepts « d’intégration » (dans le système capitaliste mondial) et d’« isolement » (par rapport au nouvel ordre mondial). Ces deux concepts permettent de mieux comprendre les dimensions à la fois générales et particulières de cet événement. L’« intégration » met l’accent sur la nature capitaliste générale partagée par tous les pays dits du « tiers-monde » ou « périphériques », tandis que l’« isolement », considéré ici comme un moment de cette « intégration », permet d’analyser les caractéristiques réelles et concrètes qui distinguent l’Iran des autres pays de la région. Une fois analysés ces concepts dans la période postrévolutionnaire en Iran, nous nous intéresserons plus particulièrement au rôle des « populations urbaines pauvres » dans l’instauration de la République islamique mais aussi au changement de position ces dernières années, qui les a conduites à se manifester massivement contre le régime et ses politiques.

Integration and Isolation
The Two Sides of the Iranian Revolution
The Iranian revolution of 1979 and its consequences should be analyzed using the concepts of “integration” (into the world capitalist system) and “isolation” (from the new world order). These two concepts allow us to better understand both the general and particular dimensions of this event. “Integration” emphasizes the general capitalist nature shared by all the so-called “Third World” or “peripheral” countries, while “isolation”, considered here as a moment of this “integration”, allows us to analyze the real and concrete characteristics that distinguish Iran from the other countries in the region. After analyzing these concepts in the post-revolutionary period in Iran, we focus on the role of the “urban poor” in the establishment of the Islamic Republic, but also on their change of position in recent years, which has led to massive demonstrations against the regime and its policies.

Femmes iraniennes en lutte
Le cauchemar du régime islamique, par

La République islamique d’Iran
Entre survie économique et ambitions nucléaires, par
et

La République islamique d’Iran
Entre survie économique et ambitions nucléaires
L’auteur analyse la politique intérieure et extérieure de la République islamique d’Iran en phase avec une situation économique et sociale très dégradée et un contexte géopolitique fortement bousculé ces derniers temps. L’élection du nouveau président Joe Biden aux États-Unis, la surenchère de l’Iran sur le programme d’enrichissement de l’uranium, les élections iraniennes prochaines avec une tendance néoconservatrice annoncée, le rapprochement israélo-gulfien obligent à rebattre les cartes. Comment ces phénomènes vont-ils se croiser et dans quel sens ? Apaisement ou au contraire durcissement des positions ? Sur quels alliés l’Iran peut-il compter ? Dans quelle mesure la population iranienne exerce-t-elle une influence sur les orientations gouvernementales du pays à l’extérieur de ses frontières ?

The Islamic Republic of Iran
Between Economic Survival and Nuclear Ambitions
The author analyzes the internal and external policies of the Islamic Republic of Iran, in line with a seriously deteriorated economic and social situation and a geopolitical context that has been greatly shaken up recently. The election of the new President Joe Biden in the United States, Iran’s escalation of its uranium enrichment program, the upcoming Iranian elections with a neo-conservative tendency, and the Israeli-Gulf rapprochement call for a reshuffling of the cards. How will these phenomena intersect and in what direction ? Appeasement or, on the contrary, hardening of positions ? Which allies can Iran hope? To what extent does the Iranian population exert an influence on the country’s governmental orientations outside its borders ?

La politisation des tiers-lieux, par

La politisation des tiers-lieux
Les « tiers-lieux » ont été à l’origine définis comme des lieux de sociabilité, là où on se réunit pour la joie d’être ensemble. Les entreprises mondialisées (grandes marques commerciales, constructeurs automobiles, promoteurs immobiliers et même… musées) ont récupéré le concept dans leurs stratégies marketing : il devient une opportunité commerciale. Ces firmes offrent des lieux permettant de réinventer l’expérience des consommateurs en leur donnant un sentiment de communauté, sous couvert de valeurs d’inclusion. Les tiers-lieux connaissent un devenir-marchandise. Mais, l’urgence provoquée par la pandémie de la Covid‑19 a révélé des solidarités qui ne pouvaient se construire ailleurs que dans des tiers-lieux. Ils ont constitué le laboratoire de réseaux d’entraide, de chaînes téléphoniques d’attention, de distribution alimentaire, de fabrication artisanale de matériel médical. Ils connaissent une réappropriation et un devenir-politique.

The Re-Politicization of Third Places
“Third places” (like fablabs) were originally defined as places of sociability, where people meet for the joy of being together. Globalized corporations (big commercial brands, car manufacturers, real estate developers and even… museums) have absorbed the concept in their marketing strategy to exploit it as a commercial opportunity. These firms offer places to reinvent consumer experience by providing a sense of community, under the guise of inclusive values. Third places are being commodified. However, the emergency caused by the Covid‑19 pandemic revealed solidarities that could only be weaved in third places. They have been the laboratory for mutual aid networks, telephone attention chains, food distribution, and the artisanal manufacture of medical equipment. They are re-appropriated through a process of re-politization.

84. Multitudes 84. Automne 2021

Des écrivains, des cinéastes, des philosophes issus des anciens territoires colonisés posent de manière de plus en plus aiguë des questions politiques et philosophiques qui amènent à revoir l’histoire et les héritages contemporains de la colonisation. Ces pensées proposent des points de vue multiples qui rompent avec l’universalité de mise en politique et en philosophie. Quelques exemples en sont donnés ici. Comment ces pensées peuvent-elles faire retour sur les territoires jugés périphériques ? Quels décentrements y sont mis en œuvre ?

Consulter les œuvres de Timothée Pugeault, par

Parce que la colonialité est partout, la décolonialité est inévitable, par

Parce que la colonialité est partout, la décolonialité est inévitable
Dans ce texte, Walter D. Mignolo, l’un des membres-fondateurs du groupe modernité/colonialité aux côtés d’Aníbal Quijano, revient sur la définition de la colonialité comme « face sombre de la modernité » et sur les formes non seulement politiques et économiques mais encore épistémiques et esthéSiques que doivent prendre les enquêtes et les luttes décoloniales. Renommant les ancêtres de ces luttes et dénonçant le « management colonial du savoir » qui a tenté de les faire disparaître, le texte de Mignolo célèbre les travaux de Ottobah Cuogano, Felipe Guamán Poma et M. K. Gandhi comme autant d’appuis pour une pensée décoloniale et pluriverselle de la frontière.

Because Coloniality is Everywhere, Decoloniality is Unavoidable
In this text, Walter D. Mignolo, one of the founding members of the modernity/coloniality group along with his friend and colleague Aníbal Quijano, returns to the definition of coloniality as the “dark side of modernity” and the forms, not only political and economic but also epistemic and aestheSic, that decolonial investigations and struggles must take. Acknowledging the forebearers of these struggles and denouncing the “colonial management of knowledge” that has attempted to eradicate their memories, Mignolo’s text celebrates those of Ottobah Cuogano, Felipe Guamán Poma, and M. K. Gandhi as supports for a decolonial and pluralistic thinking of the border.

Généalogies du féminisme décolonial
En femmage à María Lugones, par

Généalogies du féminisme décolonial
Cet article restitue le mouvement décolonial à sa lignée améfricaine et féministe. Prenant pour point de départ les contestations que soulèvent les célébrations des 500 ans de l’arrivée de Colomb en Abya Yala, le féminisme décolonial prend racine dans une critique anti-impérialiste des institutions internationales, mais il est aussi une dénonciation des impasses des pensées décoloniales qui négligent la « colonialité du genre ». S’appuyant sur les travaux de María Lugones, l’article montre comment la binarité de genre et l’hétérosexualité obligatoire fonctionnent comme des technologies coloniales/racialisantes, et comment la lutte anti-capitaliste pour la justice sociale ne peut faire l’économie d’une critique intersectionnelle des oppressions.

Genealogies of Decolonial Feminism
This article returns the decolonial to its Amefrican and feminist lineages. Taking as its starting point the protests raised by the celebrations of the 500th anniversary of Columbus’arrival in Abya Yala, decolonial feminism is rooted in an anti-imperialist critique of international institutions, but it is also a denunciation of the impasses of decolonial thinking that neglects the “coloniality of gender”. Drawing on the work of María Lugones, the article shows how gender binarity and compulsory heterosexuality function as colonial/racializing technologies, and how the anti-capitalist struggle for social justice cannot do without an intersectional critique of oppressions.

Le féminisme décolonial en Abya Yala, par

Le féminisme décolonial en Abya Yala
Les rapports sociaux de race, de genre, de sexe sont inextricablement mêlés : telle est une idée centrale du féminisme décolonial tel qu’il se déploie depuis Abya Yala, du nom que le peuple kuna donnait au continent américain. L’article situe l’importance de renommer les femmes et féministes d’origine autochtone, une manière de défaire les discours coloniaux (parfois tenus par des universitaires féministes) sur les pratiques de genre avant la colonialité/modernité. Ochy Curiel illustre cette idée à partir de l’expérience du GLEFAS (Groupe latino-américain de formation et d’action féministe) : le décolonial n’y est pas seulement une critique du savoir académique, il est profondément ancré dans des pratiques autogestionnaires de luttes anticapitalistes, dans le lesbianisme politique, dans la rue, dans les associations, dans les organisations communautaires.

Decolonial Feminism in Abya Yala
Social relations of race, gender, and sex are inextricably intertwined : this is a central idea of decolonial feminism as it has unfolded from Abya Yala, the name the Kuna people gave to the American continent. The article locates the importance of celebrating women and feminists of indigenous origin, a way of undoing colonial discourses (sometimes held by feminist scholars) on gender practices before coloniality/modernity. Ochy Curiel illustrates this idea from the experience of GLEFAS (Grupo Latinoamericano de Estudio, Formación y Acción Feminista) : the decolonial is not only a critique of academic knowledge, it is deeply rooted in autonomous practices characteristic of anti-capitalist struggles, in political lesbianism, in the street, in associations, in grass-root organizations.

Subalternité et invention politique dans les quartiers populaires
À partir des travaux de Daho Djerbal, par

Peut-on décolonialiser le rêve de la valeur, rêve du Blanc en Afrodystopie ?, par

Peut-on décolonialiser le rêve de la valeur, rêve du Blanc en Afrodystopie ?
L’article interroge la radicalité de la pensée décoloniale, en la mettant en perspective avec les figures du Blanc, de l’Africain paradigmatique, du Noir idéologique, du continent noir qui ressortissent d’une configuration idéologique organisée selon le principe de la violence de l’imaginaire onirique de la valeur, le sujet automate du capitalisme et de l’Argent, son représentant, c’est-à-dire son fétiche. Aussi, à la question de savoir si la radicalité de la pensée décoloniale est en mesure de décolonialiser le rêve de la valeur en Afrodystopie, la réponse suggérée à partir des exemples de terrain est négative, et s’explique par le fait que le système de la valeur, système du Blanc, système de l’Africain paradigmatique est profondément ancré dans la vie psychique des sociétés dites noires, africaines ou afrodescendantes, créations du rêve d’Autrui, rêve de la valeur.

Can one Decolonize the Dream of Value, Dream of the White in Afrodystopia ?
This article questions the radicality of decolonial thought, putting it in perspective with the figures of the White, the paradigmatic African, the ideological Black, and the Black continent, which are part of an ideological configuration organized according to the principial violence of the dreamlike imaginary of value—the automaton subject of capitalism—and Money—its representative, that is to say its fetish. Also, to the question of whether the radicality of decolonial thought is able to decolonize the dream of value in Afrodystopia, the answer suggested from the examples in the field is negative, and is explained by the fact that the system of value, the system of the White, the system of the paradigmatic African, is deeply rooted in the psychic life of the so-called Black, African or Afrodescendant societies, creations of the dream of the Other, which is the dream of value.

Ouvertures du décolonial à l’âge du Plantationocène, par et

Ouvertures du décolonial à l’âge du Plantationocène
Les leçons du décolonial sont multiples pour celleux qui avaient cru aux récits de la fin des Empires : aux côtés des luttes anticoloniales qui nous ont appris à rejeter les formes les plus directes d’oppression politique et économique, avec les impasses du post-colonialisme et des pensées de l’hybridation, le décolonial fait le jour sur la saisie des imaginaires, des sensibilités et des rationalités par la logique coloniale. À l’ère de la sixième extinction, l’Anthropocène prend le visage d’un âge de la Plantation, où la logique d’appauvrissement et de simplification des naturecultures est partout à l’œuvre. Parce que cette « oxydentalisation » qui coupe le souffle n’épargne personne, il est urgent d’entendre les ouvertures contre-plantationnelle du décolonial.

Decolonial Openings in the Age of Plantationocene
The lessons of the decolonial are multiple for those who believed in the narratives of the end of the Empires : alongside the anti-colonial struggles that taught us to reject the most direct forms of political and economic oppression, with the impasses of post-colonialism and hybridization, the decolonial brings to light the seizure of imaginaries, sensibilities and rationalities by the colonial logic. In the era of the sixth extinction, the Anthropocene takes on the face of an age of the Plantation, where the logic of impoverishment and simplification of naturecultures is at work everywhere. Because this breathtaking “oxidization” spares no one, it is urgent to hear the counter-plantational openings of the decolonial.

Cannibaliser le décolonial ?, par

Cannibaliser le décolonial ?
Certaines critiques décoloniales des concepts d’hybridation, de pensée-frontière et de métissage mènent parfois sur le terrain des surenchères identitaires. Certaines analyses affirment que le capitalisme néolibéral ferait son miel des concepts contestataires d’anthropophagie politique qui ont animé la pensée décoloniale brésilienne, d’Oswald de Andrade à Suely Rolnik. Mais, dit Giuseppe Cocco, « le capitalisme contemporain n’est pas anthropophage, il est parasitaire » : s’il aime le métissage, ce n’est pas pour l’assimilation de l’autre, mais pour son extraction sans partage ; il n’est pas une anthropophagie (manger l’autre, et se laisser changer par lui), mais une anthropoémie (le vomir). Ce pourquoi il reste d’actualité de cannibaliser le décolonial.

Cannibalizing the Decolonial ?
Some decolonial critiques of the concepts of hybridization, of border thinking, and of mestizaje sometimes lead to identity-based escalations. These analyses claim that neoliberal capitalism is making its honey with the riotous concept of “political anthropophagy” that animate Brazilian decolonial thinking, from Andrade to Rolnik. But, says Giuseppe Cocco, “contemporary capitalism is not anthropophagic, it is parasitic” : if it loves difference, crossbreeding, it is not for the assimilation of the other, but for its extraction without sharing. It is not an anthropophagy (eating the others, and letting oneself be changed by them), but an anthropoemia (vomiting them), and that is why it is still urgent to cannibalize the decolonial.

Appropriation-réappropriation, délestage, décalage, par

Appropriation-réappropriation, délestage, décalage
Si le décolonial appelle au décentrement, ce ne peut être sur le mode d’une simple multiplication de nouveaux centres : le décentrement est plutôt une pratique de désorientation, de sabotage et de transgression, dont l’article propose une analyse féministe décoloniale selon trois modalités. La transgression-appropriation consiste à accaparer ce qui a été refusé : à penser par exemple la possibilité d’un féminisme dans le monde musulman en dehors (avant, après, au revers) de la modernité/colonialité. La transgression-délestage consiste à refuser ce qui a été refusé : refuser ce qui n’est pas soi (refuser l’efficacité, la concurrence et leurs prétendus bénéfices). La transgression-décalage, enfin, invite à refuser non pas seulement la société coloniale, mais surtout ses cales, son épistémologie, ses imaginaires, ses fondements (et notamment ceux d’un certain féminisme colonial). Un appel détaillé au débranchement décolonial.

Appropriation, Re-appropriation, Offloading, Offsetting
If decolonial feminism calls for decentering, it cannot be in the mode of a simple multiplication of new centers : decentering is rather a practice of disorientation, sabotage and transgression, of which the article proposes a decolonial feminist analysis according to three modalities. Transgression-appropriation consists in appropriating what has been refused : to think, for example, of the possibility of a feminism in the Muslim world outside (before, after, on the reverse side) of modernity/coloniality. Transgression-offloading consists in refusing what has been refused : refusing what is not oneself (refusing efficiency, competition and their alleged benefits). Transgression-offesetting, finally, invites to refuse not only the colonial society, but also its holds, its epistemology, its imaginary, its foundations (and notably those of a certain colonial feminism). A detailed call to decolonial disentanglement.

Solidarités posthumanistes, par

Solidarités posthumanistes
Les thèmes de l’esclavage des robots, de leur révolte prométhéenne et de la guerre des espèces semblent consubstantiels à celui de l’imagination de créatures artificielles comme à celui du désir sexualisé à l’égard d’une femme artificielle. Mais lorsqu’apparaît l’idée d’une entraide possible des humains et des non-humains pour reconquérir leurs droits réciproques, ainsi qu’une vision de la cohabitation fondée sur la reconnaissance des différences, la question métaphysique de la liberté laisse place à la question de l’attachement et la problématique de l’autonomie fait place à celle de l’interdépendance. C’est cette utopie politique que déploient les séries contemporaines mettant en scène des Intelligences Artificielles, de Real Humans à Westworld.

Posthumanist Solidarities
The themes of robot slavery, Promethean rebellion and the war of the species seem consubstantial with the imagination of artificial creatures as well as with sexualized desire towards an artificial creature. But when the idea of a possible mutual aid between humans and non-humans, to regain their mutual rights, appears in the plot, as well as a vision of cohabitation based on the recognition of differences, the metaphysical question of freedom gives way to the question of attachment and the problematic of autonomy gives way to that of interdependence. It is this political utopia that is deployed in contemporary series featuring Artificial Intelligences, from
Real Humans to Westworld.

85. Multitudes 85. Hiver 2021

Cette publication a bénéficié d’un financement du projet NesT du programme MSCA-RISE selon le grant agreement No 101007915.

This project has received funding from the MSCA-RISE programme under grant agreement No 101007915 À l’âge du dérèglement climatique et de la biodiversité en effondrement, l’écologie politique ne peut pas se limiter aux gestes individuels et aux investissements locaux. Les mesures à prendre sont à penser à l’échelle de la planète. Or ce changement d’échelle induit une série de décalages, de recadrages et de repositionnements – davantage qu’un simple agrandissement. Le planétaire n’est ni le mondial, ni le global.

Empire et la gauche brésilienne, par

L’expérience planétaire, par

86. Multitudes 86. Printemps 2022

Les boîtes noires de la pandémie, par

Les boîtes noires de la pandémie
Avec la pandémie de Covid-19, les modèles épidémiologiques sont sortis de l’ombre des laboratoires de recherche pour venir guider les gouvernements du monde entier dans l’organisation de leur réponse sanitaire face à la crise. Les modèles jouent un rôle de prescripteur dans la mise en place des mesures sanitaires. Face à l’inconnu, ils se proposent de géométriser ce qui n’a en apparence ni forme, ni structure, ni corps, ni comportement, ni frontière : l’événement pandémique. Leur enjeu est, pour ainsi dire, de plier les aléas de la contagion sous toutes ces dimensions, afin de les détacher de l’ignorance des causes qui les déterminent. Donner au phénomène pandémique les traits d’une loi de la nature et d’un déterminisme social, voilà ce à quoi la modélisation aspire. La dynamique heuristique qu’elle engage, participe ainsi de la construction d’une représentation sociale et politique de la pandémie. Cet article analyse les obstacles qui se nouent autour de la modélisation et des effets boîte noire qu’elle engendre.

The black boxes of the pandemic
With the Covid-19 pandemic, epidemiological models have emerged from the shadows of research laboratories to guide governments around the world in organising their health response to the crisis. The models play a prescriptive role in the implementation of health measures. Faced with the unknown, they propose to geometrise what apparently has no form, no structure, no body, no behaviour and no boundaries: the pandemic event. Their challenge is, so to speak, to bend the hazards of contagion in all these dimensions, in order to detach them from the ignorance of the causes that determine them. Modelling aims to give the pandemic phenomenon the features of a law of nature and a social determinism. The heuristic dynamic that it engages in thus contributes to the construction of a social and political representation of the pandemic. This article analyses the obstacles that arise around modelling and the black box effects it generates.

Pourquoi le revenu d’existence inconditionnel, c’est maintenant, par

Pourquoi le revenu d’existence inconditionnel, c’est maintenant
Cet article examine pourquoi structurellement l’objectif politique d’un revenu d’existence individuel, inconditionnel, universel, cumulable avec une activité dépendante ou non du marché, d’un niveau équivalent au salaire minimum se substituant à ce dernier comme base de la protection sociale est apparu progressivement dans l’espace public depuis plus de 45 ans et se traduit de plus en plus en revendications ouvertes même si ces dernières restent souvent confuses notamment sur le niveau, la faisabilité et le financement. Il expose en deuxième partie comment l’accélération des transformations du capitalisme, l’urgence planétaire de politiques résolument écologistes d’un côté, et les phénomènes révélés par la pandémie de la Covid-19 de l’autre, représentent une occasion exceptionnelle pour faire de cet objectif la charpente d’un programme unificateur de la Gauche dans l’élection présidentielle de 2022.

Why an unconditional basic income, it’s now
This article examines why, structurally, the political objective of an individual, unconditional, universal basic income that can be combined with an activity dependent or not on the market, at a level equivalent to the minimum wage and replacing the latter as the basis of social protection, has appeared in the public arena for more than 45 years and is increasingly being translated into open demands, even though these often remain confused, particularly as regard to the level, feasibility and financing. In the second part, it explains how the acceleration of the transformations of capitalism, the global urgency of resolutely ecological policies on the one hand, and the phenomena revealed by the Covid-19 pandemic on the other, represent an exceptional opportunity to make this objective the framework of a unifying programme for the Left in the 2022 presidential election.

Refonder le modèle social avant qu’il soit trop tard Propositions pour la présidentielle, par

Refonder le modèle social avant qu’il soit trop tard
Système global économique et social chiffré, comportant de nombreuses innovations, basé sur une réforme fiscale portant sur les revenus (abandon des tranches, utilisation de solutions continues) et sur le patrimoine net et une redistribution par revenu d’existence variable (REV) soutenable et chiffré ; il s’agit d’une variante entièrement nouvelle, intermédiaire entre l’impôt négatif et le revenu d’existence orthodoxe ; ce serait, pour 2022, la solution proposée pour un programme économique et social répondant à l’urgence sociale. Outre les avantages bien connus du revenu de base, le système permet de donner à chaque salarié la liberté de choisir son temps de travail et donc de loisir. L’ensemble dégage aussi un bonus pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliards d’euros pour « réparer » la France.

Refounding the social model before it is too late
A global economic and social system with many innovations, based on a tax reform on income (abandonment of brackets, use of continuous solutions) and on net wealth and a redistribution by means of a variable living income (REV) that is sustainable and quantified; this is an entirely new variant, intermediate between the negative tax and the orthodox living income; it would be, for 2022, the proposed solution for an economic and social programme that responds to the social emergency. In addition to the well-known advantages of a basic income, the system gives each employee the freedom to choose his or her working hours and therefore leisure time. It also generates a bonus that could reach several tens of billions of euros to “repair” France.

Le territoire, toute une histoire !, par

Le territoire, toute une histoire !
Avec la Révolution, le système de représentation politique est proportionnel au territoire et non plus à la population. Cet ordre territorial fait d’encastrements d’échelles et d’imbrications entre territoires politiques et administratifs (dont les matrices sont le département et la commune) a été approprié par les habitants et a légitimé des milliers de notables, ce qui explique sa résistance à l’heure de l’explosion des frontières, de la métropolisation, de la géographie aléatoire des mobilités. Pour répondre à ces mutations, plus qu’une guerre de gabarits substituant au couple commune-département le couple intercommunalités-régions (ou grande région), des innovations institutionnelles sont à inventer, telles la différenciation territoriale et la coopération interterritoriale.

The Territory:
a Long History!
With the French Revolution of 1789, the system of political representation is proportional to the territory and no longer to the population. This territorial order, made up of embedded scales and interlocking political and administrative territories (whose matrixes are the department and the commune), has been appropriated by the inhabitants and legitimised by thousands of notables, which explains its resistance at a time of exploding borders, metropolisation, and the random geography of mobility. In order to respond to these changes, institutional innovations such as territorial differentiation and inter-territorial cooperation need to be invented, rather than a war of sizes replacing the commune-department couple with the intermunicipality-region (or greater region) couple.

Catégories et clivages
La fin de la paix territoriale ?, par
, et

Catégories et clivages
Le politique a tendance à découper le territoire en tranches catégorielles de taille (espaces ruraux, villes petites et moyennes, métropoles) ou binaires (espaces « périphériques », métropoles « incluses ») de manière à en servir les clientèles au gré des opportunités. Est-ce la fin de la paix territoriale et l’activation de clivages sociaux par le truchement du territoire ? Voilà pour le politique. Du côté des scientifiques, le besoin d’un cadre d’analyse comparable dans le temps pousse de nombreux statisticiens et chercheurs à mobiliser les mêmes catégories, à la recherche du mythique « territoire pertinent ». Or, le territoire est fait de flux, de liens, d’interdépendances entre échelles et acteurs. Il connait par ailleurs une grande diversité. Il est alors nécessaire de construire des cadres d’analyse globaux et des idéaux-types pour caractériser les différentes trajectoires spatiales et éclairer l’action publique.

Categories and Cleavages
Politics tends to divide the territory into categorical slices of size (rural areas, small and medium-sized towns, metropolitan areas) or binary slices (“peripheral” areas, “included” metropolises) in such a way as to serve clients according to opportunities. Is this the end of territorial peace and the activation of social cleavages through the territory? So much for politics. On the scientific side, the need for a comparable framework of analysis over time pushes many statisticians and researchers to mobilise the same categories, in search of the mythical “relevant territory”. However, the territory is made up of flows, links and interdependencies between scales and actors. Moreover, it is highly diverse. It is therefore necessary to construct global analytical frameworks and ideal-types to characterise the different spatial trajectories and to shed light on public action.

Marges territoriales en Europe
Trois récits de l’oubli en Italie, Espagne et Pologne, par
et

Marges territoriales en Europe
Les auteurs retracent trois récits de l’« oubli » de territoires de l’Europe : celui du Mezzogiorno italien, celui du cœur rural de l’Espagne vide et celui de la Podlasie polonaise. La trajectoire de ces régions est liée à la question de l’unité nationale dans chacun des pays. En Italie, l’effacement de la politique massive en faveur du Sud s’explique par la menace sécessionniste de la Lombardie et de la Vénétie. En Espagne, la partie vide du pays traverse plusieurs Autonomies et crée une question commune transcendant les revendications d’indépendance. La Podlasie, par sa situation de confins, incarne un problème politique à résoudre dans un pays globalement homogène. Face à ces régions « défavorisées », la politique de cohésion européenne est ambigüe : elle porte une politique généreuse de redistribution tout en favorisant les aires métropolitaines dynamiques.

Territorial Margins in Europe
The authors trace three accounts of the “forgetting” of European territories: the Italian Mezzogiorno, the rural heart of empty Spain and Polish Podlasie. The trajectory of these regions is linked to the question of national unity in each country. In Italy, the fading of the massive policy in favour of the South is explained by the secessionist threat from Lombardy and Veneto. In Spain, the empty part of the country crosses several Autonomies and creates a common issue transcending claims for independence. Podlasie, by virtue of its border situation, embodies a political problem to be solved in a globally homogeneous country. Faced with these “disadvantaged” regions, European cohesion policy is ambiguous: it has a generous redistribution policy while favouring dynamic metropolitan areas.

On ne voit bien que sur les bords…
Les territoires révélés par le transfrontalier, par

On ne voit bien que sur les bords…
La question du caractère opératoire du « territoire » se pose avec acuité en situation transfrontalière. Plusieurs formules institutionnelles et théoriques ont été explorées dans le cas du territoire franco-belge Lille-Kortrijk-Tournai, à l’urbanisation dense et polycentrique, pratiquée historiquement comme région de transit. D’abord, l’Eurométropole, premier Groupement européen de coopération transfrontalière, qui n’a finalement pas abouti à une vision intégrée. Ensuite, une réflexion sur la bio-région unifiée autour d’une vallée, d’une plaine ou d’un bassin permettant de transcender des limites administratives arbitraires. Enfin, le modèle de la « ville horizontale », qui s’est concrétisé par le projet de Parc bleu autour des structures hydrographiques et une urbanisation continue qui s’étend de la Belgique à la Ruhr et la Randstad. L’enjeu est de vivre dans des systèmes territoriaux qui rassemblent, avec multiplicités et interdépendances.

You’ll See Well Only from the Edges
The question of the operative character of the “territory” arises acutely in a cross-border situation. Several institutional and theoretical formulas have been explored in the case of the Franco-Belgian territory of Lille-Kortrijk-Tournai, with its dense and polycentric urbanization, historically practiced as a transit region. First, the Eurometropolis, the first European grouping of cross-border cooperation, which in the end did not lead to an integrated vision. Then, a reflection on the bio-region unified around a valley, a plain or a basin allowing to transcend arbitrary administrative limits. Finally, the model of the “horizontal city”, which has taken concrete form in the Blue Park project around hydrographic structures and a continuous urbanization that extends from Belgium to the Ruhr and the Randstad. The challenge is to live in territorial systems that bring people together, with multiplicities and interdependencies.

La nature férale
Milieux de l’entre-deux du sauvage et du domestique, par

La nature férale
Notre conception dualiste de la nature n’est ni universelle ni universalisable. Cependant, posant l’extériorité de ce qui est humain et de ce qui est naturel, ce dualisme s’est décliné en un certain nombre d’oppositions : nature/culture ; naturel/artificiel. On pourrait a priori considérer qu’il en est de même de l’opposition entre le sauvage et le domestique. Or, entre le sauvage et le domestique, il y a un entre-deux de milieux (ce que les Romains dénommaient le saltus), qu’il s’agisse des espaces pastoraux ou des peuplements forestiers qui ne sont plus exploités, ou encore, des friches industrielles et urbaines. C’est ce que l’on qualifie en France de « nature férale », résultat d’ensauvagements multiples. L’auteur plaide pour la libre évolution de ces milieux comme stratégie alternative de protection de la nature.

Feral Nature
Our dualistic conception of nature is neither universal nor universalizable. However, positing the exteriority of what is human and what is natural, this dualism has been declined in a certain number of oppositions: nature/culture; natural/artificial. One might a priori consider that the same is true of the opposition between the wild and the domestic. However, between the wild and the domestic, there is an in-between environment (what the Romans called the saltus), whether it be pastoral areas or forest stands that are no longer exploited, or even industrial and urban wastelands. This is what is known in France as “feral nature”, the result of multiple wilderings. The author argues for the free evolution of these environments as an alternative strategy for protecting nature.

L’aporie de la France maritime
Faire territoire par la démocratie, par
et

L’aporie de la France maritime
L’État s’est constitué sur une posture continentale qui marginalise les territoires maritimes et leur interdit de prendre en compte les enjeux économiques portés par leur caractère hybride. L’espace dit « maritime » est donc confiné aux côtes, pour ne comprendre que le tourisme et la plaisance, auxquels s’ajoutent nécessairement la pêche et désormais, l’environnement. Les auteurs examinent les potentialités multiples des ressources de ces territoires hybrides de deux points de vue : le premier, continental, à travers leur ouverture fluvio-maritime sur l’Europe et le monde ; le second, maritime, à travers l’analyse des capacités éoliennes de leurs côtes ; soit deux ressources hybrides jusqu’à présent totalement délaissées par le pouvoir central.

The Aporia of Maritime France
The State was established on the basis of a continental posture that marginalised maritime territories and prevented them from taking into account the economic issues arising from their hybrid nature. The so-called “maritime” space is therefore confined to the coasts, to include only tourism and yachting, to which fishing and now the environment are necessarily added. The authors examine the multiple potentialities of the resources of these hybrid territories from two points of view: the first, continental, through their fluvio-maritime opening on Europe and the world; the second, maritime, through the analysis of the wind capacities of their coasts; these are two hybrid resources until now totally neglected by the central power.

Passions territoriales
Que nous disent-elles de l’exercice du pouvoir ?, par

87. Multitudes 87. Eté 2022

Bureau des dépositions Expulsions, œuvres-milieux et recours au droit, par et

Bureau des dépositions
Expulsions, œuvres-milieux et recours au droit
Dix personnes, qui forment le Bureau des dépositions, créent des performances à Grenoble depuis 2018. En s’adressant les un·es aux autres et à un public, en ré-agençant les (im)-possibilités de paroles depuis la mise à découvert d’injustices légalement produites, elles, ils élaborent des conditions de trans-formations : langagières, sensibles, politiques. Dans le même temps, plusieurs performeurs sont inquiétés par le contentieux du droit des étrangers et du droit d’asile, expulsés légalement ou encore menacés d’expulsion. Des réponses se formulent auprès des tribunaux : alors que les performances requièrent la co-présence physique de chacun·e, les absences forcées portent atteinte à un milieu de création. Le droit d’auteur et de la propriété intellectuelle est ici convoqué et réinterprété dans le contexte d’expulsions légales et d’œuvres-milieux.

Testimonies Office
Expulsions, Work-Milieus and Legal Activisms
Ten people, who form the Bureau des dépositions, have been creating performances in Grenoble since 2018. By speaking to each other and to an audience, by rearranging the (im)possibilities of speaking, with the exposure of legally produced injustices, they elaborate the conditions of linguistic, sensible, political trans-formations. At the same time, several performers have been legally expelled or are still threatened with expulsion, due to their statuses as foreigners or asylum seekers. A response is being organized in court : while the performances require the physical co-presence of all co-authors, forced absences undermine what we call a creative milieu. Copyright and intellectual property rights are here summoned and reinterpreted in the context of legal expulsions and œuvres-milieux.

Faire trembler le tremblement, par

Faire trembler le tremblement
Fabriquer des visions du futur est une activité qui, alimentée par la crise écologique, occupe de plus en plus d’acteurs et d’experts. Chaque expertise produit un type de récit caractéristique qui modèle les futurs et sculpte les imaginaires. La collapsologie a ainsi imposé massivement le motif de l’effondrement. Mais que se passerait-il si au motif de l’effondrement était substitué celui du tremblement ? Le motif du tremblement trace un plan de continuité entre des corps très hétérogènes (corps terrestre, humain, vivant, social, politique…). À la logique verticale de l’effondrement, il propose une oscillation horizontale à l’intérieur des limites, scénarios, programmes préétablis. Tous et toutes des corps tremblants !

Shaking the Quake
Envisioning and foreseeing the future is an activity that, fueled by the ecological crisis, occupies an ever increasing number of actors and experts. Each expertise produces a characteristic type of narrative that shapes futures and carves out imaginaries. Collapsology has thus massively imposed the motif of collapse. But what if the collapse motif were to be replaced by a trembling motif (quake, shake)? The motif of trembling traces a continuum between very heterogeneous bodies (earthly, human, living, social, political bodies, etc.). To the vertical logic of collapse, it substitutes a horizontal oscillation within the limits, scenarios, pre-established programs. We are all trembling bodies!

Arts engagés : du nouveau ?, par , et

Le politique comme injonction dans la danse contemporaine palestinienne, par

Le politique comme injonction dans la danse contemporaine palestinienne
Dans un contexte d’invisibilisation de l’histoire palestinienne et de négation même de l’existence du peuple palestinien par l’occupant israélien, le fait de se rendre visible aux yeux du « monde » est en soi un acte politique, et tout artiste palestinien semble devoir être, en ce sens, « engagé », parfois malgré lui. Ma contribution se penche sur cette injonction au politique dans la pratique d’acteurs et actrices palestiniens de la danse. Elle s’appuie sur une recherche ethnographique multi-située et digitale menée durant quatre ans dans les studios, les théâtres et les festivals de danse en Palestine, en Israël et en Europe. J’avance que le politique, dans la pratique des acteurs de ma recherche, ne s’avère pas toujours une question d’« engagement », mais découle aussi d’une pression sociale liée au contexte palestinien, tout comme de politiques culturelles européennes et de programmes d’aide au développement porteurs d’une vision de l’art comme nécessairement « utile ».

Politics as an Injunction: Political Commitments in Palestinian Contemporary Dance
In a context of invisibilization of Palestinian history and the denial of the existence of the Palestinian people by the Israeli occupier, the fact of making oneself visible to the eyes of the “world” is in itself a political act, and every Palestinian artist seems to have to be, in this sense, “involved” or “committed”, sometimes in spite of himself. My contribution examines this injunction to politics in the practice of Palestinian dance actors. It is based on a multi-sited and digital ethnographic research conducted during four years in studios, theaters and dance festivals in Palestine, Israel and Europe. I argue that the political, in the practice of the actors of my research, is not always a question of “commitment”, but also stems from a social pressure linked to the Palestinian context, as well as from European cultural policies and development aid programs carrying a vision of art as necessarily “useful”.

Jhonel, un « griot moderne »
Quel engagement pour le slam au Niger ?, par
et

Jhonel, un « griot moderne »
Quel engagement
pour le slam au Niger ?
Jhonel est un artiste slameur, auteur et interprète. Se définissant lui-même comme un « griot moderne », il s’inscrit dans la filiation des « maîtres de la parole » pour dresser un portrait parfois ironique, parfois empathique mais toujours profondément engagé, de la vie nigérienne contemporaine. Il n’est plus le porte-parole des puissants, comme l’étaient autrefois les jasare zarma, mais il est au contraire le témoin acerbe des injustices du présent, se faisant le porte-voix des minorités. Il décrit la vie des « petites gens », des marginaux. La dénonciation du rôle que joue l’argent dans le monde contemporain, la mise en scène d’une élite corrompue, l’appel à une communauté imaginée sont autant de traits qui caractérisent son écriture.

Jhonel, a “Modern Griot”
What Commitment for Slam in Niger?
Jhonel is a slam artist, author and performer. Defining himself as a “modern griot”, he follows in the footsteps of the “masters of the word” to paint a sometimes ironic, sometimes empathetic but always deeply committed portrait of contemporary Nigerien life. He is no longer the spokesman of the powerful, as the jasare zarma were in the past, but is instead the acerbic witness of the injustices of the present, making himself the voice of minorities. He describes the life of the “little people”, the marginalized. The denunciation of the role of money in the contemporary world, the portrayal of a corrupt elite, the appeal to an imagined community are all features that characterize his writing.

Activisme et littérature
Quelques exemples à partir de l’Inde, par

Activisme et littérature
Quelques exemples à partir de l’Inde
En prenant appui sur l’histoire de la plus importante organisation mondiale d’écrivains, PEN International, et sur plusieurs trajectoires et mobilisations d’écrivains ou collectifs indiens contemporains (le Indian Cultural Forum, Karthika Naïr, Perumal Murugan), cet article s’interroge sur certaines modalités de l’activisme en littérature, entendu à la fois comme activisme à travers la littérature, et comme activisme au service de celle-ci. En Inde, particulièrement, l’écrivain(e) partage une communauté de vulnérabilité avec toutes les autres voix et minorités menacées ou liquidées. L’activisme, c’est s’assurer que ce qui est mineur, minoré ou oublié continue d’être vu, entendu, reconnu ; c’est continuer à raconter d’autres histoires, à creuser leur multiplicité et leur équivocité ; c’est enregistrer les mots, les noms et les réalités apparemment superflues des mondes vulnérables qui nous entourent.

Activism and Literature
Examples from India
Based on the history of the world’s largest writers’ organization, International PEN, and on several trajectories and mobilizations of contemporary Indian writers or collectives (the Indian Cultural Forum, Karthika Naïr, Perumal Murugan), this article examines some of the modalities of activism in literature, understood both as activism through literature, and as activism in the service of literature. In India especially, the writer shares a community of vulnerability with all other threatened or liquidated voices and minorities. Activism is about ensuring that what is minor, minorized or forgotten, continues to be seen, heard, recognized; it is about continuing to tell other stories, to excavate their multiplicity and equivocality; it is about recording the words, names and seemingly superfluous realities of the vulnerable worlds around us.

Voltaires d’Alger
Les écrivains exilés de la guerre civile algérienne, par

Voltaires d’Alger
Les écrivains exilés de la guerre civile algérienne
« Voltaires d’Alger », « dissidents de l’islam » à Paris… Les écrivains algériens ont acquis depuis une trentaine d’années une place importante sur la scène intellectuelle française, et donnent à réfléchir à la place de l’écrivain engagé à l’ère de la mondialisation. Si l’idée de littérature engagée a été depuis longtemps décriée, celle de l’écrivain engagé conserve une aura particulière, notamment à gauche. Mais derrière les figures héroïques de Voltaire, Zola ou Sartre, ou même derrière les repoussoirs des intellectuels organiques des régimes autoritaires, ce sont des rapports complexes aux pouvoirs politiques, des trajectoires intellectuelles et des types d’écritures diverses qui se dessinent, en particulier quand les écrivains et les textes traversent les frontières.

Voltaires of Algiers
The Exiled Writers of the Algerian Civil War
“Voltaires d’Alger”, “dissidents of Islam” in Paris… Algerian writers have acquired an important place on the French intellectual scene over the last thirty years, questioning the place of the committed writer in the era of globalization. If the idea of politically committed literature has long been decried, that of the committed writer retains a particular aura, especially on the left. But behind the heroic figures of Voltaire, Zola or Sartre, or even behind the repulsive organic intellectuals of authoritarian regimes, complex relationships to political powers, intellectual trajectories and diverse types of writing are emerging, especially when writers and texts cross borders.

Entre engagement individuel et collectif
Signature, art et activisme à Gênes et Yaoundé, par
et

Entre engagement individuel et collectif
Signature, art et activisme à Gênes et Yaoundé
À Gênes, Italie, les ruines d’un ancien couvent ont été investies depuis six ans par un collectif dont certains individu·e·s ont des compétences et/ou un parcours d’artistes professionnels. À Yaoundé, Cameroun, des artistes de rue ont commencé à fédérer plusieurs disciplines artistiques (peinture murale, body painting, création de mode) afin d’occuper l’espace public de façon éphémère (par un défilé) et durable (en peignant des murs). En s’appuyant sur ces deux cas d’études, cet article cherche à comprendre les différentes formes d’art qui sont mobilisées, comme outils d’expression politique par des activistes et comme revendications activistes qui s’expriment par l’art. La recherche d’une reconnaissance individuelle et collective, le désir d’atteindre un certain niveau artistique et la volonté d’exprimer de façon artistique des revendications politiques invitent à repenser les dynamiques in situ pour mieux saisir la complexité de l’engagement artistique professionnel, politique et militant.

Between Individual and Collective Commitment
Signature, Art and Activism in Genoa and Yaoundé
In Genoa, Italy, the ruins of an old convent have been occupied for six years by a collective of individuals with professional skills and backgrounds. In Yaoundé, Cameroon, street artists have begun to federate several artistic disciplines (mural painting, body painting, fashion design) in order to occupy the public space in an ephemeral way (through a fashion show) and in a durable way (by painting walls). Based on these two case studies, this article seeks to understand the different forms of art that are mobilized, as tools of political expression by activists and as activist claims that are expressed through art. The search for individual and collective recognition, the desire to reach a certain artistic level and the will to express political claims in an artistic way invite us to rethink the dynamics in situ, in order to better understand the complexity of professional, political and activist artistic engagement.

L’impossible pratique curatoriale des arts vivants, par

Les fées ne meurent pas, par

Les fées ne meurent pas
Alors que les mots et la parole étaient sous très haute surveillance durant la longue saison de peur bleue que le Cameroun a connu au lendemain de l’indépendance en 1960, la nécessité de s’exprimer sans s’attirer les foudres du régime a trouvé une issue par le langage de la forme et des couleurs. Dans ce paysage perclus de soumission, une communauté de plasticiens autodidactes a frayé son chemin entre compagnonnages festifs et absence d’école d’art. Humble et curieuse, nonobstant son expérience en tant que curatrice s’investissant dans le champ contemporain et historienne de l’art, Dominique Malaquais se sera gardée de tout interventionnisme. Pour autant, certains lui doivent aujourd’hui leur visibilité internationale.

Fairies never die
While words and speech were under very high surveillance during the long season of blue fear that Cameroon experienced in the aftermath of independence in 1960, the need to express oneself without attracting the wrath of the regime found an outlet through the language of form and colour. In this landscape permeated by submission, a community of self-taught visual artists has made its way between festive companionships and the absence of an art school. Humble and curious, notwithstanding her experience as a curator working in the contemporary field and as an art historian, Dominique Malaquais has avoided any interventionism. Nevertheless, some of her work has gained international visibility.

La façon de faire ce que l’on fait est parfois ce qui compte le plus, par et

88. Multitudes 88. Automne 2022

Trois écologies
Bateson et Guattari, par

Trois écologies
Bateson et Guattari
Après avoir rappelé ce que Guattari doit au travail théorique de l’américain Gregory Bateson et des argentins Varela et Maturana, l’auteur souligne que pour ces auteurs, il ne s’agit pas de s’adapter à la transformation des systèmes mais de co-évoluer avec eux. Notre survie sur cette planète n’est pas seulement menacée par les atteintes à l’environnement, mais par une dégénérescence du tissu de la solidarité sociale et des modes de vie psychique, qui doivent littéralement être réinventés. Le changement est un processus qui touche chaque fragment subconscient préindividuel, chaque personne, chaque famille, chaque localité, chaque groupe, chaque classe, chaque tribu, chaque public, jusqu’aux niveaux internationaux, avec des lignes transversales qui s’entrecroisent en de multiples réseaux. La bifurcation et l’émergence, autrefois connues sous le nom de révolution, se sont toujours produites lorsque des micro-révolutions ont pu coalescer en nouveaux pôles de valorisation. Guattari tente d’articuler les trois écologies, environnementale, sociale et mentale, en relation les unes avec les autres de manière inséparable, mais aussi comme des domaines autonomes livrés à leurs modes uniques, sans jamais permettre à l’un de dominer et de mettre en danger les autres.

Three Ecologies
Bateson and Guattari
After recalling what Guattari owes to the theoretical work of the American Gregory Bateson and the Argentinians Varela and Maturana, the author emphasises that for these authors it is not a question of adapting to the transformation of systems but of co-evolving with it. Bifurcation and emergence, once known as revolution, have always occurred when micro-revolutions have been able to coalesce into new poles of valorization. Guattari attempts to articulate the three ecologies, environmental, social and mental, in relation to each other in an inseparable way, but also as autonomous domains left to their own unique modes, without ever allowing one to dominate and endanger the others
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pensées impensables
la culture de la dénonciation au temps du covid-19, par

Nous réapproprier nos conflits, par

Nous réapproprier nos conflits
Poser les fondements d’une justice transformatrice en France soulève de nombreuses difficultés, qu’il s’agit de considérer afin de proposer une théorie abolitionniste ancrée dans la pratique et le quotidien. L’article confronte certaines théories états-uniennes de la justice transformatrice avec le travail de terrain, notamment réalisé par l’association Fracas, dans les milieux militants queer et féministes français. L’autrice entend ainsi apporter un nouvel éclairage sur un type de justice encore peu connu en France. Justice de la communauté, la justice transformatrice appelle à se réapproprier nos conflits et nos modes de gestion pour sortir du pénal et de leur judiciarisation tout en portant une réflexion de fond sur les rapports structurels de domination.

Reclaiming Our Conflicts
Laying the ground for the development of a Transformative Justice movement in a French context raises many difficulties, some of which are addressed in this article offering an abolitionist account of conflict resolution based on everyday practices. Confronting US-centered theories with the grassroot work realized in queer and feminist activist communities in France with the collective FRACAS, this article endeavors to shed light on a form of community-based justice little known in France. Based on community accountability, Transformative Justice is a call for reclaiming our conflicts and our everyday capacity to solve them out of the penal and criminal systems, offering a precious way towards a different understanding of the mechanics of domination.

Rencontrer les inapproprié·es
Liminalité de la Justice et de la Réconciliation au Canada, par

Rencontrer les inapproprié·es
Liminalité de la Justice et de la Réconciliation au Canada
Cet article propose une spéculation à l’échelle géopolitique de la « réconciliation » entre les Premières nations et l’État colonial canadien, demandant à quoi pourrait bien ressembler une justice qui ne reproduirait pas le monde dont elle cherche à réparer les violences ? Il suggère que les conceptions héritées de la justice du côté de l’Occident colonisateur ne sont pas assez bizarres, que les solutions proposées pour faire face à la violence n’ont pas assez d’humour, d’étrangeté, d’instabilité, pour proposer des bascules significatives. C’est du côté de la rencontre avec les « inappropriées » que se jouent de telles bascules, capables de transformer nos rapports à la notion de justice.

Meeting the Inappropriate/d
The Liminality of Justice and Reconciliation in Canada
This paper speculates on the geopolitical scale of “reconciliation” between First Nations and the Canadian colonial State, asking what justice might look like when it does not reproduce the world whose violence it seeks to repair? It suggests that the inherited conceptions of justice from the colonizing West are not bizarre enough, that the proposed solutions to violence do not have enough humor, strangeness, instability, to propose meaningful shifts. It is on the side of the encounter with the “inappropriate/d” that such shifts are played out, capable of transforming our relationship to the notion of justice.

Semences de liberté
Préparer le terrain pour l’abolition à Durham, Caroline du Nord, par

Semences de liberté
Préparer le terrain pour l’abolition à Durham, Caroline du Nord
Ce texte passe en revue les caractéristiques principales d’une expérience de jardins ouvriers menée à Durham, en Caroline du Nord pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Le jardin, l’acte de jardiner sont envisagés comme des techniques de justice transformatrice : se rassembler, entrer en contact les unes avec les autres, cultiver de quoi se nourrir, sentir la terre et les histoires de violence qui la précèdent, se donner les moyens d’y faire pousser autres choses. Toutes ces pratiques interrelient l’histoire, la communauté et les conditions matérielles d’existence pour faire exister la justice sous la forme de plantes qui poussent, là même où, selon les mots d’Audre Lorde, « nous n’étions pas censées survivre ».

Freedom Seeds
Growing Abolition in Durham, North Carolina
This paper reviews the key features of an experiment in allotment gardening in Durham, North Carolina, to address sexual and gender-based violence. The garden and the act of gardening are envisioned as transformative justice techniques: coming together, connecting with each other, growing food, feeling the land and the preceding histories of violence, empowering each other to grow other things. All of these practices interrelate history, community, and the material conditions of existence, to make justice exist as plants that grow, even where, in Audre Lorde’s words, “we were not meant to survive.”

L’effet-guattari au prisme des quartiers populaires, par

L’effet-Guattari au prisme des quartiers populaires
Les mobilisations qui émergent depuis plusieurs décennies dans les quartiers populaires français se font à distance des structures établies d’énonciation de la politique. Ce que nous pourrions considérer avec le vocabulaire de Guattari comme un mouvement de déterritorialisation s’est réalisé dans le cadre de rapports de pouvoirs spécifiques, invisibilisés par la grammaire des conflits politiques. Identifier les lignes de fuite élaborées dans la pratique par des mobilisations souvent considérées hors-radars (« ce n’est pas de la politique »), impose de « sortir de la langue » et contourner les modes de signification qui sont aussi modes de confiscation. Les outils légués par Félix Guattari nous aident à affronter une question qui demeure : réside-t-il dans cette brèche creusée en conflit avec les « données » de la domination, un mouvement irrépressible vers la transformation des rapports sociaux du capitalisme, et donc une cohérence des subjectivations et des pratiques en direction de cet objectif ?

The Guattari-Effect Through the Lens of Working-Class Neighborhoods
The mobilisations that have been emerging for several decades in the French working-class neighborhoods have taken place at a distance from the established structures of political enunciation. What we could consider, in Guattari’s vocabulary, as a movement of has taken place within the framework of specific power relations, invisibilized by the grammar of political conflicts. Identifying the elaborated in practice by mobilizations often considered off radar (“this is not politics”), imposes to “get out of the language” and to bypass the modes of signification which are also modes of confiscation. The tools bequeathed by Félix Guattari help us to confront a question that remains: does an irrepressible movement towards the transformation of the social relations of capitalism reside in this breach, dug in conflict with the “data” of domination, and thus a of subjectivations and practices towards this objective?

Petit conte chaosmopolointain, par

Petit conte chaosmopolointain
Dans une étroite et longue terre semblable à une tresse, des fils (des) et (ins) tituants tissaient une trame politique tantôt opaque, tantôt brillante, ou bien encore, comme dans un scénario quantique, les deux à la fois. Nous ne dirions pas de cette trame qu’elle affirmait une (R)évolution, mais il nous semble bien qu’elle suggérait un assemblage miraculeux de (p)olitiques moléculaires. Les outillages rationnels étant en déphasage avec ces manières associatives et résurgentes d’être, ces assemblages (dés)orientaient sans doute nos argumentations politiques de l’époque, mais elles déroutaient surtout nos manières de nous référer à cette activité terrestre. Ce qui se passait là-bas ne finissait en effet pas de se passer de singulier en singulier au travers des actions et d’affects impossibles de se réduire à une seule (M)ultitude affirmativement révolutionnaire. Et pourtant, on a vu dans ces contrées se lever un jour, de l’horizontale terrestre, une assemblée-age, un texte et un horizon chaosmopolitique d’aspirations communes.

A Short and Distant Chaosmopolitical Tale
In a distant, narrow, long land, destituting and instituting threads wove a political braid that was sometimes opaque, sometimes brilliant, or, as in a quantum scenario, both at the same time. We would not say this weaving asserted a (R)evolution, but it seemed to suggest a miraculous assembly of molecular (p)olitics. The rational tools being out of phase with these associative and resurgent manners of being, these assemblies (dis)orientated our political argumentation of the time, but they especially baffled our manners to refer to this earthly activity. What happened there did not finish passing from singular to singular through actions and affects impossible to reduce to a single affirmatively revolutionary (M)ultitude. And yet, in these regions, we saw the rise of an assembly-assemblage, a text and a terrestrial horizon of common chaosmopolitical aspirations.

Modes coopératifs insurgés
La floraison des espaces communs dans le Brésil contemporain, par
et

Modes coopératifs insurgés
La floraison des espaces communs dans le Brésil contemporain
Coopération, co-opérations, sont des expressions qui énoncent le co, le cum, l’être ensemble comme condition de l’apparition du territoire de partage et d’une autre démocratie. Au début du millénaire, une transformation est devenue perceptible dans les villes du Brésil : un désir nouveau pour l’espace public et commun. Ce désir est apparu sous forme d’une myriade de mouvements activistes d’occupation et d’appropriation des espaces publics. Nous nous référons à des mouvements horizontaux, non hiérarchisés et auto-organisés de la société civile, qui ont acquis une grande importance politique tels que les mouvements « Ocupe Estelita » à Recife, « Praia da Estação » à Belo Horizonte, et « A Batata Precisa de Você » à São Paulo.

Cooperative Disarrangements
Common Spaces Blossom in Contemporary Brazil
Cooperation, co-operations are expressions that state the co-, the “with”, the being-together as a condition for the appearance of sharing a territory and of another democracy. In the first two decades of the new millennium, a profound transformation became noticeable in Brazilian cities: a new desire for public and common space. This desire appeared in the form of a myriad of activist movements for the occupation and appropriation of public spaces from the North to the South of Brazil. We are referring to horizontal, non-hierarchical and self-organized movements of civil society, which came to have great political relevance, such as the movements “Ocupe Estelita” in Recife, “Praia da Estação” in Belo Horizonte, and “A Batata Precisa de Você” in São Paulo.

Praxis rebelles et pragmatiques collectives
Le Sozialistisches Patientenkollektiv (S.P.K.), par

Opacité et transversalité
L’amitié singulière de Félix Guattari et Édouard Glissant, par

Opacité et transversalité
L’amitié singulière de Félix Guattari et Édouard Glissant
Dans cet article, il s’agit de reproblématiser la proximité amicale et théorique entre Félix Guattari et Édouard Glissant autour d’une politique d’altérité. Confrontant la transversalité guattarienne à l’opacité glissantienne, le rhizome de Glissant est réinterprété en y affirmant une distance à Deleuze et Guattari. Il est démontré comment Glissant, qui se méfie du caractère illimité du rhizome nomadologique, signe son propre rhizome avec sa notion d’opacité, y instaurant une altérité poétiquement créatrice. Interprétée comme productrice éthico-politique de singularisations, l’opacité rencontre à son tour la politique guattarienne de resingularisation dans le concept d’opacité-machine.

Opacity and Transversality
The Singular Friendship of Felix Guattari and Edouard Glissant
In this article, the amical and theoretical proximity between Félix Guattari and Glissant is re-problematized around a politics of alterity. Confronting the Guattarian transversality with the Glissantian opacity, the Glissant’s rhizome is reinterpreted while affirming a distance to Deleuze and Guattari. It is demonstrated how Glissant, who mistrusts the illimited character of the nomadological rhizome, reconfigures his own rhizome with the notion of opacity, establishing a poetically creative alterity. Interpreted as ethico-political producer of singularizations, opacity encounters, finally, the Guattarian politics of resingularization in the concept of opacity-machine.

89. Multitudes 89. Hiver 2022

Des collectifs hétéroclites d’investigation s’emparent de l’information foisonnante que les nouveaux médias – réseaux sociaux, leaks et plateformes – mettent en libre accès afin de contrer les représentations assénées d’en haut. Les contre‑enquêtes OSINT esquissent un horizon inédit de renseignement en réseau et par le bas, au carrefour de la contre‑information, de l’esthétique et des sciences sociales.

Warren Neidich
Mémoire simulée et cerveau câblé
L’émergence d’un précariat surordonné, par

Mémoire simulée et cerveau câblé
L’émergence d’un précariat surordonné
En parallèle avec le dossier d’œuvres que Warren Neidich a préparé pour la rubrique Icônes, cet article pose les bases théoriques d’analyses conceptuelles et d’expérimentations politiques faisant du « cerveau sans organes » un principe de résistance aux dangers posés par le « cerveau câblé ». La multiplication d’interfaces promettant d’assurer une communication directe entre nos systèmes nerveux et nos appareils de computation est ici envisagée à travers la mutation du cognitariat du capitalisme cognitif en un « précariat surordonné » du capitalisme neuronal, c’est-à-dire d’une force de travail disponible 24/7 dont les capacités cognitives, affectives, mémorielles et imaginatives seraient techniquement modulables selon les besoins de l’appareil productif.


Simulated Memory and the Wired Brain
The Emergence of a Superordinate Precariat
In parallel with the dossier of artistic works Warren Neidich has prepared for the Icons section, this article lays down the theoretical foundations for conceptual analyses and political experiments making the “brain without organs” a principle of resistance against the dangers posed by the “wired brain”. The multiplication of interfaces promising to ensure a direct communication between our nervous systems and our computational devices is envisaged here through the mutation of the cognitariat of cognitive capitalism into the “superordinate precariat” of neural capitalism, i.e., a labor force whose cognitive, affective, memorial and imaginative capacities would be technically modulable according to the needs of the productive apparatus.

Chair en miettes
Pessimisme, optimisme et tradition radicale noire, par

Chair en miettes
Pessimisme, optimisme et tradition radicale noire
En 1983, Cedric J. Robinson introduit sous le titre d’une « tradition radicale noire », l’idée d’une généalogie spécifiquement africaine de la lutte contre l’esclavagisme, le capitalisme et l’impérialisme, distincte du marxisme européen. La pensée « afropessimiste » s’inspire d’Hortense Spillers pour mesurer les conséquences de la soustraction des Noirs aux ordres de l’humanité et de la subjectivité politique, en une violence qui convertit les vies africaines en chair. Le poète et théoricien africain américain Fred Moten revisite aujourd’hui ces pensées en inventant un « optimisme noir », qui entend faire valoir l’ambivalence et l’ambiguïté de la noirceur, soulignant ses potentialités particulières et désignant dans « la chair » une possibilité de formuler de nouvelles formes de vie.

Flesh in Pieces
Pessimism, Optimism and the Black Radical Tradition
In 1983, Cedric J. Robinson introduced, under the title of a “black radical tradition”, the idea of a specifically African genealogy of the struggle against slavery, capitalism and imperialism, distinct from European Marxism. “Afropessimist” thought draws on Hortense Spillers to measure the consequences of the subtraction of Blacks from the orders of humanity and political subjectivity, in a violence that converts African lives into flesh. The African American poet and theorist Fred Moten revisits these thoughts today by inventing a “black optimism,” which asserts the ambivalence and ambiguity of blackness, emphasizing its particular potentialities and designating in “the flesh” a possibility of formulating new forms of life.

Enquêtes et renseignement numérique dans la guerre en Ukraine, par et

Les pratiques poétiques à l’ère de l’OSINT
« Nous n’avons qu’à saisir les rapports », par

Les pratiques poétiques à l’ère de l’OSINT
« Nous n’avons qu’à saisir les rapports »
À l’ère où tout un chacun a la capacité de produire des images, sons, textes ou vidéos en un seul clic et ce grâce aux « super-médias », cet article explore la manière dont les pratiques poétiques contemporaines s’approprient des sources d’information ouvertes pour mener des enquêtes sur des « réalités non couvertes » par les médias dominants. En se confrontant à la masse gigantesque de données publiquement disponibles, ces pratiques entreprennent de les trier, de les filtrer, de les sélectionner ou de les re-décrire par différents médias ou formats pour les rendre plus accessibles, significatives et expressives. Cet article étudie les caractéristiques formelles de ces pratiques et suggère la manière dont elles proposent une nouvelle praxéologie de l’action à l’âge du « capitalisme de surveillance ».

Poetry Practices in the OSINT Era
“We simply have to see relationships”
In an age where anyone can produce images, sounds, texts or videos at the click of a button, thanks to “super-media”, this article explores how contemporary poetic practices appropriate open sources of information to investigate realities “uncovered” by the dominant media. By confronting the gigantic mass of publicly available data, these practices undertake to sort, filter, select or re-describe them through different media or formats to make them more accessible, meaningful and expressive. This article examines the formal characteristics of these practices and suggests how they propose a new praxeology of action in the age of “surveillance capitalism”.

Le dilemme du design, par

Le dilemme du design
Le texte se focalise sur l’ambiguïté et le flou du concept de design depuis les années 1960, sur notre appréhension du design comme force de transformation ou problème. En partant du fameux kitchen debate, il s’interroge également sur le discours du design dans les pays (post)socialistes. Le 9e congrès du Conseil International des Sociétés de Design Industriel (ICSID qui s’est tenu à Moscou en 1975 sous le titre Design pour l’homme et la société, a joué un rôle clé dans le positionnement du design dans le contexte politique mondial. La question de l’humain dans, avec et par le design a donc toujours été centrale, même dans des systèmes politiquement antagonistes, et reste encore aujourd’hui l’une des questions essentielles pour toute recherche de solutions aux multiples crises.

The Design Dilemma
The text focuses on the ambiguity and vagueness of the concept of design since the 1960s and on our understanding of design as a transformative force or as a problem. Starting from the famous “kitchen debate”, it also questions the discourse about design in the (post)socialist countries. A key role in defining the position of design in the global political context was played by the 9th ICSID Congress, held in Moscow in 1975 under the title Design for Man and Society. Across politically antagonistic systems, the question of the human in, with, and through design has always been at the center of attention and still forms one of the core questions in the search for ways out of the multiple crises.

Si le design n’est pas la réponse, que pourrait‑il être ?, par , et

Le design est la réponse mais quelle était la question ?, par , et

Le design est la réponse, mais quelle était la question ?
Les designers et théoriciens Ezio Manzini et Virginia Tassinari répondent à la question posée par le titre du dossier, Design is the answer, but what was the question ? Si, d’une part, se pose la question de l’impact social et politique du design et de sa responsabilité dans les changements sociaux, de l’autre s’impose une réflexion sur les modes d’action du design et sur les fondements de cette action. Dans cette perspective, Manzini met en avant les pratiques d’engendrement et d’engagement comme stratégies d’action communes et communautaires, alors que Tassinari explique comment la définition du designing (plus que du design) comme une action politique nécessite une remise en question du cadre épistémologique qui la fonde.

Design is the Answer, but what was the Question?
Designers and theorists Ezio Manzini and Virginia Tassinari answer the question posed by the title of the dossier, Design is the answer, but what was the question? If, on the one hand, the question of the social and political impact of design and its responsibility for social change is raised, on the other hand, it is necessary to reflect on the modes of action of design and on the foundations of this action. In this perspective, Manzini highlights the practices of engendering and engaging as strategies of common and community action, while Tassinari explains how the definition of designing (more than design) as a political action requires a rethinking of the epistemological framework that founds it.

Re‑designer les fictions modernes pour re‑designer nos réalités
Le projet New Weather TV, par

Re-designer les fictions modernes pour re-designer nos réalités
Le projet New Weather TV
Dès lors que nos réalités sont composées d’images, nous devons réfléchir de manière critique à nos archives modernes afin de déconstruire nos (re)présentations les plus communes. Le projet de recherche en design New Weather TV se concentre plus particulièrement sur les images du bulletin météorologique mainstream. Il appréhende la météo en tant qu’artefact de design politique qui incruste les idéologies modernes (et donc anthropocentriques) dans nos réalités quotidiennes (occidentales) : vues globales de notre planète, visions objectives du monde, frontières et images sublimées des catastrophes. En explorant la performativité du design, New Weather TV pose la question suivante : comment re-designer les visions anthropocènes afin de reconfigurer les relations homme-nature ?

Re-Designing Modern Fictions
to Re-Design our Realities
The New Weather
TV project
Since our realities are composed of images, we need to think critically about our modern archives in order to deconstruct our most common (re)presentations. The design research project New Weather TV focuses specifically on the images of the mainstream weather report. It apprehends the weather as an artifact of political design that inserts modern (and thus anthropocentric) ideologies into our everyday (Western) realities: global views of our planet, objective posturing, borders, and sublimated images of disaster. By exploring the performativity of design, New Weather TV asks the following question: how can we re-design anthropocentric visions in order to reconfigure human-nature relations?

90. Multitudes 90. Printemps 2023

Une démocratie éprouvée, par

Une démocratie éprouvée
Dans le cadre d’une recherche-action conduite dans une cité populaire de l’agglomération de Dunkerque, un habitant très actif dans la vie du quartier, en réaction contre les démarches participatives souvent très artificielles, a écrit : « Ils veulent la parole des habitants. Venez dans les quartiers, vous l’aurez », « Viens, on discute. Le conseil citoyen, c’est ici qu’il se tient. Pas là-bas », « Ils veulent nous parler, alors qu’ils acceptent qu’on leur dise… ». Cet article restitue une expérience de démocratie située, vécue au beau milieu du quartier, à l’initiative des habitant·es, une « démocratie éprouvée », à entendre dans la double acception du terme : à l’épreuve des situations (une « preuve » par l’expérience vécue) et à l’écoute des émotions.

Democracy put to the Test
In the context of an action-research project conducted in a working-class housing estate in the Dunkirk area, a resident who was very active in the life of the district, reacting against the often very artificial participatory approaches, wrote: “They want the inhabitants to speak. Come to the neighbourhoods and you’ll get it”, “Come, let’s talk. The citizens’ council is held here, not there. Not there”, “They want to talk to us, so let them accept that we tell them…” This article describes an experience of situated democracy, lived in the middle of the neighbourhood, on the initiative of the residents, a “tested democracy”, to be understood in the double sense of the term: tested by situations (a “proof” by lived experience) and listening to emotions.

Crise financière ou naufrage ?
L’espoir au temps du choléra, par

Crise financière ou naufrage ?
L’espoir au temps du choléra
Le Liban s’enfonce dans une crise financière et économique sans précédent depuis octobre 2019. Les Libanais en sont réduits à braquer leurs banques pour accéder à leur propre argent. Le choc semble surprendre tout le monde. Mais cette crise trouve son origine dans un triangle destructeur composé par le secteur bancaire, la banque centrale et la compagnie d’électricité, qui est à l’œuvre depuis plusieurs années. Il en résulte la destruction de la société qui voit le taux de pauvreté atteindre plus de 80 %. Au temps du choléra qui sévit dans le pays, la sortie de crise est néanmoins possible, au prix de réformes structurelles identifiées et réalisables. L’espoir est donc permis. Le combat pour un nouveau contrat social n’en est que plus nécessaire.

Financial Crisis or Sinking?
Hope in a Time of Cholera
Lebanon has sunk into an unprecedented financial and economic crisis since October 2019. With a backdrop of cholera spreading through the country, the Lebanese are reduced to robbing their banks to access their own money. This shock seems to surprise everyone. But this crisis has its origins in a decades old destructive triangle composed of the banking sector, the central bank and the electricity company, resulting in the destruction of the whole society, with nearly 80% of the population living in poverty. An exit to this crisis is nevertheless possible, but only through identified and feasible structural reforms. The fight for a new social contract is all the more necessary.

Le simulacre de compromis institutionnel
La reproduction de l’oligarchie politique et financière, par

Le simulacre de compromis institutionnel
La reproduction de l’oligarchie politique et financière
Ce texte présente le contexte politico-symbolique qui a imprégné la jeunesse de l’auteur au Liban et qui a vu naître sa passion des mathématiques. Il décrit la révolution de ses modes de représentations provoquée par l’éclatement de la guerre civile libanaise, et cela, au contact du milieu intellectuel et politique français. Cela donna corps à son engagement dans un domaine particulier des mathématiques, la « théorie des jeux ». Il introduit brièvement le cadre conceptuel de cette théorie en vue de l’analyse du conflit, et la façon dont il fut étendu pour y inclure les configurations politiques instables. Il livre enfin des lignes directrices pour une modélisation applicable à la condition particulière du Liban et à la récurrence de ses crises structurelles.

The Simulacrum of Institutional Compromise
The Reproduction of the Political and Financial Oligarchy
In this paper, the author describes the political ans symbolic context that shaped his early representations of the Lebanese society and saw the birth of his taste for Mathematics. He traces how these representations were radically modified as a result of the outbreak of the Lebanese civil war and how this transformation was nourished by the new intellectual and political environment encountered during his studies in France. These events oriented his speculations towards the field of Game Theory, the Mathematics concerned with strategy and conflict. He argues briefly that the classical theory has to be extended in order to include the analysis of unstable configurations. Finally, he provides guidelines for a model applicable to the particular case of the structural Lebanese crisis.

Les attaches affectives d’un État nécrocapitaliste, par

Les attaches affectives d’un État nécrocapitaliste
Dans cet article, le « nécrocapitalisme » est considéré comme une catégorie analytique et un système social qui régit le Liban d’« après-guerre ». En tant que système, il organise psychiquement et socialement une économie politique fondée sur le sectarisme, la kleptocratie et la capture de l’État. Le nécrocapitalisme structure également une série d’attachements idéologico-affectifs qui lient les élites aux subordonnés, et l’État aux uns et aux autres. Ce terme de « nécrocapitalisme » permet également à l’auteur de qualifier comment les souffrances psychiques des populations qui vivent (mal) et qui meurent sont devenues, soit des actifs politiques et économiques à cultiver et à reproduire (par le biais d’un sectarisme clientéliste), soit, au pire, des coûts collatéraux où la vie, le bien-être physique sont dévalués dans une totale désinvolture.

The Emotional Attachments of a Necrocapitalist State
This article considers “necrocapitalism” as an analytic rubric and social system that governs Lebanon in its “post-War”. Necrocapitalism as a system that psychically and socially organizes the political economy of sectarianism, kleptocracy and state capture, necrocapitalism also organizes a series of ideological-affective attachments that bind elites to subordinates and the state to both. The author deploys the term “necrocapitalism” because the lives, deaths and psychic suffering of the population are either political and economic assets to be protected and cultivated (through sectarianism and clientelism) or, at worst, collateral cost, where life, physical well-being and psychic suffering are casually overlooked.

Conversions politiques des militants de la gauche libanaise
Le cas d’une conversion à l’altérité, par

Conversions politiques des militants de la gauche libanaise
Le cas d’une conversion à l’altérité
L’article est extrait d’une étude sur le devenir des militants chrétiens de la gauche libanaise dans le contexte de la confessionnalisation de la guerre civile libanaise (1975-1990). Optant pour la technique de l’histoire orale qui met en valeur la subjectivité individuelle, à rebours des grilles d’analyse communautaristes du Liban, et en s’appuyant sur la notion de « conversion politique », l’auteur retrace le parcours d’un ancien militant de la gauche libanaise propalestinienne. Né en 1952 d’un père européen naturalisé et d’une mère libanaise chrétienne, il s’engage, au terme d’un processus de confessionnalisation, aux côtés de la droite chrétienne (Forces Libanaises) avant de connaître un processus de désidéologisation et une « conversion à l’altérité ».

Political Conversions of Lebanese Left Activists
The Case of a Conversion to Otherness
The article is an excerpt from a larger study on the trajectory of Lebanese Christian leftist activists in the context of the confessionalization of the Lebanese civil war (1975-1990). The author distances herself from the sectarian and collective framework of Lebanese historiography by choosing oral history as her research method, which offers a gateway into individual subjectivity, as opposed to group dynamics. Relying on the concept of “political conversion”, she follows the trajectory of a former pro-Palestinian Lebanese activist born in 1952 to a naturalized European father and a Christian Lebanese mother, who later joins the Christian right (Lebanese Forces), before undergoing a process of de-ideologization and experiencing a “conversion to otherness”.

La scène cinématographique libanaise
Temporalités de la fragmentation et de la création, par

La scène cinématographique libanaise
Temporalités de la fragmentation et de la création
En considérant la fabrique cinématographique comme une expérience politique et artistique, et un film terminé comme le lieu d’un regard singulier d’un·e cinéaste, cet article entend analyser le rapport au temps qu’entretiennent les acteurs·trices de la scène cinématographique au Liban depuis les trois dernières années. Du soulèvement de 2019 à l’année 2022, la relation au temps se caractérise par une incertitude constante qu’il convient d’explorer, avec d’une part les temporalités de la fragmentation liées au contexte du pays, et d’autre part, les temporalités de la conception d’une œuvre. Comment est-ce que la temporalité de la création d’un film, souvent longue et difficile, s’imbrique-t-elle dans les multiples temporalités du pays faites d’une accumulation de crises ?

The Lebanese film scene
Temporalities of fragmentation and creation
By considering cinematographic production as a political and artistic experience, and a finished film as the place of a singular gaze of a filmmaker, this article intends to analyze the relationship to time that the actors of the Lebanese film scene have maintained for the last three years. From the uprising of 2019 to the year 2022, the relationship to time is characterized by a constant uncertainty that needs to be explored, with, on the one hand, the temporalities of fragmentation linked to the context of the country, and on the other hand, the temporalities of the conception of a work.

91. Multitudes 91. Eté 2023

Les conspirations ne sont pas vouées à être d’extrême-droite. Elles datent de bien avant les réseaux sociaux. Les grands moments révolutionnaires ont tous été des grands moments conspirationnistes. Et si on essayait de comprendre de quelles intelligences ils sont porteurs ? Au lieu de regarder les conspirations de haut, la douzaine d’articles de cette Majeure réfléchissent aux risques mais aussi aux puissances de nos capacités à « respirer ensemble » (con‑spirare).

Entre réinformation et complotisme
Alèthurgie * et médiations, par
, et

Entre réinformation et complotisme
Aléthurgie et médiations
La méconnaissance du virus SARS-CoV-2 et une communication publique déficiente ont contribué à alimenter l’incertitude radicale depuis le début de la pandémie. Cette conjoncture est propice au déferlement de contre-discours dits complotistes dans les arènes numériques et autres « forums hybrides ». Les institutions publiques et médiatiques, en privilégiant une approche épistémologique basée sur le debunking, échouent à comprendre la préférence d’une frange de la population pour les vérités « alternatives » au détriment des preuves scientifiques. En analysant les formes médiatiques et alèthurgiques d’un tel contre-discours, nous montrons comment il se nourrit de l’incertitude pour asseoir son pouvoir et son autorité, témoignant du retour d’une (mauvaise) parrêsia.

Between Reinformation and Conspiracy
Alethurgia and Mediations
Lack of knowledge of the SARS-CoV-2 virus and poor public communication have contributed to the radical uncertainty since the start of this pandemic. This situation is conducive to the outpouring of so-called conspiracy theories in digital arenas and other “hybrid forums”. Public and media institutions, by privileging an epistemological approach based on debunking, fail to understand the preference of a segment of the population for “alternative” truths rather than scientific evidence. By analyzing the media and alethurgic forms of such a counter-discourse, we show how it feeds on uncertainty to establish its power and authority, testifying to the return of a (bad) parrhesia.

Sortir du désenchantement, par

Sortir du désenchantement
Rêves, nymphes, démons, fantômes, conversations avec les animaux et les montagnes, enseignements transmis par les plantes : l’enchantement a disparu de nos vies. Quiconque ose l’évoquer viole les canons épistémologiques les plus élémentaires qui régissent notre monde et est immédiatement disqualifié comme ignorant ou fou. Il est toutefois suspect que le tabou de l’enchantement entre en action précisément lorsque le processus historique de la modernité commence à produire des spectres et des cauchemars à une échelle industrielle : le monde est peuplé de fantômes et personne ne peut plus en parler. Contre le récit triomphant de la modernité et les fables noires du complotisme dark, l’article propose de repartir de l’efficacité symbolique de Lévi-Strauss pour repenser notre rapport à l’enchantement sous le signe de la sensibilité, de la multiplicité et de l’autonomie.

Leaving the disenchantment
Dreams, nymphs, demons, ghosts, conversations with animals and mountains, teachings transmitted by plants: enchantment has disappeared from our lives. Anyone who dares to evoke it violates the most elementary epistemological canons that govern our world and is immediately disqualified as ignorant or crazy. It is suspicious, however, that the taboo of enchantment comes into play precisely when the historical process of modernity begins to produce specters and nightmares on an industrial scale: the world is populated by ghosts and no one can talk about them anymore. Against the triumphant narrative of modernity and the black tales of dark conspiracy, the article proposes to start again from Lévi-Strauss’ symbolic efficiency to rethink our relationship to enchantment under the sign of sensitivity, multiplicity and autonomy.

Une chorale de voix mineures
Mouvances, montages, mutations, par

Feux intentionnels, broderies collectives, par

Feux intentionnels, broderies collectives
Alors que le pays brûle, je brode. Je le fais depuis des années pour différentes raisons. Tout d’abord, pour évoquer les tissus de ma maison qui ont été brodés par ma mère et mes tantes. D’autre part, pour apporter cette affectivité et cette mémoire dans un espace organisationnel avec mes collègues de travail. Nous nous sommes réunies et rapprochées après avoir brodé une grande toile représentant les travailleurs de la maison centrale de l’université du Chili, une tâche qui nous a pris des mois et qui a été décomposée en d’autres pièces connexes, telles que des slogans et des revendications syndicales. Des pièces différentes, mais toutes liées. J’ai également brodé un slogan de lutte pour les survivants de la violence politique et sexuelle pendant la dictature. Je continue également à broder les souvenirs d’un groupe de femmes qui ont été enlevées et assassinées dans la ville de mon enfance, en créant leurs visages avec un matériau particulier : les cheveux de femmes comme elles.

Intentional Fires, Collective Embroidery
While the country burns, I embroider. I’ve been doing it for years for different reasons. First, to evoke the fabrics in my home that were embroidered by my mother and aunts. Second, to bring that affectivity and memory into an organizational space with my co-workers. We got together and got closer after embroidering a large canvas representing the workers of the central house of the University of Chile. I also continue to embroider the memories of a group of women who were abducted and murdered in my childhood town, creating their faces with a particular material: the hair of women like them.

Le peuple mapuche au Chili
Au-delà de l’invisibilité, par

Le peuple mapuche au Chili
Au-delà de l’invisibilité
Les luttes des peuples indigènes sont une constante invisible de l’histoire du Chili, car elles constituent l’envers caché de la construction de l’État et de son évolution politique. C’est précisément parce que le Chili n’a pas réussi à construire des canaux institutionnels efficaces pour l’inclusion des peuples indigènes que leur invisibilité constitue le fait fondateur de leur place dans la communauté politique. La sortie de cet état se produit, en particulier pour le peuple mapuche, sous forme d’irruptions qui perturbent la vie commune : d’une part, la violence politique exercée par des secteurs radicalisés du peuple mapuche qui ont abandonné les voies institutionnelles et démocratiques ; d’autre part, l’action politique non soutenue, qui a cherché à reconstruire le peuple mapuche en tant que nation.

The Mapuche People in Chile
Beyond Invisibility
The struggles of the indigenous peoples are an invisible constant in Chilean history, because they are the hidden side of the construction of the State and its political evolution. The resistance to oppression occurs, especially for the Mapuche people, in the form of irruptions that disrupt communal life: on the one hand, political violence exercised by radicalized sectors of the Mapuche people who have abandoned institutional and democratic paths; on the other hand, unsupported political action, which has sought to reconstruct the Mapuche people as a nation.

92. Multitudes 92. Automne 2023

Représenter malgré tout
Images (dissidentes) de la symbiose, par

Représenter malgré tout
Images (dissidentes) de la symbiose
Les images sont inscrites dans des boucles rétroactives de production de sens et en s’intéressant à celles qui s’associent de près ou de loin à la science, on plonge dans une sémiotique qui flirte avec l’épistémologie des sciences et des techniques. Des images, certaines images, sont comme des armes dans la bataille contre l’hégémonie culturelle d’une pensée scientifique fondée sur le culte militaro-masculiniste du héros et de la compétition. Tirer les pelotes que nous offrent Lynn Margulis et les artistes qui se sont inspiré de ses recherches sur la symbiogénèse, c’est alors une tentative d’œuvrer à lutter contre l’impérialisme de la pensée néo-darwinienne et ses conséquences bio-politiques sur nos représentations de l’unicité de l’individu.

Representing, against all odds
(Dissident) images of symbiosis
Images are inscribed in retroactive loops of meaning production, and by focusing on those that are associated with science, we plunge into a semiotics that flirts with the epistemology of science and technology. Some images are like weapons in the battle against the cultural hegemony of scientific thought based on the militaristic-masculinist cult of the hero and competition. Following the threads that Lynn Margulis, and the artists inspired by her research into symbiogenesis, offer us is an attempt to work against the imperialism of neo-Darwian thought and its bio-political consequences on our representations of the uniqueness of the individual.

Le mouvement des académies solidaires en Turquie
La subjectivité académique révolutionnaire (2016-2023), par

Le mouvement des académies solidaires en Turquie
La subjectivité académique révolutionnaire (2016‑2023)
Cet article est un récit analytique basé sur des témoignages primaires concernant le Mouvement des Académies Solidaires qui a émergé à la suite des purges des Académiciens de la Paix en Turquie. Il examine le Mouvement sous l’angle de la signification et de la possibilité d’une subjectivité académique révolutionnaire, montre son originalité académique et organisationnelle, et analyse son déclin face aux problèmes auxquels il est confronté. Les Académies Solidaires, en tant qu’initiatives radicales qui transcendent la légalité existante, ont créé des environnements de connaissance et d’apprentissage en commun, mais elles ont régressé parce qu’elles n’ont pas pu transformer cette expérience en un projet capable de résoudre les problèmes d’organisation interne et de relation avec l’environnement social.

The Solidarity Academy Movement in Turkey
Revolutionary Academic Subjectivity (2016-2023)
This article is an analytical narrative based on primary testimony concerning the Solidarity Academies Movement that emerged following the purges of Peace Academics in Turkey. It examines the Movement in terms of the meaning and possibility of revolutionary academic subjectivity, shows its academic-organizational originality, and analyzes its decline in the face of the problems it faces. It is argued that Solidarity Academies, as radical initiatives that transcend existing legality, began a founding academic activity by creating environments of knowing and learning together, but they regressed because they could not transform this experience into a project capable of resolving problems of internal organization and relationship with the social environment.

La puissance des céréales
Spéculations, famines, guerres, par

La puissance des céréales
Spéculations, famines, guerres
Tous les empires dans l’histoire ont pu faire ce constat : la puissance n’est pas seulement une question d’armement, mais aussi de contrôle des céréales. Elles ont constitué, jusqu’à l’essor de la consommation de viande, le carburant du travail humain. Cet article permet une charnière bienvenue entre histoire et actualité (« pénurie » et déstabilisation des marchés mondiaux des céréales avec la guerre d’Ukraine). Il retrace l’histoire longue des marchés des céréales dans le monde, les successions des politiques visant leur contrôle (stockage, contrôle des prix, blocage des approvisionnements) ou donnant libre cours à la spéculation, les effets de ces cycles sur les famines et les guerres. Ce qui spécifie le « nouveau capitalisme agraire » contemporain depuis les années 1980, c’est la spéculation totalement dérégulée sur les céréales : marchés virtuels, futures, accaparement des terres, contrôle du vivant et monopoles des semences, entrée de nouveaux acteurs comme banques, fonds de pension, hedge funds. L’auteur propose en conclusion quelques options politiques pour lutter contre cette hégémonie.

The Power of Cereals
Speculation, Famines, Wars
Every empire in history has recognised that power is not just a question of armaments, but also of control over cereals. Until the rise of meat consumption, grain was the fuel of human labour. This article provides a welcome link between history and current events (the “shortage” and destabilisation of world grain markets with the war in Ukraine). It traces the long history of world grain markets, the succession of policies aimed at controlling them (storage, price controls, blocking supplies) or at giving free rein to speculation, and the effects of these cycles on famines and wars. The “new agrarian capitalism” that has emerged since the 1980s is characterised by totally deregulated speculation in cereals: virtual markets, futures, land grabbing, control of living organisms and seed monopolies, with the entry of new players such as banks, pension funds and hedge funds. In conclusion, the author proposes some political options for combating this hegemony.

Trois interrogations sur les activités d’élevage, par

Trois interrogations sur les activités d’élevage
Les activités d’élevage sont depuis des décennies fortement remises en cause pour leurs effets sur l’environnement et la concurrence qu’elles exercent sur l’accès à la terre, de grandes surfaces étant dans le monde dédiées à l’alimentation animale (maïs, soja). L’auteur montre les ambivalences des problématiques d’élevage en discutant trois questions. L’élevage représente-t-il un handicap pour nourrir le monde ? L’élevage contribue-t-il à l’érosion de la biodiversité ? L’élevage nuit-il à la santé ? En relativisant et contextualisant ces trois assertions, l’auteur désigne les méfaits de l’élevage industriel et plaide pour une démarche d’agro-écologie associant élevage et cultures. Mais il exprime ses craintes quant à la poursuite de la tendance actuelle.

Three Questions about Livestock Farming
For decades, livestock farming has been strongly questioned for its environmental impact and the competition it creates for access to land, with large areas of the world dedicated to animal feed (maize, soya). The author shows the ambivalence of livestock farming issues by discussing three questions. Is livestock farming an impediment to feeding the world? Does livestock farming contribute to the erosion of biodiversity? Does livestock farming damage health? By putting these three assertions into perspective and by contextualising them, the author points out the damaging effects of industrial livestock farming, and argues in favour of an agro-ecological approach combining livestock and crops. But he expresses his fears about the continuation of the current trend.

L’agriculture rêve‑t‑elle de moutons électriques ?
Paradoxes des technologies numériques pour la transition environnementale de l’agriculture, par

L’agriculture rêve‑elle de moutons électriques ?
Paradoxes des technologies numériques pour la transition environnementale de l’agriculture
Face aux pollutions environnementales causées par les pratiques productivistes, le modèle de l’« agriculture de précision » s’est développé depuis les années 1990 : des capteurs, des satellites, des GPS et des algorithmes permettraient de diminuer les dégâts écologiques causés par les activités de production. Au-delà des pratiques sur les exploitations, « agriculture digitale », « smartfarming » et autres « AgTech » sont devenus des termes quotidiens pour les organismes et les politiques agricoles. L’article propose de s’interroger sur l’argumentaire environnemental entourant ces outils numériques et leur développement, en mettant en avant les enjeux politiques, techniques et commerciaux inhérents à ce déploiement.

Do Farmers Dream of Electric Sheep ?
Paradoxes of Digital Technologies for the Environmental Transition of Agriculture
Faced with the environmental pollution caused by the dominant production practices, the “precision agriculture” model has been developing since the 1990s : sensors, satellites, GPS and algorithms are supposed to reduce the ecological damage caused by production activities. Beyond on-farm practices, “digital agriculture”, “smartfarming” and “AgTech” have become everyday terms for agricultural organisations and policies. This article looks at the environmental arguments surrounding these digital tools and their development, highlighting the political, technical and commercial issues inherent in their deployment.

Figures du « retour à la terre »
Entre projet professionnel, projet de vie et engagement politique, par

Figures du « retour à la terre »
Entre projet professionnel, projet de vie et engagement politique
L’article analyse le renouveau des cadres culturels, politiques et économiques des imaginaires des aspirants à l’installation en agriculture. Il centre son propos sur des figures particulières : les candidats voulant faire de l’agriculture un projet professionnel, en rupture avec les motivations utopiques du retour à la terre des années 1970. Ces projets sont pris en étau entre plusieurs idéaux : réalisation de soi, portage d’une entreprise agricole alternative pour changer la société, transformation des méthodes culturales vers l’agro écologie, autosuffisance alimentaire et énergétique. L’archétype en est l’exploitation de petite taille, performante sur les plans environnemental, social et économique. Ils intègrent les injonctions à la viabilité économique des organisations et associations professionnelles auprès desquelles ils sollicitent un soutien. Mais, de leur côté, ces structures d’aide à l’installation peinent à appréhender leurs besoins et à les soutenir dans un contexte pourtant crucial de baisse vertigineuse du nombre d’agriculteurs.

“Back to the Land” Figures
Professional Project, Life Project, Political Commitment
This article analyses the renewal of the cultural, political and economic frameworks of the imaginary worlds of aspiring farmers. It focuses on a particular group of people: those who want to make farming their career, breaking with the back-to-the-land approach of the 1970s. These projects are caught between several ideals: self-fulfilment, running an alternative farming business to change society, transforming farming methods towards agro-ecology, food and energy self-sufficiency. The archetype is the small-scale farm, which performs well in environmental, social and economic terms. They take on board the demands for economic viability made by the professional organisations and associations from which they seek support. But, for their part, the structures that help farmers set up struggle to understand their needs and to support them at a time when the number of farmers is plummeting.

Les circuits courts alimentaires
De la complexité à la coopération logistiques, par

Les circuits courts alimentaires
De la complexité à la coopération logistiques
Cet article illustre de façon concrète et détournée les relations villes-campagnes. Les circuits courts alimentaires sont considérés comme vertueux (réduction des intermédiaires et des distances, « locavorisme »), mais qu’en est-il vraiment de leur durabilité, compte-tenu de leur complexité logistique ? Pour le producteur, premier maillon de la chaîne, la commercialisation et le transport représentent travail et coûts supplémentaires. Les circuits courts ne sont pas moins énergivores : flux entre fermes et points de vente fragmentés en une multitude de petits volumes. L’auteur propose plusieurs formes d’organisation pour pallier à ces inconvénients : mutualiser le transport entre producteurs partenaires et promouvoir une coopération logistique territoriale, consolider le transfert de flux en le déléguant à un prestataire extérieur. L’enjeu de la logistique et le rôle des intermédiaires non commerciaux sont clé.

Short Food Circuits
From Logistical Complexity to Logistical Cooperation
This article is a practical, roundabout way of illustrating the relationship between town and country. Short food circuits are seen as virtuous (reducing intermediaries and distances, “ locavorism”), but what about their sustainability, given their logistical complexity? For the producer, the first link in the chain, marketing and transport represent additional work and costs. Short distribution channels are no less energy-intensive, with flows between farms and points of sale fragmented into a multitude of small volumes. The author proposes a number of organisational solutions to overcome these disadvantages: pooling transport between partner producers and promoting regional logistics cooperation, consolidating the transfer of flows by delegating it to an external service provider. The issue of logistics and the role of non-commercial intermediaries are key.

L’aide alimentaire, facteur de résistance pour une démocratie alimentaire
Pour une sécurité sociale de l’alimentation, par

L’aide alimentaire, facteur de résistance pour une démocratie alimentaire
Pour une sécurité sociale de l’alimentation
Loin de se cantonner à une aide exceptionnelle et d’urgence, l’aide alimentaire est devenue le moyen de se nourrir pour des milliers de personnes. Dans cet article, l’autrice ne s’intéresse pas seulement à la question de l’aide, mais à celle plus globale du système alimentaire, de la production à la distribution. Partie du don inconditionnel avec les Restos du Cœur, l’aide alimentaire s’est profondément éloignée de l’esprit Coluche empreint de partage et d’humanisme, pour aller vers une organisation à but économique qui conduit à des violences alimentaires. Les bénéficiaires sont en effet assignés à une nourriture qu’ils n’ont pas choisie et qui heurte souvent leurs pratiques ou leur culture. Il s’agit pour les agro-industriels et distributeurs de faire des profits, spéculer sur le prix des denrées de base, recycler les produits invendables en « ramasses », profiter des subventions en denrées du Fonds social européen. Face à cette situation catastrophique, l’autrice jette les bases d’une Sécurité sociale alimentaire, universelle et répondant au droit à l’alimentation.

Food Aid, a Factor of Resistance for a Food Democracy
For Social Food Security
Far from being confined to exceptional and emergency assistance, food aid has become a means of feeding thousands of people. In this article, the author looks not only at the question of assistance, but at the more global structure of the food system, from production to distribution. Starting out as an unconditional gift with the Restos du Cœur, food aid has moved a long way from the Coluche spirit of sharing and humanism, towards an economically driven organisation that leads to food violence, with beneficiaries assigned to food that they have not chosen and that often clashes with their practices or culture. The goal is for agribusinesses and distributors to make profits, speculate on the price of basic foodstuffs, recycle unsaleable products into “ pick-ups”, and take advantage of food subsidies from the European Social Fund. To remedy this catastrophic situation, the author is laying the foundations for a Social Security System for Food.

Anthropologie des nouvelles règles de table
Commensalité, spiritualité, engagement social, par

Anthropologie des nouvelles règles de table
Commensalité, spiritualité, engagement social
L’auteure, anthropologue de la consommation, suggère que l’étude de nos pratiques alimentaires offre une fenêtre fascinante sur les structures de domination et la reproduction des élites dans une époque de permacrise. En mettant un éclairage sur les « mangeurs hors pair », elle révèle la manière dont les systèmes de pouvoir sont reproduits et contestés par les choix alimentaires. Par l’intermédiaire de la « magie alimentaire » et des « festins empoisonnés », l’autrice démontre que même nos actes alimentaires les plus quotidiens sont imprégnés de significations sociales, économiques et environnementales profondes. Elle conclut en anticipant une transition vers une alimentation plus simplifiée et collective, qui pourrait contester les structures de pouvoir existantes et offrir une alternative aux régimes alimentaires particuliers qui prévalent actuellement.

Anthropology of the New Rules of the Table
Commensality, Spirituality and Social Commitment
The analysis by anthropologist Fanny Parise suggests that the study of our food practices offers a fascinating window onto the structures of domination and the reproduction of elites in an era of permacrisis. By shedding light on ’peerless eaters’, she reveals the way in which systems of power are reproduced and contested through food choices. Through the lens of “food magic” and “poisoned feasts”, the author demonstrates that even our most quotidian acts of eating are imbued with profound social, economic and environmental meanings. She concludes by anticipating a transition towards a more simplified and collective diet, which could challenge existing power structures and offer an alternative to the particular diets that currently prevail.

La méthode Selfood ou la pédagogie alimentaire
Les projets Sugar Killer et alimentation étudiante, par
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La méthode Selfood ou la pédagogie alimentaire
Les projets Sugar Killer et alimentation étudiante
Cette conversation raconte deux expériences de mise en capacité de jeunes quant à la connaissance de leur propre alimentation. La première se dénomme Sugar Killer, c’est une expérience artistique qui s’intègre dans une recherche scientifique et pédagogique. Recherche-action d’éducation alimentaire hybridant art, alimentation et transformation du territoire, elle peut se résumer par le sous-titre « quand les collégiens enquêtent sur leurs sucres ». La seconde s’inscrit dans une recherche menée auprès d’étudiants de l’université de Poitiers une année avant le Covid (2019) et durant le Covid (2020). Elle a permis de comparer les mutations de ces pratiques en fonction de la situation familiale des étudiants. Les deux expériences s’appuient sur la méthode Selfood, qui consiste à faire prendre en photo les repas d’une personne sur plusieurs jours consécutifs, pour constituer une forme d’autoportrait alimentaire. Les paysages alimentaires récoltés sont le support d’une réflexion plus large sur le fonctionnement des systèmes agro-alimentaires, sur les choix et pratiques alimentaires des participant·es, et leurs effets sur la santé et l’environnement.

The Selfood Method in Food Education
The Sugar Killer Project and Student Food
This conversation tells the story of two experiments to empower young people to learn about their own diet. The first is called Sugar Killer, an artistic action-research project on food education, combining art, food and territorial transformation, and it can be summed up by its sub-title: “when schoolchildren investigate their sugars”. The second is part of a research conducted with students at Poitiers University a year before Covid (2019) and during Covid (2020). It compared changes in these practices according to the students’ family situation. The two experiments are based on the Selfood method, which consists of having an individual’s meals photographed over several consecutive days, which ends up forming a form of dietary self-portrait. The food landscapes collected are the basis for a wider reflection on the functioning of agri-food systems, the food choices and practices of the participants, and their effects on health and the environment.

L’économie sociale et solidaire
Un accélérateur des transitions alimentaires, par

L’économie sociale et solidaire
Un accélérateur des transitions alimentaires
Historique mais parfois perdue de vue, la place de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans le secteur agricole connaît un regain d’intérêt et d’actualité dans le cadre des transitions en cours. La transition alimentaire illustre tout particulièrement le rôle renouvelé et innovant des acteurs de l’ESS pour contribuer aux enjeux de réduction des impacts environnementaux de la production alimentaire tout en œuvrant en faveur d’une reconquête de la valeur ajoutée pour les territoires. Les projets alimentaires territoriaux, dynamiques systémiques à l’échelle locale, sont les outils de ces stratégies multi-acteurs qui donnent une large place aux acteurs de l’ESS. Les pouvoirs publics accompagnent ces démarches qui misent davantage sur la coopération que sur la mise en concurrence, tout en n’abandonnant pas complètement la logique concurrentielle libérale. Cet article décrit ces dynamiques multiples en cours et insiste sur le rôle clef des expérimentations et des volontés politiques locales pour accélérer les transitions.

The Social and Solidarity Economy
An Accelerator
of Food Transitions
The role of the social and solidarity economy (SSE) in the agricultural sector has a long history but is sometimes lost sight of. It is now attracting renewed interest and relevance in the context of the transitions underway. The food transition, in particular, illustrates the renewed and innovative role of SSE players in helping to reduce the environmental impact of food production, while at the same time working to regain added value for local areas. Territorial food projects, systemic dynamics on a local scale, are the tools of these multi-actors strategies that give a large place to SSE players. The public authorities are supporting these initiatives, which rely more on cooperation than on competition, although they have not completely abandoned the logic of liberal competition. This article describes the multiple dynamics underway and emphasises the key role of experimentation and local political will in accelerating these transitions.

Le Mouvement des Sans Terre au Brésil à la croisée des chemins
Nouveaux défis dans la lutte pour la terre et l’alimentation, par

Le Mouvement des Sans Terre au Brésil à la croisée des chemins
Nouveaux défis dans la lutte pour la terre et l’alimentation
Le MST a connu de grands succès dans les années 1980 – 450 000 familles dans assentamentos (propriétaires) ou acampamentos (occupants) – et a servi d’exemple à de nombreuses mobilisations et occupations de terres dans le monde. Pendant l’ère Bolsonaro, le mouvement a connu diverses adaptations. Il a adopté le récit de l’entrepreneur agricole, influencé en cela par les évangélistes – de la « théologie de la libération » communautaire à la théologie individualiste de la réussite. Il a, par obligation et répression, délaissé l’action d’occupation des terres pour le développement de l’agriculture biologique et la production d’aliments « sains », largement à destination des villes. Ainsi, il resserre les liens entre le rural et l’urbain et se rapproche stratégiquement du Mouvement des Sans Toit.

The Landless Movement in Brazil at a Crossroad
New Challenges
in the Fight for Land and Food
The MST had great success in the 1980s—450,000 families in assentamentos (owners) or acampamentos (occupiers)—and served as an example for many mobilisations and land occupations around the world. During the Bolsonaro era, the movement has undergone various adaptations. It adopted the narrative of the agricultural entrepreneur, influenced by the evangelists—from the communitarian “ theology of liberation” to the individualistic theology of success. Under constraints and repression, it has moved away from occupying land to developing organic farming and producing “healthy” food, largely for the cities. In this way, it has strengthened the links between rural and urban areas, and strategically drawn closer to the homeless (Roofless Movement).

La lutte pour l’usage des terres à Notre-Dame-des‑Landes, par

La lutte pour l’usage des terres à Notre-Dame-des‑Landes
Au-delà d’une bataille écologique tenace pour l’abandon du projet d’aéroport, le bocage de Notre-Dame des Landes a constitué un terrain d’expérimentation pour transformer l’occupation militante en droit pérenne d’usage des terres. Les « zadistes » se sont battus pour devenir agriculteurs et exploiter collectivement la terre au service d’une agriculture « écolo et non Monsanto ». Ils ont parié sur le fait de mener une bataille sur le droit face à l’administration et, en échange de fiches de projets, ont obtenu des baux ruraux individuels de neuf ans, comme les paysans résistants et les paysans cumulards, qui exploitaient les terres avant la préemption. Le rêve éveillé est devenu réalité, même si l’un des principes de base initiaux, « la terre en commun », a subi des altérations.

The Battle over Land Use at Notre-Dame-des-Landes
In addition to the tenacious ecological battle against the airport project, the bocage of Notre-Dame-des-Landes was a testing ground for transforming militant occupation into permanent land use rights. The “Zadists” fought to become farmers and exploit the land collectively in the service of environmentally-friendly, Monsanto-free agriculture. They gambled on waging a legal battle with the authorities and, in exchange for project sheets, obtained individual nine-year rural leases, just like the resistant farmers who cultivated the land before the pre-emption. The daydream has become reality, even if one of the initial basic principles, “land in common”, has been altered.

Subsistance
Perspective féministe et écologique, par

Subsistance
Perspective féministe et écologique
Le « féminisme de la subsistance », à l’intersection du féminisme, de l’écologie et de l’anticapitalisme, a été remis en lumière par des théoricien·nes et activistes du Nord et du Sud dans les années 2010. L’étude des sociétés paysannes montre que l’accomplissement par les femmes des tâches vitales pour le groupe a été sous-estimé et leur confère puissance, sacralité et autonomie, en particulier pour assurer l’égale répartition des biens de subsistance. Face aux critiques dénonçant cet essentialisme, l’auteure propose un « écoféminisme vernaculaire » qui s’appuie sur les pratiques concrètes des femmes intégrant agriculture, artisanat, travaux de mécanique et de maçonnerie, agirs familiaux. Car, sous sa forme moderne, le travail domestique est doublement aliéné : non seulement, il n’est pas rémunéré, mais il est coupé de ses potentialités productives de subsistance pour se cantonner à la consommation et au care. Les écoféministes de la subsistance veulent s’opposer aux vocations « naturelles » des femmes et imaginer des perspectives : se réapproprier et partager collectivement des fonctions nourricières de base dans un monde où s’impose de façon accélérée l’aménagement agro-industriel de la planète.

Subsistence
Feminist and Ecological Perspective
The “feminism of subsistence”, at the intersection of feminism, ecology and anti-capitalism, has been revived by theorists and activists from the North and South in the 2010s. New studies of peasant societies show that women’s performance of tasks vital to the group has been underestimated, and confers power on them, as well as sacredness and autonomy, particularly in ensuring the equal distribution of subsistence goods. In response to critics of this essentialism, the author proposes a “vernacular ecofeminism” based on women’s concrete practices, including agriculture, crafts, mechanical and masonry work, as well as family activities. Yet in its modern form, domestic work is doubly alienated: not only is it unpaid, but it is cut off from its productive potential for subsistence and confined to consumption and care. The ecofeminists of subsistence want to oppose the “natural” vocations of women and imagine new perspectives: to collectively reappropriate and share the basic functions of subsistence, in a world where the agro-industrial development of the planet is imposing itself in an accelerated manner.

93. Multitudes 93. Hiver 2023

Le franchissement en cours des limites planétaires contraint à réaliser un inventaire des conditions qui l’ont rendu possible : technologies, infrastructures, institutions, organisations, modèles économiques, voire capitalisme ou impérialisme… La liste est longue de ces « communs négatifs » qui grèvent les conditions d’habitabilité sur Terre et auxquels, pourtant, une humanité comptant huit milliards d’individus est intimement attachée – souvent malgré elle et à son détriment. Les textes regroupés dans cette Majeure reviennent sur ce concept et tentent de mettre sa fécondité à l’épreuve dans des contextes extrêmement variés.

L’Europe ou rien, par , et

L’Europe ou rien
L’invasion de l’Ukraine est la tentative de la Russie de fermer militairement sous un talon de fer le processus politique qui a commencé avec la chute du mur de Berlin et le rapprochement progressif de l’Est vers l’Ouest, après la longue « césure » de la seconde moitié du XXe siècle. Le destin de l’Europe se joue donc en Ukraine. Il n’est donc ni fortuit ni étrange que ceux qui n’ont jamais cru à un processus de construction et de refondation de l’Europe aient pris parti, tant à droite que dans la gauche radicale contre l’Ukraine. L’Ukraine est un « prétexte », tout comme elle l’est pour Poutine – la grande cible, c’est l’Europe. La question politique posée par la guerre en Ukraine est celle de l’Europe. Une Europe qui est aujourd’hui faible, fragile, indécise. Seule la montée en puissance de nouveaux mouvements de justice sociale peut prendre en charge la construction d’un espace européen. Tel est le « défi politique » que pose la guerre en Ukraine – la « troisième voie » entre la guerre et la paix. Transformer la guerre en acte fondateur de la Fédération européenne.

Europe or Nothing
The invasion of Ukraine is Russia’s attempt to close militarily under an iron heel that political process that began with the fall of the Berlin Wall and the gradual rapprochement of the East towards the West, after the long “caesura” of the second half of the 20th century. The destinies of Europe, therefore, are being played out in Ukraine. Thus, it is neither accidental nor bizarre that those who have never believed in a process of European construction and re-foundation have taken sides, in both the right and the radical left, increasingly openly against Ukraine. Ukraine is a “pretext”, just as it is for Putin − the big target is Europe. Possible Europe. The political question posed by the war in Ukraine is Europe. A Europe that today is weak, fragile, indecisive. Only the growth of new social justice movements can take over the construction of a European space. This is the “political challenge” that the war in Ukraine poses − the “third way” between war and peace. Transform the war into the founding act of the European Federation.

Life Support System (système de survie), par

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Cette publication a bénéficié d’un financement du projet NesT du programme MSCA-RISE selon le grant agreement No 101007915.
This project has received funding from the MSCA-RISE programme under grant agreement No 101007915

Life Support System (système de survie)
L’installation artistique Life Support System emprunte la forme d’une expérience d’agriculture spatiale. Une culture de blé sous « système de survie » intégral pousse l’assistance technologique à son paroxysme : le blé ainsi cultivé serait environ mille fois plus onéreux que la valeur actuelle du blé sur le marché mondial. Ce monumental écart de coût rend perceptible l’ordre de grandeur des services écosystémiques. Depuis 2018, le collectif Disnovation.org mène la recherche artistique « Post Growth » qui explore les liens entre croissance économique et crises environnementales, et prend la forme d’entretiens, d’installations plastiques, d’expérience de laboratoire ou encore de jeux critiques.

Life Support System
The “Life Support System” art installation takes the form of a space farming experiment. A wheat crop grown under an integrated life support system takes technological assistance to the extreme: wheat grown in this way would cost about a thousand times its current market value. This monumental cost difference gives a sense of the scale of ecosystem services. Since 2018, the Disnovation.org collective has been carrying out the artistic research project “Post Growth” which explores the links between economic growth and environmental crises through interviews, art installations, laboratory experiments, and critical games.

Des communs positifs aux communs négatifs
Repenser les communs à l’ère de l’Anthropocène, par

Des communs positifs aux communs négatifs
Repenser les communs à l’ère de l’Anthropocène
La notion de Communs s’est dans une grande mesure diffusée dans la littérature académique en France à partir des travaux de l’économiste Elinor Ostrom autour des Commons Pool Resources. Dans cette conception, les Communs sont toujours des éléments intrinsèquement marqués positivement, en tant qu’ils constituent des biens pourvus d’utilités venant satisfaire des besoins humains (réserves en eau, bois, ressources halieutiques, etc.). Cette vision a permis un temps une meilleure prise en compte des questions écologiques dans le champ de l’économie, en mettant en lumière des pratiques de gestion partagée pouvant contribuer, dans certaines conditions, à la durabilité des ressources. Mais elle est aussi fortement marquée par une perspective « environnementaliste » et « développementiste » peu adaptée à la situation ouverte par l’Anthropocène et les défis qui la caractérisent. Dans un monde marqué par l’urgence climatique, il importe sans doute de rompre avec l’approche « bucolique » des communs positifs pour envisager en tant que Communs négatifs non plus les choses suscitant un désir d’appropriation, mais celles que plus personne au contraire ne souhaite posséder (déchets, ruines industrielles). Penser les Communs au-delà de la ressource et de l’usage permet aussi de penser comme Communs négatifs des éléments dont l’abandon ou la limitation devient critique (énergies fossiles, plastique, viande, trafic aérien, etc.).

From Positive Commons to Negative Commons
Rethinking the Commons in the Context of the Anthropocene
The notion of the Commons has been widely disseminated in academic literature in France since the work of economist Elinor Ostrom on Commons Pool Resources. In this conception, Commons are always intrinsically positively marked elements, insofar as they constitute goods with utilities that satisfy human needs (water reserves, wood, fishing resources, etc.). For a time, this vision allowed ecological issues to be better considered in the field of economics, by highlighting shared management practices that could contribute, under certain conditions, to the sustainability of resources. But it is also strongly marked by an “environmentalist” and “developmentalist” perspective, which questions its adaptation to the situation opened up by the Anthropocene and the challenges that characterize it. In a world marked by the urgency of climate change, it is undoubtedly important to break with the “bucolic” approach to the positive commons and consider as negative commons not those things that arouse a desire for appropriation, but those that no-one wishes to possess (waste, industrial ruins). Thinking of the Commons beyond resources and use also enables us to consider as negative Commons elements whose abandonment or limitation is becoming critical (fossil fuels, plastics, meat, air traffic, etc.).

La patrimonialisation de la mine de Loos‑en‑Gohelle
Du deuil d’un ancien modèle à la gestion active d’un territoire en commun, par
et

La patrimonialisation de la mine de Loos‑en‑Gohelle
Du deuil d’un ancien modèle à la gestion active d’un territoire en commun
Comment le processus de patrimonialisation a-t-il permis qu’une commune minière, Loos-en-Gohelle, héritière d’un monde en « ruine », se relève et passe « du noir au vert » ? Si cette commune a réussi à reconnaître, gérer et animer les communs de son territoire, c’est parce qu’elle a sû se transformer en interne pour porter et piloter ce changement de trajectoire ; assumer des arbitrages politiques forts ; créer des espaces de révélation des attachements et de délibération ; et faire alliance avec les habitants et le tissu associatif et économique, sans tomber dans les écueils de la muséification ou du marketing territorial.

Heritage in Loos-en-Gohelle
From Mourning the Loss of an Old Model to Active Management of a Shared Territory
How has the heritage process enabled Loos-en-Gohelle, a mining commune and heir to a world in “ruins”, to get back on its feet and move “from black to green”? If this municipality has succeeded in recognising, managing and animating the commons of its territory, it is because it has been able to transform itself internally to support and steer this change of trajectory; to assume strong political arbitrations; to create spaces for the revelation of attachments and deliberation; and to make an alliance with the inhabitants and the associative and economic fabric, without falling into the pitfalls of museification or territorial marketing.

Un village face à une entreprise minière
L’extractivisme dans le projet démocratique de constitution chilienne, par

L’archipel énergétique contre le monument électrique continu, par et

L’archipel énergétique contre le monument électrique continu
La structuration du service public de l’électricité a intégré une forte dimension imaginaire, la promesse des services collectifs pour le plus grand nombre. La figure du réseau est restée dans l’imaginaire collectif, celle de la solidarité territoriale et de la péréquation tarifaire : où que l’on aille, qu’importe les capacités productives de la région ou de la localité desservie, il y a de l’électricité au même coût. C’est la pensée d’un commun qui s’est matérialisée dans une structure réseau qui reflète des choix technologiques et politiques : un modèle centralisé à outrance et qui a misé sur le nucléaire. Le renouvelable est en train de complètement s’intégrer à ce qu’on a appelé la mégamachine. Il y a peut-être une transition énergétique mais il n’y a pas de transition infrastructurelle. Depuis une vingtaine d’années, la carte de l’interconnexion s’est considérablement densifiée, et l’ensemble des paysages mutent – paysages énergétiques dans lesquels la production électrique joue un rôle central car c’est elle qui donne « l’élasticité » économique aux territoires. De nouvelles figures réticulaires, de restructuration du réseau électrique à partir de micro-réseaux, peuvent donner lieu à des régimes socio-techniques différents.

The Energy Archipelago versus the Continuous Electric Monument
The structuring of the public electricity service has included a strong imaginary dimension: the promise of collective services for the greatest number. In the collective imagination, the figure of the network has remained, that of territorial solidarity and fare equalisation: wherever you go, whatever the productive capacity of the region or locality served, there is electricity at the same cost. This is the thinking of a common good that has materialised in a network structure that reflects technological and political choices: a model that is excessively centralised and that relies on nuclear power. The renewables are in the process of being fully integrated into what has been called the megamachine. There may be an energy transition, but there is no infrastructure transition. Over the last twenty years or so, the interconnection map has become considerably denser, and all landscapes are changing – energy landscapes in which electricity production plays a central role, because it is electricity production that gives territories their economic “elasticity”. New reticular figures, restructuring the electricity network on the basis of micro-grids, may give rise to different socio-technical regimes.

Désaffecter les communs négatifs
Dialogue autour d’une politique éducative de l’amour, par
et

Désaffecter les communs négatifs
Dialogue autour d’une politique éducative de l’amour
Cet article en forme de dialogue, clin d’œil à Bruno Latour, interroge le travail éducatif appelé par l’Anthropocène. La connaissance de la contradiction entre les conditions d’habitabilité de la planète et certains de nos attachements ne peut suffire à porter la redirection écologique. Renoncer aux activités nuisibles à la planète implique dans le même mouvement d’en aimer de nouvelles, compatibles avec la biosphère, tout en étant sources de contentement durable, d’accomplissement et de créativité pour tout un chacun. Si l’enfance est une période déterminante pour la formation des « goûts et des couleurs », alors il importerait d’enquêter dès l’école primaire sur ces activités du « bon infini » et les manières de les cultiver et partager.

Disinvesting the Negative Commons
A Dialogue on the Educational Politics of Love
This article, in the form of a dialogue with a nod to Bruno Latour, questions the educational work called for by the Anthropocene. Knowledge of the contradiction between the planet’s habitability and some of our attachments is not enough to carry out ecological redirection. Renouncing activities that are harmful to the planet implies at the same time loving new ones that are compatible with the biosphere, while being sources of lasting contentment, fulfillment, and creativity for everyone. If childhood is a decisive period for the formation of “tastes and colors”, then it would be important to investigate, from elementary school onwards, these activities of “good infinity” and the ways of cultivating and sharing them.

Lyme et le déni de certitude
Combattre les microbes par l’enquête, par

Lyme et le déni de certitude
Combattre les microbes par l’enquête
Zoonose la plus importante en Europe, mais aussi première épidémie de l’Anthropocène, la maladie de Lyme aux symptômes persistants – ou Lyme long, ne fait encore l’objet d’aucune reconnaissance médicale en France. Les outils diagnostiques, les thérapeutiques, les recherches, font défaut. Observer les espaces sociaux en ligne où les malades, aux symptômes aussi bien légers que gravissimes, partagent leurs prises, questions et bouts d’enquêtes, renseigne sur les effets collatéraux du commun négatif que constitue, au-delà de la pandémie elle-même, le déni de certitude qui l’affecte. Si le coût financier, pour la collectivité, de cette errance médicale et de ses conséquences en termes d’arrêts de travail, d’invalidité et autres, est estimé à plus de 12 milliards d’euros par an, on documente ici ce que signifie, en termes d’empowerment forcé, l’enquête indéfinie nécessaire pour survivre ou aller mieux, et son style plus guerrier que diplomatique de rapport aux pathogènes microbiens.

Lyme Disease and the Denial of Certainty
Fighting Microbes through Inquiry
Leading zoonosis in Europe, and also the first epidemic of the Anthropocene, Lyme disease with persistent symptoms − or long Lyme − is not yet medically recognized in France. Diagnostic tools, therapeutics and research are all lacking. Observing the online social spaces where sufferers, with symptoms ranging from mild to severe, share their intakes, questions and bits of investigation, provides information on the collateral effects of the negative commons that constitutes, beyond the pandemic itself, the denial of certainty. If the financial cost to the community of this medical wandering and its consequences in terms of sick leaves, invalidity, etc., is estimated at over 12 billion euros a year, here we document what forced empowerment means, with its indefinite investigation on how to survive or get better, and its more warlike than diplomatic style of dealing with microbial pathogens.

Soigner les communs négatifs en temps de pandémie, par

Soigner les communs négatifs en temps de pandémie
Cet article revient sur la pandémie de Covid et, s’inspirant de textes et concepts inscrits dans la mouvance de l’auto-défense sanitaire, défend l’assimilation de la perspective des communs négatifs avec un communisme du désastre ou du soin. La pandémie interroge selon nous l’exposition des travailleur-euses à un risque léthal du fait de la contrainte de subsister en travaillant pour des organisations. À l’instar du propos d’Yves Citton dans ce même numéro, cet état de fait invite à imaginer d’autres modèles de protection sociales adaptés à une économie du soin des communs négatif. Revenant sur la pandémie, à partir du concept de « diagonalisme » proposé par William Callison et Quinn Slobodian, il apparaît que c’est le défaut d’une telle économie qui contribua à pousser des foules de free-lances à se radicaliser sur YouTube ou Twitter, sur un mode conspiritualistes, alors que les cadres pouvaient télétravailler via Zoom ou Teams. Une économie de l’incurie s’est ainsi substitué à une économie du soin.

The Economics of Care in Pandemic Times
This article looks back at the Covid pandemic and, drawing on texts and concepts from the health self-defense movement, defends the assimilation of the negative commons perspective with a communism of disaster or care. In our view, the pandemic raises the question of workers’ exposure to a lethal risk as a result of the constraint of subsisting by working for organizations. As Yves Citton points out in this issue, this state of affairs invites us to imagine other models of social protection adapted to an economy of care for the negative commons. Looking back at the pandemic, using the concept of “diagonalism” proposed by William Callison and Quinn Slobodian, we see that it was the shortcomings of such an economy that helped drive crowds of freelancers to radicalize themselves on YouTube or Twitter, in a conspiritualist mode, while executives could telework via Zoom or Teams. An economy of neglect has thus replaced an economy of care.

Mutualismes diffus
Ce qu’une écologie microbienne (hérétique) révèle au-delà du comptable, par

Mutualismes diffus
Ce qu’une écologie microbienne (hérétique) révèle au-delà du comptable
Les reconfigurations du biologique et du naturel peuvent ouvrir bien des possibilités politiques et ontologiques qui s’opposent aux lieux communs qui y voient des contraintes limitant les possibilités politiques. Cet article commence au fond des océans, où les recherches sur la vie microbienne dans les sédiments marins suggèrent un excès qui ne peut être contenu dans les récits biologiques de la compétition individualiste pour la survie. Nous remontons à la surface pour converser avec Sylvia Wynter, dont la critique acérée du naturalisme qui fonde et perpétue le capitalisme racial détermine un argument fondateur pour la nécessité éthique et politique de reconfigurer l’humain, le naturel et le biologique. La théorie écologique des « mutualismes diffus » répond à l’appel de Wynter à développer des « sciences hérétiques » capables de déplacer la vision de l’Homme comme être bioéconomique.

Diffuse mutualisms
How (Heretical) Microbial Ecology Can Reveal What is Beyond Measure
Reconfigurations of the biological and the natural can open up much needed political and ontological possibilities, contra the more common uses of the natural and the biological as representing constraints on political possibility. At the bottom of the ocean, researches on microbial life in marine sediments suggest an excess that cannot be contained within ascendant biological accounts of life. We then surface to converse with Sylvia Wynter, whose sharp critique of the naturalism that grounds and perpetuates racial capitalism forms my foundational argument for the ethical and political necessity of reconfiguring the human, the natural, and the biological. The theory of “diffuse mutualisms” as a response to Wynter’s call for “heretical sciences”, capable of displacing the vision of Man as a bioeconomic being.

« Nous sommes la contre-nature qui se défend »
Du sexe et des symbioses, par

« Nous sommes la contre-nature qui se défend »
Du sexe et des symbioses
Les écologies queers sont pleines de créatures indociles, non seulement aux schémas binaires mâle/femelle, hétéro/homo, cis/trans, mais encore aux mondes compétitifs individualistes sur lesquels ces schémas sont fondés. Elles sont ainsi « la contre-nature qui se défend » d’être contre-nature, c’est-à-dire qu’elles montrent que les formes réputées déviantes du genre, de la sexualité, de la parenté et de famille, sont bien plus répandues que les sciences hétéropatriarcales n’ont bien voulu l’admettre. Mais elles sont aussi « la contre-nature qui se défend » contre les assauts du capitalisme extractiviste, en montrant le caractère idéologique des idées de prédation, de lutte pour la survie et pour la transmission du patrimoine génétique individuel. À la place, suivant les leçons de la bactériologie de Lynn Margulis et des théoriciennes queer qui s’en sont inspirées, il s’agit de penser des formes de parentés et de solidarités pour vivre et mourir sur une planète symbiotique.

“We Are Counter-Nature Defending Itself”
Sex and symbioses
Queer ecologies are full of unruly creatures that not only defy the male/female, hetero/homo, cis/trans binary schemas, but also the individualistic competitive worlds on which these binaries are founded. They are thus “counter-nature defending itself” from being counter-nature: they show that forms of gender, sexuality, kinship and family that are reputed to be deviant are far more widespread than heteropatriarchal sciences have been willing to admit. But they are also “counter-nature defending itself” against the onslaught of extractivist capitalism, showing the ideological character of ideas of predation, of struggle for survival and for the transmission of individual genetic heritage. Instead, following the lessons of Margulis’s bacteriology and the queer theorists who drew inspiration from it, this article argues that we need to think of forms of kinship and solidarity for living and dying on a symbiotic planet.

Représenter malgré tout
Images (dissidentes) de la symbiose, par

Représenter malgré tout
Images (dissidentes) de la symbiose
Les images sont inscrites dans des boucles rétroactives de production de sens et en s’intéressant à celles qui s’associent de près ou de loin à la science, on plonge dans une sémiotique qui flirte avec l’épistémologie des sciences et des techniques. Des images, certaines images, sont comme des armes dans la bataille contre l’hégémonie culturelle d’une pensée scientifique fondée sur le culte militaro-masculiniste du héros et de la compétition. Tirer les pelotes que nous offrent Lynn Margulis et les artistes qui se sont inspiré de ses recherches sur la symbiogénèse, c’est alors une tentative d’œuvrer à lutter contre l’impérialisme de la pensée néo-darwinienne et ses conséquences bio-politiques sur nos représentations de l’unicité de l’individu.

Representing, against all odds
(Dissident) images of symbiosis
Images are inscribed in retroactive loops of meaning production, and by focusing on those that are associated with science, we plunge into a semiotics that flirts with the epistemology of science and technology. Some images are like weapons in the battle against the cultural hegemony of scientific thought based on the militaristic-masculinist cult of the hero and competition. Following the threads that Lynn Margulis, and the artists inspired by her research into symbiogenesis, offer us is an attempt to work against the imperialism of neo-Darwian thought and its bio-political consequences on our representations of the uniqueness of the individual.

Devenir Homo Photosyntheticus
Une recherche artistique et alimentaire sur les traces du ver de Roscoff et de Lynn Margulis, par
et

94. Multitudes 94. Printemps 2024

Dévalider, par , , , , , et

Dévalider
Le néologisme dévalider est formé sur le radical « valide » (compris au sens de : validé par le validisme) auquel s’ajoute le préfixe privatif « dé- » (compris au sens de : défaire, déconstruire, détruire). Il reprend et littéralise l’anglais disabled, qui se traduit habituellement en « personne handicapée ». À côté de cette signification ordinaire, les luttes handies se sont emparées du verbe dévalider pour signifier deux aspects contradictoires mais complémentaires. D’un côté, les mondes dévalidés sont les mondes que prépare la lutte anti-validiste, c’est-à-dire une société sans validisme (dé-validé en ce sens qu’il n’est plus rapporté à la norme valide). De l’autre, les mondes dévalidés désignent les mondes que prépare le capitalisme extractiviste, c’est-à-dire des mondes où plus personne ne peut être dit valide (dévalidé en ce sens que tout le monde, bien qu’à des degrés différents, y voit ses capacités déplacées, par exemple en raison de la toxicité de l’atmosphère). Les mouvements pour la justice handie se situent au point de tension entre d’un côté une lutte pour une dévalidation libératrice (contre le validisme qui rend le handicap invivable) et de l’autre une lutte contre la dévalidation forcée (contre l’extractivisme qui exploite la débilitation des vies). Ce texte sert d’introduction à la majeure « Justice handie », qui rassemble des écrits universitaires, militants et poétiques écrits depuis et avec les luttes anti-validistes.

“Dévalider”
The French neologism dévalider
is formed from the radical “valide” (understood as: validated by ableism) to which is added the privative prefix “dé-” (understood as: to undo, deconstruct, destroy). It takes up and translates the English disabled, which is usually translated as “personne handicapée”. Alongside this ordinary meaning, dévalider has been taken up by disability struggles to signify two contradictory but complementary aspects. On the one hand, disabled are the worlds prepared by the anti-ableist struggle, i.e. a society without ableism (“disabled” in the sense that it is no longer related to the ableist norm). On the other hand, disabled designate the worlds prepared by extractive capitalism, i.e. worlds where no-one can be said to be able-bodied (“disabled” in the sense that everyone, albeit to different degrees, finds their abilities displaced, for example due to the toxicity of the atmosphere). Disability Justice movements stand at the point of tension between, on the one hand, a struggle for liberating disability (from the ableist norms that makes disability unlivable) and, on the other, a struggle against forced disablement (by the extractive capitalist world that exploits the debilitation of lives). This text serves as an introduction to the special issue “Disability Justice”, which brings together academic, activist and poetic writings written from and with the anti-ableist struggles.

Le droit de mutiler « Mains en l’air, ne tirez pas ! », par

Le droit de mutiler
« Mains en l’air, ne tirez pas ! »
À l’été 2014, les mouvements Black Lives Matter et Free Palestine convergent. C’est l’occasion pour la théoricienne transdisciplinaire Jasbir K. Puar de réfléchir à la dévalidation forcée des populations racialisées. S’appuyant sur les théories handies décoloniales et crip-of-color, Puar considère la manière dont les corps non-blancs sont exclus de la reconnaissance du handicap. Alors que les meurtres policiers de personnes noires aux États-Unis touchent une large majorité de personnes noires handicapées, et alors que la destruction systématique des hôpitaux palestiniens par Israël apparaît comme une stratégie d’affaiblissement de la population, Puar développe les outils théoriques intersectionnels pour nommer « le droit de mutiler » exercés par les États modernes/coloniaux contre les populations qu’ils subjuguent. Appelant à ne pas se satisfaire des rhétoriques de l’empuissancement et de la fierté handie, ce texte (qui sert d’avant-propos au livre éponyme, Le droit de mutiler. Débilité, capacité, handicap) jette les fondations théoriques d’une coalition antivalidiste/antiraciste contre les brutalités policières et néocoloniales.

The Right to Maim
“Hands Up, Don’t Shoot!”
In the summer of 2014, the convergence of the Black Lives Matter and Free Palestine movements is an opportunity for transdisciplinary theorist Jasbir K. Puar to reflect on the mechanisms of forced disablement of racialized populations. Drawing on decolonial and crip-of-color theories, Puar considers how non-white bodies are excluded from the recognition of disability. At a time when police killings of black people in the United States affect a large majority of black people with disabilities, and at a time when Israel’s systematic destruction of Palestinian hospitals appears to be a strategy to debilitate the population, Puar develops intersectional theoretical tools to name the “right to maim” exercised by modern/colonial states over the populations they subjugate. This text (which serves as a foreword to The Right To Maim. Debility, Capacity, Disability) takes us away from the logic of disability pride to reflect instead on coalitions against police and neo-colonial brutality.

Quels « futurs dévalidés » pour les sourd·e·s ?
Réflexion sur le monde commun, par
et

95. Multitudes 95. Eté 2024

La bataille mondiale des semences
Des hybrides aux nouveaux OGM, par

La bataille mondiale des semences
Des hybrides aux nouveaux OGM
En février 2024, le Parlement européen a voté l’autorisation partielle d’utilisation des NGT (New Genomic Techniques). À la différence des OGM, interdites, les NGT ne visent pas à injecter dans une plante les gènes d’une autre, mais à modifier le séquençage de son propre génome en imitant l’évolution génétique « spontanée » qui ne prend plus des milliers d’années, mais quelques minutes. Du coup, elles sont peu « traçables ». Les techniques d’hybridation ont, depuis les années 50, été imposées aux agriculteurs du Nord puis du Sud au prétexte de meilleurs rendements pour nourrir le monde et, aujourd’hui, de la protection de l’environnement. En fait, les semences hybrides sont brevetées et constituent une rente exceptionnelle pour les industries chimiques et pharmaceutiques, tout en maintenant dans la dépendance de leur utilisation les paysans du monde entier astreints à l’industrialisation agricole, ce qui provoque de profondes inégalités. Il s’agit de briser le lien mortel qui soumet les États (qui leur accordent un soutien massif) aux entreprises privées qui s’approprient les brevets.

The Global Seed Battle
From Hybrids to NGTs
In February 2024, the European Parliament voted to partially authorize the use of NGTs (New Genomic Techniques). Unlike GMOs, which are banned, NGTs do not aim to inject a plant with the genes of another, but to modify the sequencing of its own genome by imitating “spontaneous” genetic evolution, which no longer takes thousands of years, but just a few minutes. As a result, they are not easily “traceable”. Since the 1950s, hybridization techniques have been imposed on farmers in the North and then the South, on the pretext of improving yields to feed the world and, today, protecting the environment. In fact, hybrid seeds are patented and constitute an exceptional source of income for the chemical and pharmaceutical industries, while keeping the world’s farmers dependent on their use as they are forced to industrialize their farming, creating profound inequalities. The aim is to break the deadly link between governments
(which give them massive support) and the private companies that appropriate patents.

Enquête sur les résonances et les résistances éc(h)ologiques des fantômes à Hong Kong, par

Enquête sur les résonances et les résistances éc(h)ologiques des fantômes à Hong Kong
Cet article sonde l’échologie politique des fantômes dans l’archipel de Hong Kong. Dans cet archipel densément peuplé, les fantômes (gwai 鬼) collent au territoire et participent à un processus de dé/valorisation du marché immobilier. J’emprunte au géographe culturel Arun Saldanha la notion de « viscosité » avec laquelle je croise une approche issue de l’écologie des médias pour avancer l’idée selon laquelle la viralité des fantômes est indissociable des pratiques médiatiques d’explorateurs·rices urbain·es qui captent et relaient par leurs dispositifs technologiques l’écho de ces fantômes dans la caisse de résonance que sont les réseaux sociaux. Cette viscosité revêt néanmoins un potentiel politique dans la mesure où la médiatisation des fantômes (des spectres au carré, donc), participent directement d’une intervention politique au milieu. Celle-ci passe par la réappropriation de moyens de perception par lesquels les explorateurs·rices urbain·es rendent perceptible le processus de spectralisation de la ville. J’appréhende ici les explorations urbaines comme des manières de se réapproprier un archipel perçu par certain·es de ses habitant·es comme étant en passe de devenir une île fantôme.

An Investigation on the Ec(h)ological Resistances and Resonances of Hong Kong Ghosts
This article probes the political “ec(h)ology” of ghosts in Hong Kong. In this densely populated archipelago, ghosts (gwai 鬼) “stick” to the territory and participate in a process of de/ valorization of the real estate market. I borrow the notion of stickiness/viscosity from cultural geographer Arun Saldanha, and combine it with a media ecological approach to apprehend how urban explorers’ media practices feed and amplify the virality and stickiness of ghosts. I argue in this article that these media practices constitute a mode of political intervention that involves reappropriating the means of perception. By offering a counter-cartography the “archipelaghost” of Hong Kong, urban explorers render perceptible processes of spectralization and reinvent ways of inhabiting a city that some see as being on the verge of disappearance.

Militantismes évangéliques
Entre désirs de règne et quêtes de justice, par

Militantismes évangéliques
Entre désirs de règne et quêtes de justice
Cet article introductif de la majeure « Évangeliques : combien de divisions ? » entend brosser le paysage de la diversité des engagements politiques des évangéliques. Si des réseaux promeuvent activement des projets d’extrême-droite, notamment depuis le Brésil et les États-Unis, la mouvance évangélique apparaît politiquement clivée, des minorités de différents bords idéologiques promouvant, au nom de leur foi, des projets politiques articulés à des revendications de justice sociale, raciale, ou de genre. Il ne s’agit pas ce faisant de leur donner plus de poids qu’ils n’en ont réellement, puisque leur influence demeure très restreinte, mais simplement de souligner la diversité interne des militantismes évangéliques, que l’on ne saurait réduire à une équation simple entre théologie littéraliste et conservatisme droitier.

Evangelical Activism
From Desires of Reign to Quests of Justice
This introductory article to the “Evangelicals: how many divisions?” intends to give an insight of the diversity of Evangelical political and ideological orientations. While some networks actively promote far-right projects, notably in Brazil and the United States, the evangelical movement appears politically divided, with minorities from different ideological backgrounds promoting, in the name of their faith, political projects articulated around demands for social, racial or gender justice. This does not imply one should credit them with more weight than they actually have, since their influence remains very limited, but simply to highlight the internal diversity of evangelical activism, which cannot be reduced to a simple equation between literalist theology and right-wing conservatism.

Les voies étroites d’un évangélisme de gauche au Guatemala, par

Les voies étroites d’un évangélisme de gauche au Guatemala
Le courant évangélique est largement associé à une lecture conservatrice et orientée à droite. Cette affinité élective correspond à une réalité, au Guatemala comme ailleurs. Pourtant, les récents résultats de l’élection présidentielle, avec la victoire du candidat Bernardo Arévalo, ont montré qu’une forte présence évangélique (près de 45 % de la population guatémaltèque) n’obérait pas le potentiel électoral d’un candidat de gauche. Rendre compte de cette petite révolution politique nécessite d’abord de rappeler les fondements du conservatisme dominant, hérité de la guerre civile et qui est sous-tendu par une relation particulière entre nation et religion, mais aussi de souligner l’existence d’un courant théologique propre au monde évangélique, largement ignoré, la « misión integral », qui constitue le noyau d’une « théologie contextualisée », porteuse d’une vision progressiste.

The Narrow Path of Left Evangelicals in Guatemala
The evangelical movement is widely associated with a conservative, right-wing interpretations. This elective affinity corresponds to a reality, in Guatemala as elsewhere. However, the recent results of the presidential election, with the victory of candidate Bernardo Arévalo, showed that a strong evangelical presence (nearly 45 % of the Guatemalan population) did not obviate the electoral potential of a left-wing candidate. To account for this small-scale political revolution, it is first necessary to recall the foundations of the prevailing conservatism, inherited from the civil war and underpinned by a particular relationship between nationhood and religion, but also to highlight the existence of a theological current specific to the evangelical world, often ignored, the “misión integral”, which constitutes the core of a “contextualized theology”, conveying a progressive worldvision.

La lutte enchantée
Les sans-terre évangéliques au Brésil, par

La lutte enchantée
Les sans-terre évangéliques au Brésil
Quand les médias parlent des évangéliques au Brésil, c’est souvent pour s’alarmer de la « montée vertigineuse », de la « prolifération », ou de la « déferlante » inexorable de fondamentalistes menaçant une démocratie fragile. La présidence de Jair Bolsonaro n’a-t-elle pas été souhaitée par deux-tiers des fidèles de ces églises ? Pourtant, l’immense majorité d’entre eux vivent dans les quartiers auto-construits des villes moyennes où le Mouvement des Sans Terre recrute les participants à ses occupations de terre. Ils sont actifs dans l’espace des mouvements sociaux. Le discours messianique, prophétique, ou « populiste », n’est pas cantonné aux espaces institutionnels de droite où agissent les puissants leaders de ces églises. À partir d’une enquête de terrain menée près de Recife entre 2013 et 2018, dans deux plantations mitoyennes reconverties en colonies de la réforme agraire, cet article se propose de décentrer doublement le regard : hors de la politique institutionnelle, mais aussi hors de telle ou telle église, pour mieux saisir la diversité interne des pentecôtistes du MST. En quoi sont-ils à la fois différents et semblables aux autres Sans-Terre ? Comment et pourquoi adhèrent-ils à la lutte pour la terre ?

An Enchanted Struggle
The Evangelical Landless Workers in Brazil
When the media talk about evangelicals in Brazil, it’s often to express alarm at the “vertiginous rise”, “proliferation”, or inexorable “surge” of fundamentalists threatening a fragile democracy. Wasn’t the presidency of Jair Bolsonaro desired by two-thirds of the members of these churches? Yet the vast majority of them live in the self-built neighborhoods of medium-sized cities where the Landless Worker’s Movement recruits participants for its land occupations. They are active in the space of social movements. Messianic, prophetic or “populist” discourse is not confined to the right-wing institutional spaces where the powerful leaders of these churches operate. Based on a field study carried out near Recife between 2013 and 2018, in two neighbouring plantations that have been converted into agrarian reform colonies, this article proposes to decentralize the gaze in two ways: outside institutional politics, but also outside any given church, to better grasp the internal diversity of MST Pentecostals. In what ways are they both different from and similar to other Earthless? How and why do they join the struggle for land?

Dénoncer le « nationalisme chrétien », par

Dénoncer le « nationalisme chrétien »
Aux États-Unis, les évangéliques blancs ont massivement soutenu Donal Trump aux élections de 2016 et 2020, dont le projet politique était clairement associé à un nationalisme chrétien, promoteur des valeurs du suprémacisme blanc. Cet article propose de rappeler les faits en se plaçant depuis la perspective de baptistes opposés à l’extrême-droite chrétienne, en revenant sur le sur le cas du Baptist Joint Committee for Religious Liberty (BJC) qui, appuyé par plusieurs figures de militants évangéliques, fait activement campagne pour dénoncer les dérives de ce christianisme suprémaciste et ses dangers pour la démocratie. Cependant, malgré sa médiatisation et ses relais politiques, son influence demeure restreinte au sein de la mouvance évangélique elle-même. 

Denouncing “Christian Nationalism”
In the United States, white evangelicals massively supported Donal Trump in the 2016 and 2020 elections, whose political project was clearly associated with a Christian nationalism, promoter of white supremacist values. This article proposes to recall the facts from the perspective of Baptists opposed to the Christian far-right. It describes the political action of the Baptist Joint Committee for Religious Liberty (BJC) which, supported by several famous evangelical activists, actively campaigns to denounce the excesses of this supremacist Christianity and its dangers for democracy. However, despite its media coverage and political connections, its influence remained limited within the evangelical movement itself.

Le prêtre des chiffonniers
Coptes charismatiques et politique en Égypte, par

Le prêtre des chiffonniers
Coptes charismatiques et politique en Égypte
En retraçant le parcours du Père Samaan, figure centrale de la scène chrétienne égyptienne, cet article analyse les trajectoires mouvantes de la politisation des coptes charismatiques et chrétiens évangéliques en Égypte dans les dernières années – les deux mouvances étant étroitement liées l’une à l’autre. Outre des orientations relatives à des positions de classe, des manœuvres et tactiques vis-à-vis des institutions ecclésiales, des arènes politiques locale et nationale, comme des ONG internationales, le rapport au politique des chrétiens charismatiques et évangéliques d’Égypte est également conditionné par leur perception du religieux majoritaire dans le pays, à savoir l’Islam. Loin de refléter une tendance théologico-politique globale et homogène en tous lieux, partir de ce cas donne à penser la manière dont, à travers l’œuvre d’acteurs situés comme celle du Père Samaan, le christianisme charismatique s’ancre toujours dans des logiques territorialisées et des enjeux locaux.

The Ragpicker’s Priest
Charismatic Copts and Politics in Egypt
Tracing back the career of Father Samaan, a central figure on the Egyptian Christian scene, this article analyzes the shifting trajectories of the politicization of charismatic Copts and evangelical Christians in Egypt in recent years—the two movements being closely linked to each other. In addition to class orientations, maneuvers and tactics vis-à-vis ecclesiastical institutions, local and national political arenas and international NGOs, the relationship of Egypt’s charismatic and evangelical Christians to politics is also influenced by their perception of the country’s majority religion, namely Islam. Far from reflecting a global and homogeneous theological-political trend in all places, this case study shows how, through the work of situated actors such as Father Samaan, charismatic Christianity is always rooted in territorialized logics and local issues.

Politiques de la conversion en Algérie
Le cas des évangéliques kabyles, par

Politiques de la conversion en Algérie
Le cas des évangéliques kabyles
Dans les sociétés occidentales, traversées par les processus de la sécularisation et de laïcisation, les sciences humaines tendent à distinguer le religieux du politique.Les nouvelles formes de la manifestation du pentecôtisme transnational, incitant à envelopper toutes les dimensions de la vie, ont indéniablement conduit à l’investissement du terrain politique. L’engagement actif des pentecôtistes dans un combat spirituel recentré sur des enjeux politiques se perçoit davantage en contexte kabyle où les représentations individuelles et les positions dans l’arène religieuse s’inscrivent dans une configuration militante et prosélyte d’un religieux revendicatif et protestataire. Cet article propose ainsi d’esquisser la forme militante qui se profile autour de l’adhésion au pentecôtisme devenu à la fois catalyseur de la contestation idéologique et marqueur du désir d’autonomisation politique.

The Politics of Conversion in Algeria
The Case of Kabyle Evangelicals
Whereas in Western societies, where secularization and laicization are the order of the day, the human sciences tend to distinguish between the religious and the political, the new forms of transnational Pentecostal manifestations, which encourage the enveloping of all dimensions of life, have undeniably led believers to invest the political arena. The active involvement of Pentecostals in a spiritual struggle refocused on political issues is more apparent in the Kabyle context, where individual representations and positions in the religious arena are part of a militant and proselytizing and activist configuration of a religious movement which characterized by both claims and protests. This article outlines the militant form of Pentecostalism, which has become both a catalyst for ideological contestation and a marker of the desire for political empowerment.

Agir sur les autres
Évangélismes et moralisation de l’espace public au Bénin, par

Agir sur les autres
Évangélisme et moralisation de l’espace public au Bénin
Comme ailleurs dans le monde, les courants évangéliques et pentecôtistes ont tenté dès les années 1980 de s’imposer dans l’espace public de l’Afrique de l’Ouest. Bien qu’apparus au début du XXe siècle, ce n’est que dans la deuxième moitié du siècle que l’on observe un changement dans l’engagement évangélique vis-à-vis de la société : d’un retrait du monde à une « ouverture vers l’activité politique », marquée par le thème du combat spirituel pour les territoires. En Afrique de l’Ouest, cette nouvelle visibilité dans l’espace public s’est concrétisée par l’élection de présidents évangéliques, comme Matthieu Kérékou au Bénin en 1996, ou Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire en 2000. Mais au sein d’une même société, les relations entre évangélismes et politique peuvent ainsi être multiples. Pour les saisir, il est nécessaire d’adopter différents points de vue, depuis les instances de pouvoir jusqu’aux relations interpersonnelles de la vie quotidienne.

Acting on Others
Evangelicalism and the Moralization of Public Space in Benin
As elsewhere in the world, Evangelical and Pentecostal movements began to make inroads into West African public spheres in the 1980s. Although they appeared at the beginning of the 20th century, it was only in the second half of the century that we saw a change in Evangelical commitment to society: from a withdrawal from the world to an “opening towards political activity”, marked by the theme of spiritual warfare for territories. In West Africa, this new visibility in the public arena has led to the election of Evangelical presidents, such as Matthieu Kérékou in Benin in 1996, or Laurent Gbagbo in Côte d’Ivoire in 2000. But within the same society, the relationship between evangelicalism and politics can be multifaceted. To grasp it, it is necessary to adopt different points of view, from those in positions of power to the interpersonal relations of everyday life.

Évangélisme et « combat spirituel » à Singapour
Une politisation sous contrainte, par

Évangélisme et combat spirituel à Singapour
Une politisation sous contrainte
L’engagement évangélique à Singapour transforme le rapport pratique à la politique et les modalités de l’action missionnaire. Sans renoncer à certains combats – notamment autour des « valeurs familiales » – l’évangélisme local a dû se plier à une régulation étatique contraignante. Ses dirigeants ont eux-mêmes intériorisé l’idéologie officielle de « l’harmonie religieuse » comme une des composantes d’un ordre social conservateur, incarné depuis l’indépendance par le gouvernement du People’s Action Party. Cette affinité idéologique a néanmoins buté à partir de 2007 sur une pierre d’achoppement : le débat sur la dépénalisation de l’homosexualité qui s’est conclu en 2022 par l’abrogation de la section 377A du code pénal sanctionnant l’homosexualité masculine.

Evangelicalism and Spiritual Warfare in Singapore
A Forced Politicisation
Evangelical social engagement in Singapore transforms the practical relationship with politics and the modalities of missionary action. Without renouncing certain battles—notably around “family values”—local evangelicalism has had to bow to restrictive state regulation. Its leaders have themselves internalized the official ideology of “religious harmony” as one of the central components of a conservative social order, embodied since independence by the People’s Action Party at power. However, since 2007, this ideological affinity has come up against a stumbling block: the debate on the decriminalization of homosexuality, which ended in 2022 with the repeal of section 377A of the penal code punishing male homosexuality.

Dix idées fausses sur l’Union Européenne, par et

Dix idées fausses sur l’Union Européenne
Cette introduction au dossier de la Mineure donne le ton. Non, l’avenir de l’Europe n’est pas d’être un objet politique lâche, rancunier, nationaliste et fermé. Les auteurs déconstruisent une à une quelques idées fausses qui courent le long de la campagne électorale. Non, l’Europe n’est pas anti-démocratique. L’Europarlement est le seul à être élu directement par l’ensemble des citoyens du continent. Non, l’Europe n’est pas libérale, l’État-providence existe. Mais elle doit opérer des révolutions, dans le domaine du droit des femmes, de l’écologie, des migrations, de la défense, de la garantie d’un revenu. Seul le saut fédéral et l’invention démocratique permettront l’aboutissement de ces grands chantiers.

Ten Misconceptions about the European Union
This introduction to the dossier sets the tone. No, the future of Europe is not to be a sad, cowardly, nationalistic and closed political object. One by one, the authors deconstruct some of the misconceptions that have run during the election campaign. No, Europe is not anti-democratic. The Europarliament is the only one to be directly elected by all the citizens of the continent. No, Europe is not liberal; the welfare state exists. But it needs to make revolutions, in the areas of women’s rights, ecology, migration, defence and guaranteed income. Only a federal leap forward and the invention of democracy will enable these major projects to be completed.

E la nave va. Dove va ?
Entretien avec Daniel Cohn-Bendit par Yann Moulier Boutang, par
et

E la nave va. Dove va ?
Dans cet entretien, Daniel Cohn-Bendit déplore l’atonie de la gauche française qui n’a pas voulu, lors de ces élections, réunir ses composantes sociale, écologiste et réformiste derrière Raphaël Glucksman autour d’un projet européen prônant la fédéralisation de l’UE. Or, cette unité est indispensable pour penser les États-Unis d’Europe face à trois insécurités majeures : la Covid, la guerre en Ukraine et le délabrement de la planète. Il s’agit de traiter ces trois insécurités ne même temps sans sacrifier l’objectif écologique. Par quels moyens ? Ce pourrait être par un grand emprunt européen garanti par la puissance du marché de ses 460 millions d’habitants ou par la création de partis transnationaux européens. Le navire Europe a encore du chemin à parcourir. Il flotte mais ne coule pas.

E la nave va. Dove va?
In this interview, Daniel Cohn-Bendit deplores the sluggishness of the French Left which, during the elections, failed to unite its social, environmental and reformist components behind Raphaël Glucksman around a European project advocating the federalisation of the EU. This unity is essential if we are to devise a United States of Europe in the face of three major insecurities: Covid, the war in Ukraine and global decay. We need to deal with these three insecurities at the same time, without sacrificing the ecological objective. By what means? It could be through a major European loan guaranteed by the market power of its 460 million inhabitants or through the creation of transnational European parties. The ship Europe still has a long way to go. It is floating but not sinking.

L’élargissement de l’Europe par temps de guerre, par

L’élargissement de l’Europe par temps de guerre
L’élargissement de l’Union à l’Ukraine se pose en des termes particuliers. Il est devenu le fondement politique d’une solidarité européenne et d’un soutien inconditionnel face à l’agression de Poutine. Bien que le pays se conforme à « l’acquis communautaire » en termes d’État de droit, le principe de l’élargissement se heurte à de nombreuses difficultés et oppositions des États membres : faible soutien militaire et insuffisance des industries de défense, concurrence des produits agricoles ukrainiens en cas d’intégration dans un grand marché libre exempté de droits de douane. On est face à un paradoxe qu’il faudra dépasser. L’élargissement est à la fois indispensable, inévitable pour la sécurité de tout le continent, et complexe du point de vue économique.

European Enlargement in Wartime
The enlargement of the European Union to include Ukraine is a very special issue. It has become the political basis for European solidarity and unconditional support in the face of Putin’s aggression. Although the country complies with the “acquis communautaire” in terms of the rule of law, the principle of enlargement is coming up against numerous difficulties and opposition from the Member States: weak military support and insufficient defense industries, competition from Ukrainian agricultural products in case of integration into a large market exempt from customs duties. We are faced with a paradox that must be overcome. Enlargement is both essential, inevitable for the security of the entire continent, and complex from an economic point of view.

Et que vive l’Europe ! Dépasser le tandem franco-allemand, par

Et que vive l’Europe !
Dépasser le tandem franco‑allemand
La lutte contre la Covid a donné à l’Europe un premier élan fédéral. Le second est provoqué par le bruit des bottes russes en Ukraine. L’Union réagit par des sanctions sans précédent contre la Russie, en particulier en diminuant drastiquement ses approvisionnements en gaz. L’Allemagne en est la première perdante. La combinaison d’intérêts économiques divergents et la tradition allemande de l’Ostpolitik approfondissent les divergences entre la France et l’Allemagne. La France affirme la souveraineté stratégique européenne ; l’Allemagne considère l’alliance avec les États-Unis incontournable. Elle décide de porter le projet de « bouclier antimissile européen » avec la plupart des pays de l’Est, au moyen de technologies américaines et israéliennes, ce qui crispe la France. La question de l’envoi possible de troupes en Ukraine achève de détériorer le tandem franco-allemand. L’Europe est entrée dans une nouvelle ère : son centre de gravité se déplace vers l’est. L’élargissement qui se profile appelle à un saut fédéral.

Long Live Europe!
Moving beyond the Franco‑German Tandem
The fight against Covid gave Europe its first federal impetus. The second was provoked by the sound of Russian boots in Ukraine. The EU reacted with unprecedented sanctions against Russia, in particular by drastically cutting its gas supplies. Germany was the first to lose out. The combination of divergent economic interests and the German tradition of Ostpolitik deepened the differences between France and Germany. France asserted Europe’s strategic sovereignty, while Germany considered an alliance with the United States unavoidable. It decided to support the “European missile defense shield” project with most of the Eastern European countries, using American and Israeli technologies, which made France nervous. The question of sending troops to Ukraine further damaged the Franco-
German tandem. Europe has entered a new era: its center of gravity is shifting eastwards. The forthcoming enlargement calls for a federal leap.

Migrations, l’étoile noire de l’Europe, par et

Migrations, l’étoile noire de l’Europe
L’Europe se prétend terre d’asile et d’accueil, mais elle reste de marbre devant les milliers de noyés en Méditerranée. La gauche européenne pense qu’il vaut mieux minimiser la question, pas de vagues. Pourtant, l’appel à la main d’œuvre immigrée devient à nouveau stratégique avec le développement de la « silver economy » (économie des têtes argentées, autrement dit, du soin), le « réarmement industriel, technologique et scientifique », le besoin de travailleurs agricoles saisonniers. Le pacte européen sur la migration et l’asile va à rebours : il s’agit d’empêcher les étrangers de fouler le sol des États membres par une « procédure à la frontière ». Les demandes d’asile seront désormais filtrées et examinées en amont des frontières européennes. En attendant, les migrants seront détenus dans un sas. Ce qui cimente les pays de l’Union, c’est le partage « équitable » du fardeau de la gestion de ces migrants, en passant des accords avec des pays prêts à gagner de l’argent pour ce gardiennage. S’agit-il de réarmer la colonialité ? Il faut rajouter une étoile noire au drapeau européen.

Migration, Europe’s Dark Star
Europe claims to be a land of asylum and welcome, but it remains unmoved by the thousands of people drowning in the Mediterranean. The European Left thinks it’s better to play down the issue, not to make waves. Yet the need for immigrant labour is becoming strategic once again, with the development of the “silver economy”, “industrial, technological and scientific rearmament”, and the need for seasonal agricultural workers. The European Pact on Migration and Asylum goes in the opposite direction: it aims to prevent foreigners from setting foot on the soil of Member States by means of a “border procedure”. From now on, asylum applications will be filtered and examined before Europe’s borders. In the meantime, migrants will be held in an airlock. What unites the countries of the Union is the “equitable” sharing of the burden of managing these migrants, through agreements with countries prepared to earn money for guarding them. Is it a question of rearming coloniality? We need to add a black star to the European flag.

Quarante ans de politiques européennes dans l’éducation, par

Quarante ans de politiques européennes dans l’éducation
Douze millions de personnes ont bénéficié du programme Erasmus depuis ses débuts. Ceci témoigne du fait que la dimension européenne est devenue une composante naturelle de la vie de nos universités. En 2024, nombre de projets de coopération traitent du changement climatique et de l’inclusion des plus défavorisés, certains même veulent maintenir une coopération avec l’Ukraine, manifestant ainsi leur adhésion au meilleur des valeurs de l’Union. Cependant, ces valeurs d’accueil, d’intérêt pour les autres cultures qui président aux échanges d’étudiants sont mises à mal dans de nombreux pays (États-Unis sous Trump, Canada, Royaume-Uni, Australie) qui entendent limiter le nombre d’étudiants étrangers. Ces expressions de repli sur soi et de xénophobie, heureusement écartées, se sont fait entendre en France aussi lors des débats autour de la loi sur l’immigration.

Forty Years of European Policies in Education
Twelve million people have benefited from the Erasmus program since its inception. This testifies to the fact that the European dimension has become a natural part of the life of our universities. In 2024, a number of cooperation projects deal with climate change and the inclusion of the most disadvantaged, and some even want to maintain cooperation with Ukraine, thus demonstrating their support for the best of the Union’s values. However, the values of hospitality and interest in other cultures that underpin student exchanges are being undermined in many countries (United States under Trump, Canada, United Kingdom, Australia), which intend to limit the number of foreign students. These expressions of inward-looking attitudes and xenophobia, which have fortunately been brushed aside, were also heard in France during the debates on the immigration law.

Droits des femmes : les paradoxes de l’intégration européenne
Les exemples du viol et de l’avortement, par
et

Revenu universel d’existence en Europe
De l’utopie à l’expérimentation, par

Revenu universel d’existence en Europe
De l’utopie à l’expérimentation
« En Europe dans cette Europe qu’on dit malade […] la proposition politique d’un revenu universel, inconditionnel, c’est-à-dire, détaché d’un emploi salarié est en train de s’imposer comme le seul critère de renouvellement des programmes politiques » affirmait déjà en 2016, Yann Moulier Boutang, économiste. Le droit à un emploi correctement rémunéré pour assurer les conditions concrètes d’existence est de moins en moins universel. Les États tentent de venir en aide à cette population qui, avec ou sans travail, n’arrive plus à vivre décemment, par des mesures d’assistance, avec des aides conditionnées, complexes, stigmatisantes. En Europe comme dans le monde, des expérimentations d’aides versées inconditionnellement, ciblées, pendant une durée limitée, laissent déjà entrevoir les bienfaits d’une telle mesure. Il reste à franchir l’étape de l’universalité à l’échelle de toute une communauté politique pour évaluer ses effets, non seulement sur la partie la plus pauvre de la société, mais aussi son rôle transformateur de l’ensemble de la société.

Universal Basic Income in Europe
From Utopia to Experimentation
“In Europe, in this Europe that is said to be ill […] the political proposal of a universal, unconditional income, in other words, detached from paid employment, is becoming the only criterion for renewing political programs”, said economist Yann Moulier Boutang back in 2016. The right to a properly-paid job to ensure one’s livelihood is less and less universal. Governments are trying to help people who, with or without a job, are no longer able to live decently, through assistance measures, with conditional, complex and stigmatizing aid. In Europe and around the world, experiments with unconditionally paid, targeted aid for a limited period are already showing the benefits of such a measure. What remains to be done is to make it universal across an entire political community, to assess its effects, not only on the poorest sections of society, but also its transformative role for society as a whole.

Dix propositions
Pour saluer les vraies législatives européennes
Pour redonner une voix à la gauche dans la campagne de mai‑juin 2024, par
et

Dix propositions
Pour saluer les vraies législatives européennes
Pour redonner une voix à la gauche dans la campagne de mai‑juin 2024
Ces dix perspectives possibles pour l’Europe ne concluent pas le dossier, elles ouvrent le débat. Elles se veulent proposer des visions marquées par la raison mais aussi par la passion fédérale. Il faut que naissent des « tribuns » européens qui donnent à l’Europarlement un rôle prépondérant sur le Conseil et la Commission. Il est nécessaire d’étendre ses compétences à des sujets de société (les violences sexuelles, l’écologie) et des sujets éminemment stratégiques comme la guerre. L’Europe doit s’ouvrir au lieu d’organiser la fermeture de ses frontières extérieures sous le joug de discours racistes. Les migrations internationales lui sont vitales, pour des raisons économiques et démographiques. Et puis, elle connaît une mutation extraordinaire de l’emploi. Quand la question d’un revenu universel européen financé directement par l’Union comme puissant vecteur de rattrapage et de fédéralisation des politiques sociales sera-t-elle intégrée dans les programmes d’une gauche européenne pour reconquérir les couches populaires perdues ?

Ten proposals
To Welcome Real European Parliamentary Elections
Giving the Left a Voice in the May-June 2024 Campaign
These ten possible perspectives for Europe do not conclude the dossier, they open the debate. They are intended to offer visions marked by reason but also by federal passion. European « tribunes » must be born to give the Europarliament a leading role over the Council and the Commission. Its powers must be extended to social issues (sexual violence, ecology) and eminently strategic issues such as war. Europe must open up instead of closing its external borders under the yoke of racist rhetoric. International migration is vital to Europe, for economic and demographic reasons. What’s more, Europe is undergoing an extraordinary transformation in terms of employment. When will the question of a European universal income, financed directly by the Union, as a powerful vector for catching up and federalising social policies, be included in the programmes of a European Left to win back the working classes that have been lost?

96. Multitudes 96. Automne 2024

Les soulèvements démocratiques qui nous manquent, par

Les soulèvements démocratiques qui nous manquent
À partir de la polémique entre Enzo Traverso et Georges Didi-Huberman autour des notions de révolution et de soulèvement, cet article propose une réflexion sur les dimensions constituées et constituantes de la démocratie. La controverse initiale entre ces deux auteurs se développe à partir des travaux de Antonio Negri, d’une part, sur le souffle d’une joie créatrice et, d’autre part, sur la notion de pouvoir constituant. Ce débat théorique est ensuite confronté avec les expériences concrètes des moments constituants qui ont caractérisé certains gouvernements dits progressistes en Amérique Latine (notamment le Venezuela) et avec l’émergence subversive du fascisme au Capitole américain et à Brasília. L’article propose enfin comme sortie des impasses les dynamiques instituantes et le retour de Carlo Ginzburg sur les rapports entre histoire et changements.

The Democratic Uprisings We’re Missing
Based on the controversy between Enzo Traverso and Georges Didi-Huberman over the notions of revolution and uprising, this article reflects on the constitutive dimensions of democracy. The initial controversy between these two authors developed from Antonio Negri’s work, on the one hand, on the creative breath of a creative joy and, on the other, on the notion of constituent power. This theoretical debate is then confronted with the concrete experiences of constituent moments that have characterized certain so-called progressive governments in Latin America (notably Venezuela) and the subversive emergence of fascism on Capitol Hill and in Brasília. The article concludes by proposing a way out of the impasse: instituting dynamics and Carlo Ginzburg’s return to the relationship between history and change.

Par-delà vitalisme et historicisme
Sur une ambiguïté constitutive du « pouvoir constituant » d’Antonio Negri, par

Par-delà vitalisme et historicisme
Sur une ambiguïté constitutive du « pouvoir constituant » d’Antonio Negri
Cet article est consacré à un problème qui a été récemment au centre des débats consacrés à la pensée d’Antonio Negri : l’oscillation entre « vitalisme » et « historicisme » qui caractérise sa définition du « pouvoir constituant » de la multitude. Je propose de réfuter l’une des principales objections philosophiques qu’il a reçues : l’accusation de « vitalisme ». L’un des chantiers de réflexion laissés ouverts par Negri concerne la question de l’articulation entre multiplicité et unité, prolifération et composition des temporalités, des sujets et des pratiques du « pouvoir constituant » de la multitude.

Beyond Vitalism and Historicism
On a Constitutive Ambiguity of Antonio Negri’s “Constituent Power”
This article is devoted to a problem that has recently been at the center of debates on Antonio Negri’s thought: the oscillation between “vitalism” and “historicism” that characterizes his definition of the “constituent power” of the multitude. I propose to refute one of the main philosophical objections he has received: the accusation of “vitalism”. I argue instead that one of the areas of reflection left open by Negri concerns the question of the articulation between multiplicity and unity, proliferation and composition of temporalities, subjects and practices of the “constituent power” of the multitude.

Primauté politique de l’imaginaire instituant, par

La foule en deuil
Symbole et soulèvement, par

La foule en deuil
Symbole et soulèvement
Les foules protestataires sont-elles capables de faire leur deuil ou de surmonter leurs traumatismes politiques ? Quel est le travail psychique impliqué dans le deuil public et comment pouvons-nous donner un sens aux nouveaux symboles politiques qui émergent dans les vastes scènes de protestation ? En m’appuyant sur le soulèvement brésilien de 2013 et ses conséquences, j’écris sur un deuil semi-spontané, un deuil qui n’est pas l’effet d’une politique d’État, qui se produit lorsque des foules plus ou moins grandes se forment, et lorsqu’elles symbolisent ensemble, lorsqu’elles produisent des rythmes et des formes de synchronicité. J’écris sur une foule qui symbolise, capable de constructions compliquées, de références superposées à différentes époques historiques, et même d’interprétations.

The Mourning Crowd
Symbol and Uprising
Are crowds in protest capable of mourning or working-through political traumas? What is the psychic work involved in public mourning and how can make we make sense of new political symbols that emerge in ample scenes of protest? Drawing on the Brazilian Uprising of 2013 and its aftermath, I write about a semi-spontaneous mourning, a mourning that is not an effect of a state policy, a mourning that happens when smaller or greater crowds symbolise together, when they produce rhythms and forms of synchronicity. I write about a symbolising crowd, capable of complicated constructions, of overlayered references to different historical times, and even of making interpretations.

Soulèvement chilien, saisir l’ouvert, par et

Soulèvement chilien, saisir l’ouvert
Ce texte résulte d’une première approximation de Darío Quiroga, sociologue et conseiller communicationnel des causes progressistes, altérée ensuite par Millaray Lobos García. Il est exmilitant communiste, encore engagé auprès de divers syndicats et associations et victimes de « El estallido » chilien. Elle est artiste et autrice théâtrale. Ils pensaient penser des choses semblables et c’était plus au moins vrai, mais leur manière de les penser différait. De couche en couche, ces lignes tentent une saisie sur les mouvances du cycle constitutionnel chilien, cycle de demandes à la fois sans médiation et ultramédiatisé. Perspectives révolutionnaires ou juste « révoltées » s’entrecroisent ainsi.

Chilean Uprising, Seizing the Open
This text is the result of an initial approximation by Darío Quiroga, sociologist and communications advisor to progressive causes, subsequently altered by Millaray Lobos García. He is an ex-communist militant, still involved with various unions and associations of victims of Chile’s “El estallido”. She is an artist and playwright. They thought they were thinking similar things, and this was more or less true, but the way they thought them differed. From layer to layer, these lines attempt to capture the movements of the Chilean constitutional cycle, a cycle of demands that is both unmediated and ultra-mediatized. Revolutionary or just “rebellious” perspectives thus intersect.

Faire des images, faire de la révolte
La force politique des expressions visuelles des sujets amazoniens, par

Faire des images, faire de la révolte
La force politique des expressions visuelles des sujets amazoniens
Partant du principe que l’imagination est une condition préalable à l’action politique, créer des images est aussi une manière de faire de la révolte. En ce sens, allant au-delà du paradigme iconique, les images elles-mêmes deviennent des expressions sensibles de l’indignation de ceux qui s’inscrivent contre les formes injustes de pouvoir. En Amazonie, région historiquement constituée comme « l’Autre » du Brésil, les anciennes et nouvelles logiques colonialistes se conjuguent aux dilemmes nationaux et internationaux, créant une atmosphère de constantes menaces, de violences concrètes et de luttes permanentes. Dans ce contexte, certaines images se situent précisément à l’inflexion entre voir, montrer et rendre sensible une souffrance qui suscite l’indignation. Ainsi, les images se lancent dans l’expérience comme moyens d’expression du désir de soulèvements, comme pratiques d’affirmation de la liberté et comme gestes de résistance face à l’histoire.

Making Images, Making Revolt
The Political Power of Visual Expression by Amazonian Subjects
Based on the premise that imagination is a prerequisite for political action, creating images is also a way of making revolt. In this sense, going beyond the iconic paradigm, images themselves become sensitive expressions of the indignation of those who stand up against unjust forms of power. In the Amazon, a region historically constituted as Brazil’s “Other”, old and new colonialist logics combine with national and international dilemmas, creating an atmosphere of constant threat, concrete violence and permanent struggle. In this context, some of the images are precisely at the inflection point between seeing, showing and making sensitive a suffering that arouses indignation. Thus, the images launch themselves into experience as means of expressing the desire for uprisings, as practices of asserting freedom and as gestures of resistance in the face of history.

Soulever la terre, suspendre le ciel, par

Soulever la terre, suspendre le ciel
Ce n’est pas un hasard si un passionnant débat public a vu le jour entre deux grands historiens de l’art et de la culture, Georges Didi-Huberman et Enzo Traverso, à partir de la photographie de Gilles Caron sur la couverture du catalogue de l’exposition « Soulèvements » organisée par le premier. Cet essai rapproche des mondes très éloignés dans le temps et dans l’espace − de la Grèce antique à la forêt amazonienne − par la similitude d’un geste et d’une attitude, par son sens et par le renversement de celui-ci. Aujourd’hui les mobilisations indigènes prennent des expressions assez inattendues : en avril 2023, réunis au Campement Terre Libre à Brasilia, de nombreux peuples indigènes lancent de nouveaux mots − indigenisar, mulherizar, oncificar − pour exprimer leurs mouvements et soulèvements. Ce nouveau vocabulaire s’accompagne de nombreuses pratiques d’image : manifestations, performances, projections et peintures entre autres.

Raising the Earth, Lifting the Sky
It’s no coincidence that two great art and cultural historians, Georges Didi-Huberman and Enzo Traverso, have engaged in a fascinating public debate on Gilles Caron’s photograph on the cover of the catalog for the “Soulèvements” exhibition organized by the former. This essay brings together worlds far removed in time and space—from ancient Greece to the Amazon rainforest—through the similarity of a gesture and an attitude, its meaning and its reversal. Today, indigenous mobilizations are taking on quite unexpected expressions: in April 2023, gathered at the Terre Libre Camp in Brasilia, many indigenous peoples launched new words—indigenisar, mulherizar, oncificar—to express their movements and uprisings. This new vocabulary was accompanied by a wide range of image practices, including demonstrations, performances, projections and paintings.

Désobéissance environnementale, par

Désobéissance environnementale
Cet article part du constat qu’après un demi-siècle de mobilisations et de soulèvements, l’écologie est au cœur de la vie politique mondiale. Cependant, l’institutionnalisation des préoccupations écologiques, à travers les COP et d’autres initiatives, est loin d’être suffisante. Dans la lutte pour le climat, les mouvements citoyens, les ONG, les associations et les collectifs se mobilisent en recourant fréquemment à cette forme particulière d’action politique qu’est la désobéissance civile. Cet article définit la désobéissance civile par quatre traits et établit ensuite quelques liens avec la politique du care. En effet, la désobéissance climatique retrouve l’esprit des éthiques du care qui, en attribuant une importance déterminante à la matérialité des choses et à leur essentielle vulnérabilité, reflètent une nouvelle sensibilité politique.

Environmental disobedience
This article starts from the observation that, after half a century of mobilizations and uprisings, ecology is at the heart of global political life. However, the institutionalization of ecological concerns, through COPs and other initiatives, is far from sufficient. In the fight for the climate, citizens’ movements, NGOs, associations and collectives are mobilizing, frequently resorting to that particular form of political action known as civil disobedience. This article defines civil disobedience in terms of four features, and then draws some links with the politics of care. Indeed, climate disobedience reflects the spirit of care ethics which, by attributing decisive importance to the materiality of things and their essential vulnerability, reflect a new political sensibility.

Que comprend-on de ce que « comprend » ChatGPT ?, par

Intelligences artificielles et créativité au sens extra-moral, par

Intelligences artificielles et créativité au sens extra-moral
Alors que Le Sony World Photography Award 2023 a été attribué à une œuvre générée par IA, que les scénaristes d’Hollywood manifestent dans les rues de Los Angeles, et que les Large Language Models sont appelées à prendre de plus en plus de place dans nos activités cognitives, il est urgent de se demander si la force de création humaine, celle des auteurs, des scénaristes, des artistes et même des scientifiques ne s’est pas aliénée dans la combinatoire. Les IA LLM ont-elles concrétisé « l’exploitation de niveau 2 » du capitalisme cognitif, c’est-à-dire l’exploitation totale de la force-invention (créativité, intelligence, innovation) ? Pour répondre à cette question, l’article propose d’entrer dans la combinatoire comme on rentre dans la Bibliothèque de Babel, c’est-à-dire de s’y perdre pour mieux s’y retrouver.

Artificial Intelligence and Creativity in the extra-moral Sense
At a time when the Sony World Photography Award 2023 has been awarded to an AI-generated work of art, when Hollywood screenwriters are protesting in the streets of Los Angeles, and when Large Language Models are set to take up more and more of our cognitive activities, it’s urgent to ask whether the human creative force—that of authors, screenwriters, artists and even scientists—has not become alienated in combinatorics. Have LLM AIs embodied the “level 2 exploitation” of cognitive capitalism, i.e. the total exploitation of the force of invention (creativity, intelligence, innovation)? To answer this question, the article proposes to enter into combinatorics as one enters into the Library of Babel, i.e. to lose oneself in order to better find oneself.

La quatrième mémoire, par et

Cette publication a bénéficié d’un financement du projet NesT du programme MSCA-RISE selon le grant agreement No 101007915.

This project has received funding from the MSCA-RISE programme under grant agreement No 101007915

La quatrième mémoire
Les dites « intelligences artificielles » (IA) signent moins le remplacement des facultés humaines que l’apparition d’une nouvelle catégorie de mémoire générant de façon récursive des discours, images et sons qui peuvent ressembler aussi bien à des « créations » qu’à des documents « authentiques ». Cette automatisation de l’expression et de la représentation à partir des données massives accumulées sur le Web explique pourquoi la question des arts, loin d’être anecdotique, est devenue consubstantielle aux modèles statistiques actuels. On peut y percevoir l’émergence d’un nouveau réalisme qui déstabilise les archives du passé comme les perspectives de futur. La nature contrefactuelle de ce réalisme alien trouble ce sur quoi nous fondions auparavant les indices de vérité.

Fourth Memory
So-called “artificial intelligence” (AI) are less a sign of the replacement of human faculties than of the emergence of a new category of memory, recursively generating speeches, images and sounds that can resemble “creations” as much as “authentic” documents. This automation of expression and representation using the massive data accumulated on the Web explains why the question of the arts, far from being anecdotal, has become consubstantial with current statistical models. We can see the emergence of a new realism that destabilizes both past archives and future perspectives. The counterfactual nature of this alien realism unsettles the foundation upon which we previously established our relation to truth.

IA et argile en EHPAD, par

Cette publication a bénéficié d’un financement du projet NesT du programme MSCA-RISE selon le grant agreement No 101007915.

This project has received funding from the MSCA-RISE programme under grant agreement No 101007915

IA et argile en EHPAD
Un projet artistique propose à des résidents d’EHPAD de manier l’argile et d’interagir avec des IA. Il en émerge quelques déplacements de nos binarités coutumières : la machine n’est pas plus performante que les personnes qui écrivent en EHPAD ; les humains ne sont pas forcément plus créatifs que les machines ; les pertes, les oublis, les répétitions, les incohérences ou les hallucinations ne sont pas (seulement) des défauts, mais des éléments constitutifs de leurs langages respectifs. Et c’est justement parce que l’humain et la machine sont incomplets que du lien peut se faire, entre eux comme avec d’autres dimensions de leurs environnements communs.

AI and Clay in Nursing Homes
An art project invites nursing home residents to handle clay and interact with AIs. What emerges are a few displacements in our customary binarities: the machine is no more efficient than the people who write in nursing homes; humans are not necessarily more creative than machines; losses, omissions, repetitions, inconsistencies or hallucinations are not (just) flaws, but constitutive elements of their respective languages. And it’s precisely because humans and machines are incomplete that connections can be made, both between them and with other dimensions of their shared environments.

97. Multitudes 97. Hiver 2024

Zombie Props Manifesto
Quand les imaginaires se précipitent hors des infrastructures, par

Zombie Props Manifesto
Quand les imaginaires se précipitent hors des infrastructures
Ce manifeste propose d’étudier des situations où des objets issus de la « Pop culture » mondialisée sont accidentellement mis au rebut puis réappropriés par des communautés dans des localités bien particulières. Au-delà de l’analyse d’un simple réemploi, le présent postulat est que la friction entre des évènements industriels et les imaginaires de la culture populaire contribue à éclairer la déliquescence des infrastructures qui les distribuent, grâce à des communautés qui documentent ces situations par des récits situés. Cet article propose le terme de zombie props pour qualifier ces artefacts qui sont médiés par des acteurs locaux comme des objets souvenirs de paysages ayant subi de plein fouet la mondialisation, qui entrent en ruines.

Zombie Props Manifesto
When Imaginaries Fall Out of Infrastructures
This manifesto proposes to study situations where objects from globalized Pop culture are accidentally discarded and then reappropriated by communities in particular localities. Beyond the analysis of simple reuse, it postulates is that the friction between industrial events and the imaginaries of popular culture helps to illuminate the decay of the infrastructures that distribute them, thanks to communities that document these situations through situated narratives. This article proposes the term “Zombie Props” to qualify these artifacts, which are mediated by local actors as souvenir objects of landscapes that have borne the full brunt of globalization, and are falling in ruin.

Une frontière aux multiples visages
Une ethnographie de la traversée migratoire de la jungle du Darién (frontière Colombie-Panama), par

Une frontière aux multiples visages
Une ethnographie de la traversée migratoire de la jungle du Darién (frontière
Colombie-Panama)
Cet essai s’appuie sur plus de huit mois de terrain ethnographique à l’entrée et à la sortie de la jungle du Darién, espace naturel qui fait frontière entre la Colombie et le Panama. Loin d’être un simple no man’s land dangereux, le Darién est devenu en quelques années un passage incontournable pour des milliers de migrants en route vers les États-Unis. À travers les récits de ceux qui le traversent, cet essai explore la manière dont cette frontière est vécue et imaginée. Le Darién dévoile ainsi quatre visages : une frontière-jungle, où le danger est à la fois anticipé et vécu ; une frontière palpable, marquée par l’épuisement des corps et la matérialisation des lois qui supplantent la topographie ; une frontière sociale, qui réorganise les ressources et les relations entre migrants ; et enfin, une frontière temporelle, où l’épreuve du Darién s’inscrit dans un parcours migratoire jalonné d’autres épreuves. En se concentrant sur les vécus, les pratiques et les temporalités des personnes en migration, cet essai invite alors à repenser la frontière au-delà de ses contours géographiques et administratifs, afin de mieux saisir les expériences humaines qui la traversent.

A Border with Many Faces
An Ethnography of the Migratory Crossing of the Darién Jungle (Colombia-Panama Border)
This essay is based on more than eight months of ethnographic fieldwork at the entrance and exit of the Darién jungle, a natural area that forms the border between Colombia and Panama. Far from being just a dangerous no-man’s-land, in just a few years the Darién has become an essential passageway for thousands of migrants on their way to the United States. Through the stories of those who cross it, this essay explores how this border is experienced and imagined. The Darién reveals four faces: a border-jungle, where danger is both anticipated and experienced; a palpable border, marked by the exhaustion of bodies and the materialization of laws that supplant topography; a social border, which reorganizes resources and relations between migrants; and finally, a temporal border, where the Darién ordeal is part of a migratory journey marked by other ordeals. By focusing on the experiences, practices and temporalities of people in migration, this essay invites us to rethink the border beyond its geographical and administrative contours, in order to better grasp the human experiences that cross it.

Explorer les frontières internes, documenter le continuum de violence, par et

Explorer les frontières internes, documenter le continuum de violence
Les frontières de l’Europe ne s’arrêtent pas aux frontières extérieures de l’Union européenne, ni même aux limites territoriales des États-nations, mais s’étendent de différentes manières à l’intérieur des pays et des sociétés. Le système de gestion de l’asile vise à dissuader et à trier les personnes en quête de protection, empêchant la plupart d’entre elles d’arriver pleinement dans le pays, même des années après s’y être installées. Cette exclusion continue s’opère notamment en maintenant les personnes dans une situation d’incertitude et de limbes juridiques étendues, ainsi qu’à travers des pratiques d’isolement horizontal et vertical, en les logeant dans des endroits reclus, parfois souterrains, éloignés des centres urbains et des réseaux de solidarité. Afin d’analyser la violence (in)directe du « dispositif d’asile suisse », Border Forensics développe de nouvelles méthodes à travers les échelles du territoire, de l’architecture et du corps.

Exploring Inner Boundaries, Documenting the Continuum of Violence
Europe’s borders don’t stop at the external frontiers of the European Union, or even the territorial limits of nation-states, but extend in different ways within countries and societies. The asylum management system aims to deter and sort out people seeking protection, preventing most of them from fully arriving in the country, even years after they have settled there. This ongoing exclusion is achieved in particular by keeping people in a situation of uncertainty and extended legal limbo, as well as through practices of horizontal and vertical isolation, housing them in reclusive, sometimes underground locations, far from urban centers and solidarity networks. In order to analyze the (in)direct violence of the “Swiss asylum system”, Border Forensics is developing new methods across the scales of territory, architecture and the body.

De la lisière au centre
Langues et médiation interculturelle en migration, par
et

De la lisière au centre
Langues et médiation interculturelle en migration
À partir des travaux menés par le programme de recherche collaborative ANR LIMINAL, cette contribution propose une réflexion sur la centralité de la langue et de la traduction qui émerge notamment à la « lisière » (au sens de E. Hocquard), dans les espaces de migration, notamment dans les camps, campements, centres d’accueil. Ces espaces sont aussi des lieux de rencontre et de transition où, par les expériences singulières et collectives, se redéfinissent de nouvelles pratiques langagières et culturelles. De cette réflexion ont émergé deux projets (Migralect.org, DU H2M) où il s’agit ainsi, à travers la langue, de prôner les conditions politiques d’une hospibabélité.

From Lisière to Center
Languages and Intercultural Mediation in Migration
Since the so-called “reception crisis” of 2015, there has been both a vast amount and limited discussion of language issues. A vast amount, because translation is cardinal in the asylum labyrinth. Insufficiently, because of the gaps and inadequacies noted. Based on the ANR LIMINAL collaborative research programme, this contribution looks at the centrality of language and translation, which emerges at the “lisière” (in the sense of E. Hocquard), in spaces of migration, particularly in camps and reception centres. These spaces are also places of encounter and transition where, through singular and collective experiences, new linguistic and cultural practices are redefined. Two projects have emerged from this reflection: the migralect.org database, lexicon which documents the language practices of resistance, and the DU pro Hospitalité, médiations, migrations (Inalco), which trains peer mediators. The aim is to use language to advocate the political conditions for hospibabelity.

Schibboleth linguistique et franchissements des frontières dans le soin transculturel Dialogue entre le cinéma et la psychologie, par , , et

Par-delà les frontières disciplinaires
Réflexions sur les lisières ultramarines, par
, , et

L’enfermement des personnes aux frontières françaises 
Un faux modèle pour la politique migratoire européenne, par
et

L’enfermement des personnes aux frontières françaises 
Un faux modèle pour la politique migratoire européenne
L’Europe s’est érigée ces dernières décennies en forteresse qu’il est de plus en plus difficile d’atteindre pour les personnes en migration. L’enfermement en est devenu l’instrument central de gestion des personnes étrangères dans le cadre du contrôle des frontières. Au niveau français, la zone d’attente est, depuis plus de 30 ans, l’outil essentiel de l’enfermement aux frontières. Alors qu’elle est source de nombreuses violations des droits humains et qu’elle criminalise les personnes étrangères, la zone d’attente a pourtant été déclinée au niveau européen dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile en 2024. Le présent article a pour objectif de comprendre les enjeux de l’expansion du régime d’enfermement aux frontières « à la française » à l’Union européenne, en analysant le régime de la zone d’attente et les conséquences qu’il a sur les personnes qui en sont victimes.

The Locking Up of People at France’s Borders
A False Model for European Migration Policy
Over the last few decades, Europe has become an increasingly inaccessible fortress for migrants. Confinement has become the central instrument for managing foreign nationals within the framework of border control. The trivialization of confinement stems from the logic of tightening up migration policies that stigmatize and discriminate against those subject to them. In France, the waiting zone has been the essential tool for border detention for over 30 years. Although it is the source of numerous human rights violations and criminalizes foreign nationals, the waiting zone was nevertheless rolled out at European level as part of the Pact on Migration and Asylum in 2024. The aim of this article is to understand what is at stake in the expansion of the “French-style” border detention regime to the European Union, by analyzing the waiting zone regime and the consequences it has on the people who fall victim to it.

Retournons contre lui-même les armes du système qui nous a formés, par

Retournons contre lui-même les armes du système qui nous a formés
Le refus du rôle de complice au sein de l’empire technologique n’est qu’un point de départ dans une trajectoire de désertion. Le vrai travail commence ensuite. Notre collectif met nos compétences de CSP+ au profit de syndicats contre les ravages du numérique, dans la défense d’activistes contre la finance fossile, ou pour la reconnaissance du site ultra-touristique des Salines (Martinique) comme Entité Naturelle Juridique…

Counter-Weaponizing the System that Educated US
Rejecting the role of accomplice within the technological empire is only the starting point in a trajectory of desertion. Then the real work begins. Our collective puts our upper classes’ skills in the service of trade unions against the ravages of digital technology, defending activists against fossil finance, or working towards the recognition of the ultra-touristy site of Les Salines (Martinique) as a Legal Natural Entity…

Olivier Bosson
La parenthèse industrielle
Points de départ
La parenthèse industrielle est le titre d’un film en cours de réalisation, un road-movie docufiction d’enquête sur notre relation à la société industrielle. Pour présenter le film ont été réunis ici plusieurs points de départ, quelques questions, et des débuts de réponses.

La parenthèse industrielle
Starting Points
La parenthèse industrielle is the title of a film in process, a docu-drama road-movie investigating our relationship with industrial society. To introduce the film, this article puts together several starting points, a few questions, and the beginnings of some answers.

Collectifs PiNG et Klask ! du Mouvement pour les Savoirs Engagés et Reliés (MSER)
Semer le doute, accueillir les dissonant·es
On sème le doute en participant à des réunions, en soutenant des rencontres, en mettant en contact ou en organisant des événements locaux ou nationaux, comme les Journées d’Été des Savoirs Engagés et Reliés. On accueille les dissonant·es en partageant ouvertement, dans des cadres de confiance, nos doutes, nos observations, en se soutenant mutuellement.

Sowing Doubts, Welcoming Dissonant Voices
We sow the seeds of doubt by taking part in meetings, supporting encounters, putting people in touch, organizing local events or national ones, such as the Journées d’Été des Savoirs Engagés et Reliés. We welcome dissonant voices by sharing our doubts and observations openly and in a spirit of trust, and by providing mutual support.

98. Multitudes 98. Printemps 2025

Résister, reconstituer le sens, par

Résister, reconstituer le sens
Dans cet article on se propose, d’un côté, de reconstituer les difficultés historiques de la gauche face à la guerre et, d’un autre côté, de saisir la spécificité du retour d’une « vraie guerre » au cœur de l’Europe, après quatre-vingts ans de paix. En même temps, cette guerre est différente : elle est marquée par la weaponization de tout et ne se limite pas aux steppes ukrainiennes. La guerre transforme en arme l’interdépendance économique, dans une anticipation terrible de la guerre commerciale que Trump est en train de déchainer. La résistance ukrainienne continue à constituer la qualité du projet européen. Pour l’Europe, autant que pour la démocratie dans le monde, il est fondamental de ne pas laisser l’élan ukrainien sans réponse, surtout maintenant que le fascisme et les trahisons vont mettre directement et définitivement sur le même plan Moscou, Pékin … et Washington.

Resist, Restore Meaning
This article sets out, on the one hand, to reconstruct the historical difficulties faced by the Left in the face of war and, on the other, to grasp the specificity of the return of a “real war” to the heart of Europe, after eighty years of peace. At the same time, this war is different: it is marked by the weaponization of everything, and is not limited to the Ukrainian steppes. The war is weaponizing economic interdependence, in a terrible anticipation of the trade war that Trump is unleashing. Ukrainian resistance continues to be the quality of the European project. For Europe, as much as for democracy in the world, it is fundamental not to let the Ukrainian momentum go unanswered, especially now that fascism and treachery are going to put Moscow, Beijing… and Washington directly and definitively on the same plane.

Femmes entre guerres et paix, par

Femmes entre guerres et paix
Cet article examine, dans le cadre de l’histoire récente, les positions des femmes face à la guerre et à la paix, celles qu’on leur attribue idéologiquement, celles qu’elles subissent malgré elles, dans leurs implications volontaires ainsi que dans leurs engagements militants au sein d’une multitude d’organisations qui ont changé de nature avec la fin de la guerre froide. L’auteure rappelle que les femmes ne sont pas des pacifistes par essence, mais plutôt des humains comme les autres, opposés à la guerre et œuvrant à la pacification du monde dans un contexte de plus en plus favorable à la guerre, qui exalte le virilisme et a enterré l’objection de conscience. L’unité et la solidarité de femmes de camps politiquement adverses constituent la face aujourd’hui dominante de leurs combats dans nombre de conflits comme celui, exemplaire, qui oppose le gouvernement israélien aux Palestiniens et réunit juives, musulmanes et non croyantes.

Women between War and Peace
This article examines, in the context of recent history, women’s positions on war and peace, both those attributed to them ideologically and those they have to endure in spite of themselves, in their voluntary involvement as well as in their militant commitments within a multitude of organizations that have changed in nature with the end of the Cold War. The author reminds us that women are not pacifists in essence, but rather human beings like any others, opposed to war and working to pacify the world in a context increasingly favorable to war, which exalts virilism and has buried conscientious objection. The unity and solidarity of women from politically opposing camps is the dominant face of their struggles today in many conflicts, such as the exemplary one between the Israeli government and the Palestinians, which brings some women together, Jews, Muslims and non-believers alike.

La terre tremble autour du front, par

La terre tremble autour du front
Le paradoxe de ces trois années d’invasion russe en Ukraine est que, plutôt que la guerre, c’est le monde environnant qui semble avoir changé. Alors que la ligne de front est pratiquement à l’arrêt, le cadre politique européen et surtout celui nord-américain se sont déplacés beaucoup plus à droite. Ce sont surtout les contours idéologiques dans lesquels le conflit est perçu par les populations qui sont les plus proches qui ont changé. Les innombrables élections dans les pays de l’Europe centre-orientale et du Caucase, aussi bien que les manifestations de rue qui traversent les sociétés, nous montrent une situation ambigüe : la projection hégémonique du Kremlin se nourrit aujourd’hui de la continuation des combats et de l’apparente inaction des gouvernements occidentaux. Plus le temps passe, plus les contradictions qui se sont accumulées au cours de la transition inachevée des pays post-soviétiques réapparaissent.

The Earth Trembles around the Front Line
The paradox of three years of Russian invasion of Ukraine is that, rather than the war itself, it’s the surrounding world that seems to have changed. While the front line has virtually ground to a halt, the political framework in Europe and especially North America has shifted much further to the right. Above all, it is the ideological contours within which the conflict is perceived by the populations closest to it that have changed. The countless elections in the countries of Central and Eastern Europe and the Caucasus, as well as the street demonstrations that are sweeping across societies, show us an ambiguous situation: the Kremlin’s hegemonic projection is now nourished by the continuation of the fighting and by the apparent inaction of Western governments. The more time passes, the more the contradictions that accumulated during the unfinished transition of post-Soviet countries reappear.

Près de trois ans après l’invasion, la parole aux femmes ukrainiennes de Trieste, par

Près de trois ans après l’invasion, la parole aux femmes ukrainiennes de Trieste
L’article recueille les témoignages d’une trentaine de femmes ukrainiennes réfugiées à Trieste (Italie). Elles réfléchissent sur leurs expériences d’avant et d’après l’invasion russe de leur pays en février 2022. À travers des entretiens et des récits personnels, des thèmes émergent tels que la perte d’identité, le sentiment d’abandon par une partie de la gauche italienne. Les femmes décrivent leur engagement quotidien, le traumatisme de la guerre, la difficulté de l’intégration et la nécessité de résister non seulement militairement, mais aussi culturellement et socialement. Le texte offre une perspective intime sur une guerre souvent réduite à des récits idéologiques, donnant de l’espace aux expériences directes de celles qui en sont affectées et mettant en évidence, plutôt que le sacrifice et le « martyre », un désir irrépressible d’une vie qui vaille la peine d’être vécue.

Three Years after the Invasion, Ukrainian Women in Trieste Have Their Say
This article gathers the testimonies of some thirty Ukrainian women who have taken refuge in Trieste (Italy). They reflect on their experiences before and after the Russian invasion of their country in February 2022. Through interviews and personal accounts, themes emerge such as the loss of identity and the feeling of abandonment by part of the Italian left. The women describe their daily commitment, the trauma of war, the difficulty of integration and the need to resist not only militarily, but also culturally and socially. The text offers an intimate perspective on a war often reduced to ideological narratives, giving space to the direct experiences of those affected by it and highlighting, rather than sacrifice and “martyrdom”, an irrepressible desire for a life worth living.

L’Europe, l’Ukraine et la mondialisation, par

L’Europe, l’Ukraine et la mondialisation
Il est proposé ici de considérer le rôle central que peut et doit jouer l’Europe dans les négociations à venir avec Poutine sur l’Ukraine, au-delà de l’affrontement USA/Russie sur lequel la doxa médiatique se focalise. Selon le point de vue spécifique de la circulation maritime et portuaire que nous développons ici, l’UE a pratiquement seule la compétence en même temps que la capacité d’être au cœur des discussions pour s’engager à garantir à la Russie une pleine liberté de circulation maritime, tant militaire que commerciale, en échange d’une cessation de l’envahissement de l’Ukraine. D’une part, cette liberté de circulation est en grande part la source même de tout le conflit actuel et, de l’autre, seule l’UE peut la garantir, face aux Américains tout particulièrement.

Europe, Ukraine and Globalization
We propose here to consider the central role that Europe can and must play in the forthcoming negotiations with Putin on Ukraine, beyond the USA/Russia confrontation on which the media doxa focuses. From the specific point of view of maritime and port traffic that we are developing here, the EU is practically alone in having both the competence and the capacity to be at the heart of the discussions to commit itself to guaranteeing Russia full freedom of maritime traffic, both military and commercial, in exchange for an end to the invasion of Ukraine. On the one hand, this freedom of movement is to a large extent the very source of the current conflict, and on the other, only the EU can guarantee it, particularly in the face of the Americans.

Déjouer le chantage de l’urgence, par et

Déjouer le chantage de l’urgence
Il faut résister au chantage de l’urgence simpliste d’ajouter des armes aux armes. Dans toutes les guerres, ce sont les prolétaires, les paysans,
les minorités ethniques, les migrants qui sont envoyés au carnage, et ce sont les femmes qui en paient le prix le plus douloureux. Même si on part en guerre pour un projet démocratique, avec la militarisation, une verticalité antidémocratique, oppressive et patriarcale prend rapidement le dessus. Les raisons profondes des guerres, c’est des luttes de pouvoir entre et à l’intérieur des pays, face auxquelles il faut développer des réponses
alternatives à la fuite en avant militaire. On gagnerait à s’inspirer de la Colombie, où des populations autochtones, quoique fortement opprimées, ont lutté pour la démilitarisation de leurs territoires.

Resisting the Blackmail of Urgency
We must resist the blackmail of the simplistic urgency to add weapons to weapons. In all wars, it’s proletarians, peasants, ethnic minorities and migrants who are sent to the carnage, and it’s women who pay the most painful price. Even if we go to war for a democratic project, with militarization, an anti-democratic, oppressive and patriarchal verticality quickly takes over. The underlying reasons for wars are power struggles between and within countries, and we need to develop alternative responses to the military headlong rush. We would do well to draw inspiration from Colombia, where indigenous populations, though heavily oppressed, have fought for the demilitarization of their territories.

Le complexe de Gog et Magog , par

Le complexe de Gog et Magog 
Si le Moyen-Orient demeure en proie à des guerres sans fin, c’est en partie parce que la Stasis – la discorde interne – et la guerre extérieure s’y entrelacent. Cet article explore le cas particulier du conflit Iran/Israël pour en dégager les caractéristiques et les strates. Derrière cette guerre interétatique se dissimule une guerre contre les populations : la République islamique contre les femmes (et par extension contre toute la société iranienne) et Israël contre les Palestiniens. Une autre caractéristique de cette guerre est le recours à la force militaire comme principal levier de dissuasion. Enfin, la logique de « ni paix ni guerre » entre ces deux pays nécessite le contrôle du temps long de conflit. À cet égard, cette guerre mobilise des mythes judéo-islamiques très anciens qui dépeignent une bataille ultime contre des peuples envahissants. L’épisode de Gog et Magog, raconté dans le livre d’Ezechiel, est aussi mentionné deux fois dans le Coran sous le nom de Yajuj et Majuj. Cet article traite de cet étrange effet de miroir où l’ennemi révèle le reflet de soi-même.

The Gog-Magog Complex
If the Middle East remains plagued by endless wars, it’s partly because Stasis—internal discord—and external warfare are intertwined. This article explores the specific case of the Iran/Israel conflict to identify its characteristics and layers. Behind this inter-State war lies a war against populations: the Islamic Republic against women (and by extension against Iranian society as a whole) and Israel against the Palestinians. Another feature of this war is the use of military force as the main deterrent. Finally, the logic of “neither peace nor war” between these two countries buttresses control over the long duration of the conflict. In this respect, this war mobilizes ancient Judeo-Islamic myths that depict an ultimate battle against invading peoples. The episode of Gog and Magog, recounted in the Book of Ezekiel, is also mentioned twice in the Koran, under the name Yajuj and Majuj. This article deals with this strange mirror effect, where the enemy reveals the reflection of oneself.

Tout contre la guerre, par

Tout contre la guerre
Que se passe-t-il dans la tête d’une personne qui se ressent viscéralement « contre la guerre » lorsqu’elle se découvre « tout contre la guerre » ? Selon sa proximité au conflit sanglant, cette prise de conscience a des répercussions différentes. Mais l’enjeu semble toujours pour elle d’appréhender les conséquences et les implications effectives de la guerre présente, sans pour autant abandonner ses perspectives d’une société débarrassée de ce mal mortel – et historique – de l’humanité. Apparemment schizophrénique et pourtant essentiel à sa santé mentale, ce défi suppose une capacité à envisager lucidement les contraintes de l’aujourd’hui, tout en cultivant les visions de futurs ayant réussi à dépasser l’impasse des imaginaires guerriers. Mais est-ce seulement possible ? Et si oui, comment ?

Too Close to War
What goes through the mind of persons who feel viscerally “against the war” (contre la guerre) when they discover that they are “too close to war” (tout contre la guerre)? Depending on how far they are from the bloody conflict, this awakening has different repercussions. But for such a person, the challenge always seems to grasp the consequences and actual implications of the present war, without abandoning their vision of a society free from this mortal—and historic—curse of humanity. Seemingly schizophrenic, yet essential to their mental health, this challenge presupposes an ability to look lucidly at the constraints of the present while cultivating visions of futures that have succeeded in overcoming the impasse of the imaginary war. But is this even possible? And if so, how?

Méditations chuchotées sur l’algorithmisation des bureaucraties, par

Cosmo-esthétique et cosmopolitique indigène
À partir d’une remarque d’Ailton Krenak sur un lien d’appartenance essentielle entre les cultures des peuples amérindiens et la création de beauté dans les gestes les plus quotidiens, cet article propose quelques pistes pour penser une cosmo-esthétique indigène en s’appuyant sur les paroles du chaman yanomami Davi Kopenawa. Il suggère que ce souci de beauté est une certaine disposition de l’aisthesis, du sentir, à l’égard du cosmos : une certaine sensibilité à la beauté de la forêt. Il analyse ensuite en quoi cette cosmo-esthétique est indissociable d’une cosmo-politique comprise comme défense de la forêt et recherche d’alliés, parmi les autres habitants de la forêt et les Blancs, pour conduire cette défense.

Cosmo-aesthetics and Indigenous Cosmopolitics
Based on Ailton Krenak’s observation that the cultures of Amerindian peoples are essentially linked by a sense of belonging to the creation of beauty in the most everyday gestures, this article proposes a number of avenues for thinking about an indigenous cosmo-aesthetic, drawing on the words of Yanomami shaman Davi Kopenawa. It suggests that this preoccupation with beauty is a certain disposition of aisthesis, of feeling-perceiving, towards the cosmos: a certain sensitivity to the beauty of the forest. It then analyzes how this cosmo-aesthetics is inseparable from a cosmo-politics understood as the defense of the forest and the search for allies, among other forest dwellers and whites, to lead this defense.

Désillusion algorithmique
Et les robots ne remplacèrent pas (encore) les juges, par

La part des algorithmes
Retour sur la notion d’outil de gouvernement, par

La part des algorithmes
Retour sur la notion d’outil de gouvernement
Cette contribution présente l’apport de la notion « d’outil de gouvernement » pour l’étude des algorithmes publics. En s’appuyant sur le travail de Vincent Dubois sur le contrôle des allocataires CAF et son algorithme (2021), elle illustre la manière dont la notion inscrit l’étude des techniques dans celle d’une dynamique institutionnelle, et permet de saisir la médiation qu’opère l’algorithme de l’action et des relations sociales dans son champ. Dans la prolifération d’études sur les algorithmes publics qui traitent leurs objets de manière réifiée, pris en abstraction de leur milieu, la notion d’outil de gouvernement permet ainsi de sociologiser l’étude des algorithmes publics tout en préservant une sensibilité à leur agentivité propre.

The Algorithm’s Share
Studying Algorithms as “Tools of Government”
This contribution presents the use of the notion of “tool of government” for the study of public algorithms. Based on sociologist Vincent Dubois’ work of the French welfare risk-scoring algorithm to combat “social fraud” (2021), it highlights the generativity of such an approach, anchoring the study of a technical object in the study of an administrative field and its power dynamics. It also allows to examine the object’s particular contribution, the way it mediates action and social relations within a field. In a context where algorithms are often studied as standalone objects, extracted from their environment and reified, this approach sociologises their study without diminishing their agency as technical objects.

99. Multitudes 99. Eté 2025

Face à Trump, les BRICS+ garants de l’ordre international ?, par et

Face à Trump, les BRICS+ garants de l’ordre international ?
La réélection de Trump confirme le retrait assumé des États-Unis de l’ordre multilatéral et marque une rupture qui affaiblit les alliances traditionnelles des Nords. L’Europe, quant à elle, se trouve à un tournant, tiraillée de l’intérieur entre des visions opposées de son avenir géopolitique. Parallèlement, les BRICS+ incarnent des aspirations nouvelles à un rééquilibrage mondial, portées par des puissances des Suds, mais traversées de tensions et d’ambiguïtés. Face à cette reconfiguration, ni l’unité des BRICS+, ni le leadership des Nord ne sont assurés. Entre fragmentation des normes, retour des logiques de puissance et instrumentalisation du discours décolonial, une nouvelle géopolitique de l’instabilité se dessine.

Facing Trump, Will the BRICS+ Ensure Global Rebalancing?
Trump’s re-election confirms the United States’ assertive withdrawal from the multilateral order and marks a break that weakens the traditional alliances of the Northern-Western countries. Europe, for its part, finds itself at a turning point, torn from within between opposing visions of its geopolitical future. At the same time, the BRICS+ embody new aspirations for global rebalancing, driven by powers from the South and the East, but fraught with tensions and ambiguities. Faced with this reconfiguration, neither the unity of the BRICS+ nor the leadership of the North is assured. Between the fragmentation of norms, the return of power logics and the instrumentalization of decolonial discourse, a new geopolitics of instability is taking shape.

Quelle finance pour la bifurcation écologique (et quels retours sur le passé) ?, par

Quelle finance pour la bifurcation écologique (et quels retours sur le passé) ?
Cet article commence par rappeler que les sommes sur lesquelles se battent nos politiciens pour éviter de « creuser la dette publique » sont complètement déphasées par rapport aux besoins réels de la bifurcation écologique. On rabote des dépenses de quelques milliards d’euros, alors que c’est à l’échelle de milliers de milliards d’euros, sur les décennies à venir, qu’il faudrait raisonner. Il propose une sortie par le haut de l’impasse actuelle, en révisant notre conception du périmètre de l’économie, qui doit être dramatiquement élargie pour inclure les activités de pollinisation, et redonner ainsi une base fiscale à la hauteur des défis écologiques. Il suggère de revisiter les débats du passé autour du dogme catholique pour comprendre la forte articulation entre finance et foi qui doit être repensée dans le cadre de l’Anthropocène.


What Kind of Finance for the Ecological Bifurcation (and What Kind of Return to the Past)?
This article begins by reminding us that the sums our politicians are fighting over to avoid “deepening the public debt” are completely out of step with the real needs of the ecological bifurcation. We’re cutting spending by a few billion euros, when we should be thinking in terms of thousands of billions over the coming decades. It proposes to broaden our conception of the perimeter of the economy to include pollination activities, only way to restore a tax base commensurate with ecological challenges. It suggests revisiting past debates around Catholic dogma to understand the strong link between finance and faith, which needs to be rethought in the context of the Anthropocene.

Une bifurcation monétaire pour la bifurcation écologique, par

Religions et ligatures de la dette
Dés-activer le capitalisme logistique, par

Réinventer l’internationalisme au Moyen-Orient, par et

Réinventer l’internationalisme au Moyen-Orient
Cet article étudie de manière critique les possibilités de l’internationalisme au Moyen-Orient, dans le contexte de la profonde reconfiguration de la région au sein du capitalisme mondialisé contemporain. Il soutient que l’internationalisme d’aujourd’hui doit être ancré dans les mutations régionales du capital et du pouvoir, à savoir l’émergence d’un mode logistique de reproduction du capital et d’une structure géoéconomique de la multipolarité, dans laquelle une pluralité de puissances concurrentes et de formes de domination impériale s’efforcent de contrôler les espaces de circulation du capital. En retraçant les transformations historiques depuis le déclin de l’internationalisme tiers-mondiste et la reconfiguration des fractures politiques après la guerre froide jusqu’à la guerre actuelle, cristallisées notamment en Syrie, l’article examine les contradictions et les asynchronies qui marquent les luttes de libération dans la région aujourd’hui, en réfléchissant aux dilemmes stratégiques de la construction d’une nouvelle praxis internationaliste capable de synchroniser des soulèvements hétérogènes sans aplatir leurs singularités.

Reinventing Internationalism in the Middle East
This article critically examines the possibilities of internationalism in the Middle East, in the context of the region’s profound reconfiguration within contemporary globalised capitalism. It argues that today’s internationalism must be rooted in the regional mutations of capital and power, namely the emergence of a logistical mode of capital reproduction and the geo-economic structure of multipolarity, in which a plurality of competing powers and forms of imperial domination strive to control the spaces of capital circulation. By tracing the historical transformations and the reconfiguration of political divides after the Cold War to the current context of war, crystallised in particular in Syria, the article examines the contradictions and asynchronies that mark the liberation struggles in the region today, reflecting on the strategic dilemmas of building a new internationalist praxis capable of synchronising heterogeneous uprisings without flattening their singularities.

Le spectre de la libération nationale
Dialectique de l’héritage et de la défaite au Moyen-Orient, par

Le spectre de la libération nationale
Dialectique de l’héritage et de la défaite au Moyen‑Orient
Les mouvements de libération nationale des années 1960 et 1970 ont marqué un tournant dans la décolonisation de l’internationalisme. À une époque où le marxisme-léninisme hégémonique était de plus en plus asservi aux intérêts géopolitiques de l’Union soviétique, ces mouvements du Sud ont rompu avec Moscou et ont adopté une vision de l’internationalisme plus décentralisée, décolonisée et ancrée dans le contexte. En se créant des espaces d’autonomie politique et d’imagination révolutionnaire sans précédent, ils ont reconfiguré la grammaire même de la lutte mondiale. Pourtant, ce moment de libération nationale s’est avéré tragiquement éphémère. Cet article interroge cette conjoncture, ses potentiels non réalisés et ses trajectoires, (en particulier le tournant culturel de la gauche dans des contextes tels que l’Iran) son détachement des luttes régionales et de son propre héritage émancipateur.

The Spectre of National Liberation
The Dialectic of Legacy and Defeat in the Middle East
The national liberation movements of the 1960s and 1970s marked a turning point in the decolonisation of internationalism. At a time when hegemonic Marxism-Leninism was increasingly subservient to the geopolitical interests of the Soviet Union, these movements in the South broke with Moscow and adopted a vision of internationalism that was more decentralised, decolonised and rooted in context. By creating unprecedented spaces of political autonomy and revolutionary imagination, they reconfigured the very grammar of the global struggle. Yet, this moment of national liberation proved tragically short-lived. This article examines this conjuncture, its unfulfilled potential and its trajectories (in particular the Left’s cultural turn in contexts such as Iran), its detachment from regional struggles and its own emancipatory heritage.

Une troisième voie au Moyen-Orient
Les luttes populaires face à d’immenses défis, par

Une troisième voie au Moyen-Orient
Les luttes populaires face à d’immenses défis
Gilbert Achcar analyse la reconfiguration géopolitique mondiale marquée par une convergence néofasciste entre les États-Unis, la Russie de Poutine et l’extrême droite mondiale, redéfinissant ainsi une « nouvelle guerre froide ». Dans ce contexte, au Moyen-Orient, les États jouent sur les rivalités internationales, tandis que les mouvements populaires doivent compter sur eux-mêmes pour progresser. Achcar insiste sur l’idée d’un processus révolutionnaire de longue durée entamé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en 2011, rythmé par crises et contre-révolutions. Malgré les échecs et répressions, des dynamiques progressistes émergent, notamment au Soudan, en Turquie par le Parti démocratique des peuples (HDP) kurde, ou en Iran à travers le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Toutefois, des cloisonnements ethniques et idéologiques limitent une contagion révolutionnaire régionale. Achcar appelle à un internationalisme basé sur la démocratie et la solidarité entre les peuples, refusant autant le campisme classique que le néo-campisme anti-occidental aveugle.

A Third Bay in the Middle East
Popular Struggles face Immense Challenges
Gilbert Achcar analyses the global geopolitical reconfiguration marked by a neo-fascist convergence between the United States, Putin’s Russia and the global far right, redefining a “new Cold War”. In this context, in the Middle East, states are playing on international rivalries, while popular movements have to rely on themselves to make progress. Achcar insists on the idea of a long-term revolutionary process that began in the Middle East and North Africa in 2011, punctuated by crises and counter-revolutions. Despite setbacks and repression, progressive forces are emerging, notably in Sudan, in Turkey through the Kurdis Kurdish People’s Democratic Party, and in Iran through the “Women, Life, Freedom” movement. However, ethnic and ideological divisions are limiting regional revolutionary contagion. Achcar calls for an internationalism based on democracy and solidarity between peoples, rejecting both classic campism and blind anti-Western neo-campism.

Résonnances internationalistes de la lutte kurde
Peuple sans État, alliances sans frontières, par

Résonnances internationalistes de la lutte kurde
Peuple sans État, alliances sans frontières
Cet article propose une lecture du mouvement kurde contemporain au prisme d’un internationalisme ancré dans les luttes populaires, féministes et anti-impérialistes, tout en documentant la résilience d’un mouvement enraciné dans les marges mais tourné vers l’universel. Il retrace l’histoire d’une oppression transnationale – du morcellement colonial du Kurdistan aux logiques autoritaires des États postcoloniaux – et met en lumière la manière dont le PKK a articulé un projet politique transfrontalier fondé sur la solidarité entre peuples. Le rôle central de la diaspora, les alliances interethniques et l’expérience révolutionnaire du Rojava y sont analysés comme les expressions d’un internationalisme par le bas, mêlant luttes anti-impérialistes, socialistes, féministes et décoloniales. Porté en grande partie par les femmes, ce projet questionne les cadres classiques du nationalisme, du féminisme d’État et des formes d’engagement vertical, au profit d’une résistance autonome, intersectionnelle et transnationale.

Internationalist Resonances of the Kurdish Struggle
People without a State, Alliances without Borders
This article offers a reading of the contemporary Kurdish movement through the prism of an internationalism rooted in popular, feminist and anti-imperialist struggles, while documenting the resilience of a movement rooted in the margins but turned towards the universal. It traces the history of transnational oppression—from the colonial fragmentation of Kurdistan to the authoritarian logics of post-colonial states—and highlights the way in which the PKK has articulated a cross-border political project based on solidarity between peoples. The central role of the diaspora, the inter-ethnic alliances and the revolutionary experience of Rojava are analysed as expressions of an internationalism from below, combining anti-imperialist, socialist, feminist and decolonial struggles. Led largely by women, this project questions the classic frameworks of nationalism, state feminism and vertical forms of commitment, in favour of an autonomous, intersectional and transnational resistance.

Syrie – Luttes populaires et projet autogestionnaire
Revendiquer « notre » révolution, par

Syrie – Luttes populaires et projets autogestionnaires
Revendiquer « notre » révolution
Ce texte revient sur un aspect invisible de la révolution syrienne, en mettant l’accent sur les luttes populaires et les expériences d’autogestion. Au lendemain de la chute d’Assad en 2024, les médias mondiaux ont donné crédit à Abu Mohammad al-Jolani en ignorant le soulèvement mené par les Syriens qui réclament depuis longtemps liberté et dignité. Critiquant la réduction de la révolution syrienne à une rhétorique de guerre par procuration ou à un jeu d’échecs géopolitiques, cet article met l’accent sur l’échec des discours anti-impérialistes contemporains et met en lumière l’organisation révolutionnaire des conseils locaux inspirés par les idées d’Omar Aziz autour de l’autonomie décentralisée. De Raqqa à Idlib, les Syriens ont reconstruit la vie civique au milieu des destructions, en créant des structures alternatives pour l’éducation, les soins et les médias. Les femmes ont joué un rôle essentiel dans la résistance à l’autoritarisme et au fondamentalisme. Cet article soutient que le véritable changement révolutionnaire ne vient pas d’en haut, mais des actions collectives d’en bas, et qu’il est essentiel de les reconnaître pour décoloniser la façon dont nous comprenons les luttes dans le Sud global.

Syria—Popular Struggles and Self-Management Projects
Claiming “our” Revolution
This article looks at an invisible aspect of the Syrian revolution, focusing on popular struggles and experiments in self-management. In the aftermath of Assad’s fall in 2024, the world media gave credit to Abu Mohammad al-Jolani while ignoring the uprising led by Syrians who had long been demanding freedom and dignity. Criticising the reduction of the Syrian revolution to the rhetoric of a proxy war or a game of geopolitical chess, this article focuses on the failure of contemporary anti-imperialist rhetoric and highlights the revolutionary organisation of local councils inspired by Omar Aziz’s ideas of decentralised autonomy. From Raqqa to Idlib, Syrians have rebuilt civic life in the midst of destruction, creating alternative structures for education, healthcare and the media. Women have played a key role in resisting authoritarianism and fundamentalism. This article argues that real revolutionary change does not come from above, but from collective action from below, and that recognising these is essential to decolonising the way we understand struggles in the global South.

Turquie – La convergence des oppositions dépassera-t-elle le nationalisme ?
Et l’eau finit par creuser la roche…, par

Turquie – La convergence des oppositions dépassera-t-elle le nationalisme ?
Et l’eau finit par creuser la roche…
Le 19 mars 2025, l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et opposant politique, a déclenché une vague de contestation en Turquie. Son incarcération est perçue comme une tentative d’étouffer l’alliance naissante entre le CHP, parti d’opposition, et le mouvement kurde. Ceci s’inscrit dans une stratégie de répression étatique renforcée, malgré une apparente ouverture vers un processus de paix avec le PKK, récemment annoncé par Abdullah Öcalan. Le pouvoir oscille entre discours d’apaisement et violences accrues. Pourtant, cette répression a favorisé l’émergence d’alliances inédites entre mouvements féministes, kurdes, arméniens, LGBT+, écologistes, etc. Ces convergences sociales structurent une opposition plurielle, ancrée dans les luttes et difficile à étouffer. L’expérience de Gezi reste une matrice symbolique de ces résistances. Le gouvernement, inquiet de cette dynamique ascendante, tente de la contenir sans y parvenir pleinement.

Turkey—Will the Convergence of Oppositions go Beyond Nationalism?
And the Water Ends up Digging the Rock…
On 19 March 2025, the arrest of Ekrem İmamoğlu, mayor of Istanbul and political opponent, triggered a wave of protest in Turkey. His imprisonment is seen as an attempt to stifle the nascent alliance between the CHP, the opposition party, and the Kurdish movement. This is part of a strategy of increased state repression, despite an apparent opening towards a peace process with the PKK, recently announced by Abdullah Öcalan. The authorities oscillate between talk of appeasement and increased violence. Yet this repression has encouraged the emergence of unprecedented alliances between feminist, Kurdish, Armenian, LGBT+ and environmental movements. These social convergences structure a plural opposition, rooted in the struggles and difficult to quell. The Gezi experience remains a symbolic matrix for this resistance. The government, worried about this rising momentum, is trying to contain it without fully succeeding.

Antisionisme de gauche en Israël
Une résistance méconnue, par

Antisionisme de gauche en Israël
Une résistance méconnue
Ofer Cassif retrace ici l’histoire et l’évolution de la gauche antisioniste en Israël, soulignant la distinction entre les courants sionistes de gauche et les courants socialistes et communistes opposés au projet sioniste. Il explique comment, dès les années 1920, certains immigrés juifs, initialement engagés dans le sionisme, ont pris conscience des contradictions entre leurs idéaux internationalistes et la réalité nationaliste du sionisme, menant à la création de mouvements communistes. Aujourd’hui, ces forces continuent d’exister et leur nombre s’accroît, notamment parmi les jeunes refusant de servir dans l’armée. La coopération entre Israéliens antisionistes et Palestiniens reste un élément-clé, même si elle est entravée par le climat politique et les divisions au sein des mouvements progressistes régionaux. Cassif dénonce avec force la dérive fasciste du gouvernement israélien, tout en appelant à un engagement transnationaliste pour la justice et la solidarité entre les Palestiniens et Israéliens.

Left-wing Anti-Zionism in Israel
A Little-Known Resistance
Ofer Cassif traces the history and development of the anti-Zionist left in Israel, highlighting the distinction between left-wing Zionist currents and the socialist and communist currents opposed to the Zionist project. He explains how, from the 1920s onwards, certain Jewish immigrants, initially committed to Zionism, became aware of the contradictions between their internationalist ideals and the nationalist reality of Zionism, leading to the creation of communist movements. Today, these forces continue to exist and their numbers are growing, particularly among young people refusing to serve in the army. Cooperation between anti-Zionist Israelis and Palestinians remains a key element, even if it is hampered by the political climate and divisions within progressive regional movements. Cassif forcefully denounces the fascist drift of the Israeli government, while calling for a transnationalist commitment to justice and solidarity between Palestinians and Israelis.

Palestine, un nouveau Vietnam
L’indivisibilité de la justice, par

Palestine, un nouveau Vietnam
L’indivisibilité de la justice
Dans cet entretien, Rabab Abdulhadi présente la Palestine comme une cause éminemment internationaliste. Elle dénonce le projet colonial israélien visant à effacer le peuple palestinien par divers moyens (génocide, destruction culturelle, déplacement). Pourtant, la résistance palestinienne persiste, soutenue par une solidarité mondiale croissante. Une résurgence de solidarité internationale émerge, s’inscrivant dans la continuité historique des luttes anticoloniales et antiracistes. De nombreux mouvements sociaux reconnaissent désormais l’interconnexion entre leurs combats et celui des Palestiniens. L’auteur défend l’idée que toutes ces luttes relèvent d’une même exigence de justice indivisible, faisant de la Palestine uns cause transversale.

Palestine, a New Vietnam
The Indivisibility of Justice
In this interview, Rabab Abdulhadi presents Palestine as an eminently internationalist cause. She denounces the Israeli colonial project aimed at erasing the Palestinian people by various means (genocide, cultural destruction, displacement). Yet Palestinian resistance persists, supported by growing global solidarity. A resurgence of international solidarity is emerging, in line with the historical continuity of anti-colonial and anti-racist struggles. Many social movements now recognise the interconnection between their struggles and those of the Palestinians. The author defends the idea that all these struggles stem from the same demand for indivisible justice, making Palestine a cross-cutting cause.

A

A chaud 35, hiver 2009

De Guantanamo à Tarnac : un renversement de l’ordre de droit, par

La mise en scène de l’arrestation et de l’inculpation des « autonomes de Tarnac » révèle non seulement un bouleversement de l’ordre juridique, mais aussi une mutation de l’ordre symbolique de la société. Les procédures mises en place représentent un des aspects les plus significatifs de la tendance imprimée par la « lutte contre le terrorisme », à savoir qu’un individu est désigné comme terroriste, non pas parce qu’il a commis des actes déterminés, mais simplement parce qu’il est nommé comme tel par le ministère de l Intérieur. Ce qui fait de ces jeunes gens des terroristes, c’est leur mode de vie, le fait qu’ils tentent d’échapper à la machine économique et qu’ils n’adoptent pas un comportement de soumission « proactive » aux procédures de contrôle. Le discours du pouvoir devient le seul référent possible Les faits sont ainsi forclos du champ social et de l’espace du pensable. Ce faisant, cette image nous installe dans une structure psychotique.

The way the nine Tarnac proponents of a self-supporting life were arrested and charged testi- fies not only to a disruption in the order of the law but also to a deeper mutation, in the symbolic order of society. The procedures that were implemented represent one of the most telling aspects in the new trend that has developed with the « war on terror », namely a person is de fined as a terrorist not because he or she committed any specific crime, but because he or she is given that name by the Home of fice. The reason why these young people are called terrorists is the way they live, the fact they try to escape the economic machine and do not proactively submit to control procedures. The discourse of power becomes the one and only possible referent. Facts are kept out of the social field and out of th espace of what is thinkable. As a consequence, this image imprisons us in a psychotic structure.

A chaud 36, été 2009

“Nous ne paierons pas pour votre crise” Les luttes italiennes contre la réforme de l’éducation, par

Le système d’enseignement public italien a été depuis l’été 2008 l’objet d’une série de coupes budgétaires. C’est contre cette suite de réformes que des étudiants, des travailleurs de l’enseignement et des chercheurs se sont engagés dans diverses formes de contestation, de l’occupation des rues au blocage des universités. Au-delà des frontières italiennes, des appels à un nouveau type de welfare se sont fait entendre à travers toute l’Europe, étendant ainsi les revendications corporatistes traditionnelles au contexte global de la crise économique en révélant sa double nature. L’un de ces aspects réside dans la centralité de la production de savoirs, l’indistinction entre les statuts d’étudiant et de travailleurs émergeant comme effet symptomatique de la planification néolibérale. Contre ce processus au sein duquel la puissance des savoirs vivants se voit capturée par la dynamique capitaliste de hiérarchisation et de dette, les récentes luttes désignées sous le nom de Onda anomale ont imposé les fins d’un renouveau de la coopération sociale et une pensée réactualisée de l’autonomie du savoir, sous le slogan « Nous ne paierons pas pour votre crise ! ».

«We will not pay for your crisis»
The Italian public education system has been hit by several cuts in its funding since the summer of 2008. It’s against this trend of reforms that students, university workers and researchers engaged in various protests, occupying the streets and blocking universities. Beyond Italy’s boundaries, calls for a new form of welfare have spread throughout Europe, thus extending traditional corporatist demands to the global context of the economic crisis and revealing its double-sided nature. One of these aspects is the centrality of the production of knowledge, as the indistinctness between student and worker statuses emerges as a symptomatic side-effect of the neoliberal agenda. Against this process in which the power of living knowledge is captured by capitalist dynamics of hierarchy and debt, recent struggles under the designation of «Onda Anomale» have imposed the goal of a renewal of social cooperation and a rethinking of the autonomy of knowledge, under the motto « We won’t pay for your crisis! ».

Du commun de l’autre côté des mers, par

Dans ce texte, Anne Querrien revient sur l’action du LKP. Loin de s’arrêter à un regard axé sur la seule revendication d’une augmentation de 200 euros, ou à une analyse qui arrêterait cette lutte au seul mouvement indépendantiste, l’auteur retrace cette révolte en indiquant le désir de changer les relations sociales, son aspiration à alé pli lwen, et sa quête de sortir du colonialisme et de l’exploitation. Ainsi sous sa plume, l’île re-devient espace d’utopie, de déboulé et de créole soutenu par un projet d’hybridation et de créativité dans lequel aussi tout reste à faire. Car, le liyannaj, la mise en commun, amorcée a ses faiblesses, notamment en ce qui concerne la question du Sida ou de la place des femmes. Ces points aveugles n’empêchent pas pour autant de regarder de l’autre côté des mers.

From the common to the other side of the seas
In this text, Anne Querrien revies the action of the LKP (Coalition of Civil Society Organizations of Guadeloupe). Instead of focusing on the immediate demands or to simply analyze the fight in the framework of the struggle for independence, the author recounts the revolt as a desire to change social relations, its aspiration to alé pli lwen and its quest to end colonialism and exploitation. The island is seen as an utopian space, a déboulé and a creole, supported by a hybridization and creativity in which everything remains to be done. The liyannaj, or pooling, has shown its weaknesses, particularly regarding the issue of AIDS or of women. These blind spots do not hinder the reader to look across the seas.

A Chaud 39, hiver 2009

A Chaud 40, printemps 2010

À Chaud 46, automne 2011

À chaud 48, printemps 2012

À chaud 52.

A chaud 53

A Chaud 55, printemps 2014

A chaud 56.

À chaud 58

République et pseudojihad, par

L’automation intellectuelle, la mort de l’emploi et le revenu de pollinisation, par

L’automation intellectuelle,
 la mort de l’emploi et le revenu 
de pollinisation

Les discours lénifiants promettant de résoudre tous les problèmes sociaux et écologiques par une « reprise de la croissance », synonyme de « retour au plein emploi », sonnent de plus en plus creux. Nous vivons une deuxième vague de déploiement du capitalisme cognitif, caractérisée par l’automatisation de tâches intellectuelles bien plus complexes, dont les études les plus sérieuses montrent qu’elle annonce une explosion spectaculaire des chiffres du chômage (jusqu’au sein des classes les mieux éduquées). Les leçons de la première vague d’industrialisation du début du XIXe siècle enseignent que seuls des combats idéologiques et politiques peuvent conduire les logiques économiques à s’adapter à ces nouvelles dynamiques. Les mesures préconisées depuis 15 ans par Multitudes (revenu universel garanti, taxe pollen, réforme de l’éducation) sont plus urgentes que jamais.

Intellectual Automation, Death of Employment and Pollination Income


« Back to growth » and « Back to full employment » mantras have lost all traction on our economic realities. We are in the middle of a second wave of cognitive capitalism, which automatizes much higher forms of intellectual work. Analysts forecast massive increases in unemployment, especially among highly educated segments of the population. Lessons drawn from the first industrialization, at the beginning of the 19th century, show that only ideological and political struggles can push the economy to adapt to such new dynamics. The measures promoted by Multitudes over the last 15 years (universal guaranteed income, pollen tax, reformation of the educational systems) appear more urgent than ever.

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La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante. L’exemple espagnol, par et

La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante
L’exemple espagnol

L’exemple espagnol de Podemos montre comment sortir positivement des limites de l’horizontalité du mouvement, à la fois si riche et infructueuse, et comment agencer un geste politique d’autoconstitution, d’organisation et de représentation. Ce passage de l’horizontalité à la verticalité, de l’agitation et de la résistance du mouvement vers le travail de gouvernement pose non seulement des questions de spatialité, mais surtout des questions de temporalité, de durée. L’important passe par la (re)création d’un flux de mouvement politique, un système ouvert de gouvernance depuis le bas qui maintient unis mouvement et gouvernement – par le débat constituant constant et par une extension de ce débat aux citoyens.

Today’s Democracy is Wild and Constituent
The Spanish Case

The Spanish example of Podemos shows how to escape from the limits of the horizontal politics of movement, however rich but too often fruitless, towards the vertical politics of government. This gesture of auto-constitution, organization and representation raises not only issues of spatiality, but also issues of temporality: how to make it strong and lasting? What really matters is the (re)creation of a flow of political movement, an open system of governance from below which maintains together movement and government—through constant constituent debates and through the extension of these debates to all citizens.

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Riace en Calabre a été saluée par le monde entier pour son approche innovante de l’accueil des réfugiés, ce qui lui a permis de revitaliser un village qui avait souffert de l’émigration et de l’appauvrissement. Cette approche a comporté la création d’une monnaie locale utilisée en attendant les fonds européens pour les réfugiés, la rénovation de maisons abandonnées grâce à des prêts de la région, l’ouverture d’ateliers d’artisans, et beaucoup d’autres activités qui ont créé des emplois pour les nouveaux arrivants et pour les résidents de longue date. Au lieu d’enfermer les réfugiés dans des camps, Riace les a intégrés à la vie quotidienne. Avec une population de moins de 2 000 habitants, Riace a ouvert ses portes à des milliers de réfugiés. En 2018, le maire de Riace, Domenico Lucano, a été arrêté, suspendu de ses fonctions et banni pour deux actes de désobéissance civile : avoir contracté avec une coopérative d’immigrants pour l’enlèvement des ordures sans appel d’offres (pour empêcher l’infiltration de la mafia), et pour avoir célébré un mariage de convenance. De plus depuis 2016 le financement européen pour les villes-refuges avait été bloqué par le gouvernement italien. Multitudes participe au mouvement en faveur de la candidature de la ville de Riace pour le prix Nobel de la paix. Une pétition circule sur Internet à cet effet.

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Le sociologue Nicolas Roux, dans un article d’AOC du 8 janvier 2023, Le « refus du travail » : une idée reçue qui fait diversion, balaie d’un revers de la main la « grande démission » apparue aux États-Unis dans le sillage immédiat de la pandémie de Covid1. Ce qu’il reproche à ce « pseudo constat », de « pénurie de main-d’oeuvre », c’est de faire diversion sur la cause profonde du malaise dans le marché du travail, l’instauration d’un précariat généralisé qui dégrade l’emploi. Cela revient à passer sous silence la question du sens écologique de l’emploi comme de la croissance. On n’a pas l’impression que notre sociologue a vraiment écouté les retentissantes déclarations des élèves des grandes écoles d’ingénieurs lors des remises de leurs diplômes.... Continuer la lecture ->

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A l'entour de la régulation. Débats et controverses.

Abécédaire de la crise

Accélérationnisme ?